Obligation de sécurité des associations, coup d’arrêt à l’expansion de l’obligation de moyens alourdie
La déformation de l’obligation de sécurité de moyens par la force d’attraction de l’obligation de résultat est particulièrement prégnante dans le contentieux des activités sportives et de loisirs. L’arrêt du 30 novembre 2016 s’il ne remet pas en question le principe de l’obligation de moyens alourdie y met, cependant, des bornes. Celle-ci ne doit s’appliquer que dans les limites de l’activité organisée par l’association. Elle n’a pas cours au-delà. Ne subsiste alors que l’obligation ordinaire de sécurité.
Cass. 1re civ., 30 nov. 2016, no 15-20984, PB
Voici un arrêt qui mérite l’attention. Rendu en faveur d’une association pratiquant la danse folklorique, il a vocation à s’appliquer à toutes celles organisant des activités sportives ou ludiques pour leurs adhérents.
Faut-il voir dans cette décision un coup d’arrêt à l’expansion de l’obligation de sécurité alourdie1 alors que la haute juridiction n’a eu de cesse d’étendre son périmètre spécialement dans le champ des activités sportives et de loisirs. Dans son arrêt de principe du 16 octobre 2001 elle affirmait « que le moniteur de sports est tenu, en ce qui concerne la sécurité des participants, à une obligation de moyens, cependant appréciée avec plus de rigueur lorsqu’il s’agit d’un sport dangereux »2. Ce postulat est le socle de sa jurisprudence qui met à la charge des exploitants de sports aériens l’obligation d’évaluer les capacités phycologiques des participants ; qui impose à un club de gymnastique3 et à un exploitant de karting une obligation de surveillance permanente4 ; ou encore qui censure une cour d’appel pour avoir mis hors de cause un club d’escalade à la suite de la chute dont avait été victime un grimpeur escaladant un mur artificiel alors, selon la haute juridiction, que celui-ci est tenu d’une obligation contractuelle de sécurité, de prudence et de diligence envers les sportifs exerçant une activité dans ses locaux quand bien même ceux-ci pratiquent librement cette activité5.
Dans toutes ses espèces, l’obligation de sécurité sur laquelle on se dispute se rapporte uniquement à l’activité pour l’organisation de laquelle l’association s’est créée et qui constitue son objet social. C’est la dangerosité de l’activité qui sert de ligne de démarcation de l’obligation de sécurité alourdie dans le cadre de l’activité organisée.
L’arrêt du 16 novembre dernier ne remet pas en question cette jurisprudence. Sa nouveauté est de mettre une limite à l’expansion du périmètre de l’obligation de sécurité aggravée en décidant qu’elle ne concerne que les dommages en rapport direct avec l’activité organisée. Les mesures particulières de sécurité comme l’expulsion de visiteurs indésirables n’entrent pas dans son périmètre. En revanche, l’association n’est pas exemptée de son obligation générale de sécurité. Simplement, elle n’est assujettie qu’à une obligation de sécurité ordinaire en dehors du cercle des activités qu’elle organise. Solution logique si on considère qu’une association n’est tenue par principe que d’une obligation de sécurité de moyens pour les activités qu’elle pratique comme le rappelle la Cour de cassation. La contraindre à garantir ses adhérents contre tout danger, et leur promettre qu’ils quitteront les locaux de l’association à la fin de l’activité sains et saufs reviendrait à lui imposer une obligation de résultat. Les dirigeants ont de quoi être rassurés. La haute juridiction ne les contraindra pas à recruter des vigiles pour contrôler l’accès à leurs locaux !
Encore faut-il préciser ce que la 1re chambre civile entend par la « réalisation d’un risque en lien avec l’activité pratiquée ». À l’évidence sont concernés tous les dangers inhérents à l’activité elle-même comme le risque d’avalanche ou de chute de pierre dans les sports de montagne ; d’atterrissage manqué ou de collision avec un obstacle dans les sports aériens ; d’emballement d’un cheval en équitation. Mais la formule utilisée est plus large. La Cour de cassation ne parle pas de risques « propres » à l’activité mais « en lien » avec celle-ci. Ainsi on peut admettre que ce lien existe dans le cas des dommages causés par le manque de sécurité des installations affectées à la pratique sportive. Il faut rappeler qu’elle figure dans le cercle de l’obligation de moyens alourdie puisque la Cour de cassation considère que le strict respect des normes édictées par les fédérations sportives n’exonère pas les clubs de leur obligation de prudence et de diligence6. Cette jurisprudence ne devrait pas être remise en question dès lors que sans installations l’activité ne pourrait pas être pratiquée.
