Garantie décennale versus effet relatif des conventions
Par un arrêt du 19 mars 2020, la Cour de cassation déclare qu’une clause contractuelle contenue dans un acte de vente ayant pour effet de faire échec à la garantie décennale du constructeur doit être réputée non-écrite. Elle va ainsi beaucoup plus loin que le pourvoi, qui invoquait seulement l’inopposabilité de la clause, sur le fondement de l’effet relatif des contrats.
Cass. 3e civ., 19 mars 2020, no 18-22983
L’arrêt de la troisième chambre civile rendu le 19 mars 2020 est intéressant aussi bien du point de vue du droit commun des contrats que du point de vue du droit des contrats spéciaux.
En effet, afin de déclarer une clause contractuelle inapplicable à un tiers au contrat, l’arrêt préfère se fonder sur la qualité particulière du tiers – un constructeur – et sur l’existence d’une garantie décennale, plutôt que sur le principe général d’effet relatif des conventions qu’invoquait le pourvoi. Et l’arrêt le fait de manière particulièrement nette, par le biais d’un moyen de pur droit relevé d’office.
En l’espèce, un couple avait vendu une maison d’habitation en précisant que le bien était raccordé à un système d’assainissement individuel en bon état de marche. Dans l’acte notarié, les acquéreurs déclaraient prendre acte de la situation, en faire leur affaire personnelle et renoncer à tout recours contre quiconque.
Bientôt, des dysfonctionnements apparurent et les acquéreurs assignèrent, après expertise, non pas les vendeurs, mais l’entrepreneur qui avait réalisé le système d’assainissement, sur le fondement de la garantie décennale.
La cour d’appel, constatant qu’une clause de l’acte de vente excluait tout recours contre quiconque concernant le réseau d’assainissement, déclarait les acquéreurs irrecevables pour cause d’exclusion de la garantie décennale.
Les acquéreurs formaient un pourvoi en cassation sur le fondement du principe d’effet relatif des conventions. Ils soutenaient que la clause de non-recours stipulée dans le contrat n’impliquait qu’une renonciation à recours à l’égard des vendeurs, mais non à l’égard du constructeur, tiers à l’acte de vente.
La troisième chambre civile de la Cour de cassation, saisie de l’affaire, casse l’arrêt d’appel et soulève un moyen d’office qui se substitue à celui du pourvoi. La clause litigieuse, déclare-t-elle, « avait pour effet d’exclure la garantie décennale des constructeurs et devait, par suite, être réputée non écrite ».
Aux termes de l’article 620, alinéa 2, du Code de procédure civile, la Cour de cassation peut, en effet, « casser la décision attaquée en relevant d’office un moyen de pur droit ». Dans cette hypothèse, la Cour fait application au litige d’une règle de droit différente de celle invoquée par le pourvoi.
Le moyen de pur droit ne met en jeu aucun fait qui ne soit déjà constaté par la décision attaquée et concerne souvent une règle d’ordre public.
La Cour de cassation rappelle ainsi que la garantie décennale est une règle d’ordre public (I) et que toute clause contractuelle ayant pour effet d’y faire échec doit être réputée non-écrite (II).
I – Le caractère d’ordre public de la garantie décennale
La troisième chambre civile choisit d’écarter le principe de droit commun invoqué par le pourvoi (A) pour lui préférer le moyen tiré de la garantie décennale, règle d’ordre public s’imposant aux contractants (B).
A – Le moyen écarté : l’effet relatif des conventions
Pour remettre en cause l’arrêt d’appel, qui considérait que la clause litigieuse avait force obligatoire puisqu’elle était claire et avait été acceptée par les parties, le pourvoi soulevait le principe d’effet relatif des conventions.
Ce principe classique du droit commun signifie que les contrats ne produisent d’effets qu’entre les parties contractantes. Ce qui ne veut pas dire que les tiers doivent ignorer complètement l’existence du contrat1, mais qu’ils ne peuvent être rendus débiteurs ou créanciers des obligations qui y sont contenues2.
