Vente d’immeuble de gré à gré lors d’une liquidation judiciaire et conséquences de l’article 924-4 du Code civil

Publié le 18/04/2018

La revente d’un immeuble reçu par donation-partage constitue un schéma classique de la transmission patrimoniale entre des parents et leurs enfants. Si la question de l’intervention des donateurs à l’acte de vente ne constitue pas un problème particulier lorsque une interdiction d’aliéner a été stipulée à l’encontre du donataire dans l’acte authentique, la question de l’intervention des codonataires s’avère, quant à elle, digne d’intérêt.

Hors le cas de l’interdiction d’aliéner1, le problème reliant la revente du bien reçu par donation-partage et l’intervention, à l’acte de vente, des codonataires suppose que l’on s’interroge sur sa légitimité : le principe même de la donation-partage2 vient alors s’opposer à celui de l’atteinte à la réserve héréditaire3 pour le cas où des donations effectuées antérieurement à la revente du bien donné n’auraient pas été portées à la connaissance du notaire chargé d’instrumenter la vente et même à la connaissance des codonataires eux-mêmes. Dès lors, l’intervention de ces derniers sera une mesure de protection du tiers acquéreur contre une éventuelle action en réduction, car les modalités de l’article 924-4 du Code civil peuvent constituer une véritable bombe à retardement en cas d’insolvabilité du donataire-vendeur.

Bien évidemment, et ainsi que l’ont, à très juste titre, souligné Samuel Pezard et Séverine de La Taille4, cette hypothèse, puisqu’elle relève d’un enchaînement de circonstances malencontreuses, s’avérera exceptionnellement rare ; mais la sécurité d’un acte juridique ne saurait reposer sur l’improbabilité de la survenance d’une chaîne d’événement. Aussi, la question sera ici – et même si la formule est heureuse –, d’anticiper l’impossible pour éviter que le pire ne se produise.

Dès lors, si l’application de l’article 924-4 du Code civil concerne en premier lieu le tiers acquéreur d’un copartageant, il s’avère que son champ d’application et la dangerosité qu’il porte en corollaire concerneront également d’autres cas, en particulier la question de l’ouverture d’une liquidation judiciaire à l’encontre du donataire ayant été gratifié.

I – L’action en réduction exercée contre le tiers acquéreur d’un copartageant

L’article 924-4, alinéa 1er, du Code civil est ainsi rédigé :

« Après discussion préalable des biens du débiteur de l’indemnité en réduction et en cas d’insolvabilité de ce dernier, les héritiers réservataires peuvent exercer l’action en réduction ou revendication contre les tiers détenteurs des immeubles faisant partie des libéralités et aliénés par le gratifié. L’action est exercée de la même manière que contre les gratifiés eux-mêmes et suivant l’ordre des dates des aliénations, en commençant par la plus récente. Elle peut être exercée contre les tiers détenteurs de meubles lorsque l’article 2276 ne peut être invoqué ».

Il convient de bien percevoir la dangerosité de la portée de cet article : le tiers acquéreur de l’immeuble reçu par donation pourra se voir opposer l’action en réduction ou revendication exercée par un ou plusieurs héritiers réservataires qui, devant faire face à un autre héritier réservataire ayant été gratifié de libéralités (le pluriel est important) excédant la quotité disponible5, chercheront à être indemnisés « à concurrence de la portion excessive de [ces libéralités] »6.

Avant d’étudier les conséquences, pour le tiers acquéreur et le notaire, de la réduction de la donation-partage, il convient d’en étudier les causes.

A – Réduction de la donation-partage

La protection du tiers acquéreur du bien reçu par donation-partage doit constituer une préoccupation du notaire : en vertu de l’article 1077-2, alinéa 1er, du Code civil, les donations-partages vont se voir appliquer le régime des donations entre vifs « pour tout ce qui concerne l’imputation, le calcul de la réserve et la réduction »7. Néanmoins, bien que le cas s’avère exceptionnel, il demeure possible et ses conséquences pourront s’avérer désastreuses.

