La ratification par le Sénat de l’ordonnance réformant le droit des contrats : une démarche pragmatique, responsable et constructive

Publié le 13/12/2017

François Pillet, rapporteur du projet de loi ratifiant l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, au nom de la commission des lois du Sénat, présente la démarche responsable suivie pour ratifier cette ordonnance : respecter les grands choix opérés dans la rédaction de l’ordonnance, corriger les malfaçons de forme et de fond et clarifier les interprétations controversées.

Le 11 février 2016, l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations était publiée au Journal officiel, concluant quinze ans de réflexions, de débats et de travaux académiques et ministériels sur la modernisation de notre droit des contrats. Le 1er octobre 2016, elle entrait en vigueur.

Le 17 octobre 2017, le Sénat acceptait de ratifier l’ordonnance, avec plusieurs modifications limitées, alors qu’il s’était fermement opposé à ce qu’une réforme aussi importante soit réalisée ainsi. La commission des lois du Sénat a dû ainsi préparer cette ratification avec une particulière implication.

Nous avons d’abord tiré parti des commentaires publiés depuis février 2016. Nous avons également sollicité l’avis des praticiens, en consultant l’ensemble des présidents des tribunaux de grande instance et des tribunaux de commerce, des bâtonniers et des présidents des instances locales des autres professions du droit. Enfin, conformément aux méthodes parlementaires, nous avons entendu en audition toutes les personnes pouvant nous éclairer et spécialement l’opinion de la doctrine dans sa diversité.

Au vu de cette riche matière, le Sénat n’a procédé qu’avec précaution à des modifications des dispositions du Code civil issues de l’ordonnance, lorsque cela lui paraissait indispensable pour assurer la clarté, la cohérence et la lisibilité du droit ainsi que pour renforcer l’attractivité de notre droit civil, en corrigeant des malfaçons et des imperfections objectives, sans revenir sur les choix opérés par le Gouvernement au stade de la rédaction.

I. Pourquoi le Sénat était-il hostile à la réforme du droit des contrats par ordonnance ?

Même si la question peut paraître accessoire pour les juristes et les praticiens, il faut rappeler ici les raisons qui ont conduit le Sénat, tous groupes confondus, à s’opposer à la réforme du droit des contrats par ordonnance.

A. Un accord sur la nécessité de la réforme

Au vu des tentatives d’harmonisation européenne du droit des contrats, des réformes menées par nos voisins européens et de la place prise par la jurisprudence de la Cour de cassation, nous ne doutions pas de la nécessité de réformer le droit des contrats, de le « mettre à jour » pour le moderniser et pour codifier la jurisprudence. L’absence de réforme d’ampleur du code dans ce domaine depuis 1804 avait conduit à un droit très jurisprudentiel, c’est-à-dire moins accessible et moins prévisible – paradoxe dans un pays de droit écrit et codifié.

Certains pensaient qu’une telle réforme était trop importante pour l’abandonner aux hasards des débats parlementaires. D’autres estimaient que passer par ordonnance était la seule manière de faire aboutir une réforme attendue depuis si longtemps, tant sa priorité politique était inversement proportionnelle à son urgence juridique. Pour notre part, conscients de ses exigences juridiques, nous étions prêts à engager ce travail avec le gouvernement, mais celui-ci a fait un autre choix.

B. Une ferme opposition sur la méthode

Notre refus de cette méthode s’exprima sous deux majorités sénatoriales différentes, traduisant une position institutionnelle forte. Le Sénat s’opposa d’abord en janvier 2014, n’hésitant pas à faire échouer sur ce motif la commission mixte paritaire réunie sur le projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, qui sollicitait l’habilitation. Il s’opposa ensuite en janvier 2015, conduisant alors au « dernier mot » de nos collègues députés dans le sens souhaité par le Gouvernement.

En effet, nous avons considéré qu’une réforme aussi fondamentale de notre droit civil ne pouvait pas être soustraite à l’examen de la représentation nationale, compte tenu de son impact sur la société tout entière, entreprises comme particuliers – impact supérieur à celui de bien des projets de loi qui suscitent pourtant davantage l’intérêt des médias. L’engagement de notre collègue Thani Mohamed Soilihi, rapporteur du projet de loi, qui défendit cette position de principe du Sénat tout entier, mérite d’être saluée.

