Le rappel à l’ordre des départements quant à l’allocation due au tiers digne de confiance au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant

(À propos de CE, 19 mai 2017, n° 406637)
Publié le 25/10/2018

Dans une décision en date du 19 mai 2017, les magistrats du Palais Royal ont clairement penché en faveur de la situation du tiers digne de confiance. L’intérêt de l’enfant commande le versement de l’allocation qui lui est due en vertu de l’article L. 228-3 du Code de l’action sociale et des familles et ce, même si le conseil départemental n’a pas encore fixé le montant ni les modalités de versement de cette allocation.

Plusieurs événements expliquent qu’un enfant ne vive plus auprès de ses parents : décès des parents, décision volontaire des parents, ou intervention de l’autorité judiciaire1. Dans toutes ces hypothèses, le mineur pourra être confié au service départemental de l’aide sociale à l’enfance, à un établissement ou service public ou privé mais également à une personne physique, appelée proche digne de confiance. Évoqué par les textes légaux, le tiers digne de confiance, assimilé en langage courant à « une troisième personne », n’a pas reçu de véritable définition juridique2 : il est parfois distingué du membre de la famille3 ou désigné de manière générale, comme le tiers à qui peut être confié le mineur4 auquel cas cette qualité peut se superposer avec le lien familial. Dans les faits, il s’agira fréquemment d’un membre de la famille5, il pourra également s’agir d’une personne « gravitant dans la sphère familiale » comme par exemple le concubin du parent, le beau-père ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité6, mais certainement pas d’un inconnu7.

Même si le recueil du mineur relève d’une acceptation volontaire du tiers digne de confiance, cette charge matérielle représentera nécessairement un coût financier. Le législateur a prévu une compensation financière à ce titre faisant du tiers une sorte de bénévole indemnisé. En effet, même si ce n’est pas le service départemental de l’aide sociale à l’enfance qui accueille matériellement le mineur, le Code de l’action sociale et des familles prévoit qu’au titre de ses missions de chef de file de l’action sociale, le département est chargé de la prise en charge financière du mineur confié à des établissements ou services publics ou privés ou à des personnes physiques dans un certain nombre de cas. C’est de cette allocation financière dont il est question dans l’arrêt du Conseil d’État du 19 mai 20178 : une particulière se voit confier son frère par le juge des enfants au titre des mesures d’assistance éducative pour une durée initiale de six mois, décision prolongée jusqu’à la majorité celui-ci. Elle s’adresse au président du conseil départemental de Mayotte afin de se voir octroyer l’indemnité due aux tiers dignes de confiance mais sa demande se solde par un refus au motif que les services départementaux n’ont fixé ni le montant, ni les modalités de versement d’une telle indemnité. La requérante conteste cette décision devant la juridiction administrative, en la forme des référés, arguant de l’urgence de la situation9 ; le juge des référés suspend la décision administrative et ordonne au département de Mayotte de lui verser les sommes qui lui étaient dues depuis le 14 mars 2016, par référence à l’indemnité mensuelle allouée à Mayotte aux assistants familiaux auprès desquels sont placés les enfants confiés au service de l’aide sociale à l’enfance, dans un délai de cinq jours à compter de la notification de l’ordonnance et ce, sous astreinte de 100 € par jour de retard. La haute juridiction administrative, saisie par la collectivité départementale, décide d’annuler l’ordonnance du juge des référés du 19 décembre 2016 mais seulement en ce que le montant des indemnités que le département de Mayotte doit verser, à titre provisoire à la requérante, excède le montant minimal de l’indemnité d’entretien allouée aux assistants familiaux. Par cet arrêt, les magistrats du Palais Royal, s’appuyant sur l’intérêt de l’enfant, confirment l’obligation pour les départements de verser l’allocation due aux tiers dignes de confiance en dépit de l’inexistence des arrêtés qui devaient en fixer le mode de calcul (I) précisant que la combinaison des textes du Code de l’action sociale et des familles est assez précise pour permettre aux conseils départementaux d’adopter les règles fixant le montant et les modalités de versement de l’allocation due aux tiers dignes de confiance (II).

