Le secret de la personne protégé par le médecin : le secret médical

Publié le 14/11/2016

Secret professionnel par excellence, le secret médical repose sur la discrétion d’une personne, le médecin, désigné comme gardien du secret d’autrui. L’intervention d’un tiers imprime au secret une dualité qui le renforce : il est à la fois un droit pour le patient et une obligation pour le médecin. Or, en tant que droit du patient, le secret médical est relativement fragile car il n’offre pas d’autre rempart que celui du droit au respect de la vie privée. En tant qu’obligation du médecin pénalement sanctionnée, en revanche, il est efficacement protégé, parce qu’à travers le secret, c’est la santé publique qu’il s’agit de préserver.

« Quoi que je voie ou entende dans la société pendant, ou même hors de l’exercice de ma profession, je tairai ce qui n’a jamais besoin d’être divulgué, regardant la discrétion comme un devoir en pareil cas.

Si je remplis ce serment sans l’enfreindre, qu’il me soit donné de jouir heureusement de la vie et de ma profession, honoré à jamais des hommes ; si je le viole et que je me parjure, puissé-je avoir un sort contraire ! ».

Ainsi se termine le célèbre serment d’Hippocrate que prêtent les médecins avant de commencer à exercer leur art, sur la promesse de ne pas divulguer ce qu’ils auront vu ou entendu à l’occasion de leur profession. Bien avant la loi, le serment d’Hippocrate, rédigé au IVsiècle avant J.-C., était donc la toute première source du secret médical. Le législateur s’en est ensuite saisi pour le consacrer au premier rang des secrets dits professionnels1. Cette dénomination renvoie à la situation dans laquelle le secret d’une personne est protégé par un professionnel : un tiers va être désigné gardien d’un secret qui n’est pas le sien.

C’est donc un secret professionnel, mais un secret qui occupe une place à part parmi les autres. Longtemps, d’ailleurs, sa spécificité était formalisée par le Code pénal, qui lui ménageait une place particulière en punissant spécifiquement les « médecins, chirurgiens et autres officiers de santé » qui auraient révélé des informations à caractère secret2. Aujourd’hui ce n’est plus le cas, puisque tous les secrets sont visés indifféremment par l’article L. 226-13 du Code pénal3, qui réprime « la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire, soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire ». Il reste que, même s’il n’est plus visé de manière spécifique par le Code pénal, le secret médical conserve toute sa spécificité au regard des autres secrets gardés par un tiers.

Cette spécificité du secret médical tient dans la double fonction qu’il remplit. Comme les autres secrets, il vise à protéger la vie privée de la personne qu’il concerne. Mais à la différence des autres secrets, le secret médical contribue en outre à préserver la santé publique4. L’idée tient en quelques propositions : le médecin ne peut pas soigner son patient s’il n’a pas les informations nécessaires pour établir son diagnostic. Pour qu’il puisse connaître ces informations, il faut que le patient ait suffisamment confiance en lui pour lui révéler des éléments qui concernent l’intimité de sa vie privée. Or le patient n’accordera une telle confiance à son médecin que s’il est animé d’une certitude que ses révélations resteront placées sous le sceau de la confidentialité. Pour cette raison, il est donc primordial d’obliger le médecin à garder le secret sur les informations que lui révèle son patient. Cette obligation au secret permet d’« assurer la confiance nécessaire à l’exercice » de la profession médicale5. Autrement dit, en protégeant la vie privée du patient, on protège l’exercice de la médecine elle-même. À la problématique de la vie privée du patient se mêle celle de l’exercice de la médecine, qui relève des exigences de santé publique.

Or cette double fonction du secret se prolonge par une double dimension, active et passive, du secret médical. En effet, le secret est à la fois un droit pour le patient et une obligation pour le médecin6 : le médecin est tenu d’une obligation au secret7, tandis que le patient est titulaire d’un droit au secret8. Si c’est le même secret qui, chaque fois, est visé, la façon de le présenter n’est pas anodine : l’étude du droit positif révèle une fragilité du secret envisagé comme un droit pour le patient, qui contraste avec un renforcement du secret envisagé comme une obligation pour le médecin.

Plus fragile en tant que droit (I), le secret est donc mieux protégé en tant qu’obligation (II).

