Résolution extrajudiciaire pour inexécution et dispense de mise en demeure
L’attitude du dirigeant d’une société peut dispenser le cocontractant de l’étape de la mise en demeure, en matière de rupture unilatérale du contrat par notification.
Cass. com., 18 oct. 2023, no 20-21579
Si le législateur accorde désormais au créancier le pouvoir de se faire justice à certaines conditions1, l’exigence de mise en demeure peut être écartée, quand les circonstances de la rupture la rendent inutile. Tel est le principal enseignement de cette décision de la chambre commerciale du 18 octobre 2023.
Une solide relation d’affaires liait en l’espèce deux sociétés ; l’une spécialisée dans le façonnage du calcaire et du marbre, l’autre dans l’installation et l’entretien de machines et d’équipements mécaniques. En décembre 2016, la première accepte une proposition de devis afférent à une prestation de maintenance sur une scie. Toutefois, malgré de multiples interventions sur cet outil, qui constituait l’un de ses principaux équipements, le débiteur du prix n’a pas été satisfait des réglages et réparations effectués par le prestataire. S’en est suivie une dégradation de leur relation conduisant ce dernier à mettre un terme à sa prestation, par une lettre du 22 mars 2017. Le comportement du dirigeant de la société débitrice n’était pas indifférent à cette rupture.
Le prestataire assigne le débiteur en paiement des diverses factures. Sa prétention est accueillie en cause d’appel. La décision fait l’objet d’un pourvoi dont le moyen est divisé en huit branches. Seule la seconde branche est examinée par la chambre commerciale, les autres n’étant pas de nature à entraîner la cassation.
Il était en effet reproché au juge du fond d’avoir violé les articles 1224 et 1226 du Code civil en condamnant le débiteur à honorer ses dettes et d’avoir rejeté toutes ses demandes dirigées contre le prestataire. Ainsi, était-il argué que si le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification, il est tenu, sauf urgence, de mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable. Pour le débiteur, aucun manquement grave à ses obligations justifiant une résolution unilatérale ne pouvait lui être imputé. La rupture du contrat par le prestataire n’avait pas été précédée d’une mise en demeure de mettre un terme au manquement allégué. Par suite, la cour d’appel n’était pas fondée à retenir que la société et son dirigeant avaient commis des manquements graves permettant la résolution unilatérale du contrat. Autrement dit, la résolution du contrat à la seule initiative du créancier n’est pas valide, dès lors que l’obligation de mise en demeure n’aurait pas été respectée.
L’occasion était ainsi donnée à la chambre commerciale de préciser les contours de l’obligation de mise en demeure en matière de résolution unilatérale du contrat. Rejetant le pourvoi, la haute juridiction retient que l’exigence de mise en demeure, en cas de résolution unilatérale, ne joue que lorsqu’il ressort des circonstances de la rupture qu’une telle interpellation n’est pas vaine.
La solution est empreinte d’un pragmatisme opportun. L’efficacité de la rupture unilatérale par notification en ressort renforcée. Il serait en effet superflu de retarder outre mesure la fin d’une relation contractuelle à bout de souffle, en conservant un obstacle inadapté et inutile à la survie du contrat litigieux. Afin de saisir les incidences de la solution sur le mécanisme de la résolution par notification, les raisons de la dispense de mise en demeure doivent être étayées (I) et son opportunité précisée (II).
I – Les raisons de la dispense
L’exception d’urgence. La résolution par notification offre au créancier une liberté de rupture enserrée dans les limites des articles 1224 et 1226 du Code civil. Il est en effet acquis que, contrairement à la clause résolutoire, qui ne requiert pas une inexécution suffisamment grave pour mettre fin au contrat, la résolution par notification suppose d’établir une telle gravité2. En cas de contestation, la charge de la preuve incombe au créancier, ou plus précisément à la partie ayant mis fin au contrat, ainsi qu’il résulte de l’arrêt du 22 novembre 2023 pour un contrat antérieur à l’ordonnance du 10 février 20163.