I – L’obligation pour les départements de verser l’allocation due aux tiers dignes de confiance au nom de l’intérêt de l’enfant

En principe, la compensation financière ne sera versée au tiers digne de confiance que si cette personne a été dûment désignée par jugement et qu’elle justifie de cette désignation auprès du service de l’aide sociale à l’enfance. Néanmoins, même si la personne n’a pas été expressément désignée en cette qualité, il sera toujours possible pour le juge de décider que le département prendra en charge les frais d’entretien et d’éducation du mineur par application de l’article L. 228-3 du Code de l’action sociale et des familles. En effet, selon ce texte, hormis lorsque le mineur est placé dans un établissement ou service public de la protection judiciaire de jeunesse où elles incombent à l’État, les dépenses d’entretien, d’éducation et de conduite de chaque mineur relèvent d’une prise en charge financière départementale que ce mineur soit confié au service de l’aide sociale à l’enfance ou qu’il soit confié à une personne physique, établissement ou service public ou privé en vertu d’une décision judiciaire d’assistance éducative, d’une décision de sauvegarde de justice, ou encore d’une délégation volontaire ou forcée de l’autorité parentale. À la lecture de ce texte, le proche digne de confiance peut donc prétendre à se voir verser une allocation lorsqu’il accueille un mineur dans les situations susmentionnées10.

Pourtant, dans l’affaire commentée, la requérante qui avait recueilli son frère en vertu d’une décision d’assistance éducative du juge des enfants en date du 11 mars 2016 s’était vu opposer un refus par les services départementaux de Mayotte à sa demande financière. Ces derniers prétendaient qu’en raison de l’inexistence des arrêtés déterminant précisément les conditions et les modalités de calcul de l’allocation due aux tiers dignes de confiance, le conseil départemental n’avait pas lui-même encore pu prendre de délibération relative à la mise en œuvre et à la fixation de cette indemnité. Pour le juge administratif, saisi en la forme des référés, ces arguments n’ont pas suffi. C’est pourquoi il ordonne une suspension de la décision départementale et le versement d’une indemnité dont il détermine le mode de calcul. Les conseillers d’État confirment l’ordonnance du juge des référés en partie : pour eux, ce dernier a eu raison de considérer qu’il existait un doute sérieux quant à la légalité de la décision administrative, cette dernière méconnaissant les dispositions de l’article L. 228-3 du Code de l’action sociale et des familles et portant atteinte à la Convention internationale des droits de l’enfant qui prévoit en son article 3.1 que « dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ». Pour les hauts magistrats, la collectivité départementale ne peut contrevenir à l’obligation qui lui incombe de mettre en œuvre le droit reconnu aux proches dignes de confiance dans un délai raisonnable en dépit de l’inexistence des arrêtés fixant les conditions et les modalités de calcul de l’allocation due aux tiers dignes de confiance. Il incombe aux conseils départementaux de suppléer la carence réglementaire au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant : l’allocation ayant pour finalité la prise en charge financière du mineur.

II – La détermination du montant de l’allocation due aux tiers dignes de confiance par les départements