I – Un secret plus fragile en tant que droit du patient

Deux facteurs viennent fragiliser le secret envisagé comme un droit pour le patient : le premier tient dans une faculté de renonciation inhérente aux droits subjectifs (A) ; le second réside dans la concurrence d’autres droits subjectifs et, plus largement, d’autres intérêts pouvant être mis en balance et l’emporter sur ceux du patient (B).

A – La renonciation au droit au secret

Nul ne conteste la faculté, pour le titulaire d’un droit subjectif, de renoncer à son droit. En tant que droit institué « dans l’intérêt du patient »9, le secret peut naturellement faire l’objet d’une renonciation : le patient peut accepter la divulgation des informations qui le concernent. Il n’y a alors pas véritablement d’atteinte au secret médical lorsque c’est le patient lui-même, maître de ses intérêts, qui accepte la levée du secret. Il n’y a pas davantage d’atteinte portée à sa vie privée.

L’on admet ainsi sans difficulté qu’un patient puisse désigner une « personne de confiance », qui sera informée de sa situation médicale et pourra l’assister lors des entretiens médicaux, si le patient le souhaite10. La levée du secret à l’égard de la personne de confiance se fait alors sous le contrôle du patient, dans la mesure de ce qu’il accepte, puisqu’il a la possibilité de révoquer à tout moment cette désignation.

L’on admet également, sans plus de difficulté, qu’un patient puisse divulguer à la presse des informations placées sous le sceau du secret médical. Ainsi, dans une affaire dans laquelle des journalistes étaient poursuivis pour avoir divulgué les propos et les ordonnances prescrites par un médecin à l’occasion d’une consultation qu’ils avaient sollicitée en tant que faux patients demandant un traitement amaigrissant, la Cour de cassation a confirmé que « rien n’interdit à celui qui consulte un médecin de faire connaître à autrui le diagnostic qui a été posé par le praticien ainsi que le traitement préconisé »11.

Néanmoins, la renonciation du patient à la protection de son secret n’est incontestable que lorsqu’elle procède d’une volonté libre et éclairée. Si le patient est contraint, d’une façon ou d’une autre, d’accepter la divulgation de son secret, alors la faculté de renonciation inhérente au droit au secret devient un facteur de fragilité pour ce droit. L’on peut craindre que des pressions soient exercées sur la volonté du patient en matière d’assurance-vie, par exemple12. Cela, d’autant que l’assuré peut renoncer par avance à la préservation de son secret13. Dans ce domaine, le contentieux de la preuve du mensonge de l’assuré sur son état de santé est abondant. Aux termes de la jurisprudence, l’assuré a la possibilité de s’opposer à la divulgation de son secret médical, mais il s’expose alors à ce que le juge en tire des conséquences. Le juge pourra ainsi estimer que le refus de l’assuré ne vise pas réellement à faire respecter sa vie privée, mais plutôt à éviter que sa fraude ne soit prouvée. En refusant que son secret soit divulgué, le patient prend donc le risque de perdre son procès14. Sous cette pression, il pourra préférer autoriser un tiers, l’expert judiciaire, à accéder à son dossier médical. Sa décision de renoncer au secret de ses informations médicales est-elle alors réellement libre ? On peut en débattre.

De manière plus patente encore qu’à travers la faculté de renonciation, le droit du patient à la préservation de son secret médical se trouve menacé par sa mise en concurrence avec d’autres intérêts.

B – La mise en concurrence du droit au secret

Penser le secret comme un droit qui protège la vie privée, c’est admettre que d’autres intérêts puissent venir contredire celui du patient. Le droit du patient au secret médical sera alors mis en balance avec des intérêts concurrents et livré à un contrôle de proportionnalité. En rattachant le secret médical au droit au respect de la vie privée, on expose le secret aux mêmes atteintes, nombreuses, que celles que peut subir le droit au respect de la vie privée.