Une mise en demeure préalable à la résolution est requise. Elle doit indiquer expressément que le créancier sera en droit de résoudre le contrat, si le débiteur ne satisfait pas à son obligation dans le délai prévu4. Si ce délai doit être raisonnable, le défaut de mise en demeure n’est quant à lui assorti d’aucune sanction5. Alors qu’il est souligné que la mise en demeure préalable n’aurait pas de raison d’être « lorsque l’exécution contractuelle n’est plus possible ou ne saurait être imposée au créancier »6, seule l’urgence serait de nature à dispenser le créancier d’y procéder selon l’article 1226 du Code civil. Pareille dérogation traduirait l’idée que la caractérisation d’une urgence n’est pas tant une condition de la résolution unilatérale qu’un moyen permettant au créancier, le cas échéant, de sauter l’étape de la mise en demeure7.
La question de savoir ce qu’il faut entendre par l’exception d’urgence prévue à l’article 1226 reste toutefois entière. Avant la consécration législative de la résolution unilatérale, il semblait ressortir de la jurisprudence de la Cour de cassation que le créancier pouvait se dispenser d’une mise en demeure, lorsque la gravité des manquements et l’urgence d’y mettre fin le justifiaient8. Il a ainsi été jugé que l’état de dégradation d’un village de vacances9 ou une contamination microbienne justifiait la résiliation unilatérale immédiate du contrat10. Le caractère inédit de ces solutions rendait cependant leur portée incertaine11. Il est avancé, depuis la réforme, qu’« il est fort probable que sera assimilée à l’urgence l’hypothèse où l’exécution par le débiteur est devenue impossible, inapte à satisfaire le créancier : la mise en demeure serait alors inutile »12. Autrement dit, l’insatisfaction du créancier peut être un cas d’urgence justifiant une dispense de mise en demeure en raison de sa vanité. La chambre commerciale semble s’inscrire dans cette interprétation de l’urgence dans la présente solution13. Plusieurs raisons qui découlent de sa motivation de l’arrêt invitent à le penser.
Pour confirmer la solution de la cour d’appel de Poitiers, selon laquelle la mise en demeure du débiteur était en l’espèce inutile, la Cour de cassation caractérise, d’abord, classiquement la gravité de l’inexécution et retient ensuite que le comportement du dirigeant du débiteur rendait vaine l’interpellation.
La gravité du comportement du dirigeant du débiteur. Il est relevé que les relations avec les employés de la société créancière étaient marquées par une tension et des conflits. Le dirigeant du débiteur avait en effet tenu des propos insultants et méprisants à l’égard d’un collaborateur du créancier. Propos dans lesquels il remettait en cause la capacité du second à exécuter le chantier. Aussi, alors qu’il n’était pas leur employeur, le mandataire social donnait des ordres directs aux salariés du créancier, sans en informer leur hiérarchie. Un tel comportement conduisait à ignorer délibérément le lien de subordination qui unit nécessairement l’employeur créancier à ses salariés, envenimant les rapports entre les deux sociétés.
Certes, la scie objet de la prestation de maintenance était un équipement majeur du débiteur et l’on peut aisément comprendre le désagrément, voire l’irritation que le dysfonctionnement d’un tel outil peut causer pour son propriétaire. Pour autant, la cour d’appel juge, et est en cela approuvée par la chambre commerciale, qu’un tel désagrément ne peut justifier l’attitude inacceptable du dirigeant tant au regard de ses propos qu’en ce qui concerne l’imposition de dates d’intervention non convenues. Il se dégage de l’attitude de ce dernier que le débiteur semblait procéder à une mise en œuvre unilatérale du contrat, en ce qu’il imposait les conditions d’exécution de la prestation au créancier. Le comportement du dirigeant paraissait ici faire obstacle au maintien de l’accord initial du prestataire. Dans cette mesure, il semblait logique que ce dernier prenne l’initiative de mettre un terme à une relation qui, déjà, allait à sens unique. L’exercice de sa faculté de résolution unilatérale par le créancier n’est que la résultante de l’attitude désobligeante du dirigeant ; celle-ci entravait les équipes du premier dans leur exécution de la prestation. L’environnement de tension était définitivement peu propice à la poursuite d’un rapport contractuel serein. Le retrait de son personnel par le créancier n’en était que plus justifié, celui-ci ne pouvant poursuivre sa prestation dans un contexte d’extrême pression et de rupture relationnelle.