1 – Une hypothèse rare, mais réelle

1. Rareté du cas. Bien évidemment, l’action des codonataires contre le tiers acquéreur reste subordonnée à une règle : la violation des dispositions de l’article 924 du Code civil en cas de libéralité(s) excessive(s). Car cette notion de libéralité(s) excessive(s) constitue en réalité le cœur du problème concernant cette étude : une donation-partage8 non égalitaire encourt la réduction de l’article 1077-1 du Code civil et si d’ordinaire cette dernière devait exister, le notaire un tant soit peu vigilant ne prendrait pas le risque d’instrumenter sans avoir au préalable régularisé la situation, notamment par le biais d’une renonciation à l’action en réduction9.

2. Le véritable risque viendra de la découverte de donations antérieures non déclarées par le bénéficiaire, ou d’une discorde entre les héritiers sur le volume et le montant de libéralités ayant pu être consenties au profit de chacun d’entre eux par leurs auteurs respectifs. La découverte de ces libéralités s’avère alors, tant pour les héritiers que pour le notaire ayant instrumenté lors de la revente du bien reçu par donation-partage, aussi stupéfiante que problématique : dans de tels cas, les dispositions de l’article 924-4 du Code civil trouveraient alors à s’appliquer.

3. Il convient toutefois de modérer nos propos : le tiers acquéreur du bien reçu par donation-partage pourra craindre la réaction des codonataires ou cohéritiers de son vendeur lorsque plusieurs conditions seront réunies10 :

  • la présence d’héritiers réservataires ;

  • l’existence de libéralités antérieures inégalitaires entraînant un dépassement de la quotité disponible ou de la part de réserve du codonataire vendeur ;

  • l’insolvabilité du débiteur de l’indemnité de réduction après discussion préalable de ses biens ;

  • l’absence de forclusion pour les délais de prescription des articles 921 et 1077-2 du Code civil.

4. L’application des règles de prescription. L’article 921, alinéa 2, du Code civil vient préciser que « le délai de prescription de l’action en réduction est fixé à 5 ans à compter de l’ouverture de la succession » ou bien « à 2 ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l’atteinte portée à leur réserve ». Dès lors, outre les conditions ci-dessus énoncées, une exigence temporelle vient s’ajouter aux conditions nécessaires pour que la sécurité de la vente du bien reçu par libéralité soit ébranlée. Ce faisant, la probabilité d’un tel cas apparaît encore plus faible, mais ne disparaît pas pour autant.

Dès lors, si la réunion de toutes ces conditions reste peu probable, elle reste possible et la sécurité de l’intervention du notaire dans les actes qu’il instrumentalise ne saurait se contenter d’un manque de probabilité pour justifier une défaillance de vigilance, d’autant plus que les conséquences de l’application de l’article 924-4 du Code civil s’avéreraient désastreuses pour le tiers acquéreur.

2 – L’éviction du tiers détenteur

5. L’éviction du tiers détenteur, acquéreur du bien ayant fait l’objet de la donation-partage, sera la principale conséquence de l’application de l’article 924-4 du Code civil : la donation-partage faisant l’objet d’une réduction, cette dernière se fera en principe en valeur sur le fondement de l’article 924 du Code civil, selon lequel « le gratifié [ayant reçu la libéralité excédant la quotité disponible] doit indemniser les héritiers réservataires à concurrence de la portion excessive de la libéralité, quel que soit cet excédent ».

6. L’héritier pourrait néanmoins, selon l’alinéa 1er de l’article 924-1 et par dérogation à l’article précité, exécuter la réduction en nature lorsque le bien sera toujours, au moment de la réduction, dans son patrimoine. Mais l’article 924-4, alinéa 1er, du Code civil précise quant à lui, que les héritiers réservataires pourront exercer une action en réduction ou en revendication contre les tiers détenteurs de l’immeuble faisant partie des libéralités et aliéné par le gratifié. Par conséquent, l’éviction du tiers acquéreur, détenteur de l’immeuble au moment de l’action en réduction ou en revendication, pourra se faire tant sur la valeur de l’immeuble (action en réduction, pour le cas où la réduction serait partielle) que sur la détention de ce dernier (action en revendication, pour le cas où la réduction serait complète) : ainsi, non seulement le tiers acquéreur pourra se voir réclamer par les cohéritiers de son vendeur la valeur de l’indemnité de réduction mais également, dans l’hypothèse la plus sombre, la propriété de l’immeuble aliéné.

