Les bailleurs, créanciers d’entreprises locataires n’ayant pu honorer les loyers en raison de la crise sanitaire, sont fiscalement incités à abandonner leur créance

Publié le 10/12/2020

Présentation des dispositions de l’article 3 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020.

L. n° 2020-473, 25 avr. 2020, de finances rectificative pour 2020

Aussi surprenant que cela puisse paraître, un bailleur peut être imposé sur la base de loyers non encaissés. L’administration fiscale peut, en effet, imposer le bailleur à concurrence des loyers impayés lorsqu’il ne démontre pas avoir accompli les démarches pour recouvrer les loyers qui sont dus1. Or en cette période de crise sanitaire et en tenant compte de ses conséquences prévisibles, il peut être de l’intérêt pratique pour le bailleur, afin de ne pas obérer la situation de son locataire et de prendre le risque d’avoir un local ne pouvant être disponible rapidement sur le marché, et, d’une manière générale, de ne pas pouvoir le relouer dans des délais raisonnables à moindres frais, de ne pas poursuivre le recouvrement des impayés nés en raison de la crise. Pour autant, il semble difficilement concevable de pénaliser le bailleur en l’imposant sur des revenus non perçus dans ce contexte.

C’est pourquoi, en raison de la crise sanitaire, la deuxième loi de finances rectificative du 25 avril 20202 a prévu un dispositif incitant les bailleurs, qu’ils relèvent des revenus fonciers (I), des bénéfices industriels et commerciaux (II) ou des bénéfices non commerciaux (III), à abandonner les créances de loyers de leurs locataires qui sont des entreprises. L’abandon des créances devra être comptabilisé, toutefois, par les locataires en bénéficiant (IV).

I – L’abandon de créances de loyers dans le cadre des revenus fonciers

Le 1° du I de l’article 3 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020 crée, ainsi, le nouvel article 14 B du Code général des impôts (CGI) qui prévoit que ne constituent pas un revenu imposable du bailleur les éléments de revenus fonciers ayant fait l’objet, par le bailleur, d’un abandon ou d’une renonciation au profit de l’entreprise locataire entre le 15 avril et le 31 décembre 2020.

Toutefois, ce dispositif est soumis à des conditions. Il faut que les abandons de créances de loyer et accessoires :

  • soient afférents à des immeubles donnés en location à une entreprise qui ne doit pas avoir de lien de dépendance avec le bailleur3 ;

  • soient consentis :

    • entre le 15 avril et le 31 décembre 2020 ;

    • dans leur intégralité.

Toutefois, le nouvel alinéa 1 de l’article 14 B du CGI prévoit que l’application de ces dispositions ne fait pas obstacle à la déduction des charges correspondant aux éléments de revenus ayant fait l’objet d’un abandon ou d’une renonciation. Le bailleur pourra donc déduire ces charges foncières (dépenses de réparation, d’entretien et d’amélioration, primes d’assurances, intérêts d’emprunt…).

Le nouvel alinéa 2 de l’article 14 B du CGI précise que si l’entreprise preneuse à bail du local est exploitée par un ascendant, un descendant ou un membre du foyer fiscal du bailleur, le bénéfice des dispositions dérogatoires est subordonné à la condition que le bailleur puisse justifier par tous moyens des difficultés de trésorerie de l’entreprise.

Les bailleurs, créanciers d’entreprises locataires n’ayant pu honorer les loyers en raison de la crise sanitaire, sont fiscalement incités à abandonner leur créance
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II – L’abandon de créances de loyers dans le cadre des BIC

En ce qui concerne les bailleurs relevant des BIC, à savoir pour l’essentiel les entreprises imposées à l’impôt sur les sociétés ou à l’impôt sur le revenu lorsque le bénéficiaire n’a pas de lien de dépendance avec le bailleur4, le a) du 2° du I de l’article 3 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020 crée, ainsi, le nouveau 9° du 1 de l’article 39 du CGI qui prévoit que le bénéfice net déterminant le bénéfice imposable est établi sous déduction des abandons de créances de loyer et accessoires afférents à des immeubles donnés en location à une entreprise n’ayant pas de lien de dépendance consentis entre le 15 avril et le 31 décembre 2020, dans leur intégralité. Autrement dit, cet abandon de créances est donc une charge déductible venant compenser le produit comptable qui résulte de la créance de loyers.

