Responsabilité notariale en matière de changement de destination de l’immeuble vendu
La Cour de cassation dans sa décision rendue le 29 mars 2017 a estimé que les juges du fond avaient à bon droit considéré que le notaire chargé de dresser un acte de vente immobilière n’est pas tenu de vérifier la possibilité de procéder à un changement de destination de l’immeuble vendu qui n’est pas mentionné à l’acte et dont il n’a pas été avisé, à moins qu’il n’ait pu raisonnablement l’ignorer.
Cass. 1re civ., 29 mars 2017, no 15-50102
1. C’est essentiellement l’importante question de la détermination de l’étendue du devoir d’information et de conseil du notaire en matière de changement de destination de l’immeuble vendu qui est posée dans l’importante décision rapportée. Par le présent arrêt1, la première chambre civile de la Cour de cassation, en rejetant le pourvoi, affine sa jurisprudence relative à la responsabilité civile professionnelle des notaires. Au cas d’espèce, aux termes d’un acte sous seing privé du 10 août 2010, deux associations, prestataires de conseil et de formation en fiscalité et en gestion des entreprises, ont, par l’entremise de la société Sisteron immobilier, acquis, sous diverses conditions suspensives, une propriété classée en zone NC du plan d’occupation des sols de la commune de Sisteron, comprenant une maison d’habitation de 308 m². Une faculté de substitution ayant été stipulée dans le compromis de vente du 10 août 2010 a permis de réitérer l’acte de vente en la forme authentique les 27 novembre et 2 décembre 2010 au profit d’une troisième association issue de la fusion des deux premières, dénommée Centre de gestion agréé des Alpes du Sud. Conformément au classement administratif du bien objet de la vente, les services d’urbanisme compétent informent que le bien ne pouvait être affecté à un usage professionnel. L’acquéreur arguait que l’agent immobilier négociateur et le notaire rédacteur avaient failli à leurs devoirs d’information et de conseil en ne l’informant pas sur l’incompatibilité du classement de l’immeuble avec l’activité professionnelle qu’il projetait d’y mener. L’acquéreur assigne l’agent immobilier ayant négocié la vente ainsi que le notaire rédacteur de l’acte de vente. La Cour de cassation rejette le pourvoi en précisant : « Mais attendu que le notaire chargé de dresser un acte de vente immobilière n’est pas tenu de vérifier la possibilité de procéder à un changement de destination de l’immeuble vendu qui n’est pas mentionné à l’acte et dont il n’a pas été avisé, à moins qu’il n’ait pu raisonnablement l’ignorer (…) ».
2. Cet arrêt de la haute juridiction mérite d’être signalé pour ses faits dans la mesure où la responsabilité civile professionnelle du notaire rédacteur est écartée. Il n’est donc guère surprenant que le pourvoi en cassation soit rejeté, car le devoir d’information et de conseil du notaire en matière de changement de destination de l’immeuble vendu n’est pas en cause (I) tout en ayant recours à l’idée de proportionnalité à travers l’idée de « raisonnable » qui relève de la mission du notaire (II).
I – Devoir d’information et de conseil du notaire en matière de changement de destination de l’immeuble vendu
3. La décision annotée repose sur une constante celle du notaire tenu d’éclairer les parties et de s’assurer de la validité et de l’efficacité des actes qu’il reçoit (A) et une variable relevant du devoir de conseil en matière de changement de destination de l’immeuble vendu (B).
A – La constante : le notaire tenu d’éclairer les parties et de s’assurerde la validité et de l’efficacité des actes qu’il reçoit
4. S’il est donc exact que dans toutes les hypothèses, le notaire est tenu d’éclairer les parties et de s’assurer de la validité et de l’efficacité des actes qu’il reçoit, la jurisprudence apporte d’importantes précisions sur le moyen de parvenir à cette exigence2. La jurisprudence illustre de cette manière le principe selon lequel « Attendu que pour obtenir la responsabilité du notaire, la cour d’appel énonce que celui-ci était tenu envers sa cliente d’un devoir de conseil qui l’obligeait à assurer la validité et l’efficacité de ses actes et qu’il lui incombait, des lors, d’établir qu’il n’avait commis aucune faute ; qu’en se déterminant ainsi, alors que le devoir de conseil, destiné à assurer la validité et l’efficacité des actes, ne comporte pour le notaire qu’une obligation de prudence et de diligence, et qu’il appartient au client d’établir le manquement de l’officier public a cette obligation, la cour d’appel a violé le texte susvisé ; par ces motifs : casse et annule »3. Dans sa ligne générale, l’interprétation des cours et tribunaux s’appuie sur la notion générale du « principe d’efficacité »4. Outre son devoir d’authentification, cette obligation d’efficacité s’impose au notaire en tant que rédacteur d’acte5. Le principe d’efficacité et le devoir de conseil sont inhérents à sa qualité d’officier public6. Par ailleurs, l’étendue de cette obligation complique parfois le contrôle opéré par la jurisprudence de la Cour de cassation. L’arrêt du 29 mars 2017 se borne à cet égard à poser que l’on ne peut reprocher à un notaire de ne pas vérifier la possibilité de procéder à un changement de destination de l’immeuble vendu.