La jurisprudence a néanmoins apporté une possibilité pour le tiers acquéreur d’échapper à la revendication des cohéritiers en lui permettant d’indemniser ces derniers11 : la discussion préalable des biens du débiteur de l’indemnité de réduction peut ainsi bénéficier, en cas d’insolvabilité du débiteur et toujours en accord avec l’alinéa 1er de l’article 924-4 du Code civil, sur le tiers acquéreur. De fait, ce dernier pourra se voir réclamer la somme représentant le montant de l’indemnité par les cohéritiers de son vendeur, tout en conservant, en théorie, la propriété du bien acquis.

B – Les conséquences de la réduction en valeur de la donation-partage

La question de la responsabilité du notaire se pose alors : responsabilité par sa qualité de rédacteur d’acte vis-à-vis de l’acquéreur au titre du « principe d’efficacité du notaire »12 et responsabilité au titre de son obligation d’information (la sienne et celle de ses clients) et de conseil. Le tiers acquéreur devra nécessairement avoir été informé des risques encourus en cas d’acquisition d’un bien dont le vendeur détient le droit de propriété en vertu d’une donation-partage.

7. L’anticipation de la réduction par le notaire rédacteur. Il est important de préciser que le devoir de conseil du notaire se confond avec son devoir d’efficacité dans ses actes13 : à l’occasion de la préparation de l’acte authentique, en l’occurrence l’acte de vente entre le donataire et le tiers acquéreur, le notaire devra s’enquérir de toutes les informations utiles à la rédaction de l’acte, utiles afin de l’établir dans un premier temps, mais surtout afin d’en étudier tous les aspects et de procurer audit acte la stabilité et la sécurité juridique d’un acte authentique afin de ne pas léser les intérêts du tiers acquéreur. En l’espèce, il conviendra de faire intervenir antérieurement à l’acte (ou dans l’acte), outre les donateurs lorsqu’une interdiction d’aliéner aura été stipulée dans l’acte de donation, l’intégralité des codonataires afin que ces derniers consentent à la vente14. Dès lors, les dispositions de l’article 924-4, alinéa 2, trouveront à s’appliquer : le tiers acquéreur sera alors libéré de tout risque d’action en réduction ou en revendication et ce, même pour le cas où un héritier réservataire viendrait à naître « après que le consentement de tous les héritiers intéressés » a été recueilli.

Le notaire demeure un juriste, certes clairvoyant, mais en aucun cas extralucide : dès lors, sa responsabilité vis-à-vis du tiers acquéreur pourra être engagée sur plusieurs fondements. Dans un premier temps, il sera responsable s’il ne s’enquiert pas de tous les aspects utiles à l’établissement de son acte authentique, étant ici visée l’hypothèse étudiée plus avant concernant l’intervention des cohéritiers du donataire cédant le bien reçu par donation partage.

8. Dans un second temps, le notaire engagera sa responsabilité pour le cas où il n’aurait pas prévenu l’acquéreur du risque inhérent à l’éventualité d’une action basée sur l’article 924-4 du Code civil si d’ordinaire le consentement de tous les intéressés listés au second alinéa de l’article 924-4 précité ne pouvait être obtenu. La jurisprudence a d’ailleurs estimé qu’il incombait au notaire « d’informer [les acquéreurs d’un bien reçu par donation] sur les risques d’une éventuelle action en réduction qui serait engagée par les héritiers réservataires et de faire intervenir ces derniers pour consentir à l’aliénation, conformément à l’article 930, alinéa 2, ancien du Code civil, ce qui aurait protégé les acquéreurs de tout recours ultérieur »15. Néanmoins, ainsi que l’a, à très juste titre, souligné la doctrine, la seule mention de l’information dans l’acte de vente ne saurait suffire à caractériser l’information délivrée par le notaire : la signature, par l’acquéreur, d’une reconnaissance de conseil donné sera alors indispensable16.

