Squatters : ce que change la loi du 27 juillet 2023

Publié le 21/08/2023

« Mieux réprimer les squats », tel est l’objectif que s’est fixé le législateur dans la loi du 27 juillet 2023. Me Patrick Lingibé décrypte les réformes introduites par ce texte et revient au passage sur la décision du Conseil constitutionnel qui a déclenché la polémique au coeur de l’été. 

Squatters : ce que change la loi du 27 juillet 2023
Photo : ©AdobeStock/Compagnie17

La loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l’occupation illicite est venue bouleverser le cadre des squats. Elle résulte d’une proposition de loi n° 360 visant à protéger les logements contre l’occupation illicite qui a été déposée par le député Guillaume Kasbarian et plusieurs autres députés le 18 octobre 2022. Cette proposition comportait cinq articles et visait à clarifier « (…) la définition juridique du squat et sanctionne mieux cette infraction. Elle accélère les procédures dans le litige de loyer, rend opératoire la possibilité de résilier le bail pour manquement aux obligations contractuelles du locataire, et pénalise le fait de rester dans le logement en dépit d’une décision de justice défavorable. »

Ce texte a été adopté en première lecture le 2 décembre 2022 par l’Assemblée nationale et le 2 février 2023 par le Sénat avec des modifications. Il a été voté en deuxième lecture par les députés le 4 avril 2023 et par les sénateurs le 14 juin 2023, sans modifications. La loi finalement adoptée par le Parlement comporte treize articles contre cinq dans la proposition initiale. Elle a été enrichie d’amendements législatifs et sénatoriaux.

Cette loi crée un nouveau chapitre V à l’intérieur du titre Ier du livre III du code pénal intitulé « Mieux réprimer les squats » comprenant les articles 1 à 8 de la loi dans lequel notamment deux nouvelles infractions apparaissent.

D’une part, l’article 315-1 du code pénal sanctionne l’introduction dans un local à usage d’habitation ou à usage commercial, agricole ou professionnel à l’aide de manœuvres, de menaces, de voies de fait ou de contrainte, ainsi que le maintien dans les lieux ; ces faits sont punis de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende.

D’autre part, l’article 315-2 du code pénal réprime le maintien d’un occupant sans droit ni titre dans un local à usage d’habitation en violation d’une décision de justice définitive et exécutoire ayant donné lieu à un commandement régulier de quitter les lieux depuis plus de deux mois ; l’article prévoit une amende de 7 500 €  (sauf trêve hivernale, sursis à expulsion ou logement appartenant à un bailleur social ou à une personne morale de droit public).

Nous nous proposons d’aborder la question des squats sous sept angles majeurs.

 1° Une nouvelle définition élargie du « squat » et des squatters 

 Dans le cas où un logement est occupé par des personnes n’ayant pas conclu de contrat de location avec le ou les propriétaire(s), le logement est présumé squatté. Bien que les squatteurs ne disposent pas de titre leur permettant d’accéder au logement, il est impossible, pour le propriétaire des lieux, de procéder à une expulsion par ses propres moyens.

Il convient de préciser que la notion de squat se distingue d’autres situations d’hébergement précaire autorisées. Par exemple, si une personne héberge un ami dans son appartement pour un temps donné et que ce dernier ne veut plus en sortir, nous ne sommes pas en présence d’un squatteur.

 Il convient de relever que l’article 1er de la loi du 27 juillet 2023 a étendu la notion de squat à « tout local à usage d’habitation ou à usage commercial, agricole ou professionnel » visée dans le nouvel article 315-1 du code pénal, quand bien même ce local ne constituerait pas un domicile.

En conséquence, la procédure contre des squatteurs ne se limite donc plus aux seuls biens constituant le domicile stricto sensu du demandeur.

2° Le recours à la voie pénale pour l’expulsion immédiate des squatters renforcé 

Il convient de rappeler préalablement que l’article unique de la loi n° 2015-714 du 24 juin 2015 tendant à préciser l’infraction de violation de domicile dite loi « anti-squat » était venue préciser et renforcer la protection du domicile en permettant aux victimes de domiciles squattés de demander l’expulsion des squatteurs dans le délai dit de flagrance, en dehors de toute décision d’expulsion ordonnée par un tribunal.

Cette modification faisait suite à l’affaire médiatisée à l’époque dite « Maryvonne » : il s’agissait d’une octogénaire, Maryvonne Thamin, copropriétaire d’un immeuble à Rennes dans lequel elle n’habitait plus depuis plusieurs années pour des raisons familiales. Elle n’avait pu rentrer dans sa maison qui avait été, entretemps, occupée par une quinzaine de squatteurs, ce depuis 18 mois environ.

