L’information dans les relations patrimoniales de couple : entre transparence et indépendance
1. Longtemps, le droit de la famille a été à l’écart des profondes mutations du droit des contrats, qui, sous la poussée du mouvement consumériste, a vu se développer une obligation d’information1, désormais consacrée dans le Code civil2. Tout au plus avait-on le souci d’informer les tiers intéressés de la situation matrimoniale de leur partenaire contractuel3.
Or voici qu’aujourd’hui le droit de la famille et, plus singulièrement, le droit patrimonial des couples, succombent à leur tour à l’irruption du droit à l’information. La famille est « sortie, par étapes du domaine de l’ordre public familial pour verser dans celui du choix, de la liberté, du contrat »4. La part belle laissée au pouvoir de la volonté a pour rançon que chacun des membres du couple doit à l’autre un minimum de sincérité. En effet, sans garde-fous, en pareille matière5, la contractualisation du droit6 risque de devenir une source d’injustice, un moyen de priver l’autre de ses droits. Ainsi, à des relations de couple qui se libèrent et se contractualisent, « on associe des devoirs identiques à ceux que l’on a consacrés en droit des obligations entre cocontractants : devoir de loyauté et de sincérité, exigence de coopération ou de collaboration »7.
2. Pour autant, aucune disposition légale ne consacre de manière générale une obligation d’information dans les relations de couple8. En matière de mariage, le soin d’informer incombe à l’autorité qui célèbre l’union9. C’est elle qui doit transmettre un document d’information sur le droit de la famille lors de l’accomplissement des formalités10, puis donner lecture des articles 212 à 215 du Code civil le jour de la célébration. En revanche, aucune obligation d’informer n’est gravée dans la liste des devoirs des époux11.
Seul le recours au droit commun des contrats pourrait, à première vue, servir de fondement à son essor. Aux confins de la morale12, l’obligation d’information traduit en réalité l’exigence d’une sincérité et d’une loyauté naturelles pour deux êtres qui ont choisi de partager la même destinée, qu’ils soient mariés13, pacsés ou en concubinage. Sans être nécessairement inscrite en toutes lettres dans la loi, cette obligation se conçoit d’elle-même, aussi bien dans la logique d’une institution qui ne peut fonctionner sans un minimum de confiance, que comme un soubassement du pacte passé par deux personnes vivant ensemble. De tout temps, le mensonge, voire le silence, ont fait mauvais ménage avec la vie à deux. On sait qu’ils conduisent même parfois à une annulation pour erreur sur les qualités essentielles14 ou à un divorce pour faute.
3. Pourtant, si l’obligation d’information irrigue les relations de couple tout au long de la vie commune et même au-delà, elle ne saurait être omniprésente en matière patrimoniale. En effet, une si scrupuleuse « transparence conjugale »15 risquerait d’aboutir à des résultats paradoxaux, par une confusion malencontreuse entre le droit et la morale. À n’écouter que cette dernière, en effet, il faudrait tout se dire, et, bien sûr, prononcer toute la vérité et rien que la vérité, au nom de l’infaillible loyauté qu’exige la vie à deux.
Or imposer une obligation de cette ampleur contreviendrait au droit : elle porterait une atteinte excessive à la liberté de chacun, désormais consacrée jusque dans le mariage ; elle se heurterait aux pouvoirs que confère le régime patrimonial.
4. Un fragile équilibre est donc à poser entre un degré élevé de transparence, justifié par la protection de l’autre et de ses droits, et le nécessaire respect de l’indépendance inaliénable de chacun. Cela explique que l’obligation d’information dans les relations patrimoniales de couples est très singulière.
Tout est à doser, aussi bien lorsque l’information doit être livrée que lorsqu’elle peut être retenue. Entre transparence et indépendance, il faut faire la part du feu. En somme, en couple, tout n’est pas à révéler, mais tout n’est pas à dissimuler.
Dire (I) ou taire (II) ? Voilà la question…
I – Dire ?
5. L’obligation d’information patrimoniale dans le couple s’inscrit dans cette évolution allant vers la protection du plus fragile. Elle traduit l’obligation de ne pas profiter d’une faiblesse de l’autre.
C’est pourquoi son intensité varie selon que le couple est uni ou en crise. Spéciale, donc restreinte durant l’union (A), elle prend une valeur générale lors de la désunion, en raison d’une exigence supérieure de protection (B).
A – Obligation spéciale d’information durant l’union
6. Durant la vie commune, l’obligation d’information doit composer avec l’indépendance de chacun, chèrement conquise par la femme mariée, et désormais consacrée en droit patrimonial des couples.