Notre opposition était renforcée par le fait que le Parlement est loin de disposer, au moment où il ratifie une ordonnance déjà en vigueur, de la même latitude que celle dont il bénéficie lors de l’examen d’un projet ou d’une proposition de loi. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs eu l’occasion de le rappeler, dans deux décisions récentes en 2015 et 2017.

II. Ratifier l’ordonnance, dans un esprit de responsabilité, sans faire la « réforme de la réforme »

En dépit de ses préventions sur la méthode, le Sénat a donc accepté de ratifier l’ordonnance, en respectant son économie générale, sans pour autant se sentir contraint à la ratification « sèche » que certains préconisaient.

A. Une réforme déjà en vigueur

Au moment de la ratification d’une ordonnance, il est difficile, pour des motifs tant juridiques que pratiques, de revenir sur les grandes options du texte dès lors que l’ordonnance est déjà entrée en vigueur, sauf à transformer celle-ci en droit intermédiaire, au détriment de l’exigence légitime de stabilité du droit. Une telle situation limite fortement la consistance du contrôle parlementaire sur la législation déléguée. Pour cette raison, nous aurions d’ailleurs préféré être saisis de la ratification dans les huit mois séparant la publication de l’ordonnance de son entrée en vigueur.

Prenant en compte le fait que les praticiens s’étaient approprié certaines nouvelles règles, nous avons fait le choix de la stabilité du droit.

B. Une réforme largement approuvée

À l’issue de nos auditions et de notre consultation, nous avons constaté que, globalement, cette réforme était largement approuvée et acceptée par la doctrine et les praticiens, quels que soient les critiques ou les regrets qu’elle peut encore susciter – à commencer par la nostalgie… de la cause ! La réforme procède à une actualisation bienvenue, assortie de quelques innovations largement commentées.

Dès lors que l’ordonnance consolide, modernise et clarifie le droit des contrats, sans le bouleverser ni constituer une rupture, en l’adaptant aux enjeux contemporains et en prenant mieux en compte l’impératif d’efficacité économique, tout en consolidant la jurisprudence, et que très peu de dispositions demeurent sérieusement contestées, la ratification n’en était que moins difficile pour le Sénat, à condition qu’il soit toutefois apporté les corrections de nature à répondre aux critiques les plus fondées.

Aussi ai-je proposé au Sénat de ratifier l’ordonnance et de limiter les modifications à lui apporter, pour ne pas contribuer à l’instabilité législative. L’exercice était difficile et supposait d’aller au-delà de ce que certains envisageaient et en-deçà de ce que d’autres espéraient. En dehors de points de désaccord bien identifiés, que nous considérions comme des malfaçons de fond nuisant aux objectifs mêmes de l’ordonnance, les modifications apportées, comme celles qui ont été simplement envisagées, ont donné lieu à d’importants échanges avec la Chancellerie.

III. Corriger les malfaçons de forme et de fond, sans remettre en cause les grands choix opérés dans la rédaction de l’ordonnance

Aucun article du Code civil issu de l’ordonnance n’a été abrogé par le Sénat, de sorte que, même si certains ont été rectifiés, les choix opérés dans la rédaction de l’ordonnance ont été respectés. Nous n’avons pas rétabli la cause ou supprimé le régime de l’imprévision, alors que certains nous le suggéraient.

A. La correction de malfaçons formelles, au-delà des seules erreurs de plume

Si quelques coquilles ont été corrigées, un certain nombre de malfaçons de forme, de cohérence, résultant d’une codification imparfaite de la jurisprudence ou d’une ambiguïté dans la rédaction, ne soulevant donc pas de difficulté de fond, l’ont été également.

On peut citer ici la clarification de l’articulation entre le Code civil et, notamment, le droit des sociétés, en matière de capacité et de représentation des personnes morales, pour éviter le risque de remise en cause des règles existantes (articles 1145 et 1161 du Code civil), ainsi que la réécriture de la faculté d’utiliser une monnaie étrangère pour le paiement d’une obligation de somme d’argent, car la rédaction retenue était plus restrictive que l’état du droit antérieur (article 1343-3).

Des modifications plus ponctuelles répondent également à cette démarche plus formelle (articles 1112, 1165, 1223, 1304-4, 1305-5 ou encore 1347-6).