Afin d’éviter le renouvellement d’une telle situation inadmissible, une proposition de loi avait été déposée le 5 juin 2014 par la sénatrice Natacha Bouchart, laquelle aboutira, après modifications, à la nouvelle rédaction de l’article 226-4 du code pénal.

Ce texte renvoie à la notion de flagrance définie par l’article 53 du code de procédure pénale, lequel définit le crime ou le délit flagrant comme « le crime ou le délit qui se commet actuellement ou qui vient de se commettre ». On avance souvent le délai de flagrance de 48 heures au-delà duquel, il n’existerait plus de flagrance de l’infraction. C’est une erreur car ce délai ne résulte pas d’un texte ou encore moins d’une Jurisprudence de la Cour de cassation, la notion de flagrance étant toujours appréciée au regard d’une situation précise. Bien au contraire, l’article 53 du Code de procédure pénale mentionne un délai de 8 jours, pouvant être prolongé  de 8 jours supplémentaires en certains cas, pour les opérations et investigations menées sous le contrôle du procureur de la République en matière de flagrance.

Les articles 3 et 6 de la loi du 27 juillet 2023 ont sensiblement modifié l’article 226-4 du code pénal, qui réprime ce qui est appelé dans le langage courant le squat, et qui est défini juridiquement comme le fait de s’introduire ou de se maintenir dans un domicile à l’aide de manœuvres, menaces, voie de fait ou contrainte à deux niveaux. D’une part, le quantum de la peine encourue a été relevé et passe d’une peine d’un an à trois ans d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende à 45 000 euros d’amende. D’autre part, la notion de domicile a été élargie puisque que l’obligation d’y habiter ou que le local d’habitation soit la résidence principale n’est plus une condition dirimante.

Surtout, le législateur a introduit deux nouvelles incriminations dans le code pénal pour réprimer divers comportements que l’article 226-4 précité ne permettait pas d’appréhender.

La première est celle prévue par le nouvel article 226-4-2-1 du code pénal créé par l’article 4 de la loi du 27 juillet 2023. Il punit d’une amende de 3 750 euros toute propagande ou publicité en faveur de méthodes incitant ou facilitant le squat. En effet, ce texte vise à sanctionner les personnes physiques et morales qui publient notamment en ligne des manuels qui incitent les personnes à squatter les logements vacants.

La deuxième est mentionnée dans le second alinéa de l’article 226-4 du code pénal qui a été modifié par les 3 et 6 de la loi du 27 juillet 2023. Il vise à sanctionner les squatters qui se maintiennent dans les lieux à la suite de l’introduction dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet. Ils sont punis des mêmes peines, soit trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.

Il convient de rappeler que la modification à l’origine de l’article 226-4 du code pénal était intervenue afin de permettre aux victimes de domiciles squattés et qui ne peuvent plus y entrer, de désormais demander l’expulsion de ces squatteurs, le maintien dans les lieux tout comme l’entrée par effraction constituant le délit continu de violation de domicile dans les conditions de la flagrance définies par l’article 53 du code de procédure pénale.

Par ailleurs, il convient de relever que l’article 5 de la loi du 27 juillet 2023 a modifié l’article 313-6-1 du code pénal, lequel sanctionne le fait de mettre à disposition d’un tiers, en vue qu’il y établisse son habitation moyennant le versement d’une contribution ou la fourniture de tout avantage en nature, un bien immobilier appartenant à autrui, sans être en mesure de justifier de l’autorisation du propriétaire ou de celle du titulaire du droit d’usage de ce bien. Ce délit est désormais puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Il sanctionne ainsi les personnes qui se font passer pour le propriétaire des logements squattés avec les dérives mercantiles qui s’y rattachent.

La modification opérée par la nouvelle loi ne change pas le process pour la victime. Celle-ci devra se rendre auprès des services de police ou de gendarmerie pour déposer plainte pour violation de domicile en prouvant qu’il s’agit bien de son domicile (lieu où elle vit ordinairement) et autant que possible de la preuve de cette occupation irrégulière (constat d’huissier, témoignages, etc.).

 3° Le recours à la procédure de l’article 38 de la loi dite « Dalo » élargi 

 Ce dispositif est très peu connu et très peu utilisé.