La question se pose dans les mêmes termes pour le périmètre de l’obligation de surveillance des mineurs qui déborde largement le cadre de l’activité proprement dite. Ainsi, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a estimé que la surveillance d’enfants ne se limitait pas à l’activité, proprement dit, mais commençait à compter du moment où ils pénétraient dans les locaux du club jusqu’au moment où ils les quittaient7. La même juridiction a retenu la responsabilité d’un club de football qui avait laissé des enfants sans surveillance dans les vestiaires ou l’un d’entre eux s’était pris les doigts dans une porte en fer qui s’était refermé brutalement sous l’effet d’un courant d’air8. Un comité de rugby a été reconnu coupable à la suite de l’accident survenu à un jeune joueur qui s’était suspendu à un but mobile alors que l’entraînement n’avait pas encore commencé et que les entraîneurs se trouvaient toujours dans les vestiaires9. Une décision semblable a été prise contre un club de hockey sur glace dont l’encadrement avait relâché sa vigilance après le match en laissant des jeunes escalader un mur10. La Cour de cassation, enfin, a estimé que l’obligation de surveillance d’un organisateur d’un séjour de vacances n’était pas suspendue durant la sieste des enfants où l’un d’eux âgé de 7 ans avait chuté de la fenêtre de son dortoir11
Le lien avec l’activité pratiqué est, là aussi, indiscutable. L’obligation de surveillance qui précède la mise en œuvre de l’activité et qui continue à s’exécuter une fois celle-ci terminée est comprise dans le cercle de l’obligation de moyen alourdie. Tous les temps où les mineurs se trouvent sous la surveillance de l’association ne sont pas détachables des activités qu’elle organise. L’exigence d’une surveillance permanente et vigilante avant le début de l’activité et à la fin de celle-ci pour un public d’enfants ne devrait donc pas être remise en question.
Notes de bas de pages
-
1.
Ce terme est préféré à celui d’obligation de moyens renforcée qui s’applique à la responsabilité pour faute présumée.
-
2.
À propos d’un accident de planeur, Cass. 1re civ., 16 oct. 2001, n° 99-18221 . Bull. civ. I, n° 260 ; D. 2002, somm., p. 2711 obs. Lacabarats A. ; JCP G 2002, 2, 10194, note Lièvremont C. ; RTD civ. 2002, p. 107, obs. Jourdain P. ; Gaz. Pal. 1er oct. 2002, n° 274, p. 1374, note Polère P.
-
3.
Cass. 1re civ., 7 janv. 1982, n° 80-12053.
-
4.
Cass. 1re civ., 1er déc. 1999, n° 97-21690 : Bull. civ. I, n° 330 ; D. 2000, p. 287, note Mouly J.
-
5.
Cass. 1re civ., 15 déc. 2011, nos 10-23528 et 10-24545 : Bull. civ. I, n° 219.
-
6.
Cass. 1re civ., 16 mai 2006, n° 03-12537 : Bull. civ. I, n° 249.
-
7.
CA Aix-en-Provence, 23 sept. 1993, n° 92-646, Club nautique d’Esparon du Verdon c/ J.-M. Tournant.
-
8.
CA Aix-en-Provence, 14 sept. 2011, n° 09/08197.
-
9.
CA Pau, 20 mai 1986 : RJ éco. Sport 1987, p. 118, note Mauriac P.
-
10.
CA Grenoble, 22 mars 2004, n° 02/00501 : Juris-Data n° 237947.
-
11.
Cass. 1re civ., 27 janv. 1982, n° 80-16828 : Bull. civ. I, n° 47 ; Gaz. Pal. Rec. 1982, 2, pan., p. 263.