Or cette aspiration à l’indépendance ne saurait être garantie si les membres d’un couple étaient astreints à s’informer mutuellement de manière systématique. La vie à deux suppose certes une certaine confiance, mais elle ne saurait être « rythmée par l’envoi de lettres recommandées »16, de SMS ou de courriels d’information pour toute initiative patrimoniale, même insignifiante.
Source de pesanteurs inutiles, une telle exigence perturberait le quotidien17. Tout au plus peut-elle faire figure d’éventuelle règle de conduite librement consentie, adaptée aux aspirations et au mode de vie de chacun, mais dépourvue, par hypothèse, de la moindre portée normative.
7. Une obligation générale d’information n’est pas concevable pour les pouvoirs exclusifs portant sur des biens appartenant à l’un des membres du couple en raison de la liberté patrimoniale reconnue à chacun18 ou ceux accordés pour garantir l’autonomie professionnelle19. En revanche, un fonctionnement harmonieux de la gestion concurrente entre deux époux communs en biens ne suppose-t-il pas un devoir général d’information patrimoniale ? La collaboration, qui constitue le pilier du régime de communauté, implique que celui qui agit en informe son conjoint20. Bienvenue entre époux, une certaine transparence l’est aussi dans les relations avec les tiers, puisqu’elle évite les actes contradictoires présentant des risques pour ces derniers comme pour la communauté.
Toutefois, collaborer signifie simplement qu’« ensemble ou séparément, les époux communs ont le devoir d’œuvrer à la prospérité commune »21. Ce devoir-là exclut toute dilapidation des biens communs à des fins égoïstes22 ; mais il n’exige pas en soi une information permanente. On peut contribuer à l’enrichissement du ménage sans avoir besoin de tenir l’autre informé des moindres actes conclus en vertu de pouvoirs attribués par le régime matrimonial. C’est pourquoi la jurisprudence, confirmée à maintes reprises, a refusé de consacrer une obligation générale d’information. La gestion concurrente promeut non seulement l’égalité des époux, mais encore leur indépendance.
C’est la raison pour laquelle l’obligation d’informer ne naît qu’au moment de la liquidation, si le conjoint le requiert, et porte seulement sur l’utilisation de deniers communs d’un montant important23. En l’absence de contentieux, les risques d’un déficit d’information sont plus théoriques que réels durant le régime24. En revanche, ils deviennent névralgiques lorsque sonne l’heure du règlement des comptes, car l’enjeu est sensible de déterminer la masse partageable ainsi que les droits de chacun25.
8. La solution jurisprudentielle mérite d’être étendue aux partenaires ayant opté pour le régime conventionnel de l’indivision d’acquêts.
En effet, chaque partenaire est gérant de l’indivision et peut exercer les pouvoirs reconnus par les articles 1873-6 et 1873-8 du Code civil26. Or à quelques nuances près, ce sont les mêmes que ceux attribués à chaque époux sur les biens communs27. Il n’est donc pas à exclure que la jurisprudence s’inspire ici de cela, par identité de raisons.
9. Bien que dénuée de portée générale, l’obligation d’information s’impose à certains moments-clés qui nécessitent soit une réflexion commune du couple, soit une alerte de l’un par l’autre. Tout d’abord, les principaux actes graves portant sur des biens communs28 ou indivis29 relèvent d’une cogestion. Certes, ce dispositif ne comporte pas à proprement parler d’obligation d’information ; mais la coparticipation à l’acte sous peine de nullité y pourvoit à l’évidence parfaitement30.
En matière de passif, ensuite, les dangers du régime de communauté ont conduit le législateur à imposer à tout époux faisant le choix d’une profession à risque une obligation spéciale d’information31. Celui-ci doit justifier, lors de sa demande d’immatriculation à un registre de publicité légale à caractère professionnel, que « son conjoint a été informé des conséquences sur les biens communs des dettes contractées dans l’exercice de sa profession »32. Une obligation similaire est imposée à l’entrepreneur individuel qui affecte des biens communs ou indivis à son patrimoine professionnel. Il doit justifier de l’accord exprès de son conjoint ou de l’autre coïndivisaire à l’affectation, ainsi que de son information préalable sur les droits des créanciers constitués postérieurement au dépôt de la déclaration d’affectation33.
Enfin, une semblable obligation se justifie parfois par la possibilité pour le conjoint de revendiquer un droit. Ainsi, lorsqu’un époux emploie des biens communs pour faire un apport en société ou acquérir des parts sociales non négociables, l’article 1832-2 du Code civil n’exige pas le consentement de l’autre conjoint, mais impose, sous peine de nullité, son information. L’objectif est de lui permettre de revendiquer, s’il le souhaite, la qualité d’associé pour la moitié des parts souscrites ou acquises.
