Le dispositif anti-Airbnb utilisé pour la première fois dans une station de montagne
Face à l’augmentation constante du nombre de locations de meublés de tourisme, les communes cherchent à limiter le nombre de locations touristiques, pour favoriser le logement à l’année. Dans un massif dont le développement est fortement corrélé au tourisme, la vallée de Chamonix-Mont-Blanc a choisi de mettre en place un dispositif d’autorisation pour les meublés de tourisme.
Le développement des territoires de montagnes, ces dernières décennies, a été porté de manière prépondérante par le tourisme. D’après les chiffres de la Cour des comptes, ce secteur représente 20 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 120 000 emplois sur l’ensemble des massifs français, en tenant compte des remontées mécaniques, de la restauration et du commerce (Cour des comptes, commune de Chamonix-Mont-Blanc et Compagnie du Mont-Blanc, enquête sur les acteurs publics locaux face au changement climatique en montagne, octobre 2023).
Le développement des meublés de tourismes en montagne
Les territoires de montagne ont été aux premières loges pour assister au développement exponentiel du marché des hébergements saisonniers proposés par des particuliers via des plateformes. Apparu au début des années 2010, ce marché n’a cessé de se développer et a profondément modifié l’économie touristique. Avec un taux d’occupation qui peut atteindre 70 % et des revenus significativement plus intéressants en location saisonnière qu’en location classique, les meublés de tourisme se sont vite développés dans les stations de ski, portés par le succès grandissant des plateformes d’intermédiation locatives (Airbnb, Abritel…). Si les meublés de tourisme sont nombreux dans les métropoles comme Paris, Nice, Lyon, Bordeaux, Toulouse, Strasbourg ou encore Montpellier, dans les zones du littoral notamment sur le pourtour méditerranéen, « les hébergements proposés dans les zones montagneuses, en particulier en moyenne montagne, sont aussi très prisés des touristes », soulignent les analystes de la Direction générale des entreprises (DGE) (Virginie Lukaszewski, Romain Priol, Christophe Strobel, Impact économique et réglementation des meublés de tourisme, Les Thémas de la DGE, n° 11 juin 2023). C’est particulièrement le cas des Alpes françaises, où 4,3 millions de nuitées sont réalisées en Haute-Savoie dans les hébergements de particuliers liés à des plateformes ». D’après une étude du cabinet Asterès, en 2022, les hôtes français non professionnels ont dégagé un revenu net médian de 3 086 euros grâce à leur activité sur Airbnb, soit un gain de pouvoir d’achat de 6,6 % par rapport à l’année 2021. Si Paris est la ville la plus rentable sur Airbnb avec un revenu mensuel moyen de 2 680 euros pour la location d’un appartement, d’après les chiffres du logiciel de location saisonnière Lodgify, on trouve en seconde et troisième positions deux stations de ski : Megève et Chamonix, avec un revenu mensuel moyen supérieur à 2 000 euros pour des taux d’occupation moins élevés qu’à Paris.