L’article 38 de la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable dite loi DALO, lequel résulte à l’origine d’un amendement de la sénatrice Catherine Procaccia, prévoit une procédure d’expulsion accélérée par décision administrative.

En effet, en cas d’introduction et de maintien dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou de contrainte, le propriétaire ou le locataire du logement occupé a la possibilité de demander directement au préfet de mettre en demeure l’occupant de quitter les lieux, après avoir accompli les formalités suivantes :

* déposé plainte ;

* fait la preuve que le logement constitue son domicile ;

* fait constater l’occupation illicite par un officier de police judiciaire.

La mise en demeure préfectorale est assortie d’un délai d’exécution qui ne peut être inférieur à 24 heures. Elle est notifiée aux occupants et publiée sous forme d’affichage en mairie et sur les lieux. Le cas échéant, elle est notifiée au propriétaire ou au locataire.

Le dispositif prévoit que lorsque la mise en demeure de quitter les lieux n’a pas été suivie d’effet dans le délai fixé, l’autorité préfectorale doit procéder à l’évacuation forcée du logement, sauf opposition du propriétaire ou du locataire dans le délai fixé pour l’exécution de la mise en demeure.

Ce dispositif de l’article 38 était d’une portée limitée, outre son caractère peu connu et complexe, l’autorité préfectorale n’était pas tenue de faire droit à la demande formulée par le propriétaire ou le locataire concerné, surtout si se greffent dans le contentieux d’expulsion abordé des points de droit litigieux.

L’article 6 II de la loi du 23 juillet 2023 a substantiellement modifié l’article 38 de cette loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale dite DALO sur trois points.

En premier lieu, il a procédé comme rappelé ci-dessus à une clarification de la notion pénale du domicile en précisant à l’article 226-4 du code pénal, que « constitue notamment le domicile d’une personne […] tout local d’habitation contenant des biens meubles lui appartenant, que cette personne y habite ou non et qu’il s’agisse de sa résidence principale ou non ».

 Cela constitue une extension de l’article 38 de la loi DALO au squat d’un local d’habitation, qu’il soit meublé ou non. Ainsi, les logements occupés par des squatteurs entre deux locations ou juste après l’achèvement de la construction, avant que le propriétaire n’ait eu le temps d’emménager seraient ainsi éligibles à la procédure d’évacuation forcée préfectorale.

En deuxième lieu, il rend applicable la procédure de l’article 38 de la loi DALO aux cas de maintien illicite dans le logement, sans qu’il soit nécessaire que l’introduction dans le logement ait été effectuée illicitement, et aux logements non meublés.

 En troisième lieu, il élargit la liste des personnes pouvant constater l’occupation illicite du logement aux maires et aux commissaires de justice, le droit antérieur ne mentionnant que les officiers de police judiciaire.

En quatrième lieu, le nouveau second alinéa de l’article 38 rénové créé une obligation pour le préfet d’adresser dans un délai de 72 heures une demande à l’administration fiscale pour établir la preuve des droits de la personne lésée par le squat, lorsque celle-ci ne peut en apporter la preuve par elle-même. En effet, il peut être difficile à un propriétaire de produire dans des délais extrêmement contraints son titre de propriété afin de permettre à l’autorité préfectorale de déclencher cette procédure particulière.

Il est indiqué que le Sénat avait souhaité réduire ce délai de 48 heures initial à 24 heures accordé au préfet pour mettre en demeure le squatteur de quitter les lieux.

Cependant, lors de la deuxième lecture, l’Assemblée nationale est revenue sur les modifications apportées par le Sénat en supprimant la réduction de 48 à 24 heures du délai accordé au préfet pour instruire les demandes qui lui sont adressées au titre de l’article 38 de la loi DALO.

Le rapporteur de l’Assemblée nationale a en effet estimé que le délai actuel de 48 heures était déjà « suffisamment exigeant » et impliquait une forte « mobilisation des services préfectoraux ».

De plus, il fallait veiller à ce que cet article 38 de la loi DALO soit compatible avec la jurisprudence constitutionnelle, laquelle a été récemment précisée à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

En effet, le Conseil constitutionnel a formulé des réserves d’interprétation à l’occasion d’une QPC concernant l’application de la procédure de l’article 38 de la loi DALO.