10. À ces applications ponctuelles s’ajoutent celles issues du droit commun, dès lors que les personnes vivant ensemble sont liées par un contrat34. Cependant, ce devoir d’information, qui découle purement et simplement de la qualité de partie, ne confère pas à l’obligation d’information un caractère général comme il en va à l’occasion de la rupture du couple.
B – Obligation générale d’information lors de la désunion
11. Pendant longtemps la rare disposition imposant aux époux de se communiquer réciproquement, et de faire connaître aux experts désignés par le juge, tous renseignements et documents utiles à la liquidation, concernait le régime de la participation aux acquêts35.La contractualisation croissante des conséquences patrimoniales de la rupture du couple fait désormais de l’obligation d’information une pièce maîtresse de la désunion. Les réformes successives du divorce ont eu pour credo de laisser une large place à la volonté des époux et de favoriser la conclusion d’accords négociés tout au long de la procédure36 ; la consécration du divorce sans juge en est l’aboutissement. De même, les partenaires procèdent eux-mêmes à la liquidation des droits et obligations résultant pour eux du pacs37.
Dans cette phase, rien n’interdit au couple de favoriser l’un par rapport à l’autre en écartant les règles de leur régime patrimonial et en pratiquant notamment un partage inégalitaire ; mais cette faculté suppose que chacun ait une exacte connaissance de ses droits sur la masse de biens à partager. Le respect d’une obligation d’information est une condition sine qua non d’une juste négociation38.
En conséquence, cette tendance à laisser aux membres du couple qui se sépare le soin de régler par eux-mêmes les conséquences patrimoniales de leur rupture suppose entre eux un minimum de transparence39. Or qui dit transparence dit loyauté et, inévitablement, obligation d’information, que la rupture soit contentieuse ou non.
12. Lorsque la séparation est contentieuse, cette transparence dans le couple désuni découle des principes directeurs du procès40. Le destinataire de l’information est certes l’autre partie au procès, mais aussi très souvent le juge chargé de veiller à la sauvegarde des intérêts de chacun.
En matière de divorce, une obligation d’information existe dès lors qu’est exigée une proposition de règlement des conséquences patrimoniales de la dissolution du mariage ; et tout au long de la procédure, un devoir de communication pèse sur les époux, parties au procès41. Tous renseignements et documents utiles pour fixer les pensions et prestations et pour liquider le régime matrimonial doivent être remis non seulement aux parties mais aussi au juge, aux experts et à toutes autres personnes désignées par le juge42. D’ailleurs, s’agissant de la fixation de la prestation compensatoire ou de sa révision, les parties fournissent une déclaration certifiant sur l’honneur l’exactitude de leurs ressources, revenus, patrimoine et conditions de vie43.
Une telle exigence se retrouve en cas de rupture contentieuse du pacs ou du concubinage.
13. Lorsque la rupture est conventionnelle, le droit commun retrouve son empire. Ces accords procèdent de volontés libres et éclairées, et ce rôle ne peut être assuré que par une obligation d’information.
Ainsi, dans le nouveau divorce sans juge, le consentement éclairé des époux est un élément essentiel ; à telle enseigne que la circulaire du 26 janvier 2017 affirme sans ambiguïté que le caractère conventionnel rend obligatoire le jeu des dispositions du Code civil sur le droit des contrats44.
Cette application impose aux époux d’être loyaux et, par conséquent, de satisfaire à un devoir précontractuel d’information tel que prévu à l’article 1112-1 du Code civil. Une certaine transparence est nécessaire sur tous les éléments déterminants du consentement des parties. La réalisation prochaine d’une opération immobilière ou d’un projet professionnel peut avoir des effets sur l’accord des parties45. S’impose de ce fait un processus collaboratif qui sécurise la convention de divorce sans juge46.
La transmission de toutes les informations essentielles n’est pas anodine. Une réticence sur ce chapitre, loin d’ouvrir un simple contentieux post-divorce comme auparavant, devient un motif pour engager la responsabilité contractuelle de la partie omettant d’en faire part et surtout, peut constituer une cause de nullité.
14. Somme toute, le respect d’un principe de loyauté patrimoniale entre personnes qui se séparent justifie l’émergence d’une obligation générale d’information, clé de la réussite de toutes ruptures, négociées ou non. C’est aussi la raison d’être de la jurisprudence sur l’obligation de rendre compte, lors des opérations liquidatives, en cas d’utilisation de deniers communs47. Cependant, qu’elle soit générale ou spéciale, une telle obligation n’a de sens et d’efficacité que si la personne créancière est investie en même temps des moyens de la faire respecter.
II – Taire ?