B. La correction de malfaçons de fond, affectant les objectifs de lisibilité et d’attractivité du droit français des contrats

Le rapport au président de la République énonce les deux objectifs poursuivis par le gouvernement, que nous avons fait nôtres : renforcer la sécurité juridique du droit des contrats, en améliorant sa lisibilité et son accessibilité, et renforcer son attractivité, au bénéfice des acteurs économiques et du rayonnement du système juridique français à l’étranger.

Selon nous, plusieurs dispositions de l’ordonnance portaient atteinte à ces objectifs. Trois d’entre elles traduisaient des choix politiques contestables : la sanction des clauses abusives, la sanction de l’abus de dépendance et le régime de l’imprévision. Le débat parlementaire sur la ratification a permis de soumettre à la discussion ces choix proprement politiques opérés par le gouvernement dans l’élaboration d’une réforme qu’il avait pourtant lui-même présentée comme essentiellement technique pour justifier le recours à une ordonnance. Alors que l’habilitation n’était pas aussi explicite sur de telles innovations, celles-ci auraient justifié à elles seules l’examen de la réforme par le Parlement. Les nouvelles prérogatives du juge sur le contrat, telles qu’elles résultent de ces dispositifs, ont fait naître de sérieuses interrogations sur l’office du juge, qui deviendrait un régulateur du contrat ou exercerait une véritable police du contrat, au détriment de la liberté contractuelle et de l’autonomie des parties.

Pour autant, alors que le Sénat aurait pu abroger purement et simplement ces innovations, il les a acceptées, tout en corrigeant ce qui semblait excessif. Certes circonscrites et justifiées par l’idée de mieux protéger la partie faible, selon un principe de « justice contractuelle », ces innovations modifient néanmoins l’esprit du droit des contrats dans le Code civil, en l’éloignant de l’idée d’égalité des parties, alors qu’il revient aux droits spéciaux d’appréhender les cas de relations contractuelles structurellement déséquilibrées.

Ainsi, nous avons clarifié les définitions du contrat de gré à gré et du contrat d’adhésion, en précisant que ce dernier est celui qui comporte des clauses non négociables et déterminées à l’avance unilatéralement par l’une des parties (article 1110). Nous avons aussi mieux encadré par cohérence le mécanisme de sanction des clauses abusives dans les contrats d’adhésion, en le limitant aux clauses non négociables, qui sont le terrain d’élection par nature des clauses abusives (article 1171). Si le critère de négociabilité suscite des interrogations, celui de la libre négociation en suscitait d’autres, plus lourdes selon nous, s’agissant de la négociation effective, de la simple faculté de négociation ou de la preuve de l’absence de négociation.

Nous avons supprimé le pouvoir de révision du contrat confié au juge en cas de changement imprévisible de circonstances, car il nous semblait excéder son office normal, tout en maintenant la possibilité pour une seule partie de lui demander de mettre fin au contrat (article 1195), conservant ainsi l’essentiel du dispositif : permettre au juge de constater que la relation contractuelle n’est plus possible, car les deux parties ne parviennent pas à se mettre d’accord pour aménager le contrat. En effet, quand bien même ce dispositif est incontestablement supplétif de volonté, le pouvoir donné au juge de modifier le contenu même des obligations contractuelles, source d’imprévisibilité dans l’exécution du contrat, est à lui seul un symbole extrêmement négatif pour l’attractivité du droit français. Au surplus, ce dispositif sortait clairement du champ de l’habilitation.

Nous avons également limité la sanction de l’abus de l’état de dépendance à la situation de dépendance économique, conformément à l’état de la jurisprudence, et sans aller au-delà (article 1143).

On peut aussi évoquer quatre modifications de moindre enjeu : la caducité de l’offre contractuelle en cas du décès du destinataire, comme en cas de décès de son auteur (article 1117), la subordination de la nullité pour réticence dolosive aux hypothèses dans lesquelles existe une obligation d’information préalable (article 1137), l’harmonisation du formalisme qui s’attache à la cession de dette avec celui qui s’applique à la cession de contrat et à la cession de créance (article 1327), ainsi que l’exclusion des instruments financiers du champ d’application de l’imprévision.