II – L’opportunité de la dispense
La vanité de la mise en demeure. Au regard de ce contexte conflictuel, la Cour de cassation confirme que le comportement du dirigeant du créancier était d’une gravité telle qu’il avait rendu manifestement impossible la poursuite des relations contractuelles. En conséquence, la cour d’appel n’avait pas à rechercher si le créancier avait mis préalablement en demeure le débiteur. La solution emporte l’approbation. Deux insatisfactions doivent ici être distinguées, quoiqu’elles ne soient pas dépourvues de rapports entre elles. D’une part, celle du débiteur à l’origine de la dégradation des rapports des cocontractants. D’autre part, celle du créancier consécutive au comportement grave du mandataire social.
En validant la résolution unilatérale du contrat sans mise en demeure, la Cour de cassation admet que la seconde insatisfaction est la raison de la rupture du contrat dont le maintien semblait irrémédiablement14 compromis, justifiant la vanité d’une interpellation. Ainsi, « la nouvelle chance donnée au débiteur d’exécuter par la mise en demeure »15 n’avait pas lieu d’être ; un changement d’attitude du dirigeant n’aurait, semble-t-il, pas été de nature à pallier l’état de dégradation de la relation. La piste d’une éviction du mandataire aurait été là aussi hypothétique ; le créancier étranger aux rapports internes de la société ne dispose pas d’un tel pouvoir. À supposer qu’une telle procédure soit lancée par les membres du groupement, elle aurait retardé inutilement l’exercice de sa faculté de rupture par le créancier, qui n’avait plus la volonté de poursuivre la relation.
La chance nouvelle d’adopter un comportement compatible avec la poursuite de la prestation dans des conditions normales s’efface ici, devant la nécessité de mettre rapidement fin au contrat : le manquement du débiteur est tel qu’il ne peut pas perdurer sans compromettre gravement les intérêts du créancier16. En raison des incidences de l’attitude du mandataire sur les équipes du prestataire et des dysfonctionnements de la relation, le créancier « n’avait plus le temps d’attendre »17.
Une dispense conforme à la fonction de la résolution unilatérale. En l’espèce, la reconnaissance de l’inutilité d’une telle attente est conforme aux objectifs de célérité poursuivis par le dispositif de la résolution par notification18. Cette sanction permet classiquement d’éviter les longs délais liés à une poursuite judiciaire et d’ainsi gagner un temps précieux, surtout en matière commerciale19, comme en l’espèce. Le créancier peut, par suite, « se déclarer libéré du contrat sans avoir à engager le moindre contentieux »20. De la sorte, l’initiative du procès est transférée au débiteur, par la faculté qui lui est offerte de saisir le juge pour contester la résolution à tout moment21 ; opportunité que ce dernier n’a pas manqué de saisir en l’occurrence. Délesté du fardeau de la mise en demeure, le créancier, qui n’a plus le temps ni la volonté d’attendre, n’est plus tenu de poursuivre le contrat. Il ne s’agit cependant pas pour la Cour de cassation d’accorder une dispense systématique de l’interpellation pour vanité, car elle semble restrictivement vouloir encadrer les hypothèses d’une telle levée22. Ainsi, la référence à la gravité rendant manifestement impossible la poursuite des relations laisse à croire que les cas de dispense de mise en demeure pourraient être limités, car la vanité ne devra pas résulter de la seule impossibilité de poursuivre la relation, l’impossibilité devra être patente.
Est ainsi confirmée l’idée que, tout en permettant de limiter les résolutions intempestives, l’exigence de mise en demeure ne doit pas retarder la solution que constitue la sortie du contrat23. Cette condition ne doit donc pas constituer un obstacle à la mise en œuvre de la résolution unilatérale. Elle doit même être écartée, lorsqu’il résulte des circonstances de l’espèce que son maintien constituerait une entrave superflue à la libération du créancier. L’utilité pratique de la résolution extrajudiciaire pour inexécution n’en est que confortée.
Notes de bas de pages
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1.
P.-G. Gobin, « La résolution du contrat sans intervention du tribunal », RTD civ. 1997, n° 2, p. 554.
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2.
