Les locations touristiques saisonnières et les lois de procédure

Publié le 06/09/2019

Le phénomène des locations touristiques saisonnières est en pleine extension, transformant les quartiers de certaines villes, et amenant le législateur à chercher à mettre en place des dispositifs destinés à l’encadrer, ce qui pose la question de la caractérisation de la nature de ces lois qui se succèdent et de leur efficacité. La présente décision qualifiant de lois de procédure celles qui concernent les conditions d’exercice des poursuites est de nature à les rendre plus effectives en permettant leur application à des procédures en cours.

Cass. 3e civ., 16 mai 2019, no 17-24474, ECLI:FR:CCASS:2019:C300400, PB

Un des aspects de la loi sur l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ÉLAN) concerne les locations saisonnières et touristiques des particuliers1, qui consistent pour un propriétaire ou un locataire d’un bien immobilier à le louer via internet pour une courte durée2. Suivant des exemples étrangers, la ville de Paris, le législateur et les autorités judiciaires cherchent à appliquer une limitation du nombre de nuitées louées par résidence principale. Si le loueur vient à dépasser le nombre prévu, il s’exposera à des sanctions, sous forme d’amendes mises en place par une législation complexe qui relève de différentes normes juridiques3, qu’il y a lieu de combiner, et mouvante, ce qui pose le problème de son application dans le temps spécialement pour les conséquences des modifications de législation sur les procédures en cours pour l’application des sanctions. La présente décision est un exemple de ces difficultés ; en considérant les modifications comme des lois de procédure, elle permet leur application aux procédures en cours et sont de nature à faciliter les sanctions.

Le 22 juillet 2015 les usufruitiers d’un appartement à usage d’habitation ont été assignés en référé par le procureur de la République en paiement d’une amende civile4, pour avoir loué ce logement de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage, en contravention avec la législation applicable5. Ils ont par ordonnance du 21 septembre 2015 été condamnés à payer une amende de 2 500 €. Le 10 novembre 2015, le procureur de la République a interjeté appel de cette ordonnance, la ville de Paris est intervenue volontairement à l’instance.

Les personnes condamnées invoquaient le fait que l’appel du parquet devait être déclaré irrecevable, comme tardif et que dans ces conditions, aucune intervention ne pouvait être reçue y compris, donc, celle de la ville de Paris.

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi car elle a estimé les dispositions applicables6 confèrent qualité au maire de la commune ou à l’Agence nationale de l’habitat pour saisir le président du tribunal de grande instance en cas de violation des règles sur le changement d’usage des locaux destinés à l’habitation, qu’elles revêtent le caractère d’une loi de procédure et sont, à ce titre, d’application immédiate aux instances en cours, que, lorsque l’intervenant se prévaut d’un droit propre, le sort de son intervention n’est pas lié à celui de l’action principale et que l’intervention volontaire de la ville de Paris était une intervention principale puisqu’elle agissait pour son propre compte et non pas pour soutenir la prétention du ministère public, que l’irrecevabilité de l’appel du procureur de la République était sans incidence sur la recevabilité de l’intervention principale de la ville de Paris.

La question posée était donc celle de l’application, ou non, aux procédures en cours des modifications de la législation confiant désormais au maire de la commune le soin de saisir le tribunal de grande instance en cas d’infraction aux règles sur la destination des locaux7. Ce qui amène après un rappel du dispositif de sanctions prévues (I) à se poser la question de son application aux procédures en cours (II).

I – Le régime de sanctions prévues

Les locations de courte durée sont admises et encadrées (A), le non-respect des règles est susceptible de sanctions (B).

A – Admission des locations de courte durée

« Toute personne, qui offre à la location un meublé de tourisme qui est déclaré comme sa résidence principale à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile, ne peut le faire au-delà de 120 jours au cours d’une même année, sauf obligation professionnelle, raison de santé ou cas de force majeure »8. Le non-respect de cette règle est susceptible d’entraîner des sanctions.