15. Craignons comme une chimère dangereuse le rêve idyllique d’une « confession »48 patrimoniale généralisée dans le couple : fragilisant le lien de couple, un excès de transparence risquerait d’aboutir au résultat même que l’on cherche à prévenir. C’est pourquoi, le droit à un certain secret patrimonial est reconnu à la personne en couple (A). Toutefois, loin d’être absolu, ce droit rend complexe la détermination de la sanction en cas de découverte d’une information non révélée. Le dosage de l’obligation d’information en fonction du degré de protection nécessite donc des sanctions adaptées (B).
A – Le droit à un certain secret patrimonial
16. Vivre en couple abolit-il automatiquement tout droit de garder le secret sur son patrimoine ?
L’obligation d’informer se trouve parfois neutralisée par des prérogatives antagonistes49. À ce titre, quiconque détient l’information a le droit, voire parfois le devoir, de ne pas la transmettre. En disposant que « chacun a droit au respect de sa vie privée », l’article 9, alinéa 1er, du Code civil consacre un droit au secret de la vie privée au profit de tout être humain. Ce droit est opposable à tout curieux, sans qu’il y ait lieu de distinguer entre le public et un membre de la famille. Le droit au secret préserve pour chacun son quant-à-soi, jusque dans le couple50 ; or le patrimoine individuel n’est en rien exclu de cette sphère d’intimité.
Peut-on néanmoins impunément taire à sa guise des informations de nature patrimoniale, et même opposer le secret à son partenaire indiscret qui prétendrait tout savoir ou tout contrôler ? Convenons qu’un tel droit au secret s’exerce ici dans un environnement particulier : l’intéressé n’est pas un tiers comme les autres. C’est pourquoi certains silences gardés dans le couple sur des éléments patrimoniaux sont, malgré tout, exposés à sanction.
17. Comme tout droit, le droit au secret n’est pas absolu51 et il cède le pas lorsque la transmission de l’information s’impose directement ou indirectement en vertu d’une obligation légale.
Par exemple, l’individu qui gère en secret une partie de ses biens personnels en a, en principe, parfaitement le droit. Par exception, cette clandestinité risque néanmoins d’aboutir à un manquement au devoir de contribuer pour sa part loyale aux charges du mariage ou à l’aide matérielle entre partenaires liés par un pacs. En effet, le montant de cette contribution est déterminé à proportion des facultés respectives52, ce qui suppose de mettre en regard l’étendue des avoirs et des ressources de chacun. Cette obligation restreint considérablement le champ du droit au secret en matière patrimoniale.
18. Face au refus d’un membre du couple de divulguer des éléments de son patrimoine caché, il serait tentant de se tourner vers un tiers détenteur de l’information.
Le créancier de l’information risque se voir opposer derechef un autre secret, cette fois de nature professionnelle. Ainsi, serait-on marié53, chacun est, au regard d’un établissement bancaire, étranger l’un à l’autre ; hormis l’hypothèse d’un compte joint ou d’une procuration consentie à son époux, nul n’a de droit de regard sur les avoirs inscrits par l’autre. Le banquier se réfugiera derrière le secret bancaire, même si les sommes versées sont communes ou indivises54. Il engagerait sa responsabilité s’il en faisait autrement.
Tout aussi intransigeant, le secret professionnel interdit au notaire de révéler au conjoint le remploi réalisé par un époux commun en biens55 ; et il en va de même de l’acquisition que projette de faire un époux en instance de divorce seul, une fois que la communauté sera dissoute, à l’aide de deniers personnels et sans fraude aux droits de l’autre, puisque ledit bien n’a pas vocation, sauf si le divorce venait à n’être pas prononcé, à entrer dans la communauté56.
19. Au demeurant, si l’intangibilité des secrets pénalement protégés est affirmée par le droit français à titre de principe, la loi peut parfois y faire échec, soit qu’elle impose, soit qu’elle autorise la levée du secret.
Ainsi, à l’occasion d’une procédure de divorce, le juge aux affaires familiales peut rendre une ordonnance enjoignant à la banque57 de lui faire connaître certains renseignements concernant les avoirs de l’un ou l’autre époux58.
De même, le secret d’un professionnel peut être levé à propos d’une affaire de contribution aux charges du ménage ou d’aide matérielle entre partenaires59.
En définitive, reconnu à chacun des membres du couple, le droit au secret en matière patrimoniale trouve notamment sa limite dans le caractère général de l’obligation d’information en cas de conflit dans le couple.
B – L’existence de sanctions adaptées au couple
20. L’existence de sanctions adaptées à la spécificité d’un couple a toujours été un obstacle au développement de l’obligation d’information. Même les plus ardents défenseurs de cette généralisation s’y sont heurtés60 car, sauf à en faire un motif de divorce ou de rupture, il n’est pas aisé de sanctionner rigoureusement une telle obligation.