Tantôt, c’est le juge qui procèdera à ce contrôle de proportionnalité. Tel fut le cas dans la célèbre affaire du Docteur Gubler, le médecin de François Mitterrand, qui avait violé le secret médical seulement quelques jours après le décès de l’ancien président, en révélant au grand jour, dans un livre intitulé : « Le grand secret », qu’il avait été atteint d’un cancer de la prostate. Le livre avait été interdit de diffusion, mais un peu tard, car le public avait déjà pu en prendre connaissance. Quelques années plus tard, l’éditeur de l’ouvrage avait saisi la Cour européenne des droits de l’Homme en invoquant l’atteinte portée à sa liberté d’expression. La Cour avait alors mis en balance le droit au respect de la vie privée avec la liberté d’expression, pour finalement juger qu’il y avait lieu de lever l’interdiction de diffusion15. Le secret médical, en tant que composante du droit au respect de la vie privée, a donc cédé face à la liberté d’expression. Certes, les circonstances étaient particulières, et d’autres affaires ont donné à la Cour européenne l’occasion de faire prévaloir le droit au secret sur d’autres intérêts16 ; mais cette affaire montre bien que le droit au secret médical n’est pas absolu et qu’il peut céder, dans la confrontation qui l’oppose à d’autres libertés fondamentales.

Tantôt, c’est le législateur, et non plus le juge, qui mettra le droit au secret du patient en balance avec d’autres intérêts privés. L’article L. 1110-4, V, prévoit ainsi que « le secret médical ne fait pas obstacle à ce que les informations concernant une personne décédée soient délivrées à ses ayants droit, son concubin ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ». Cette possibilité de divulguer le secret du patient décédé à ses proches est cependant limitée à la mesure dans laquelle les informations médicales « sont nécessaires pour leur permettre de connaître les causes de la mort, de défendre la mémoire du défunt ou de faire valoir leurs droits ». Le texte réserve tout de même l’hypothèse où le patient s’y serait expressément opposé. Mais s’il reste silencieux, son secret ne sera pas protégé de plein droit, après son décès, à l’encontre de ses proches. Ici, le droit au secret n’est pas frontalement méconnu, mais plutôt atténué, pour tenir compte des intérêts des ayants-droit du patient. Si le patient ne manifeste pas son intention de se prévaloir de son droit, celui-ci cèdera face aux intérêts des ayants-droit du patient.

De la même façon, la question se pose de savoir si le droit au secret du patient séropositif doit céder face aux intérêts de son partenaire. Le médecin peut-il, doit-il, protéger le conjoint ou le partenaire d’un patient séropositif, même si ce dernier souhaite préserver le secret sur sa condition médicale ? Le droit positif est bien en peine d’apporter une réponse juridique à ce cas de conscience auquel le médecin peut se trouver confronté17. C’est pourtant au législateur qu’il reviendrait de trancher, une fois pour toutes, ce conflit opposant le droit du patient au secret et la nécessité pour ses proches d’être informés.

En tout état de cause, on le voit, le fait de concevoir le secret comme un droit du patient va conduire à fragiliser ce secret, pour des raisons qui peuvent être plus ou moins légitimes selon les hypothèses. À l’inverse, le fait d’envisager le secret médical comme une obligation du professionnel tend plutôt à en assurer une meilleure protection.

II – Un secret mieux protégé en tant qu’obligation du médecin

Deux séries de raisons expliquent que le secret médical soit mieux protégé en tant qu’obligation du professionnel qu’il ne l’est en tant que droit du patient. La première tient à l’efficacité de l’interdiction faite au médecin de divulguer le secret de ses patients (A) ; la seconde provient du caractère strictement limité des exceptions prévues par le législateur à cette interdiction de divulgation (B).

A – Une interdiction efficace

L’efficacité de l’interdiction provient, d’une part, de la sanction qui assortit l’obligation du médecin et, d’autre part, de la protection accordée au médecin qui remplit son obligation. Le professionnel est ainsi sanctionné quand il méconnaît son obligation et protégé quand il la remplit.