Tout en confirmant la constitutionnalité de cette procédure, le juge constitutionnel a jugé dans une décision n° 2023-1038 du 24 mars 2023, Mme Nacéra Z. [Procédure administrative d’expulsion du domicile d’autrui] :

« ces dispositions prévoient que le préfet peut ne pas engager de mise en demeure dans le cas où existe, pour cela, un motif impérieux d’intérêt général. Toutefois, elles ne sauraient, sans porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et au principe de l’inviolabilité du domicile, être interprétées comme autorisant le préfet à procéder à la mise en demeure sans prendre en compte la situation personnelle ou familiale de l’occupant dont l’évacuation est demandée. »

En conséquence, l’Assemblée nationale a donc adopté, lors de la séance publique, un amendement de son rapporteur Guillaume Kasbarian précisant que la décision préfectorale de mise en demeure est prise « en considération de la situation personnelle et familiale de l’occupant ».

 Toujours dans l’optique d’assurer la compatibilité de la procédure de l’article 38 de la loi DALO avec la jurisprudence constitutionnelle, l’Assemblée nationale a également introduit une distinction quant aux délais d’exécution de l’évacuation forcée. 

 En effet, si ceux-ci restent de 24 heures pour le squat des logements constituant le domicile du requérant, ils sont portés à sept jours lorsque le local occupé illicitement est un local à usage d’habitation ne constituant pas le domicile du requérant. 

Pour ces mêmes cas, l’Assemblée nationale a prévu que la saisine du juge administratif en référé suspend l’exécution de la décision prise par le représentant de l’Etat.

Ces modifications législatives visaient à concilier et trouver un juste équilibre entre d’une part, le droit de propriété et d’autre part, le droit à un recours juridictionnel effectif consacré notamment par la Cour européenne des droits de l’Homme.

Cette modification en seconde lecture par les députés était très pertinente, d’autant plus qu’il convient de préciser que le Conseil constitutionnel a formulé dans sa décision n° 2023-853 DC du 26 juillet 2023, Loi visant à protéger les logements contre l’occupation illicite, une réserve d’interprétation importante concernant le paragraphe I de l’article 6 de la loi déférée :

 « Toutefois, par une réserve d’interprétation, il juge que, s’il est loisible au législateur de prévoir, à cet effet, que constitue notamment le domicile d’une personne un local d’habitation dans lequel se trouvent des biens meubles lui appartenant, la présence de tels meubles ne saurait, sans méconnaître le principe de nécessité des délits et des peines, permettre, à elle seule, de caractériser le délit de violation de domicile. Il appartiendra dès lors au juge d’apprécier si la présence de ces meubles permet de considérer que cette personne a le droit de s’y dire chez elle.

 Jugeant en outre que, en qualifiant certains locaux à usage d’habitation de domicile, le législateur n’a pas adopté des dispositions imprécises, le Conseil constitutionnel écarte, par l’ensemble de ces motifs, le grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines, et sous la réserve précédemment mentionnée, juge conformes à la Constitution les dispositions contestées. »

4° Le recours à la procédure traditionnelle du référé-expulsion 

Elle s’exerce sur le fondement de l’article 834 du code de procédure civile qui permet de saisir en référé dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, aux fins d’ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend.

Cependant, hors l’application des dispositions dérogatoires mentionnées ci-dessus, l’article L. 411-1 du Code des procédures civiles d’exécution dispose que « l’expulsion d’un immeuble ou d’un lieu habité ne peut être poursuivie qu’en vertu d’une décision de justice ou d’un procès-verbal de conciliation exécutoire et après signification d’un commandement d’avoir à libérer les locaux ».

 Une décision judiciaire est donc nécessaire. Cette décision permet de contraindre les squatteurs à quitter le logement mais également de les condamner au paiement d’une indemnité d’occupation des lieux.

Elle permet surtout de recourir à la force publique pour expulser les squatteurs, toute autre forme d’expulsion étant illégale et de nature à engager la responsabilité pénale et civile des propriétaires et autres qui y ont recours.

 Le propriétaire doit d’abord prouver l’occupation irrégulière de son logement par les squatteurs.

Il doit également attester d’un titre de propriété avant d’engager une procédure d’expulsion. A défaut, le juge déclare la demande d’expulsion irrecevable pour défaut d’intérêt à agir (pour une illustration : Cour d’Appel de Paris, 18 février 2014, n° 13.09541).