Comme en matière contractuelle, la nullité occupe une place importante dans les relations de couple. De même, la responsabilité n’est pas exclue, que ce soit dans les relations entre époux ou dans celles entre concubins ou partenaires61.
Dans le régime de communauté, l’article 1421 du Code civil précise même que les époux doivent répondre des fautes qu’ils auraient commises dans leur gestion, le manquement à l’obligation d’information, révélateur d’un comportement dommageable aux intérêts communs pouvant constituer une faute de gestion.
21. Il existe une singularité de l’information transmise entre deux personnes vivant ensemble, et qui atténue considérablement la place du droit commun au profit de sanctions spécifiques.
Ainsi, certaines obligations particulières d’information précisent la nature de la sanction dont elles sont assorties. Cela peut aller de la simple inopposabilité62 à la nullité de l’acte sans égard pour le caractère déterminant ou non de l’information par rapport au consentement63.
En l’absence de précision, la sanction se déduit parfois du mécanisme mis en place. Il en va ainsi de la justification de l’information à fournir au conjoint lors de la demande d’immatriculation de l’époux commerçant : la sanction logique est le refus par le greffier d’immatriculer le commerçant dépourvu de l’attestation de délivrance de l’information64. La violation qui trahit l’égoïsme de l’époux pourrait même donner lieu à une restriction judiciaire de pouvoirs65.
22. Lors de la désunion, le souci de protéger de façon efficace le partenaire victime du défaut d’information ou d’une information défectueuse incite à rechercher des sanctions plus appropriées.
En matière de partage, l’obligation d’information est la raison d’être du recel66, qui sanctionne une manœuvre visant à rompre frauduleusement l’égalité du partage en dissimulant sciemment un bien ou une dette. Le recel peut se matérialiser par un simple silence ou par la délivrance d’une information erronée. Il présente surtout l’intérêt de ne pas remettre rétroactivement en cause le partage, comme le ferait une nullité, mais de priver le receleur de sa part dans le bien recelé ou de l’obliger à assumer la dette dissimulée. En conséquence, il apparaît comme la sanction la plus adéquate.
Toutefois ce mécanisme est limité au partage de communauté67 ou au partage successoral68. La jurisprudence refuse de l’étendre à des indivisions conventionnelles entre époux séparés de biens69 et elle retiendrait vraisemblablement la même solution pour les partenaires ou les concubins. En revanche, elle l’applique à tous les partages de communauté, y compris ceux inclus dans une convention de divorce, fût-elle homologuée, a fortiori pour le divorce conventionnel.
Il est vrai que le principe d’interprétation stricte de textes imposant une peine privée s’oppose à la généralisation du recel ; mais de lege ferenda, la question de son extension aux indivisions se pose, ne serait-ce que pour l’indivision d’acquêts entre partenaires optant pour le régime conventionnel. Cette extension serait en concordance avec le caractère de l’obligation d’information lors d’un partage issu de la désunion d’un couple. Le recel incite à la loyauté non seulement par la menace qu’il agite, mais encore à travers la faculté de repentir ménagée au receleur.
23. En général, transparence et sincérité sont peut-être le dernier rempart dans le couple contre une liberté excessive, source d’arbitraire.
Cependant, on voit bien qu’en matière patrimoniale, un équilibre subtil doit être recherché entre l’indépendance de chacun, principe cardinal du droit des couples, et la nécessaire protection du plus fragile des deux. N’est-ce pas là une mission fondamentale du droit que, bienveillant au faible, il doive pourtant se garder de s’aventurer dans les dédales de la conscience70 ?
Notes de bas de pages
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1.
Sur le sujet, Fabre-Magnan M., De l’obligation d’information dans les contrats, Essai d’une théorie de l’information, Ghestin J. (préf.), t. 221, 1992, LGDJ, Bibliothèque de droit privé.
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2.
C. civ., art. 1112-1, issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. Ce texte parle de « devoir » plutôt que d’« obligation ». Il s’agit bien d’une obligation puisque le débiteur doit exécuter une prestation. En ce sens Fabre-Magnan M., « Le devoir d’information dans les contrats : essai de tableau général après la réforme », JCP 2016, 706.
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3.
Le mariage, le contrat de mariage, le changement de régime matrimonial et plus récemment le pacte civil de solidarité (Pacs) font l’objet d’une publicité qui assure la sécurité des tiers. De plus, en matière de changement de régime matrimonial, l’article 1397, alinéa 2 précise que les personnes parties dans le contrat modifié et les enfants majeurs de chaque époux sont personnellement informés de la modification envisagée. De même, les créanciers sont informés par la publication d’un avis dans un journal habilité à recevoir les annonces légales. Chacun d’eux peut s’opposer à la modification dans le délai de 3 mois.