Assèchement du parc locatif privé
Le meublé de tourisme est défini par l’article D. 324-1 du Code du tourisme : il s’agit de la location d’une villa, d’un appartement, ou d’un studio meublé, à l’usage exclusif du locataire, offert en location à une clientèle de passage, qui y effectue un séjour caractérisé par une location à la journée, à la semaine ou au mois, et qui n’y élit pas domicile. Actuellement, près de 20 % des nuitées saisonnières réalisées en France le sont dans un meublé de tourisme mis à la location par un particulier, souligne la DGE. La progression de ces nouveaux modes d’hébergement correspond à des changements dans les comportements touristiques et répond à de nouvelles attentes des clients. Cependant, « l’intensification de l’activité de meublés de tourisme peut contribuer à augmenter les prix de l’immobilier dans les zones tendues et générer des externalités négatives, notamment en termes de commodités ou de vie de quartier », analyse la DGE. Dans les zones particulièrement touristiques, comme les stations de montagne, la part des résidences principales diminue nettement face à l’importance prise par les résidences secondaires dans le parc total et l’essor des meublés de tourisme. L’intérêt des investisseurs particuliers et professionnels pour ce type de location a mené à un fort renchérissement du coût du foncier, entraînant à son tour une raréfaction de l’offre et, corrélativement, une hausse des loyers qui pousse les commerces de proximité et les résidents à quitter les centres-villes. Les saisonniers ne trouvent plus à se loger. Pour nombre de spécialistes, ce phénomène contribue à la crise du logement que nous subissons. Le prix des loyers a connu une hausse ininterrompue depuis 40 ans, entre 1984 et 2020, notamment dans le parc locatif privé (proposition de loi n° 1176 visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif en zone tendue). Ainsi à Chamonix, le nombre de meublés touristiques mis sur le marché est passé de 2 700 à 4 000 en 4 ans. Par ailleurs, le prix du marché de la location atteint 30 €/m², et l’acquisition oscille entre 10 000 et 18 000 €/m², en faisant une des 30 villes les plus chères de France d’après une étude de BFM Immo. Pourtant, avec 9 000 habitants pour 80 000 lits, dont 20 000 mis en location sur les plateformes d’intermédiation locative et 35 000 résidences secondaires classiques, la ville de Chamonix ne devrait pas être confrontée à une pénurie de logements. Mais l’épineux sujet des lits froids, ces appartements occupés seulement quelques semaines par an, vient compléter la donne.
Le délicat sujet des lits froids en montagne
Le parc d’hébergement des stations de ski est constitué à plus de 80 % de résidences secondaires ou de résidences de tourisme. En montagne, le sujet des lits froid se fait crucial. Ils peuvent constituer jusqu’à 40 % du patrimoine immobilier des stations de ski. La non-occupation de ces lits fait perdre de nombreuses journées de chiffre d’affaires aux stations et nuit à leur attractivité. Ces logements construits en masse il y a plus de 30 ans, vieillissants et jamais rénovés ne sont souvent plus adaptés aux standards actuels. En outre, ils sont particulièrement énergivores. À Chamonix, d’après les chiffres de la Cour des comptes, les résidences principales construites avant 1971 représentent environ 34 % du parc. Selon les chiffres de la FNAIM, 17,5 % des biens situés en montagne sont classés G, ce taux monte à 20 % pour les logements classés F, et 38 % pour les bien classés E. À Chamonix, toujours d’après les chiffres de la Cour des comptes, on dénombre environ 37 % de passoires thermiques. Or le législateur (Loi n° 2021-1104 du 24 août 2021, dite Climat et résilience) a mis en place un calendrier progressif d’interdiction à la location des logements les plus énergivores à partir du 1er janvier 2023. En 2025, l’ensemble des logements classés G au diagnostic de performance énergétique (DPE) seront concernés. Suivront les logements F en 2028 et E en 2034. Afin notamment d’aider les communes de montagne à rénover ces logements, un plan Avenir montagnes de 650 millions d’euros a été lancé le 27 mai 2021. Il a pour objectif « de pérenniser l’attractivité commerciale et la performance touristique de ces lits et, d’autre part, contribuer activement à la transition durable des stations ». Au total, le programme envisage de soutenir 50 stations de ski sur 5 ans.
Réguler les meublés de tourisme
Face au développement exponentiel des meublés de tourisme, les pouvoirs publics ont adapté la réglementation pour assurer la bonne régulation du marché. Le cadre juridique existant a été renforcé. Pour limiter l’érosion du parc résidentiel dans les zones dites tendues, plusieurs textes ont été votés, dont la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (dite ALUR), la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique, la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 sur l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (dite ELAN) et la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 sur l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique.
Dans les villes qui l’ont décidé par délibération du conseil municipal ou intercommunal compétent, les locations touristiques doivent disposer d’un numéro d’enregistrement à publier dans chaque annonce de location. Ce dispositif permet aux communes de mieux suivre la progression du marché des meublés de tourisme. Les plateformes d’intermédiation locative (Airbnb, Abritel, etc.) doivent déconnecter les annonces qui ne font pas figurer ce numéro d’enregistrement.