B – La variable : la relativité du devoir de conseil en matière de changement de destination de l’immeuble vendu
5. La question de la destination de l’immeuble est bien difficile à appréhender. Pour s’en convaincre il suffit de citer l’arrêt rendu le 11 septembre 2013 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation7. Les faits méritent d’être soulignés tant la notion de destination de l’immeuble a provoqué des controverses8. Par acte authentique du 2 décembre 2004 reçu par M. X, notaire, la SCI des Billonais a cédé à la société MPS le lot n° 1 dépendant d’un ensemble immobilier situé à Villeneuve-Loubet, que la société MPS a scindé ce lot en soixante-neuf lots et en a entrepris la commercialisation. Le maire de la commune de Villeneuve-Loubet a adressé à M. X un courrier en date du 8 juillet 2005 pour lui préciser que le projet de transformation d’un hôtel en appartements nécessitait le dépôt d’un permis de construire pour changement de destination. Malgré ce courrier, le notaire soutenait après consultation du CRIDON9 que le vendeur n’avait pas effectué de travaux dans les lieux et que le changement de destination ne nécessitait pas de permis de construire. La mairie de Villeneuve-Loubet ayant, le 18 juillet 2006, dressé un procès-verbal d’infraction se fondant sur les dispositions du Code de l’urbanisme et pris le 20 août 2006 un arrêté interruptif de travaux à l’encontre de la société Orion. Une action en justice fut introduite devant la juridiction compétente par la société Orion contre la société MPS et le notaire pour manquement à son obligation de délivrance. La haute juridiction censure les juges du fond en considérant « qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si le notaire avait éclairé l’acquéreur sur les risques qu’il encourait en s’engageant alors qu’il existait des doutes sur le changement de destination de l’immeuble, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision »10.
6. Au cas d’espèce, la Cour de cassation estime que le notaire chargé de dresser un acte de vente immobilière n’est pas tenu de vérifier la possibilité de procéder à un changement de destination de l’immeuble vendu qui n’est pas mentionné à l’acte et dont il n’a pas été avisé. En effet, les principes généraux gouvernant la responsabilité civile dégagés par la jurisprudence de la Cour de cassation permettent de préciser que lorsque le notaire n’a pas pu avoir accès à l’information litigieuse, l’exclusion du devoir d’information ne fait aucun doute11. On s’accorde dès lors à admettre que l’atténuation de l’obligation au devoir de conseil s’applique lorsque l’information sera jugée inaccessible12.
II – La proportionnalité raisonnable régissant l’appréciation de la responsabilité notariale
7. Force est de souligner que dans l’arrêt annoté, la haute juridiction rappelle le principe de proportionnalité raisonnable (A) applicable à l’appréciation de la responsabilité du notaire (B).
A – La proportionnalité raisonnable
8. D’une manière générale, la technique de la proportionnalité provient du juge de la Convention européenne des droits de l’Homme qui l’utilise à foison13. En l’espèce, la haute juridiction en précisant qu’ « (..) à moins qu’il [le notaire] n’ait pu raisonnablement l’ignorer (…) » revient sur le principe de proportionnalité raisonnable introduit dans l’arrêt Legrand du 12 avril 200514 qui précise que, « attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que le notaire chargé de dresser un acte de vente immobilière n’est pas tenu de vérifier la possibilité de réaliser sur l’immeuble vendu un projet d’agrandissement de construction qui n’est pas mentionné à l’acte et dont il n’a pas été avisé, à moins qu’il n’ait pu raisonnablement l’ignorer, la cour d’appel, qui a mis à la charge de l’officier ministériel une obligation qui ne lui incombe pas, a violé le texte susvisé »15.
9. Comme l’analyse fort habilement Pierre Sargos, « cette norme apparaît en particulier dans les vérifications que le notaire doit faire à l’occasion de son intervention »16. En effet, la diligence impose au notaire une obligation spécifique, tant par son contenu que son domaine d’application, à savoir l’obligation de vérification et de contrôle, dite encore obligation de vigilance. C’est ainsi que le notaire doit, en matière immobilière, « dès lors qu’un notaire a réuni les informations d’urbanisme adéquates et que le projet immobilier n’est pas à l’évidence contraire aux caractéristiques de son lieu d’implantation, les obligations du notaire – qui avait prévu dans les actes les modalités de restitution des sommes en cas de refus du permis – ne lui imposent pas de se substituer à l’autorité administrative pour évaluer, suivant des appréciations subjectives, les chances de délivrance d’un permis de construire »17. Force est cependant de reconnaître que le notaire est conduit à rechercher les renseignements indispensables afin d’assurer la sécurité juridique18.