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4.
Ferré-André S., « Un an de divorce sans juge : vade-mecum controversé d’un processus de divorcialité contractualisé », AJ fam. 2018, p. 81.
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5.
Un pas de plus a été franchi avec le divorce par consentement mutuel extrajudiciaire consacré aux articles 229-1 à 229-4 du Code civil ; v. Beignier B., Qui prononce le divorce sans juge ? Qui maie ? – Du droit privé au droit privé de la famille », Dr. famille 2017, repère 4.
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6.
V. Moracchini-Zeidenberg S., « La contractualisation du droit de la famille », RTD civ. 2016, p. 773.
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7.
V. Tisserand-Martin A., « Devoir de loyauté et obligation d’information entre époux divorçant », in Mélanges Philippe Simler, 2006, Litec, p. 207.
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8.
Le terme « information » est peu répertorié dans les index des principaux ouvrages en droit de la famille.
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9.
V. Dagot M., « Le certificat notarial prénuptial », JCP 1997, I 97, qui rappelle la demande de la pratique d’une information prénuptiale délivrée par un notaire.
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10.
L. n° 2001-1135, 3 déc. 2001, art. 22, loi relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral. Un décret du 23 décembre 2002 précise le contenu du document que les futurs mariés doivent recevoir et qui comporte dix rubriques qui précisent de manière schématique les droits et devoirs respectifs des époux, les différents régimes matrimoniaux et leur fonctionnement ; v. Grillon G., « L’information prénuptiale, Décret n° 2002-1556 du 23 décembre 2002 », JCP 2003, Act., 87.
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11.
Respect, fidélité, secours et assistance (C. civ., art. 212).
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12.
V. Fabre-Magnan M., op. cit., nos 50 et s., pour le lien avec la morale.
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13.
V. Guyon Y., « L’obligation de sincérité dans le mariage », RTD civ. 1964, p. 473.
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14.
C. civ., art. 180.
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15.
Guyon Y., op. cit., p. 489, n° 17, par analogie à la transparence fiscale.
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16.
Flour J. et Champenois G., Les régimes matrimoniaux, 2e éd., 2001, Armand colin, n° 348.
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17.
En ce sens Cabrillac R., « L’information entre époux dans les régimes matrimoniaux », in Mélanges Gérard Champenois, 2012, Lextenso, p. 134, n° 11.
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18.
C. civ., art. 225, disposition du régime primaire impératif.
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19.
C. civ., art. 223, disposition du régime primaire impératif et C. civ., art. 1421, al. 2, pour le régime de la communauté légale. En ce sens Cabrillac R., op. cit., p. 135, n° 13.
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20.
En ce sens Cabrillac R., op. cit., p. 129 ; Vauvillé F., Les pouvoirs concurrents en droit de la famille, thèse, t. 1, 1991, Lille 2, p. 379 ; Brémond V., note sous D. 2003, p. 2597.
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21.
En ce sens Cornu G., Les régimes matrimoniaux, 1997, PUF, Thémis, p. 432.
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22.
Sur ce devoir, v. Blanc G., « De l’idée d’association comme fondement du pouvoir des époux communs en biens », RTD civ. 1988, p. 39 et Brémond V., La collaboration entre époux : contribution à l’étude des fondements de la communauté, thèse, 1997, Lille II.
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23.
Cass. 1re civ., 16 mars 1999, n° 97-11030 : Bull. civ. I, n° 89 ; Dr. fam. 1999, comm. 82, note Beignier B. ; Defrénois 15 juill. 1999, n° 37017-61, p. 811, obs. Champenois G. ; RTD civ. 2001, p. 189, obs. Vareille B. – v. aussi Cass. 1re civ., 23 avr. 2003, n° 01-02485 : D. 2003, p. 2597, note Brémond V. ; JCP N 2004, 1415, obs. Casey J. – Cass. 1re civ., 14 févr. 2006, n° 03-20082 : Bull. civ. I, n° 66 ; JCP 2006, I 141, n° 18, obs. Simler P. – Cass. 1re civ., 24 sept. 2014, n° 13-17593, F-D : LPA 12 mai 2015, p. 7, note Yildirim G. – Cass. 1re civ., 13 juill. 2016, n° 15-14178 : Juris-Data n° 2016-013799 ; JCP G 2016, doctr. 1330, n° 8, obs. Simler P., pour des sommes importantes provenant du prix de cession d’actions acquises par le couple, d’une indemnité de licenciement, du prix de vente d’un bateau et des loyers d’un appartement commun.
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24.