L’article R. 228-3 du Code de l’action sociale et des familles dispose que les frais d’entretien et d’éducation des mineurs confiés aux proches dignes de confiance sont remboursés sur la base d’une part, d’un prix de pension mensuel auquel s’ajoute une indemnité d’entretien et de surveillance lorsque le mineur est placé dans une famille, se trouve en apprentissage ou poursuit ses études et d’autre part, d’une indemnité de surveillance et, éventuellement, d’entretien lorsque le mineur est salarié. Si ce texte donne les indicateurs, il ne détermine pas les conditions et les modalités de calcul de l’allocation. Toutefois, le juge des référés, suivi par le Conseil d’État, considère que les dispositions combinées de cet article et de l’article L. 228-3 du même code sont suffisamment précises pour permettre aux conseils départementaux d’adopter eux-mêmes par délibération les règles fixant les conditions et les modalités de versement de l’allocation due aux tiers dignes de confiance ; ces règles devant être contenues dans le règlement départemental d’aide sociale de chaque collectivité départementale11. Dans l’attente d’une telle délibération, le juge des référés avait fixé le montant dû à la requérante par référence à l’indemnité d’entretien versée aux assistants familiaux12, personnes physiques agréées par l’autorité départementale et accueillant habituellement et de façon permanente des mineurs13, par le département de Mayotte. Ce choix s’explique par la similitude d’objet entre les indemnités ; toutes les deux visant à assurer l’entretien de l’enfant. Le Conseil d’État validera le choix de la référence effectué par le juge des référés mais en modifiera les modalités. En effet, les textes du Code de l’action sociale et des familles imposent aux départements un montant minimal concernant l’indemnité versée aux assistants familiaux mais chaque département, s’il doit respecter ce minimum, est libre de prévoir un montant supérieur14. Aussi, le juge des référés ne pouvait calculer les indemnités provisoirement dues à la requérante, en attendant l’adoption d’une délibération par le conseil départemental fixant les conditions et le calcul de l’allocation due aux tiers de confiance, par référence à l’indemnité spécifiquement versée par le département de Mayotte aux assistants familiaux se trouvant sur son territoire mais devait limiter l’indemnisation au montant minimal garanti aux assistants familiaux contenu aux articles L. 423-4 et D. 423-21 du Code de l’action sociale et des familles à savoir 1,3 fois le montant du salaire brut minimum horaire interprofessionnel garanti à Mayotte (contre 3,5 fois en métropole).

Trois éléments doivent être ajoutés quant à l’aide financière accordée aux proches dignes de confiance. Le premier est que le recueil de l’enfant chez le tiers ne met pas fin à l’obligation alimentaire des ascendants envers leur enfant15 ; une pension alimentaire peut donc être fixée par le juge. Le deuxième est que les prestations familiales peuvent être accordées aux tiers dignes de confiance puisqu’ils assument la charge effective et permanente de l’enfant au sens du Code de la sécurité sociale, le proche est alors traité de la même façon que le parent du mineur16. À ce titre, le recueillant pourra s’adresser à la caisse d’allocations familiales pour obtenir notamment une prestation spécifique, l’allocation de soutien familial17, ou prendre en compte l’enfant confié dans le calcul des allocations familiales ou du complément familial si d’autres enfants résident déjà à son foyer18. Toutefois, dans ces deux hypothèses, la pension alimentaire ou les prestations familiales versées19 seront déduites de l’allocation départementale due aux tiers dignes de confiance. Enfin, le troisième est que, dès lors qu’il perçoit une allocation publique pour l’entretien de l’enfant, le tiers digne de confiance ne peut prétendre à la part de quotient familial accordée à raison d’un enfant recueilli au foyer du contribuable20 ; celui-ci ne pouvant être considéré comme ayant assuré la charge exclusive de l’entretien et de l’éducation de l’enfant au sens des articles 193 ter et 196 du Code général des impôts.

