La notion de trésor confrontée à la perpétuité du droit de propriété

Publié le 24/07/2018

La personne qui découvre, par le pur effet du hasard, une chose cachée ou enfouie a nécessairement conscience, au moment de la découverte, qu’elle n’est pas propriétaire de la chose et ne peut être considérée comme possesseur de bonne foi.

Elle ne saurait donc se prévaloir des dispositions de l’article 2276 du Code civil pour faire échec à l’action en revendication d’une chose ainsi découverte, dont elle prétend qu’elle constitue un trésor au sens de l’article 716 du même code. Une telle action n’est pas susceptible de prescription, conformément à l’article 2227 de ce code.

Cass. 1re civ., 6 juin 2018, no 17-16091, M. et Mme Y c/ Cts A., FS–PB

1. Qui, enfant ou adulte, n’a un jour rêvé de découvrir un trésor ? Hélas, la réalité juridique est parfois cruelle et briseuse de rêves. Elle l’a été, et le rêve d’un enrichissement fabuleux a été anéanti au terme de 4 années de procédure pour les découvreurs de lingots d’or enfouis dans le sous-sol d’une parcelle qu’ils avaient acquise 12 ans auparavant.

En l’espèce rapportée1, la première chambre civile confirme ce qu’elle avait jugé – le hasard faisant curieusement les choses – l’année même de l’acquisition du tènement recelant les lingots litigieux, dans une autre et pittoresque affaire, également de lingots d’or et autres objets précieux que l’on avait oubliés dans le four d’une vieille cuisinière à gaz, mise au rebut puis vendue par ses propriétaires2 : la qualification de trésor ne saurait résister à la preuve de la propriété mobilière laquelle, à l’instar de la propriété immobilière, est perpétuelle en dépit de l’interprétation qu’un grand civiliste avait cru devoir donner de la très ancienne règle « en fait de meuble, possession vaut titre », aujourd’hui reprise à l’article 2276, alinéa 1er, du Code civil3.

2. Bien que la solution du litige soit ici identique à celle qu’avait retenue la décision précitée du 19 novembre 2002, le présent arrêt innove néanmoins sur deux points :

  • il vise l’article 2227 du Code civil, né de la réforme du droit de la prescription qu’a opérée la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 en différenciant clairement ce texte des dispositions de son prédécesseur, l’ancien article 2262, puisque l’imprescriptibilité du droit de propriété est désormais affirmée par la loi et non plus seulement par le juge ;

  • il refuse au découvreur d’un « trésor » (en vérité, d’un objet apparemment sans maître connu) la qualité de possesseur de bonne foi quand bien même l’intéressé prétendrait le détenir de façon paisible, non équivoque et publique ; en conséquence, il écarte l’application du délai de revendication préfix de 3 ans que prévoit, contre celui qui détient une chose perdue (ou volée), l’article 2276, alinéa 2.

3. Sur l’application à un bien mobilier du qualificatif « trésor »4, il convient de rappeler que l’alinéa 2 de l’article 716 la réserve aux choses cachées ou enfouies sur lesquelles « personne ne peut justifier sa propriété », et qui sont découvertes « par le pur effet du hasard »  condition qui n’était pas discutée en l’espèce, mais qui pourrait l’être à l’avenir tant la quête de « trésors » est devenue frénétique chez les amateurs de sonars, scanners et autres outils d’investigation, tels les détecteurs de métaux.

Quant à la justification de la propriété des biens découverts par un « inventeur », qui fait échec à la qualification « trésor », il est acquis que cette justification est libre et laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond. En l’espèce, si le fait d’être les héritiers des anciens propriétaires des lieux n’eût, en principe, pas suffi à convaincre5, d’autres éléments factuels étaient venus corroborer cette amorce de présomption, comme l’admettent habituellement les juridictions du fond qui se satisfont d’un concours de présomptions graves, précises et concordantes6 : la similitude d’emballage des lingots, les numéros qui étaient portés sur les emballages, la suite de numérotation des lingots eux-mêmes rapportée à ceux que détenaient déjà les héritiers, la situation de fortune de leurs auteurs et la preuve de l’acquisition de lingots d’or par eux…