B – Les sanctions

1 – Exposé des sanctions

Les non-sanctions sont essentiellement des amendes civiles, qui ne sont pas des sanctions pénales9. Leur mise en œuvre passe par des procédures judiciaires, devant le tribunal de grande instance (TGI) statuant en référé.

2 – Procédure

Dans la version initiale de la loi, l’amende était prononcée à la requête du ministère public et du maire de la commune par le président du TGI qui, dans la réforme de la justice, devient tribunal judiciaire du lieu de l’immeuble où est situé le bien loué, statuant en référé. Le produit est intégralement versé à la commune dans laquelle est situé l’immeuble. En outre, le président du TGI, désormais tribunal judiciaire, ordonne le retour à l’habitation des locaux transformés sans autorisation dans un délai qu’il fixe10. Les applications sont peu nombreuses11, les poursuites non plus et l’initiative de celles-ci a été modifiée. Comme c’était le cas initialement, elles ne relèvent plus du Parquet mais du maire ce qui posait en l’espèce la question de l’application de la loi nouvelle à des faits qui lui sont antérieurs ce qui dépend de la nature de la loi et implique les conséquences procédurales à en tirer.

II – Modification de la législation et procédures en cours

L’assignation en référé par le procureur de la République en paiement d’une amende civile, pour avoir loué ce logement de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage12, en contravention avec les dispositions législatives applicables13 date du 22 juillet 2015. Par ordonnance du 21 septembre 2015, il y a eu condamnation à payer une amende de 2 500 €. Le 10 novembre 2015, le procureur de la République a interjeté appel de cette ordonnance et la ville de Paris est intervenue volontairement à l’instance. Les modifications de la législation en ce qui concerne celui qui a l’initiative des poursuites (A) doivent-elles être appliquées aux procédures en cours et quelles sont les sont les conséquences sur son déroulement (B), spécialement en ce qui concerne la recevabilité des appels ?

A – Initiative des poursuites

À la suite de la modification des règles relatives à l’initiative des poursuites, celles-ci doivent être considérées comme des lois de procédure (1) donc d’application immédiate (2). Initialement, l’initiative des poursuites revenait au procureur de la République14. Puis précédant une autre loi dont l’esprit est, entre autres, de décharger les parquets15, est intervenue une réforme législative, confiant désormais au maire de la commune le soin de saisir le tribunal de grande instance en cas d’infraction aux règles sur la destination des locaux16. Les personnes condamnées voulaient faire valoir qu’elle ne peut s’appliquer qu’aux procédures ouvertes après son entrée en vigueur et que l’action ayant été introduite par le parquet le 22 juillet 2015, soit antérieurement à la loi nouvelle, elle continuait à être régie par la loi ancienne et ne permettait donc pas la substitution de la ville de Paris au Parquet en cause d’appel rendant la demande irrecevable. Le principe est bien sûr celui de la non-rétroactivité de la loi17.

1 – Caractère de loi de procédure de la modification législative

La Cour de cassation a estimé que les dispositions qui confèrent qualité au maire de la commune ou à l’Agence nationale de l’habitat pour saisir le président du tribunal de grande instance en cas de violation des règles sur le changement d’usage des locaux destinés à l’habitation18 revêtent le caractère d’une loi de procédure et sont, à ce titre, d’application immédiate aux instances en cours.

2 – Loi de procédure donc d’application immédiate

Le principe est celui de la non-rétroactivité de la loi19, mais il y a lieu aussi de tenir compte du fait que sauf dispositions contraires expresses, toute loi de procédure et de compétence est d’effet immédiat20. Cela a eu des conséquences sur le problème de la recevabilité de l’intervention dans la procédure de la ville de Paris.