Le b) du 2° du I de l’article 3 de la loi de finances prend aussi soin de préciser que le 13 de l’article 39 du CGI, selon lequel « sont exclues des charges déductibles pour l’établissement de l’impôt les aides de toute nature consenties à une autre entreprise, à l’exception des aides à caractère commercial », n’est pas applicable à ce nouveau régime dérogatoire des abandons de créances.

Le II de l’article 3 de la loi précise que le nouveau dispositif s’applique aux exercices clos à compter du 15 avril 2020.

III – L’abandon de créances de loyers dans le cadre des BNC

En ce qui concerne les bailleurs relevant des BNC, le 3° du I de l’article 3 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020 crée, ainsi, le nouvel article 92 B du CGI qui prévoit que les éléments de revenus relevant des bénéfices des professions non commerciales ayant fait l’objet d’une renonciation de créances de loyer et accessoires dans leur intégralité, afférents à des immeubles donnés en location à une entreprise n’ayant pas de lien de dépendance avec le bailleur5, consentis entre le 15 avril et le 31 décembre 2020, ne constituent pas une recette imposable de la personne qui a renoncé à les percevoir.

Le 4° de l’article 3 de la loi précise que, pour la détermination des bénéfices imposables, ces abandons de créances sont déductibles dans leur intégralité pour le contribuable qui les consent.

Le II de l’article 3 de la loi précise que le nouveau dispositif s’applique aux exercices clos à compter du 15 avril 2020.

IV – La comptabilisation par les locataires de l’abandon de créances de loyers

Pour les exercices clos à compter du 15 avril 20206, l’entreprise bénéficiaire de ces abandons de créances de loyers et accessoires devra logiquement indiquer en contrepartie, dans la détermination du résultat fiscal, un produit imposable constatant la charge de loyer correspondante.

Cependant, le 5° de l’article 3 de la loi autorise que la limite d’1 millions d’euros, du droit au report en avant des déficits subis par les entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés, soit majorée du montant de ces abandons de créances7.

Si ce régime dérogatoire de détermination des revenus locatifs imposables, en cette période si particulière, est plein de bon sens et semble être difficilement critiquable, on peut regretter, toutefois, que le législateur n’ait pas précisé la notion « d’entreprise » locataire. On peut se demander, en effet, si ces dispositions pourraient être applicables aux associations, qui, bien que nayant pas un but lucratif premier, participent à l’exercice d’une activité en louant un local pour lexploiter. On peut le penser, dautant que le fonds de solidarité circonstanciel pour aider les petites entreprises les plus touchées par la crise a été rendu accessible aux associations.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CE, 1er oct. 2015, n° 365765.
  • 2.
    JO n° 0102, 26 avr. 2020, texte n° 1.
  • 3.
    Pour rappel, en vertu du 12 de l’article 39 du CGI, des liens de dépendance sont réputés exister entre deux entreprises lorsque l’une détient directement ou par personne interposée la majorité du capital social de l’autre ou y exerce en fait le pouvoir de décision ou lorsqu’elles sont placées l’une et l’autre, dans les conditions définies au a, sous le contrôle d’une même tierce entreprise.
  • 4.
    V. le 12 de l’article 39 du CGI précité.
  • 5.
    V. le 12 de l’article 39 du CGI précité.
  • 6.
    L. fin. rect. 2020 n° 2020-473, 25 avr. 2020, art. 3, II.
  • 7.
    CGI, art. 209, I, al. 3.
LPA 10 Déc. 2020, n° 154g5, p.10

Référence : LPA 10 Déc. 2020, n° 154g5, p.10

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