Ce risque n’a pas échappé à la sagacité du ministre de la Justice de l’époque qui, pour l’écarter, s’est référé à la sociologie juridique ainsi qu’au droit comparé ; v. Badinter R., Exposé des motifs, p. 5.
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25.
Contra Cabrillac R., op. cit., p. 133 et s. et Droit des régimes matrimoniaux, 10e éd., 2017, Précis Domat, n° 222, p. 192, note 25, qui s’interroge sur une éventuelle généralisation de l’obligation d’information pour des époux communs en biens et qui estime qu’elle ne doit pas se limiter à la liquidation.
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26.
C. civ., art. 515-5-3.
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27.
C. civ., art. 1873-6, al. 2.
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28.
C. civ., art. 1422 ; C. civ., art. 1424 ; C. civ., art. 1425.
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29.
En matière d’indivision, certains actes échappent à la règle de l’unanimité et nécessitent une majorité des deux tiers à charge d’en informer les autres coindivisaires (art. 815-3). Cette règle a néanmoins une application très limitée en matière de couple.
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30.
En ce sens Cabrillac R., op. cit., p. 135, qui réserve l’hypothèse de la fraude vis-à-vis du conjoint qui donne son consentement sans avoir la réelle motivation.
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31.
C. com., art. L. 526-4, issu de la loi du 1er août 2003 pour l’initiative économique.
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32.
Dagot M., « L’information du conjoint du commerçant », JCP N 2004, 1165.
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33.
C. com., art. L. 526-11, al. 1er, issu de la loi du 15 juin 2010 relative à l’EIRL.
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34.
On rappellera que le contrat de mariage (CA Paris, 14 déc. 1999 : Juris-Data n° 104435 ; Dr. famille 2001, n° 19, note Beignier B.), la convention de changement du régime matrimonial (Cass. 1re civ., 29 mai 2013, n° 12-10027, P : D. 2013, p. 2088, note Souhami J. ; ibid., p. 2242, obs. Brémond V. ; AJ fam. 2013, p. 453, obs. Hilt P. ; RTD civ. 2013, p. 590, obs. Hauser J. ; Defrénois 15 janv. 2014, n° 114q9, p. 14, obs. Rousseau E. ; JCP N 2013, 1221, note Le Guidec R.), la convention de PACS ou tout autre contrat est annulable lorsque l’un des deux n’a pas transmis à l’autre une information déterminante de son consentement.
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35.
C. civ., art. 1578, al. 3, issu de la loi du 13 juillet 1965 portant réforme du droit des régimes matrimoniaux.
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36.
C. civ., art. 265-2 et C. civ., art. 268.
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37.
C. civ., art. 515-7, al. 10.
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38.
En ce sens Tisserand-Martin A., op. cit., p. 219.
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39.
V. le dossier « Divorce et transparence », AJ fam. 2009, nos 10-11.
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40.
V. Trivaudey C., « L’information des droits de la défense dans le procès civil ».
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41.
V. Claux P.-J., « Transparence et loyauté dans le divorce : liquidation et partage », AJ fam. 2009, p. 439.
-
42.
C. civ., art. 259-3.
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43.
C. civ., art. 272 ; v. Lienhard C., « La déclaration sur l’honneur, mode d’emploi, enfin ! », AJ fam. 2003, p. 62.
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44.
BOMJ n° 2017-06, 30 juin 2017, p. 9 ; en ce sens Thouret S., « Le nouveau divorce par consentement mutuel ou le divorce sans juge », AJ fam. 2016, p. 568.
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45.
En ce sens Butruille-Cardew C., « Les atouts du processus collaboratif dans le nouveau divorce par consentement mutuel », AJ fam. 2018, p. 152.
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46.
Sur les difficultés posées v. Filosa D., « L’articulation du contrat collaboratif et agrégatif de divorce par consentement mutuel », AJ fam. 2018, p. 85.
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47.
V. supra n° 7.
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48.
Guyon Y., op. cit., p. 477, n° 5.
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49.
V. Fabre-Magnan M., De l’obligation d’information dans les contrats, Essai d’une théorie de l’information, Ghestin J. (préf.), t. 221, 1992, LGDJ, Bibliothèque de droit privé, n° 186 ; v. plus largement, L’information en droit privé, Travaux de la conférence d’agrégation, Loussouarn Y. et Lagarde P. (dir.), 1978, LGDJ, Bibliothèque de droit privé, spéc. p. 403 et s.
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50.
Leprince C., « Le secret de la personne mariée opposée à son conjoint », LPA 14 nov. 2016, n° 119u6, p. 24 ; en ce sens Guyon Y., op. cit., p. 490 pour qui « la sincérité se concilie avec la discrétion ».
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51.
En ce sens Leprince C., op. cit., p. 27.
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52.