S’agissant d’une part de la sanction, elle est prévue en matière pénale par l’article L. 226-13 du Code pénal à hauteur d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende. À cet égard, observant le principe de légalité, le législateur s’est employé à déterminer très précisément les éléments constitutifs de l’infraction, en visant « la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire ». En réalité, c’est dans le Code de la santé publique que l’on trouve la délimitation précise du domaine de l’obligation au secret médical. L’article L. 1110-4 de ce Code définit ainsi l’objet de l’obligation, de manière très large, en y intégrant non seulement les informations qui ont trait à la santé du patient, mais aussi « l’ensemble des informations qui concernent la personne et qui sont venues à la connaissance du professionnel dans l’exercice de sa profession, c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris ». Il délimite aussi largement le champ des personnes tenues au secret, en visant les professionnels de santé (lato sensu, puisque l’obligation pèse sur tout le personnel qui entoure le praticien, et sur l’établissement lui-même) ainsi que les professionnels du secteur social ou médico-social. L’obligation au secret est donc conçue de manière extensive par la loi.

S’agissant ensuite de la protection accordée au médecin, elle se traduit, en jurisprudence, par l’impossibilité de lui imposer de révéler le secret de ses patients. L’obligation de se taire donne alors naissance à un véritable droit de se taire du médecin. Ainsi, déjà dans les arrêts Watelet18 et Decraene19, le médecin s’est vu dispensé de l’obligation de témoigner en justice, au nom du caractère « général et absolu » du secret médical (affirmé sous la seule réserve des cas où la loi impose la dénonciation de certains faits). Ce droit du médecin de se taire va d’ailleurs très loin puisque le patient lui-même ne peut, en renonçant à son secret, obliger son médecin à témoigner en justice20. Dans une telle hypothèse, la levée du secret par le patient permet au médecin de divulguer les informations le concernant, sans toutefois l’y contraindre. Le consentement du patient passe alors au second plan, car il ne s’agit plus ici de préserver sa vie privée à travers son droit au secret, mais de défendre l’institution du secret médical en évitant toute brèche dans sa protection. C’est ici l’obligation au secret qui est mise en avant, et même le droit de protéger le secret, dans un objectif plus général de protection de la santé publique et de préservation de la confiance nécessaire à l’exercice de la profession médicale.

Cela ne veut pas dire pour autant que l’obligation du médecin de préserver le secret de ses patients ne connaisse aucune exception. Il y a nécessairement des limites, justifiées par d’autres impératifs de santé publique qui vont jouer contre la préservation du secret médical. Mais il reste que ces exceptions sont très strictement définies et encadrées par la loi. C’est la seconde raison qui explique que le secret soit mieux protégé en tant qu’obligation.

B – Des exceptions limitées

Seule la loi, et non le juge, peut autoriser, voire imposer la levée du secret. Le législateur n’intervient en ce sens que dans des hypothèses très ciblées.

Dans quelques cas ponctuels, la loi impose au médecin de révéler certaines informations dont il a pu avoir connaissance. Elle le fait lorsque d’autres impératifs, généralement liés à la vigilance et à la prévention sanitaires, l’emportent sur le secret médical21.

Dans d’autres cas, la loi se contente d’autoriser la divulgation du secret. Ainsi, le Code pénal prévoit, en son article L. 226-14, des cas exceptionnels dans lesquels l’incrimination de violation du secret professionnel n’est pas applicable : transmission d’informations sur les privations et sévices infligés à un mineur ou à une personne vulnérable et permettant de présumer la commission de violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ; transmission au préfet d’informations sur le caractère dangereux pour elles-mêmes ou pour autrui des personnes qui les consultent et dont ils savent qu’elles détiennent une arme ou qu’elles ont manifesté leur intention d’en acquérir une. La portée de ces exceptions reste toutefois controversée, certains auteurs estimant qu’elles offrent un choix au médecin, qui conserverait une liberté de conscience pour révéler ou non les informations concernées22, tandis que d’autres soutiennent que la divulgation des informations concernées présente un caractère obligatoire et s’impose au médecin23.

Outre les exceptions pénales au délit de violation du secret, le Code de la santé publique prévoit, lui aussi, une dérogation permettant au médecin de partager avec d’autres professionnels les informations qu’il détient sur ses patients : c’est l’hypothèse du secret partagé, prévue par l’article L. 1110-4, II et III, du Code de la santé publique. Controversée du fait de l’atteinte qu’elle porte au droit au secret24, cette disposition se justifie toutefois par le souci d’assurer l’efficacité et l’utilité du parcours de soin, dans l’intérêt du patient lui-même. Elle est d’ailleurs assez précisément encadrée : elle permet à un professionnel d’échanger avec ses collègues des informations relatives à un patient, au sein ou en dehors de l’équipe de soin, mais aux conditions que tous ceux qui partagent le secret participent à la prise en charge du patient, et que les informations partagées soient « strictement nécessaires à la coordination ou à la continuité des soins, à la prévention ou au suivi social et médico-social du patient ».

