Quel avenir pour l’encadrement des locations de meublés touristiques ?
La France a mis en place une réglementation contraignante afin de contrer l’augmentation des locations de courte durée, notamment dans les métropoles. Le point sur ses évolutions à la lumière de la jurisprudence communautaire.
Le cadre juridique applicable au 1er janvier 2018 pour la location de courte durée d’un logement en meublé varie suivant la zone géographique où est situé le bien et suivant son statut de résidence principale ou secondaire.
La règle des 120 jours
« Actuellement, et à l’exception d’une éventuelle procédure d’enregistrement selon les communes, il est possible de louer sa résidence principale à des touristes par le biais d’une plateforme internet, de type Airbnb, jusqu’à 120 jours par an, sans effectuer de démarches particulières, conformément à l’article L. 631-7-1, alinéa 5, du Code de la construction et de l’habitation », analyse Xavier Demeuzoy, avocat à Paris et spécialiste de la location saisonnière. Selon l’article 2 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, la résidence principale est définie comme le logement occupé au moins 8 mois par an, sauf obligation professionnelle, raison de santé ou cas de force majeure, soit par le preneur ouu la personne avec laquelle il vit, soit par une personne à charge. « Ainsi, depuis janvier 2018, la plateforme Airbnb a mis en place un outil automatique et ciblé limitant la durée annuelle maximale de location sur le site à 120 jours par an pour les logements entiers situés dans les arrondissements centraux de Paris (75001, 75002, 75003 et 75004) », précise l’avocat.
Des règles plus contraignantes pour les résidences secondaires
Au-delà de ce seuil, la location est soumise aux règles de changement d’usage, comme c’est le cas pour tous les biens détenus en résidence secondaire. « Contrairement à la résidence principale, une résidence secondaire est occupée moins de 4 mois par an. Ce bien transformé en location touristique n’est plus considéré comme à usage d’habitation », explique Me Xavier Demeuzoy. Et afin de limiter l’attractivité des locations de courte durée, une réglementation contraignante s’applique à ce type de biens. Dans les villes de plus de 200 000 habitants, celles de plus de 50 000 habitants situées en zones tendues et les communes limitrophes de Paris, les investisseurs doivent obtenir une autorisation préalable de la mairie avant de donner leur bien à bail. À Paris, Lyon, Bordeaux ou encore Nice et Marseille, ils doivent en outre solliciter une autorisation de changement d’usage.
Zoom sur la réglementation parisienne
À Paris et dans l’ensemble des trois départements de la couronne parisienne (Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne), cette autorisation préalable de la mairie pour louer à des touristes (CCH, art. L. 631-7) est subordonnée à une mesure de compensation qui a pour but la préservation de l’équilibre entre l’habitat et les activités économiques. Il s’agit pour le propriétaire du bien d’affecter un local commercial qu’il détient en bien d’habitation d’une surface équivalente à celle de la résidence secondaire qu’il entend mettre en location. À défaut de détenir ou d’acquérir un tel bien, il peut présenter un titre de compensation ou de commercialité. « Cette procédure, qui peut varier selon les arrondissements, vise à compenser la perte de surfaces d’habitation du local transformé et s’avère particulièrement coûteuse. Dans les arrondissements parisiens du centre et de l’ouest, chaque m2 d’habitation doit être doublement compensé (2 m2 pour 1 m2). Dans les arrondissements du centre, la moitié au moins de la surface du bien concerné doit être compensée au sein du même arrondissement », explique Lorène Derhy, avocate en droit immobilier à Paris. Ces conditions sont particulièrement drastiques, rendant de facto très difficiles la mise en place de ce type de locations. « En outre la réglementation est complexe, peu accessible au profane », souligne l’avocate. « L’investisseur doit prendre en compte les démarches à effectuer auprès de la mairie et du syndicat de copropriétaires avant de mettre son appartement en location. Si vous êtes propriétaire d’un logement et que vous souhaitez le louer en meublé de tourisme, vous devez au préalable vérifier que le règlement de copropriété ne l’interdit pas », précise Me Xavier Demeuzoy.