Par ailleurs, dans les communes ayant mis en place cette procédure d’enregistrement, toute personne qui offre à la location un meublé de tourisme qui est déclaré comme sa résidence principale ne peut le faire au-delà de 120 jours au cours d’une même année civile, sauf obligation professionnelle, raison de santé ou cas de force majeure (loi ELAN).
Ces locations peuvent être soumises au régime d’autorisation préalable de changement d’usage prévu par le Code de la construction et de l’habitation. Cette décision, prise par délibération du conseil municipal, impose aux futurs loueurs de meublés de tourisme de procéder à une demande de changement d’usage auprès de leur mairie, avant d’obtenir une autorisation pour proposer à la location de courte durée à une clientèle de passage leur bien immobilier, lorsque ce dernier constitue leur résidence secondaire. Cette réglementation est obligatoire dans les communes de plus de 200 000 habitants ainsi que les trois départements de la petite couronne parisienne (Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne). Appuyée par des études territoriales le justifiant, elle peut être décidée par toute autre commune, sur délibération du conseil municipal ou de l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) dans les zones tendues ou bien par décision du préfet sur proposition du maire dans les autres zones.
Lutter pour le logement permanent
La vallée de Chamonix-Mont-Blanc, engagée de longue date dans la lutte pour le logement permanent, vient de voter la mise en place de la procédure d’autorisation préalable de changement d’usage. Cette décision donne suite à l’intégration des quatre communes de la vallée (Chamonix, les Houches, Servoz et Vallorcine) en zones tendues par décret du 25 août 2023. « Nous poursuivons avec volontarisme notre politique de soutien au logement permanent dans la vallée avec la limitation à un bien en location touristique par personne physique pour Chamonix-Mont-Blanc, par exemple. Nous sommes le premier territoire de montagne de France à mettre en place une telle régulation », se félicite le maire de Chamonix, Éric Fournier. Concrètement, pour chaque bien faisant l’objet de locations de courte durée, le propriétaire doit solliciter un numéro d’enregistrement et une autorisation auprès de sa commune. L’enregistrement préalable permettra ainsi de mieux connaître le parc de location de courte durée et le nombre de biens détenus par un propriétaire physique ou une personne morale. À partir des données recueillies, des mesures complémentaires seront proposées dans un deuxième temps, en particulier pour les personnes morales, qui constituent la majeure partie des multipropriétaires.
La réglementation en pratique
À partir du 1er mai 2025, toute location doit avoir fait l’objet d’un enregistrement et d’une demande d’autorisation préalable. En outre, le nombre d’autorisations de location de meublés de tourisme est limité à un bien par personne physique sur les communes de Chamonix et les Houches et deux biens par personne physique sur la commune de Servoz. La durée d’autorisation est de 3 ans pour les communes de Chamonix, les Houches et Servoz, et d’une année pour Vallorcine. La mesure de régulation votée n’a pas vocation à limiter les compléments de revenus de résidents possédant un seul bien secondaire mais cible avant tout les multipropriétaires et investisseurs visant une forte rentabilité financière. L’objectif consiste à convertir en logement à l’année une partie du parc de meublés de tourisme en s’appuyant sur un observatoire précis des meublés. Cette action s’inscrit dans un contexte où la création de logements neufs par la collectivité ne permettra pas de répondre, seule, à la demande, en raison des contraintes de prix et des réserves foncières limitées notamment par les normes environnementales relatives à l’artificialisation des sols. « Face aux défis en termes de logement permanent que nous devons relever, il faut poursuivre le travail au niveau national pour donner toujours plus d’outils législatifs aux collectivités locales. J’appelle à une reprise des débats sur la proposition de loi parlementaire visant à renforcer la régulation des meublés », conclut le maire de Chamonix.
Référence : AJU014v4