B – L’appréciation de la responsabilité du notaire
10. Dans le cas de l’appréciation de la responsabilité civile professionnelle du notaire, il est communément admis qu’il doit exister un lien de causalité entre la faute et le dommage, qui doit être certain conformément au droit commun19. On a coutume de proclamer que « ce qui va sans dire va mieux en le disant »20. Il en résulte que les vérifications effectuées par le notaire étant d’ordre juridique et légal, il devra vérifier la justesse des conditions de droit exigée en cas de volonté précise de l’acquéreur d’affecter les biens à un autre usage que celui initialement prévu21. En d’autres termes, le comportement de l’acquéreur ne dispense pas le notaire à une vérification sur la destination de l’immeuble vendu et de son changement de destination. En effet, en matière contractuelle les impératifs de bonne foi et d’équité ont conduit la jurisprudence à incorporer une obligation de renseignement et d’information à une obligation principale22. Cette obligation semble moins rude en matière successorale23.
11. Gageons que la jurisprudence de la chambre civile de la Cour de cassation à venir apportera des réponses similaires à cette question du changement de destination de l’immeuble vendu.
Notes de bas de pages
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1.
Kilgus N., « Obligation de conseil du notaire et de l’agent immobilier et changement de destination du bien », Dalloz actualité 26 avr. 2017 ; « Devoir d’information, implantation du bien et activité projetée par l’acquéreur », Defrénois Flash 17 avr. 2017, n° 139h7, p. 1 ; Pillet P., « L’obligation d’information et de conseil de l’agent immobilier à l’égard de l’acquéreur », AJDI 2008, p. 263.
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2.
Sargos P., « Les principes d’efficacité et de proportionnalité en matière de responsabilité civile des notaires », JCP N 2007, 1301.
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3.
Cass. 1re civ., 22 avr. 1981, n° 80-11398.
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4.
Sargos P., « Les principes d’efficacité et de proportionnalité en matière de responsabilité civile des notaires », op. cit.
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5.
Blin-Franchomme M.-P., « Revirement jurisprudentiel et responsabilité notariale », LPA 12 oct. 1998, p. 7.
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6.
Souyris J.-J.-A., « Le notaire n’est pas l’assureur tous risques du promoteur », Dr. & patr. mensuel, 2000, n° 83.
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7.
Cass. 3e civ., 11 sept. 2013, n° 12-20894.
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8.
« Changement de destination de l’immeuble ; le vendeur, le notaire et le CRIDON se plantent », http://www.jurisprudentes.net/.
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9.
Centre de recherche, d’information et de documentation notariales.
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10.
Bergel J.-L., Cassin I., Eyrolles J.-J. et a., 4956, « La preuve de l'accomplissement du devoir de conseil – La reconnaissance d’avis de conseils donnés », Urbanisme Construction Fiscalité Transaction Gestion.
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11.
Niel P.-L., « Précisions sur l’étendue du devoir d’information du notaire en matière de stock-options », LPA 8 août 2014, p. 17.
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12.
Sagaut J.-F., « Actualité de la mise en garde : vers un devoir d’abstention ? », Dr. & patr. mensuel 2011, n° 208.
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13.
Muzny P., La technique de la proportionnalité et le juge de la Convention européenne des droits de l’Homme. Essai sur un instrument nécessaire dans une société démocratique, Sudre F. (préf.), 2005, PUAM, vol. I, nos 129 et s. ; Niel P.-L., « Effet de l’article 8 de la Conv. EDH à l’égard des dispositions de l’article 333, alinéa 2, du Code civil », LPA 17 nov. 2016, n° 121w6, p. 10.
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14.
Sargos P., « Les principes d’efficacité et de proportionnalité en matière de responsabilité civile des notaires », op. cit.
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15.
Cass. 1re civ., 12 avr. 2005, n° 03-15088.
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16.
Sargos P., « Les principes d’efficacité et de proportionnalité en matière de responsabilité civile des notaires », n° 14, op. cit.
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17.
Ibid.
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18.
Ibid.
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19.
Ibid.
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20.
De Talleyrand C.-M.
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21.
« Devoir d’information, implantation du bien et activité projetée par l’acquéreur », Defrénois Flash 17 avr. 2017, n° 139h7, p. 1, op. cit.
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22.
Saint-Pau J.-C., J.-Cl. Civil Code, art. 1146 à 1155, Fasc. 15 : Droit à réparation. Rapports entre responsabilités délictuelle et contractuelle. Différences.
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23.
Niel P.-L., « Précisions sur l’étendue du devoir d’information du notaire en matière de stock-options », op. cit.