Des procédures nombreuses
À défaut, le contrevenant, encourt une amende de 50 000 € par logement loué irrégulièrement. En outre, une astreinte d’un montant maximal de 1 000 € par jour et par m2 est prévue jusqu’à la régularisation. Pour faire respecter cette réglementation, la ville de Paris s’est mobilisée. « Afin de faciliter ses contrôles, elle peut, depuis le 1er décembre 2019, enjoindre aux plateformes de location type Airbnb de lui communiquer des informations précises, comme l’adresse du local, et chiffrées, notamment le nombre de nuitées mises en locations, qui lui servent d’éléments de preuve devant le tribunal », explique Me Lorène Derhy. Récemment la ville a intensifié ses contrôles, s’adjoignant même à l’automne 2019, l’appui des forces de la police pour les mener à bien. Deux propriétaires, condamnés respectivement à 25 000 € et 15 00 € d’amende se sont rebiffés et ont porté l’affaire en justice. « Depuis le mois d’octobre dernier, elle a encore innové, en lançant ses premiers contrôles visant, cette fois, des résidences principales. Les premières assignations viennent d’être délivrées », explique l’avocate.
Le gel des procédures
À partir de 2019, toutes les procédures d’assignation ont été gelées. En effet, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a été saisie d’une question préjudicielle par la Cour de cassation, en date du 15 novembre 2018 (n° 17-26158), afin de statuer sur la conformité de l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation, avec les dispositions de la directive européenne services 2006/123/CE13, laquelle prévoit que les régimes d’autorisation fixés par les communes doivent être clairs et non ambigus, objectifs, rendus publics à l’avance mais encore transparents et accessibles. « Dans ce contexte, le tribunal judiciaire de Paris a sursis systématiquement à statuer dans toutes les affaires dont il était saisi par la ville de Paris au titre des manquements des propriétaires ».
Des décisions de validation
Le juge communautaire a considéré la réglementation nationale comme conforme au droit de l’Union européenne dès lors qu’elle est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location. « La ville de Paris présente cette décision comme une victoire contre les investisseurs concernés ». Les conclusions de l’avocat général de la CJUE, Me Bolbek, rendues en avril dernier fournissent un certain nombre de pistes de réflexion. « La réglementation doit satisfaire des critères de proportionnalité et de non-discrimination », explique Me Xavier Demeuzoy. Or l’avocat général a relevé qu’en pratique, l’accès à un marché apparemment rentable semblait réservé à des personnes morales ou promoteurs, les seuls à être à même de satisfaire l’obligation de compensation, les particuliers, moins fortunés en étant écarté. Pourquoi l’accès à ce marché devrait-il « être réservé, pour employer une métaphore, à ceux jouant déjà au Monopoly (grandeur nature) ? », s’est interrogé ce dernier.
Dans une décision rendue le 18 février dernier (Cass. 3e civ., 18 févr. 2021, n° 19-13191), la Cour de cassation a conforté la position de la ville de Paris en validant la réglementation en cause. Il ressort ainsi du communiqué de presse de la Cour que : « (…) les articles L. 631-7, alinéa 6, et L. 631-7-1 du Code de la construction et de l’habitation sont conformes à la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006. S’agissant du champ d’application de l’article L. 631-7, dernier alinéa, du Code de la construction et de l’habitation, elle a retenu que, “hormis les cas d’une location consentie à un étudiant pour une durée d’au moins 9 mois, de la conclusion, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 23 novembre 2018, d’un bail mobilité d’une durée de 1 à 10 mois et de la location, pour une durée maximale de 4 mois, du local à usage d’habitation constituant la résidence principale du loueur, le fait de louer, à plus d’une reprise au cours d’une même année, un local meublé pour une durée inférieure à un an, telle qu’une location à la nuitée, à la semaine ou au mois, à une clientèle de passage qui n’y fixe pas sa résidence principale au sens de l’article 2 de la loi du 6 juillet 1989 constitue un changement d’usage d’un local destiné à l’habitation et, par conséquent, est soumis à autorisation préalable”. Il en résulte que les deux locations litigieuses, consenties à deux sociétés, sur une période de moins d’un an, pour des durées respectives de 4 et 6 mois, donc inférieures à un an, constituaient un changement d’usage, au sens du texte précité, soumis à autorisation préalable ».