4. Cela eût sans doute déjà suffi, au regard de ce qu’avait jugé la première chambre civile le 19 novembre 2002 : il ne saurait y avoir « trésor », au sens de l’article 716, que s’il est avéré que les biens qui ont été découverts par l’effet du hasard étaient véritablement sans maître identifié. S’il est montré que ces biens étaient appropriés, la qualification doit être écartée car le droit de propriété est perpétuel, donc imprescriptible ainsi que l’énonce désormais fermement l’article 2227, qui ne distingue pas entre propriété immobilière et propriété mobilière.

Mais la première chambre civile entendait aussi répondre au pourvoi par lequel les prétendus « inventeurs » des lingots d’or se prévalaient des dispositions de l’article 2276, ex-article 2279 du Code civil, particulièrement de son alinéa 2, en arguant de la qualité de leur « possession » des lingots, tout à la fois paisible, non équivoque et publique puisqu’ils auraient informé de leur découverte tout à la fois les services de police, la mairie et la Banque de France (la lecture du pourvoi laisse néanmoins perplexe sur ce point car il y apparaît que la possession n’a été révélée qu’à l’occasion d’une procédure d’enquête diligentée sur un signalement du service Tracfin).

5. Pour la première fois, à notre connaissance, la haute formation énonce que « celui qui découvre, par le pur effet du hasard, une chose cachée ou enfouie a nécessairement conscience, au moment de la découverte, qu’il n’est pas propriétaire de cette chose, et ne peut être considéré comme un possesseur de bonne foi » ; elle en conclut que le découvreur « ne saurait se prévaloir des dispositions de l’article 2276 du Code civil pour faire échec à l’action en revendication », laquelle n’est pas susceptible de prescription « conformément à l’article 2227 de ce code ». La perpétuité du droit de propriété mobilière se trouve, de la sorte, fermement confortée par la Cour de cassation ; le doyen Ripert, fervent défenseur de la protection possessoire en matière mobilière, aurait certainement été chagriné d’une analyse qu’il avait vertement critiquée en 1949…

À la vérité, c’est ce qui avait été jugé plus anciennement à propos de biens qualifiés d’« épaves » : celui qui appréhende une épave serait ipso facto dans la situation d’un possesseur de mauvaise foi7. L’affirmation paraît relever du simple bon sens car il n’est pas concevable que de tels biens  qu’il s’agisse d’épave, de trésor ou encore d’objet perdu  aient été précédemment « sans maîtres » ; la difficulté est seulement, on l’a souligné pour la découverte d’un « trésor », celle de la preuve de l’appropriation antérieure ouvrant la voie d’une revendication.

6. Force est néanmoins d’observer que, de ce renversement de la présomption générale de bonne foi ressort une réduction du champ d’application des dispositions de l’alinéa 2 de l’article 2276 : ne pourraient s’en prévaloir ni l’inventeur d’un prétendu trésor, ni celui qui appréhende une épave, ni celui qui trouve un objet perdu ; ils ne seraient jamais à l’abri d’une action en revendication, même très tardive, qu’initierait le propriétaire du bien correspondant à chacune des qualifications. Il semble acquis, en revanche, qu’en cas de transmission (autre que successorale ?) de tels biens, celui qui les a reçus doive recouvrer l’avantage de la présomption de bonne foi et le bénéfice de la protection qu’offrent l’un et l’autre des alinéas qui composent l’article 2276 : l’exercice de l’action en revendication est limité dans le temps à compter du moment où le bien a été perdu (ou volé) ; en toute hypothèse, le droit de son possesseur de bonne foi est alors consolidé.