Le principe d’effet relatif des contrats figure aujourd’hui à l’article 1199 du Code civil, mais, en l’espèce, le pourvoi citait l’ancien article 1165, le contrat concerné étant antérieur à la réforme de 2016.
Le pourvoi soutenait ainsi que la clause n’avait d’effets qu’à l’égard du vendeur, partie au contrat de vente et ne pouvait être invoquée par le constructeur, tiers au contrat. Autrement dit, seul le vendeur pouvait se prévaloir de la clause de non-recours dans le cadre d’un procès dirigé contre lui.
La Cour de cassation écarte ce principe et relève d’office le moyen tiré de la garantie décennale des constructeurs.
B – Le moyen relevé d’office : la garantie décennale
La garantie décennale est la garantie de 10 ans due par les constructeurs ou réputés tels au sens de l’article 1792-1 du Code civil. Elle sanctionne les désordres ou non-conformités cachés lors de la réception qui présentent un critère de gravité suffisant, parce qu’ils compromettent la solidité de l’ouvrage ou l’affectent dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement.
En l’espèce, le réseau d’assainissement était bien un élément d’équipement de la maison à usage d’habitation et emportait donc la garantie décennale du constructeur. Cette garantie étant un accessoire de la propriété, elle avait été transmise de plein droit à l’acquéreur qui pouvait donc agir directement contre le constructeur.
La Cour de cassation relève d’office ce moyen de pur droit, parce qu’il s’agit d’une règle impérative. La garantie décennale est une règle d’ordre public3. Il n’est donc pas possible d’y déroger par des clauses contraires. L’article 1792-5 du Code civil prohibe expressément les clauses qui auraient pour objet de limiter ou d’exclure la garantie décennale.
En l’espèce, la Cour de cassation va plus loin que le texte puisqu’à l’instar d’autres dispositions législatives4, elle assimile aux clauses qui ont « pour objet » de limiter ou d’exclure la garantie décennale, celles qui auraient simplement « pour effet » de limiter ou d’exclure cette garantie. Autrement dit, elle condamne également des clauses qui ont un autre objet, comme une clause de renonciation à recours à l’égard du vendeur, dès lors qu’elle a pour conséquence de faire échec à la garantie des constructeurs.
La Cour applique ainsi à ces clauses indirectement contraires à la garantie décennale, la sanction prévue par la loi.
II – La clause contractuelle réputée non-écrite
La Cour de cassation applique la sanction prévue par l’article 1792-5 du Code civil. Aux termes de ce texte, tout clause du contrat qui a pour objet d’exclure ou de limiter la responsabilité du constructeur est réputée non écrite. La clause n’est donc plus seulement inopposable (A) mais réputée non écrite, c’est-à-dire éradiquée (B).
A – La sanction écartée : l’inopposabilité de la clause
Sur le fondement du principe d’effet relatif des conventions, la clause litigieuse pouvait être déclarée inopposable au constructeur.
L’inopposabilité signifie que la clause n’existe pas et n’a jamais eu aucune réalité à l’égard des tiers5. L’inopposabilité est « un état qui rend le contrat indifférent aux tiers »6. Le constructeur ne pouvait donc tirer bénéfice d’une clause contenue dans un contrat auquel il n’était pas partie.
Mais la clause restait valable à l’égard du vendeur. En effet, l’inopposabilité est une sanction relative : « l’acte qui est déclaré inopposable à l’égard des uns continue à être efficace à l’égard des autres »7. En cas d’inopposabilité, la clause demeure et n’affecte pas les relations entre les parties.
En se fondant sur la garantie décennale, la Cour de cassation opte pour une sanction plus radicale : le réputé non-écrit.