Il y a donc bien une limite au secret médical, mais une limite encadrée puisque le secret est préservé, tout en étant partagé par un plus grand nombre de personnes25. La divulgation du secret au-delà du champ de partage autorisé reste néanmoins sanctionnée par la loi pénale. On le voit, l’encadrement légal de l’obligation au secret médical et des exceptions à cette obligation permet au secret d’être mieux protégé que lorsqu’il se dilue dans le droit au respect de la vie privée.

Remarques conclusives

Pour autant, l’institution du secret médical n’est pas inébranlable. Les dernières années ont suscité beaucoup d’inquiétudes sur sa pérennité, notamment au regard de l’influence des innovations technologiques. L’on songe en particulier au dossier médical personnel, créé par le législateur dans les années 2000 pour répertorier sur un fichier électronique l’ensemble des informations de santé concernant un patient. Cette innovation a provoqué craintes et interrogations, tant sur la question des personnes habilitées à accéder à ce dossier que sur le risque de piratage inhérent à l’informatisation26.

Le débat suscité par ce dossier médical informatisé offre à observer une réaction très intéressante quant aux techniques de protection du secret : les préconisations visent non seulement à mettre en place des règles de sécurité informatique strictes en ce qui concerne l’accès, le stockage et la transmission du dossier des données de santé informatisées, mais aussi à imputer aux personnes tenues au secret médical la responsabilité de la protection des données auxquelles ils accèdent sur support informatique27. Réciproquement, le Code de la santé publique soumet au secret médical, dans les mêmes conditions que les professionnels de santé, les hébergeurs de données de santé à caractère personnel et les personnes placées sous leur autorité qui ont accès aux données déposées28. Où l’on voit que, pour protéger au mieux le secret médical face à une nouvelle menace, la réaction proposée consiste à renforcer les obligations qui pèsent sur les professionnels. Le premier réflexe, pour assurer la préservation du secret, est donc de l’envisager comme une obligation pesant sur le professionnel et de l’assortir d’une sanction. Résolument, le secret est mieux protégé en tant qu’obligation du professionnel qu’il ne l’est en tant que droit du patient. La force de l’obligation des uns compense la fragilité du droit des autres.