La solution de l’arrêt de la première chambre civile du 16 décembre 2015 vient rappeler, à travers l’obligation de s’enquérir de toutes les informations utiles à sa mission, le devoir d’efficacité du notaire dans la rédaction de ses actes : ce dernier se doit d’assurer l’entière efficacité de ceux-ci, puisqu’il est « tenu de procéder à la vérification des faits et conditions nécessaires pour assurer l’utilité et l’efficacité des actes qu’il dresse »17, solution retenue par la jurisprudence à plusieurs reprises18.

De manière plus générale et bien qu’il s’agisse d’un cas visant un redressement fiscal, la jurisprudence considère désormais19 que le devoir d’information du notaire, sous couvert du devoir d’efficacité, se devra d’être circonstancié, puisque si le dommage résultant du manque d’information du notaire doit être assimilé à préjudice certain « et non une simple perte de chance », ladite information devra être « complète, circonstanciée » et « adaptée au contexte exact dans lequel l’acte aura vocation à engendrer des effets »20.

9. L’utilité de la renonciation anticipée à l’action en réduction (RAAR) : L’article 929 du Code civil précise que la renonciation à l’action en réduction dans une succession non ouverte est possible pour tout héritier présomptif, cette renonciation pouvant porter sur une réduction portant sur un bien déterminé (al. 3). La RAAR devra être rédigée par acte authentique, reçu par deux notaires, dans les conditions des articles 930 et suivants du Code civil. Cette dernière pourra ainsi « être souscrite au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires déterminés, mais [pourra] être donnée sans limitation ou pour une fraction seulement de la réserve du renonçant »21 : dès lors, les cohéritiers pourront renoncer à toute action en réduction concernant la libéralité dont dépendait le bien objet de la vente et sécuriser sa transmission au tiers acquéreur, gommant ainsi les effets néfastes de l’article 924-4 du Code civil. Le notaire devra alors informer ses clients que cette renonciation anticipée est ponctuelle et ne saurait concerner la succession dans sa globalité.

10. Pour finir, en application de l’alinéa 1er de l’article 929 du Code civil, le notaire devra bien veiller à désigner la personne (ou les personnes) bénéficiant de la renonciation à l’action en réduction. Ce dernier précise en effet que « cette renonciation doit être faite au profit d’une ou de plusieurs personnes déterminées », et ce afin de mieux « éclairer la cause de la renonciation »22. Cette disposition est d’autant plus importante qu’elle permettra au notaire de remplir son obligation d’information circonstanciée vis-à-vis des cohéritiers, laquelle prend une dimension encore plus importante depuis les précisions de l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 20 décembre 201723 : si le tiers acquéreur du bien potentiellement objet du litige doit être informé des risques que fait courir l’article 924-4 du Code civil, les cohéritiers du vendeur devront quant à eux être informés des conséquences de la renonciation des articles 929 et suivants du même code sous peine, pour le notaire rédacteur, d’engager sa responsabilité.

Le second alinéa de l’article 929 pourra également permettre de désigner la libéralité objet de la renonciation, ou de cantonner cette renonciation à une fraction de la réserve, le tout sans qu’aucune contrepartie ne puisse être imposée (al. 3 dudit article).

II – Un domaine d’application plus large que la seule vente amiable

La problématique de l’action ouverte au cohéritier par le jeu de l’article 924-4 du Code civil réside dans son absence de distinction quant à l’origine de l’acquisition du bien litigieux par le tiers acquéreur. Dès lors, si son application en matière de vente amiable du bien reçu par donation ne fait aucun doute, il convient de s’intéresser au cas de la vente forcée dudit bien.