Ensuite, il faut recueillir l’identité des occupants du bien par tous moyens. L’identification d’un seul d’entre eux peut cependant suffire. En effet, l’expulsion ne peut pas être adressée sans connaître l’identité des squatteurs. En premier lieu, le propriétaire peut mettre en œuvre des moyens simples et rapides : témoignages du voisinage, du gardien de l’immeuble etc. En second lieu, il doit faire appel à un huissier de justice qui se rendra sur les lieux squatters pour interroger les squatteurs et relever leur identité. En effet, les constatations relevées par un huissier de justice permettent de sécuriser la procédure, le procès-verbal qu’il établit bénéficie d’une force probante renforcée, notamment les constatations qu’il a relevées font foi jusqu’à preuve contraire.

 5° Le recours à la procédure exceptionnelle sur requête 

Parfois, aucune preuve suffisante sur l’identité des squatteurs ne peut être récoltée.

Le propriétaire peut donc recourir à la procédure dite sur requête.

Il doit alors mandater un avocat afin de faire une requête devant le tribunal judiciaire du lieu où est situé le bien squatté.

Le juge peut accorder ou non une ordonnance autorisant l’huissier de justice à dresser un constat.

L’huissier peut alors prendre l’identité des occupants et entrer dans les lieux (l’assistance d’un serrurier et de témoins est souvent nécessaire).

Une fois ces éléments de preuve réunis, l’avocat saisit le tribunal judiciaire compétent d’une demande d’expulsion, l’huissier doit la transmettre aux occupants.

Cette procédure « sur requête » est prévue par l’articles 493 du code de procédure civile.

Elle est exceptionnelle et utilisée quand l’identité des squatteurs n’est pas connue.

En effet, le principe dit des droits de la défense et du contradictoire impose à toute personne faisant un procès à une autre personne de la mettre personnellement en cause pour qu’elle s’explique sur les faits reprochés.

C’est un principe de nature constitutionnelle et conventionnelle (convention européenne des droits de l’Homme) que toute juridiction est tenue de respecter et de faire respecter.

 Il ne pourra être reconnu à telle procédure que de manière exceptionnelle et face à une impossibilité d’avoir l’identification précise des occupants sans droit ni titre.

6° La question de l’expulsion des squatters dans le cadre de la procédure judiciaire 

 Le jugement ordonnant l’expulsion doit être adressé aux squatteurs.

Si les occupants ne quittent pas le logement dans le mois suivant, l’huissier de justice peut délivrer un commandement de quitter les lieux.

L’article L. 412-1 du code des procédures civiles d’exécution dispose que l’expulsion « ne peut avoir lieu qu’à l’expiration d’un délai de 2 mois qui suit le commandement ».

Cela laisse alors un délai raisonnable aux squatteurs pour libérer le logement.

Cependant, le second alinéa de cet article qui a été modifié par les articles 8 et 10 de la loi du 27 juillet 2023 prévoit que ce délai de deux mois n’est pas applicable lorsque le juge constate la mauvaise foi de la personne expulsée ou que les personnes dont l’expulsion est ordonnée sont entrées dans les locaux à l’aide de manœuvres, de menaces, de voies de faits ou de contrainte.

Si les occupants restent dans les lieux après l’expiration de ce délai, l’huissier peut solliciter le concours de la force publique auprès du préfet pour l’assister dans l’expulsion des squatteurs.

Cependant, l’autorité préfectorale n’est pas obligée de l’accorder.

Dans un tel cas, le bénéficiaire d’une décision d’expulsion pourra se retourner contre l’État devant le tribunal administratif en sollicitant la réparation des préjudices subis du fait du refus du concours de la force publique.

En effet, il faut savoir que sur le fondement de l’article L. 153-1 du code des procédures civiles d’exécution, consécration de la Jurisprudence initiée par le Juge du Palais Royal avec sa célèbre décision rendue le 30 novembre 1923, Couitéas, l’État est tenu de prêter son concours à l’exécution des jugements et des autres titres exécutoires. En tout état de cause, le refus de l’État de prêter son concours au bénéficiaire d’une décision de justice exécutoire ouvre droit à réparation au profit de ce dernier.

Il convient de mentionner que l’article 11 de la loi du 27 juillet 2023 a formellement imposé une obligation d’indemnisation de la part de l’Etat en cas de refus de refus de sa part d’apporter le concours de la force publique, renvoyant les modalités d’évaluation de l’indemnisation due au propriétaire à un décret pris en Conseil d’Etat.

En effet, l’article L. 153-1 du code des procédures civiles d’exécution modifié par l’article 11 de la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023 applicable depuis le 29 juillet 2023 dispose ainsi :

« L’Etat est tenu de prêter son concours à l’exécution des jugements et des autres titres exécutoires. Le refus de l’Etat de prêter son concours ouvre droit à réparation. Les modalités d’évaluation de la réparation due au propriétaire en cas de refus du concours de la force publique afin d’exécuter une mesure d’expulsion sont précisées par décret en Conseil d’Etat. »

Il est rappelé qu’il faudra préalablement formuler une demande préalable indemnitaire auprès du préfet concerné.