Enfin, observant les évolutions jurisprudentielles récentes, nous avons tenu à affirmer clairement que la loi nouvelle ne devait pas s’appliquer aux contrats conclus antérieurement, au nom du respect de l’équilibre des contrats légalement formés, lesquels bénéficient d’une protection constitutionnelle fondée sur le principe de la liberté contractuelle, rappelée en 2013 et 2017 par le Conseil constitutionnel. Nous avons donc exclu l’application à ces contrats des dispositions nouvelles d’ordre public ou relatives aux effets légaux du contrat, confortant ainsi l’intention du gouvernement.

IV. Clarifier les interprétations incertaines dans le cadre des travaux préparatoires de la ratification, sans modifier l’ordonnance

Pour éviter un trop grand nombre de modifications, j’ai proposé à la commission des lois de suivre également la voie de l’interprétation, lorsque la rédaction des dispositions en cause n’exigeait pas une correction, pour préciser le sens qu’il convenait de leur donner et ainsi dissiper d’éventuelles ambiguïtés. Cette démarche s’appuie sur la valeur juridique propre des travaux préparatoires parlementaires, exprimant l’intention du législateur, qui ont vocation à éclairer les praticiens et les magistrats dans la correcte application de la loi.

Le rapport de la commission comporte ainsi une série d’interprétations ponctuelles, concernant de nombreux articles du code, qui s’attachent à expliciter l’intention des rédacteurs de l’ordonnance. Il propose aussi des règles d’interprétation pour deux questions générales.

A. La distinction entre règles impératives et règles supplétives

Si le rapport au président de la République insiste sur le fait que l’ordonnance est « supplétive de volonté sauf disposition contraire », « sauf mention contraire explicite de la nature impérative du texte concerné », nombre de dispositions font débat. Nous avons donc précisé que doivent seules être considérées comme impératives les dispositions expressément mentionnées comme telles ou celles dont la rédaction indique sans équivoque ce caractère impératif. Les autres dispositions peuvent être écartées par les parties et, en cas d’incertitude, nous avons considéré que ce caractère ne devait pas prévaloir.

Dès lors, entrent dans la catégorie des dispositions impératives celles qui comportent une mention expresse de leur valeur d’ordre public, celles qui, sauf à être dépourvues d’effet réel, exigent le respect des règles d’ordre public ou réputent non écrites certaines clauses, ainsi que celles dont il se déduit clairement, au vu de leur rédaction, qu’elles ne peuvent être écartées ou pour lesquelles il n’est pas possible de concevoir une clause d’exemption. Une liste indicative d’articles de valeur impérative est mentionnée dans le rapport.

B. L’articulation entre droit commun et droit spécial

Si l’article 1105 du Code civil prévoit que les règles générales du droit commun des contrats « s’appliquent sous réserve » des règles particulières à certains contrats, la question de l’articulation entre droit commun et droit spécial soulève des incertitudes pratiques. En particulier, lorsque le droit spécial est muet sur un sujet, le droit commun doit-il nécessairement trouver à s’appliquer ? Le critère d’incompatibilité avancé par le rapport au président de la République ne suffit pas à résoudre la difficulté.

Nous avons considéré que le silence du droit spécial, de même que sa simple compatibilité avec le droit commun ne peuvent pas conduire automatiquement à l’application du droit commun : une appréciation au cas par cas devra être assurée, en prenant en compte la cohérence interne du droit spécial, car une application simultanée du droit commun et du droit spécial, même si elle est formellement possible, n’est pas toujours pertinente et justifiée. L’application du droit commun ne peut conduire à dénaturer la cohérence ou méconnaître l’esprit du droit spécial. À titre d’exemple, nous avons considéré que le dispositif de sanction des clauses abusives du Code civil n’était pas applicable dans les champs couverts par les dispositions similaires du Code de la consommation et du Code de commerce.

Saisi en premier lieu, le Sénat, dans sa contribution à la ratification de l’ordonnance ayant réformé le droit des contrats, se veut ainsi responsable et constructif, dans le respect des choix déjà opérés dans l’élaboration de la réforme, à l’écoute des praticiens et de la doctrine. Il n’a pas pour autant renoncé à exercer son contrôle sur l’utilisation par le Gouvernement de l’habilitation qui lui a été consentie. À notre connaissance, aucune décision juridictionnelle n’a encore été rendue sur la base de ces nouvelles dispositions, nous permettant ainsi plus aisément de les modifier lorsque cela nous paraissait indispensable. La navette parlementaire doit désormais se poursuivre à l’Assemblée nationale.

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