A – L’article 924-4 du Code civil et la liquidation judiciaire du donataire

11. La réalisation de l’actif du débiteur en liquidation judiciaire est régie par les articles L. 642-18 et suivants du Code de commerce suivant les règles de la procédure de saisie immobilière des articles L. 322-5 et suivants du Code des procédures civiles d’exécution24, bien que le juge-commissaire puisse autoriser la vente de gré à gré ou par adjudication amiable « aux prix et conditions qu’il détermine »25. Le mandataire judiciaire sera quant à lui chargé de passer l’acte de vente.

Dès lors que le jugement prononçant l’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire a été rendu, ce dernier emporte de plein droit le dessaisissement du débiteur dans l’administration et la disposition de ses biens, d’un point de vue purement patrimonial, le débiteur conservant la pleine capacité concernant les droits attachés à la personne. Le problème résultant de l’article 924-4 du Code civil réside dans la nécessité, pour que les cohéritiers puissent agir contre le tiers acquéreur de l’immeuble, que le donataire soit insolvable. Si telle n’est pas la définition exacte des préceptes de la liquidation judiciaire, le risque d’insolvabilité demeure extrêmement important.

1 – La vente de gré à gré du bien donné

12. Prévue aux articles R. 322-20 et suivants du Code des procédures civiles d’exécution, la vente sur autorisation judiciaire s’avère être une vente de gré à gré soumise à l’autorisation du juge de l’exécution26. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une vente volontaire ou amiable27, le contrôle judiciaire exercé par ce dernier ne semble pas, toutefois, constituer un rempart contre le risque d’éviction du tiers acquéreur puisque le rôle du juge de l’exécution sera avant tout de s’assurer de la cohérence de la vente proposée par le débiteur.

13. La vente sur autorisation judiciaire. Les ventes de l’actif du débiteur en liquidation judiciaire nécessitent, quoi qu’il advienne, une ordonnance du juge-commissaire afin d’autoriser la cession de l’immeuble, que la vente soit effectuée de gré à gré ou par adjudication amiable. La vente sera ainsi parfaite « dès l’ordonnance du juge-commissaire qui l’autorise, sous la condition suspensive que la décision acquière force de chose jugée »28, bien qu’elle sera considérée comme réalisée une fois dressé, par le notaire, l’acte authentique constatant la levée des diverses conditions suspensives29, le transfert de la charge des risques et le transfert de propriété30.

Dès lors, le problème relatif à la vente amiable classique se retrouve dans le cas de la vente sur autorisation judiciaire : en effet, si selon l’article R. 642-36 du Code de commerce « l’autorisation de vente de gré à gré d’un ou plusieurs immeubles, délivrée en application de l’article L. 642-18 » est notifiée à chacun des créanciers inscrits, dans les conditions de l’article R. 642-23 du même code, les cohéritiers de l’article 924-4 du Code civil ne sont pas concernés par ces dispositions. Bien que « l’autorité de la chose jugée attachée à l’ordonnance du juge-commissaire [ne soit pas] opposable au tiers qui invoque un droit de propriété sur ce bien »31, la question de l’applicabilité de l’article 924-4 du Code civil se pose : certes, la vente de gré à gré ressemble à une vente amiable, elle n’en demeure pas moins une vente forcée dans le sens où le débiteur, dessaisi de sa capacité de disposer de son patrimoine dès le « jugement qui ouvre ou prononce la liquidation » en vertu de l’article L. 641-9, I, du Code de commerce32, verra son consentement à la vente effacé au profit de l’autorisation du juge-commissaire. Dès lors, le risque de voir les cohéritiers se manifester après l’ordonnance du juge-commissaire est grand et toute la problématique provient de ce point.