Cass. 1re civ., 13 oct. 1998, n° 96-21485 : « La gravité du comportement d’une partie à un contrat peut justifier que l’autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls, et que cette gravité, dont l’appréciation qui en est donnée par une autorité ordinale ne lie pas les tribunaux, n’est pas nécessairement exclusive d’un délai de préavis » ; F. Chénedé, Droit des obligations et des contrats. Consolidations – Innovations – Applications, 2023, Dalloz référence, p. 176, n° 128.183.
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3.
Cass. com., 22 nov. 2023, n° 22-16514.
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4.
Sur les avantages et inconvénients de cette exigence, v. C. Pelletier, « Article 1226 : Les conditions de la résolution unilatérale aux risques et périls du créancier », RDC sept. 2015, n° RDC112g6.
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5.
Pour une critique du rôle de la mise en demeure à défaut de sanction, v. O. Deshayes, « La mise en demeure préalable aux sanctions de l’inexécution contractuelle : état des lieux critique après la réforme de 2016 », RDC mars 2019, n° RDC115x3.
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6.
O. Deshayes, « La mise en demeure préalable aux sanctions de l’inexécution contractuelle : état des lieux critique après la réforme de 2016 », RDC mars 2019, n° RDC115x3.
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7.
B. Fages, Droit des obligations, 11e éd., 2021, LGDJ, p. 263, n° 307.
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8.
C. Pelletier, « Article 1226 : Les conditions de la résolution unilatérale aux risques et périls du créancier », RDC sept. 2015, n° RDC112g6. Cass. com., 4 févr. 2004, n° 99-21480 : JCP G 2004, n° 28, I 149, note J. Rochfeld ; RTD civ. 2004, n° 4, p. 731, note J. Mestre et B. Fages.
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9.
Cass. 1re civ., 20 mars 2014, n° 12-27943.
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10.
Cass. 1re civ., 24 sept. 2009, n° 08-14524 : LEDC nov. 2009, n° 10, p. 7, obs. N. Sauphanor-Brouillaud.
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11.
C. Pelletier, « Article 1226 : Les conditions de la résolution unilatérale aux risques et périls du créancier », RDC sept. 2015, n° RDC112g6.
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12.
L. Andreu et N. Thomassin, Cours de droit des obligations, 8e éd., 2023, Gualino, p. 275, n° 732, EAN : 9782297221061.
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13.
Contra C. Hélaine, obs. ss Cass. com., 18 oct. 2023, Dalloz actualité, 24 oct. 2023, pour qui le caractère vain n’implique pas nécessairement l’urgence.
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14.
P. Malaurie, L. Aynès et P. Stoffel-Munck, Droit des obligations, 11e éd., 2020, LGDJ, p. 510, n° 551.
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15.
J. Flour, J.-L. Aubert et É. Savaux, Droit civil. Les obligations. L’acte juridique, 17e éd., 2022, Dalloz, p. 1078, n° 796.
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16.
J. Flour, J.-L. Aubert et É. Savaux, Droit civil. Les obligations. L’acte juridique, 17e éd., 2022, Dalloz, p. 1078, n° 796.
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17.
J. Mestre et B. Fages, note ss Cass. com., 4 févr. 2004, n° 99-21480, RTD civ. 2004, n° 4, p. 731.
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18.
G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations. Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, 2e éd., 2018, Dalloz, p. 608, n° 658.
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19.
P.-G. Gobin, « La résolution du contrat sans intervention du tribunal », RTD civ. 1997, n° 2, p. 554 ; C. Jamin, « Vers la résolution unilatérale du contrat », D. 1999, n° 14, p. 197.
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20.
B. Fages, Droit des obligations, 11e éd., 2021, LGDJ, p. 264, n° 308.
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21.
B. Fages, Droit des obligations, 11e éd., 2021, LGDJ, p. 264, n° 308.
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22.
C. Hélaine, obs. ss Cass. com., 18 oct. 2023, Dalloz actualité, 24 oct. 2023.
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23.
P. Stoffel-Munck, « La résolution par notification : questions en suspens », in dossier, « Réforme du droit des contrats : le débat », Dr. et patr. 2014, n° 240, p. 69.
Référence : AJU011x9