Notes de bas de pages

  • 1.
    On en trouve trace dans le Code pénal, à l’article L. 226-13, mais aussi dans le Code de la santé publique, à l’article L. 1110-4.
  • 2.
    C. pén., art. 378 anc. (1810) : « Les médecins, chirurgiens et autres officiers de santé, ainsi que les pharmaciens, les sages-femmes et toutes autres personnes dépositaires par état ou profession des secrets qu’on leur confie qui, hors les cas où la loi les oblige à se porter dénonciateurs, auront révélé ces secrets, seront punis d’un à six mois de prison et d’une amende de cent francs à cinq cent francs ».
  • 3.
    Depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal le 1er mars 1994.
  • 4.
    Développant cette idée, v. not. Kahn A., « Le secret médical : d’Hippocrate à internet », D. 2009, p. 2623 ; Sargos P., « Les enseignements des secrets trahis de Jules Bastien-Lepage et François Mitterrand », D. 2009, p. 2625, ces deux articles étant publiés au sein d’un dossier du Recueil Dalloz intitulé : « Le secret médical aujourd’hui ».
  • 5.
    La théorie de la « confiance nécessaire » apparaît en jurisprudence (v. not. Cass. crim., 11 mai 1844 : D. 1844, 1, p. 228 – Cass. crim., 8 mai 1947, arrêt Decraene : D. 1948, p. 109, note Gulphe P. ; JCP G 1948, II, n° 4141, note Légal A. ; RSC 1947, p. 403, obs. Hugueney – et, plus tard, Cass. crim., 8 avr. 1998, n° 97-83656 : Bull. crim., n° 138 ; D. 1999, somm., p. 381, obs. Penneau J., énonçant que « l’obligation au secret professionnel, établie par l’article 226-13 du Code pénal, pour assurer la confiance nécessaire à l’exercice de certaines professions ou de certaines fonctions, s’impose aux médecins, hormis les cas où la loi en dispose autrement, comme un devoir de leur état ; que, sous cette seule réserve, elle est générale et absolue »). V. aussi, sur cette théorie, Sargos P., art. préc.
  • 6.
    Exprimant le lien entre la dimension obligationnelle du secret et les nécessités de santé publique, v. not. Archer E., « Les limites structurantes de la relation médecin-magistrat », AJ pénal 2004, p. 147 : « Le secret médical n’est pas un privilège du médecin, mais une obligation professionnelle majeure, instituée dans l’intérêt non seulement du patient concerné, mais surtout des patients passés, présents et à venir (…) voire de toutes les personnes susceptibles d’être soignées : chacun d’entre nous doit pouvoir confier à un médecin toutes les informations nécessaires au diagnostic et au traitement de sa maladie avec la certitude qu’elles ne seront pas divulguées ».
  • 7.
    Dans le Code de déontologie médicale, tel qu’il est codifié à l’article R. 4127-4 du Code de la santé publique, le secret médical est présenté comme l’un des devoirs généraux du médecin. Le Code pénal, quant à lui, sanctionne « la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire » ; l’existence de la sanction pénale implique une obligation pesant sur le dépositaire du secret.
  • 8.
    Il est présenté comme tel dans le Code de la santé publique par l’article L. 1110-4 (inséré dans un chapitre préliminaire du code relatif aux droits de la personne), qui mentionne le droit du patient « au respect de sa vie privée et du secret des informations le concernant ». En cela, il se rattache aussi à l’article 9 du Code civil et à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.
  • 9.
    En ce sens, le Code de déontologie médicale dispose que « le secret professionnel [est] institué dans l’intérêt des patients » (CSP, art. R. 4127-4). En une occurrence, le Conseil d’État a ajouté que le secret était institué « dans le seul intérêt des patients » (CE, 17 juin 1998, n° 156532, imposant le respect du secret même par le médecin exerçant la médecine illégalement).
  • 10.
    Cette possibilité a été introduite par loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 et figure désormais à l’article L. 1111-6 du Code de la santé publique, dans une version modifiée par la récente loi n° 2016-87 du 2 février 2016, venue l’élargir en l’ouvrant aux patients sous tutelle.
  • 11.
    Cass. crim., 18 nov. 1986, n° 85-93308 : Bull. crim., n° 345.
  • 12.
    Sur cette question, v. not. Bicler P., « Respect du contrat ou respect du secret, un dilemme », Médecine & Droit 1995, p. 6 ; Groutel H., « Preuve de la déclaration inexacte du risque et secret médical », Médecine & Droit 2004, p. 105.
  • 13.
    Cass. 1re civ., 29 oct. 2002, n° 99-17187 : Bull. civ. I, n° 244, jugeant qu’une personne souhaitant souscrire un contrat d’assurance peut accepter par avance la divulgation de certains éléments la concernant, renonçant alors elle-même au secret médical.
  • 14.