Notes de bas de pages

  • 1.
    La Convention internationale des droits de l’enfant précise toutefois, en son article 9, que l’enfant ne doit être séparé de ses parents contre leur gré que si cette séparation est nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant. V. D. n° 90-917, 12 oct. 1990, portant publication de la convention relative aux droits de l’enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 : JO, 12 oct. 1990, p. 12363.
  • 2.
    Sur l’étymologie du tiers digne de confiance, voir par exemple : Sellenet C., L’Houssni M., Perrot D. et Calame G., Solidarités autour d’un enfant : l’accueil dans la parentèle ou chez des tiers dignes de confiance, 2013, recherche réalisée par le défenseur des droits, p. 10 et s.
  • 3.
    Exemples : C. civ., art. 375-3 ou C. civ., art. 377.
  • 4.
    Exemples : C. civ., art. 380 ou C. civ., art. 15 de l’Ord. n° 45-174, 2 févr. 1945, relative à l’enfance délinquante.
  • 5.
    Défenseur des droits, Autour d’un enfant : accueil dans la parentèle ou chez un tiers digne de confiance. Études et résultats, 2014, DREES, p. 4.
  • 6.
    Il pourrait s’agir également d’une personne plus éloignée comme le concubin de la grand-mère de l’enfant : CA Rouen, 27 nov. 2014, n° 13/03151 : Juris-Data n° 2014-032056.
  • 7.
    Neirinck C., « V° autorité parentale, délégation », JCl. Civil, art. 371 à 380, 2018, fasc. 30, n° 17.
  • 8.
    CE, 19 mai 2017, n° 406637 : Lebon ; D. 2017, obs. de Montecler M.-C.
  • 9.
    CJA, art. L. 521-1.
  • 10.
    En principe, la compensation financière ne sera versée au tiers digne de confiance que si cette personne a été dûment désignée par jugement et qu’elle justifie de cette désignation auprès du service de l’aide sociale à l’enfance. Le cas échéant, il sera toujours possible pour le juge de décider que le département prendra en charge les frais d’entretien et d’éducation du mineur par application de l’article L. 228-3 du CASF.
  • 11.
    CASF, art. L. 121-3 et CGCT, art. L. 3214-1.
  • 12.
    Cette indemnité doit pouvoir couvrir les frais de nourriture, d’hébergement, d’hygiène corporelle, les loisirs familiaux et les déplacements liés à la vie quotidienne de l’enfant.
  • 13.
    Sur les assistants familiaux, voir : Niemiec A., Le rôle du département dans l’adoption, Dekeuwer-Défossez F. (dir.), thèse de doctorat : Droit privé, université Lille 2, 2012, L’Harmattan, Logiques Juridiques, p. 277 et s.
  • 14.
    De nombreux départements modulent l’allocation due aux tiers dignes de confiance en fonction de l’âge de l’enfant.
  • 15.
    CASF, art. L. 228-1 et CASF, art. L. 228-2 et C. civ., art. 375-8.
  • 16.
    Le statut hybride du tiers digne de confiance a déjà été évoqué : il est traité comme un parent au sens des prestations familiales mais comme un assistant familial au regard de l’indemnité d’entretien. Voir : Sellenet C., L’Houssni M., Perrot D. et Calame G., Solidarités autour d’un enfant : l’accueil dans la parentèle ou chez des tiers dignes de confiance, 2013, recherche réalisée par le défenseur des droits, p. 14 et s.
  • 17.
    CSS, art. L. 523-1.
  • 18.
    Ministre de la Famille, Rép. min. : JOAN, 1er janv. 2013, p. 95 – QE n° 5183 posée par Delga C. : JO, 25 sept. 2012, p. 5219. Avant la circulaire ministérielle du 20 août 2002, l’allocation départementale versée au tiers digne de confiance l’empêchait de prétendre aux prestations familiales. V. Cass. 2e civ., 16 sept. 2003, n° 02-30486 : Bull. civ. II, n° 273 ; D. 2004, p. 1554, note Prétot X.
  • 19.
    Pour les prestations familiales, il faudra calculer la différence entre la situation nouvelle au regard des droits aux prestations familiale induite par l’accueil du mineur et la situation ancienne au regard des droits avant l’arrivée du mineur ; c’est ce différentiel qui sera déduit.
  • 20.
    Sur ce point, voir : ministre du Budget, des Comptes publics et de la Réforme de l’État, Rép. min. : JOAN, 23 nov. 2010, p. 12812 – QE n° 83065 posée par Issindou M. : JO, 6 juill. 2010, p. 7446 – CE, 15 déc. 2010, n° 334961, M. et Mme Bellarbre : Lebon T. ; Dr. famille avr. 2011, comm. 68, p. 46, note Douet F. ; RJPF janv. 2014, p. 40, note Corpart I. ; RJPF avr. 2011, p. 32, note Jue-Mohr C.