C. civ., art. 214, pour les époux et C. civ., art. 515-4 pour les partenaires.
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53.
C. civ., art. 221, qui reconnaît une présomption de pouvoir en matière bancaire.
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54.
Cass. 1re civ., 8 juill. 2009, n° 08-17300 : D. 2009, AJ, p. 1970, obs. Égéa V. ; ibid. 2010, p. 360, note Chénedé F. ; ibid. 2010, Pan, p. 728, obs. Lemouland J.-J. et Vigneau D. ; JCP 2009, 353, note Naudin E. ; ibid. 391, n° 5, obs. Wiederkehr G.
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55.
Le remploi est un acte unilatéral qui ne nécessite ni la présence du conjoint, ni son consentement, même en cas de contribution de la communauté ; v. Cass. 1re civ., 19 mai 1998, n° 95-22083, P : JCP 1999, II 10127, note Mahinga J. ; JCP 1998, I 183, n° 2, obs. Simler P. ; Defrénois 15 déc. 1998, n° 36903-140, p. 1466, obs. Champenois G. ; RTD civ. 1999, p. 458, obs. Vareille B.
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56.
Cass. 1re civ., 4 juin 2007, n° 06-14609 : Bull. civ. I, n° 221 ; Chiariny-Daudet A.-C., « Acquisition par un époux en instance de divorce : le notaire doit garder le secret ! », D. 2008, p. 137.
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57.
Crédot F.-J., « Le secret bancaire entre époux », AJ 2009, p. 378 ; Plot C., « Pouvoirs du juge aux affaires familiales dans le cadre d’une séparation et autonomie bancaire », AJ fam. 2011, p. 403.
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58.
L’article 259-3 du Code civil permet « au juge de faire procéder à toutes recherches utiles auprès des débiteurs ou de ceux qui détiennent des valeurs pour le compte des époux sans que le secret professionnel puisse être opposé ».
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59.
De même, le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à l’application des dispositions de l’article 145 du nouveau Code de procédure civile, dès lors que le juge constate que les mesures qu’il ordonne procèdent d’un intérêt légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées : Cass. 2e civ., 7 janv. 1999, n° 95-21934 : BJS juin 1999, n° 148, p. 666, note Lucas F.-X. ; Bouty R. et Quéguiner J.-S., « Secret et droit de la preuve », LPA 14 nov. 2016, n° 119u3, p. 6 ; pour les époux, v. Dhalluin B., « Comment savoir si le conjoint détient des intérêts dans une société ? », AJ fam. 2009, p. 447.
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60.
En ce sens Champenois G., op. cit., n° 348 qui reconnaît que « la règle aurait une fonction plus “pédagogique” que juridique » ; Cabrillac R., op. cit., p. 137.
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61.
C. civ., art. 515-7, al. 10, qui fait référence à la réparation du dommage subi par un partenaire. De même, en matière de concubinage, la jurisprudence applique régulièrement les règles de la responsabilité civile.
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62.
V. C. com., art. L. 526-11, al. 1er, pour les biens communs ou indivis affectés à une EIRL et C. civ., art. 815-3 en matière d’indivision.
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63.
V. C. civ., art. 1832-2, pour la souscription ou l’acquisition de parts sociales non négociables grâce à des biens communs.
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64.
En ce sens Dagot M., art. préc., n° 25.
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65.
C. civ., art. 220-1 ; C. civ., art. 1426 ; C. civ., art. 1429.
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66.
En ce sens Tisserand-Martin A., op. cit., p. 221 et Claux P.-J., op. cit., p. 439.
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67.
C. civ., art. 1477.
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68.
C. civ., art. 778.
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69.
En ce sens Cass. 1re civ., 19 mars 2008, n° 06-16346, P : RLDC 2008/5, n° 3000, obs. Jeanne N. pour des biens indivis acquis par des époux séparés de biens – Cass. 1re civ., 4 mai 2011, n° 10-15787, P : D. 2011, actu., p. 1348, obs. Marrocchela J. ; ibid., p. 2005, note Mauger-Vielpeau M. ; AJ fam. 2011, p. 332, obs. Hilt P. ; Defrénois 30 août 2011, n° 40066, p. 1226, note Autem D. ; Dr. famille 2011, n° 100, obs. Beignier B. ; RLDC 2011/84, n° 4317, note Mésa R. ; RTD civ. 2011, p. 579, obs. Vareille B., pour des époux mariés sous la participation aux acquêts.
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70.
En ce sens Guyon Y., op. cit., p. 497, qui s’interroge : « qui sait si un législateur, sorti d’un roman de George Orwell ou d’Aldous Huxley, n’invoquerait pas ce précèdent pour imposer aux époux, non plus la sincérité, mais l’amour ! ».