B – Conséquences

Il est admis que le sort de l’intervention volontaire n’est pas lié à celui de l’action principale lorsque l’intervenant principal se prévaut d’un droit propre qu’il est seul habilité à exercer. L’intervention principale n’est pas subordonnée à la recevabilité de l’appel principal21. Il en résulte qu’en l’espèce l’irrecevabilité de l’appel du ministère public devait demeurer sans incidence sur la recevabilité de l’intervention principale de la ville de Paris.

Ainsi, les villes vont donc pouvoir continuer, en appel, les procédures en cours, diligentées initialement par les procureurs contre ceux qui ne respectaient pas les normes prévues par la loi ÉLAN, pour lutter contre les dérives des locations de courtes durées. Il est probable qu’elles soient peu nombreuses.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Lagau-Lacrouts D., « Location meublée touristique et pratique notariale – Aspects juridiques », JCP N 2018, 1355.
  • 2.
    L. n° 2018-1021, 23 nov. 2018 : JO, 24 nov. 2018.
  • 3.
    C. civ. ; L. n° 89-462, 6 juill. 1989 dite loi Quilliot modifiée ; CCH et C. tourisme.
  • 4.
    CCH, art. L. 651-2.
  • 5.
    CCH, art. L. 637-7.
  • 6.
    L. n° 2016-1547, 18 nov. 2016.
  • 7.
    CCH, art. L. 651-2 par L. n° 2016-1547, 18 nov. 2016.
  • 8.
    C. tourisme, art. L. 324-1-1, IV, nouv.
  • 9.
    Cass. crim., 8 oct. 2002, n° 02-80952 : Gaz. Pal. 21 août 2003, n° F1670, p. 6, note Janville T.
  • 10.
    CCH, art. L. 651-2.
  • 11.
    CA Paris, 9 mars 2017, n° 15/14971 : 15 000 € ; CA Paris, 30 juin 2017, n° 15/23009 ; Vial-Pedroletti B., « Meublés touristiques : le propriétaire mis à l’amende », obs. sous Cass. 3e civ., 12 juill. 2018, n° 17-20654, Y c/ Ville de Paris, prise en la personne de son maire, et a., FS-PBI (rejet) : LEDIU oct. 2018, n° 111v5, p. 2 – Cass. 3e civ., 22 janv. 2014, n° 12-19494 ; Cass. 3e civ., 10 juin 2015, n° 14-15961 ; CA Paris, 22 nov. 2017, n° 17/08188 ; CA Paris, 20 déc. 2018, n° 18/10506.
  • 12.
    CCH, art. L. 651-2.
  • 13.
    CCH, art. L. 637-7.
  • 14.
    CCH, art. L. 651-2 par L. n° 2016-1547, 18 nov. 2016 version antérieure à L. n° 2016-1547, 18 nov. 2016.
  • 15.
    L. n° 2019-222, 23 mars 2019 : JO, 24 mars 2019 ; Laporte C., « Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice : aspects divers », Procédures, 2019, étude 7, spéc. 3 ; Deharo G., « Justice : loi de programmation 2018-2022 », JCP A 2019, 224 ; Théron J., « Less is more, Esquisse d’une nouvelle procédure civile minimaliste Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 », JCP G 2019, 495.
  • 16.
    CCH, art. L. 651-2 par L. n° 2016-1547, 18 nov. 2016.
  • 17.
    C. pén., art. 112-1 ; C. civ., art. 1er, 2.
  • 18.
    L. n° 2016-1547, 18 nov. 2016.
  • 19.
    C. pén., art. 112-1 ; C. civ., art. 1er, 2 ; Pellet S., « Application immédiate ou rétroactivité de la loi nouvelle ? », LEDC oct. 2017, n° 110y7, p. 6.
  • 20.
    Cass. crim., 8 oct. 2002, n° 02-80952 : Gaz. Pal. 21 août 2003, n° F1670, p. 6, note Janville T.
  • 21.
    Cass. 2e civ., 11 avr. 2013, n° 12-18931 ; Cass. 3e civ., 21 févr. 1990, n° 88-13188 : Bull. civ. III, n° 61.