    La jurisprudence tente d’instaurer un savant équilibre entre le respect du secret médical du patient et la nécessité de permettre à l’assureur de rapporter la preuve d’une éventuelle fraude. Opérant un tel équilibre, v. Cass. 1re civ., 15 juin 2004, n° 01-02238 : Bull. civ. I, n° 171 : « Si le juge civil a le pouvoir d’ordonner à un tiers de communiquer à l’expert les documents nécessaires à l’accomplissement de sa mission, il ne peut, en l’absence de disposition législative spécifique, contraindre un médecin à lui transmettre des informations couvertes par le secret lorsque la personne concernée ou ses ayants droit s’y sont opposés ; il appartient alors au juge saisi sur le fond d’apprécier si cette opposition tend à faire respecter un intérêt légitime ou à faire écarter un élément de preuve et d’en tirer toute conséquence quant à l’exécution du contrat d’assurance ». Adde : Cass. 1re civ., 11 juin 2009, n° 08-12742 : Bull. civ. I, n° 128 : « Le juge civil ne peut, en l’absence de disposition législative spécifique l’y autorisant, ordonner une expertise judiciaire en impartissant à l’expert une mission qui porte atteinte au secret médical sans subordonner l’exécution de cette mission à l’autorisation préalable du patient concerné, sauf à tirer toutes conséquences du refus illégitime ».
  • 15.
    CEDH, 18 mai 2004, n° 58148/00 : D. 2004, jur., p. 1838, note Guedj A. ; D. 2004, somm., p. 2539, obs. Fricero N. ; RTD civ. 2004, p. 483, obs. Hauser J. ; RDSS 2004, p. 841, note Dubouis L.. Au soutien de sa décision, la Cour a invoqué notamment l’intérêt public que représente l’histoire d’un personnage politique, et le temps passé depuis la sortie du livre, rendant moins prégnante l’émotion ressentie par les proches du défunt lors de la sortie de l’ouvrage. Pour une présentation détaillée de cette affaire, v. Sargos P., art. préc.
  • 16.
    V. par ex. CEDH, 10 oct. 2006, n° 7508/02, LL c/ France : RTD civ. 2007, p. 95, obs. Hauser J., jugeant, au sujet de la production en justice d’informations médicales concernant un homme marié, par son épouse, dans le cadre d’une procédure de divorce pour faute, que « l’ingérence dénoncée dans le droit du requérant au respect de sa vie privée, au vu du rôle fondamental que joue la protection des données à caractère personnel, n’était pas proportionnée au but recherché et n’était donc pas nécessaire, dans une société démocratique, à la protection des droits et libertés d’autrui ».
  • 17.
    Sur cette question, v. Manaouil C., « Regards croisés sur le médecin face au partenaire d’un patient séropositif », Médecine & Droit 2008, p. 144.
  • 18.
    Cass. crim., 19 déc. 1885: Bull. crim., n° 363.
  • 19.
    Cass. crim., 8 mai 1947 : Bull. crim., n° 127.
  • 20.
    En ce sens, v. Cass. crim., 8 avr. 1998 : Bull. crim., n° 138.
  • 21.
    Obligation de déclarer les maladies contagieuses et vénériennes aux autorités sanitaires (CSP, art. L. 3113-1) ; les maladies professionnelles à la caisse primaire d’assurance-maladie (CSP, art. L. 461-5) ; les signes évoquant une pratique de dopage à l’antenne médicale de prévention du dopage (C. sport, art. L. 232-3, 3°).
  • 22.
    V. not. Conte P., Droit pénal spécial, 4e éd., 2013, LexisNexis, n° 360 ; Alt-Maes F., « Un exemple de dépénalisation : la liberté de conscience accordée aux personnes tenues au secret professionnel », RSC 1998, p. 301.
  • 23.
    V. not. Peltier V., « Révélation d’une information à caractère secret – Justification de la révélation », JCl. Pénal Code, Fasc. 30, spéc. nos 65 et s.
  • 24.
    Pour une opinion critique, v. not. Sicard D., « Quelles limites au secret médical partagé ? », D. 2009, p. 2634.
  • 25.
    Sur ce sujet, v. not. Zorn-Macrez C., Données de santé et secret partagé. Pour un droit de la personne à la protection de ses données de santé partagées, 2010, Presses Universitaires de Nancy.
  • 26.
    Sur ces débats, v. not. Monnier A., « Le dossier médical personnel : histoire, encadrement juridique et perspectives », RDSS 2009, p. 625 ; Tabuteau D., « Le secret médical et l’évolution du système de santé », D. 2009, p. 2629 ; Birmelé B., Bocquillon B. et Papon R., « Le dossier informatisé : entre partage des données pour une prise en charge optimale du patient et risque de rupture de la confidentialité », Médecine & Droit 2013, p. 135 ; Lacour S., « Du secret médical aux dossiers de santé électroniques. Réflexions juridiques sur la protection des données de santé », Médecine & Droit 2016.
  • 27.
    En ce sens, v. Birmelé B., Bocquillon B. et Papon R., art. préc.
  • 28.
    CSP, art. L. 1111-8, al. 8.
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