Encadrement des loyers : des dérogations pas assez claires à Paris
Un an après son retour, le dispositif d’encadrement des loyers à Paris semble difficilement se mettre en place. Selon une étude portant sur 5 500 annonces de la plate-forme en ligne « Meilleurs Agents », 53 % des annonces ne respecteraient pas les plafonds imposés. D’après Louis-René Penneau, avocat associé au cabinet Oratio, les règles fixant l’encadrement des loyers dans la capitale sont « trop floues ».
Les Petites Affiches : D’après vous, pourquoi plus d’une annonce sur deux pour un logement à Paris ne respecte pas l’encadrement des loyers ?
Louis-René Penneau : De telles données ne sont pas vraiment étonnantes. On a déjà observé le même phénomène lors de la première mise en place du dispositif à Paris, entre 2015 et 2017.
Aujourd’hui, le problème tient aux possibilités de dérogations à l’encadrement des loyers en vertu des caractéristiques exceptionnelles d’un logement. Ces possibilités sont extrêmement floues et ne sont pas définies par la loi. Une caractéristique exceptionnelle cela peut être une vue dégagée. Mais peut-on considérer qu’une vue dégagée sur un boulevard Haussmannien est la même chose qu’une vue dégagée sur le périphérique ? A priori non, mais la loi ne le dit pas. Aussi l’encadrement des loyers tel qu’il est appliqué aujourd’hui est acté par quartiers. Or à Paris, plus qu’ailleurs, dans un même quartier, d’une ruelle à une autre, la valeur des biens varie beaucoup. Enfin, un autre moyen de déroger à l’encadrement est de justifier d’améliorations apportées au bien. Et elles aussi ne sont pas définies clairement. Si un propriétaire veut présenter comme une amélioration le fait qu’il ait repeint son appartement rien ne l’en empêche aujourd’hui.
Pour que le dispositif soit efficace, il paraît essentiel d’établir une liste exhaustive des raisons justifiant une exonération. Si cela n’est pas possible, il faut a minima envisager un meilleur encadrement des possibilités évoquées. Enfin, les démarches qui visent à contester le montant d’un loyer doivent être facilitées pour les locataires. Actuellement, un locataire qui s’estimerait lésé a la possibilité de saisir une commission gratuite de médiation dans un délai de 3 mois après la signature du bail. Or qui va prendre l’initiative, en l’espace de 3 mois, de porter devant une commission une telle affaire ? Il est déjà suffisamment difficile de trouver un logement à Paris. Dernier recours, saisir la justice, mais cela engendre des coûts que de nombreuses personnes ne peuvent ou ne veulent pas assumer.
LPA : Le non-respect de l’encadrement des loyers n’est donc pas tant de la responsabilité des propriétaires que la conséquence de règles trop souples ?
L.-R. P. : Oui et rappelons aussi que près de 50 % des loyers respectent la loi en zone tendue. On peut voir le verre à moitié plein. Et parmi les autres 50 % il y a aussi des cas dans lesquels il est tout à fait justifié de s’appuyer sur l’argument d’une caractéristique exceptionnelle. Reprenons l’exemple d’un appartement avec un balcon qui donne sur un boulevard Haussmannien dans un quartier calme. À cela s’ajoutent également tous les cas de figure soumis à une interprétation de bonne foi. Si demain je refais ma cuisine aménagée, suis-je dans l’amélioration de mon bien et donc dans la possibilité de le louer plus cher ? C’est extrêmement compliqué à juger.
LPA : L’encadrement des loyers est-il tout de même soumis à des règles fixes ?
L.-R. P. : À Paris, chaque année, un arrêté préfectoral fixe un loyer de référence, aussi appelé médian, par quartier. Pour ce faire la capitale a été découpée en 14 secteurs regroupant au total 80 quartiers. L’arrêté préfectoral fixe aussi un loyer de référence majoré, supérieur de 20 % au loyer médian, et un loyer de référence minoré, inférieur de 30 % au même loyer médian. Le propriétaire d’un bien doit donc fixer le montant de son loyer dans cette fourchette. Sauf, je l’évoquai avant, s’il applique un complément de loyer au regard des caractéristiques exceptionnelles de son logement. Le propriétaire peut alors dépasser la majoration de 20 % fixée par la loi.
LPA : Selon l’étude, les prix des loyers s’envolent principalement pour les plus petits biens, de moins de 20 m², et les quartiers les plus chers de la capitale. Est-ce logique selon vous ?
L.-R. P. : Dès lors que vous souhaitez louer dans un quartier très recherché le bien peut plus facilement tomber dans l’exception, cela me semble logique. Si vous avez une vue sur le Sacré-Coeur et une ruelle très charmante, le prix d’une location peut très vite monter.
Il y a également une réalité économique liée à cette considération : le prix du marché à l’acquisition. Dans certains quartiers vous n’achetez pas un appartement de 60 m² en dessous de 600 000 €. Or un propriétaire qui souhaite rentabiliser son bien et rembourser son prêt va devoir évaluer son loyer en fonction de son prix d’achat. Ainsi si le marché à la vente était lui aussi encadré il serait plus simple d’encadrer les loyers ensuite.
LPA : Quels sont les risques encourus pour les bailleurs et propriétaires qui ne respecteraient pas l’encadrement des loyers ? Les sanctions sont-elles suffisamment dissuasives ?
L.-R. P. : L’amende peut aller jusqu’à 5 000 € pour une personne physique et 15 000 € pour une personne morale. Logiquement, s’il y a amende, le bail est déclaré illégal et nul. Cela peut paraître risible puisqu’un locataire ne va pas demander la nullité de son propre bail. Le propriétaire se voit aussi dans ce cas-là obligé de baisser le montant de son loyer.