Il convient de préciser que l’article 7 de la loi modifiant l’article 1244 du code civil consistant à libérer le propriétaire d’un bien immobilier occupé illicitement de son obligation d’entretien et de l’exonérer de sa responsabilité en cas de dommage résultant d’un défaut d’entretien de ce bien a été déféré par plus de soixante députés devant le Conseil constitutionnel.

En effet, cet article 7 de la loi adoptée prévoyait un deuxième alinéa à l’article 1244 du code civil précité rédigé dans les termes suivants :

« L’occupation sans droit ni titre d’un bien immobilier libère son propriétaire de l’obligation d’entretien du bien de sorte que sa responsabilité ne saurait être engagée en cas de dommage résultant d’un défaut d’entretien du bien pendant cette période d’occupation. En cas de dommage causé à un tiers, la responsabilité incombe dès lors à l’occupant sans droit ni titre du bien immobilier. Le bénéfice de l’exonération de responsabilité mentionnée au présent alinéa ne peut s’appliquer lorsque les conditions d’hébergement proposées par un propriétaire ou par son représentant sont manifestement incompatibles avec la dignité humaine, au sens de l’article 225‑14 du code pénal. »

Par sa décision n° 2023-853 DC du 26 juillet 2023, Loi visant à protéger les logements contre l’occupation illicite, le juge de la rue Montpensier a jugé inconstitutionnel une telle rédaction adoptée par le Parlement pour le motif suivant :

« À cette aune, le Conseil constitutionnel juge que, en instituant un régime de responsabilité de plein droit en cas de dommage causé par la ruine d’un bâtiment, lorsqu’elle résulte d’un défaut d’entretien ou d’un vice de construction, le législateur a entendu faciliter l’indemnisation des victimes. Il a ainsi poursuivi un objectif d’intérêt général.

 Toutefois, en premier lieu, d’une part, le bénéfice de l’exonération de responsabilité est accordé au propriétaire du bien pour tout dommage survenu au cours de la période d’occupation illicite, sans qu’il soit exigé que la cause du dommage trouve son origine dans un défaut d’entretien imputable à l’occupant sans droit ni titre. D’autre part, le propriétaire bénéficie de cette exonération sans avoir à démontrer que le comportement de cet occupant a fait obstacle à la réalisation des travaux de réparation nécessaires.

 En second lieu, les dispositions contestées prévoient que le propriétaire est exonéré de sa responsabilité non seulement à l’égard de l’occupant sans droit ni titre, mais également à l’égard des tiers. Ainsi, alors que ce régime de responsabilité de plein droit a pour objet de faciliter l’indemnisation des victimes, les tiers ne peuvent, dans ce cas, exercer une action aux fins d’obtenir réparation de leur préjudice qu’à l’encontre du seul occupant sans droit ni titre, dont l’identité n’est pas nécessairement établie et qui ne présente pas les mêmes garanties que le propriétaire, notamment en matière d’assurance.

 De l’ensemble de ces motifs, le Conseil constitutionnel déduit que les dispositions contestées portent une atteinte disproportionnée au droit des victimes d’obtenir réparation du préjudice résultant du défaut d’entretien d’un bâtiment en ruine. Il les déclare donc contraires à la Constitution. »

 7° Savoir choisir entre les procédures applicables et les juridictions compétentes 

 La personne physiques ou morales victime d’un squat doit faire la différence en fonction de la nature du bien squatté.

 En effet, s’il s’agit d’un logement squatté, l’action devra se faire devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire du lieu concerné, lequel est seul compétent pour connaître des actions aux fins d’expulser des personnes qui occupent sans droit ni titre des immeubles bâtis aux fins d’habitation, conformément aux dispositions de l’article L. 213-4-3 du code de l’organisation judiciaire.

Cependant, s’il s’agit d’un terrain squatté, l’action devra se faire devant le tribunal judiciaire du lieu concerné. De même, ce sera cette même juridiction qui sera compétente dans le cas d’une occupation autre que d’habitation.

De plus, il faut savoir que si le bien squatté relève du domaine public, c’est le juge administratif qui est seul compétent pour ordonner l’expulsion sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, les textes précités n’étant pas applicables dans les circonstances de l’espèce

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