Les principes fondamentaux (protection constitutionnelle et conventionnelle du droit de propriété) qui, à l’arrière-plan des règles précédentes, constituent la trame des décisions successives intervenues en l’espèce rapportée, devraient aussi dominer dans la solution des affaires de revendication de biens dont le propriétaire a été spolié. On ne manquera cependant pas de noter que, pour ceux des biens détournés par spoliation – le plus souvent, des œuvres d’art  qui ont été ultérieurement attribués à une institution publique, le raisonnement suivi par le Conseil d’État, qu’un éminent auteur a aimablement qualifié de « subtil »8, s’éloigne pour le moins du cheminement de pensée civiliste, pourtant vieux de plusieurs siècles ; bien que le Conseil d’État fasse incidemment référence à la perpétuité de l’action en revendication et au respect de l’article 1er du 1er Protocole de la Convention EDH, sans en tirer pour autant l’ensemble des incidences que la logique devrait imposer, il reviendrait plutôt à la Cour européenne de trancher, en dernier recours, sur leur application.

Notes de bas de pages

  • 1.
    V. également : D. 2018, p. 1255.
  • 2.
    Cass. 1re civ., 19 nov. 2002, n° 00-22471 : Bull. civ. I, n° 279 ; LPA 9 mai 2003, p. 12, note Barbièri J.-F., et les réf. citées ; Gaz. Pal. 26 avr. 2003, n° F0759, p. 15, note Battistini P. ; JCP G 2003, I 172, spéc. n° 2, obs. Périnet-Marquet H. ; D. 2003, Somm., p. 2049, obs. Mallet-Bricout B. Précédemment, dans la même affaire : TGI Cusset, 26 nov. 1998 : D. 1999, IR, p. 14.
  • 3.
    Ripert G., note critique sous T. civ. Seine, 1er juin 1949 : D. 1949, p. 350 (aff. dite du Trésor de la rue Mouffetard).
  • 4.
    V. en dernier lieu, dans la jurisprudence de la Cour de cassation, refusant cette qualification à un primitif flamand caché sous un repeint : Cass. 1re civ., 5 juill. 2017, n° 16-19340, FS-PBI : LPA 29 sept. 2017, n° 129u8, p. 9, note Gantschnig D. ; LPA 26 déc. 2017, n° 130n2, p. 15, note Barbièri J.-F. ; D. 2017, p. 2196, note Kilgus N. ; JCP G 2017, 1142, p. 1961, spéc. n° 4, obs. Périnet-Marquet H. ; RTD civ. 2017, p. 887, obs. Dross W.
  • 5.
    V. cependant, pour des bons anonymes découverts dans la serre du jardin d’une maison inoccupée depuis le décès de son propriétaire : la possession du découvreur des bons est inopposable au successible qui s’est fait connaître comme propriétaire (CA Paris, 29 mars 2006 : JCP G 2006, IV 2092, p. 980). A fortiori en serait-il ainsi lorsque le donataire des biens a anticipé la découverte en revendiquant (CA Versailles, 25 sept. 1987 : D. 1989, Somm., p. 31, obs. Robert A.).
  • 6.
    En l’absence de preuve ou de présomptions graves, précises et concordantes, le seul fait qu’une personne est héritière légitime de la famille qui était propriétaire de l’immeuble où un trésor a été découvert est insuffisant à en établir la propriété (CA Versailles, 11 mars 1986 : D. 1987, Somm., p. 14, obs. Robert A.). Dans le même sens : TGI Sarreguemines, 13 mars 2001 : LPA 17 oct. 2001, p. 14, note Beguin A. ; confirmation par CA Metz, 3 avr. 2003 : JCP G 2004, IV 1384, p. 316.
  • 7.
    Cass. civ., 6 nov. 1951 : Bull. civ. I, n° 288 ; JCP 1952, IV, 1.
  • 8.
    Périnet-Marquet H., obs. à propos de la revendication d’œuvres d’art spoliées qui ont été répertoriées « Musées nationaux. Récupération » et attribuées au musée du Louvre (la restitution en a été refusée à un revendiquant, a priori de bonne foi : CE, 30 juill. 2014, n° 349789 : JCP G 2014, 995, p. 1739, note Biagini-Girard S. ; JCP G 2014, 1129, p. 1991, spéc. n° 3, obs. Périnet-Marquet H.).
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