B – La sanction appliquée : la clause réputée non-écrite
Le « réputé non-écrit », notion en plein essor qui a fait récemment son entrée dans le droit commun des contrats8, sanctionne une illicéité. Il s’agit de supprimer une clause contraire à une norme impérative9. La clause est censée n’avoir jamais été écrite, donc n’avoir jamais existé10. Le « réputé non-écrit » aboutit ainsi au même résultat que la nullité : la clause est éradiquée du contrat ; elle n’a plus aucun effet11.
Le « réputé non-écrit » irait même au-delà d’un simple cas de nullité partielle et viserait une situation d’inexistence12. Il opérerait ainsi de plein droit ; le juge n’aurait qu’à le constater, en dehors de la prescription applicable aux nullités, ainsi que la Cour de cassation l’a confirmé récemment13. Le juge est donc invité à relever d’office les clauses réputées non-écrites, comme les nullités d’ordre public.
Les effets du réputé non-écrit conduisent à une dernière interrogation : si la clause est réputée non écrite, alors cela signifie qu’elle n’existe même plus à l’égard du vendeur. Or du point de vue du vendeur, la clause n’était-elle pas valable et n’avait-elle pas été librement consentie ?
L’application de la sanction prévue par la loi à des clauses qui ne sont qu’indirectement contraires à la garantie décennale semble aboutir à supprimer des clauses qui avaient un autre objet, lequel pouvait être licite dans les rapports entre les parties.
Notes de bas de pages
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1.
Le principe d’opposabilité du contrat aux tiers, désormais consacré dans le Code civil, prévoit que les tiers doivent respecter la situation juridique créée par la convention (C. civ., art. 1200).
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2.
Rép. civ. Dalloz, v° Contrats, généralités. Principes directeurs du droit des contrats, 2017, n° 144, note Latina M.
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3.
Rép. civ. Dalloz, v° Contrat d’entreprise, responsabilité des constructeurs, 2016, n° 624, note Boubli B.
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4.
V. not. CCH, art. L. 231-3.
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5.
Duclos J., L’opposabilité. Essai d’une théorie générale, 1984, LGDJ.
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6.
Rép. civ. Dalloz, v° Inopposabilité, 2019, n° 17, note Picod Y.
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7.
Rép. civ. Dalloz, v° Inopposabilité, 2019, n° 17, note Picod Y.
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8.
C. civ., art. 1171.
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9.
Kullmann J., « Remarques sur les clauses réputées non écrites », D. 1993, p. 59.
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10.
La Cour de cassation déclare, depuis 1987, que les clauses réputées non écrites sont « non avenues du seul effet de la loi » (Cass. 3e civ., 1er avr. 1987, n° 85-15010). Elle rappelle régulièrement qu’une clause réputée non écrite est censée n’avoir jamais existé (Cass. 3e civ., 9 mars 1988, n° 86-17869 : D. 1989, p. 143, note Atias C. ; JCP 1989, II 21248) ou censée « n’avoir jamais été rédigée » (Cass. 3e civ., 2 déc. 1987, n° 86-10793 : Bull. civ. III, n° 198 ; D. 1987, p. 255).
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11.
La clause réputée non écrite a pu ainsi être considérée comme une espèce de nullité partielle (Calais-Auloy J. et Temple H., Droit de la consommation, 9e éd., 2015, Dalloz, n° 177, n° 1 ; Picod Y., Droit de la consommation, 4e éd., 2018, Sirey, n° 324).
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12.
Kullmann J., « Remarques sur les clauses réputées non écrites », D. 1993, p. 59 : « la clause réellement écrite n’est pas écrite. Elle est inexistante ».
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13.
La première chambre civile a ainsi déclaré récemment que « la demande tendant à voir réputer non écrites les clauses litigieuses ne s’analysait pas en une demande en nullité » et échappait ainsi à la prescription quinquennale (Cass. 1re civ., 13 mars 2019, n° 17-23169 : Pellier J.-D., « De la distinction entre la nullité et le réputé non écrit », Dalloz actualité, 1er avr. 2019).