14. La consignation du prix de vente par le notaire. Là encore, cette obligation faite au rédacteur d’actes se doit d’être tempérée33. Si cette consignation obligatoire du prix de vente à l’issue de la signature de l’acte authentique semble pouvoir constituer, pour le tiers acquéreur, une sécurité en cas de remise en cause de la vente par un codonataire sur le fondement de l’article 924-4, ladite consignation reste destinée à apurer le passif du vendeur-débiteur et ne saurait en aucun cas constituer le gage de l’action intentée par un codonataire sur le fondement dudit article. Bien que la réduction se fasse en priorité en valeur, la consignation du prix de vente ne saurait permettre d’indemniser les cohéritiers du débiteur dans le cadre d’une action en réduction sur le fondement de l’article 924-4 du Code civil ; or, en matière de liquidation judiciaire, le produit de la vente des actifs immobiliers ne sera, dans la plupart des cas, pas excédentaire par rapport au passif exigible.

La problématique est donc la suivante : l’action en réduction ou en recouvrement de l’article 924-4 du Code civil, ouverte au profit des cohéritiers réservataires du débiteur donataire de l’immeuble vendu, est-elle applicable en cas de vente de gré à gré ordonnée par le juge-commissaire ? La question est sournoise, car à défaut de solution clairement dégagée par la jurisprudence, il convient d’analyser la nature de la vente de gré à gré ordonnée sur le fondement de l’article L. 642-18 du Code de commerce afin de déterminer si ladite action est ou non envisageable. En guise de réponse, il convient de s’intéresser à la nature même de la vente de l’article L. 642-18 du Code de commerce, mais également à l’esprit de la loi qui l’instaure : la procédure de liquidation a-t-elle pour mission de préserver l’intérêt général, au détriment de celui des héritiers réservataires ? La vente de gré à gré de l’actif immobilier du débiteur doit-elle être interprétée strictement au regard de l’article 924-4 du Code civil ou le dessaisissement de l’article L. 641-9 du Code de commerce permet-il d’y faire obstacle ?

2 – La notion d’intérêt général dans l’apurement du passif en liquidation judiciaire

15. Nous pouvons ici tenter une analogie avec les droits de préemption existant en cas de vente d’immeuble. En matière d’urbanisme, la préemption par une commune n’est possible que dans les conditions de l’article L. 211-1 du Code de l’urbanisme dans le but de permettre « la réalisation, dans l’intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l’article L. 300-1 [du Code de l’urbanisme] »34, sauf exception posée par l’article L. 213-11, alinéa 1er, du même code. En vertu de l’article L. 213-1 du même code, toutes les aliénations seront soumises au droit de préemption urbain pour le cas où ce dernier aurait été instauré, à l’exception des aliénations comprises dans une cession partielle ou totale de l’entreprise selon les modalités des articles L. 631-22 et L. 642-1 du Code de commerce. De manière plus générale, l’article L. 213-1, 1°, du Code de l’urbanisme vise expressément l’aliénation d’immeuble « à titre onéreux, sous quelque forme que ce soit ». Dès lors, si l’on applique à la lettre les dispositions dudit article, l’aliénation isolée d’un actif immobilier du débiteur en liquidation judiciaire ne saurait avoir pour but, à l’inverse de la cession partielle ou totale de l’entreprise, « d’assurer le maintien d’activités susceptibles d’exploitation autonome, de tout ou partie des emplois qui [sont attachés à l’entreprise] et d’apurer le passif »35. Sa seule vocation étant d’apurer le passif, il est impossible, par nature, d’y voir la volonté de maintenir l’emploi dans l’entreprise sujette à liquidation judiciaire.

Néanmoins, les articles R. 214-3 et R. 214-8 sont à ce sujet un peu plus précis : ce dernier vise expressément le cas où la vente concerne « un terrain portant ou destiné à porter des commerces d’une surface de vente comprise entre 300 et 1000 mètres carrés » : le législateur indique que dans un tel cas, la déclaration préalable telle qu’indiquée à l’article L. 214-1 du Code de l’urbanisme, doit être établie par le liquidateur.

16. Que penser ? Puisque le Code de l’urbanisme vise, certes dans sa partie réglementaire, expressément un cas de vente de gré à gré en cas de liquidation judiciaire, doit-on en conclure que les autres cas de vente forcée non visés à l’article R. 214-8 dudit code ne sont pas concernés, en raison de la nature de la vente ? Ou doit-on estimer que la généralité de l’article L. 213-1, 1°, du Code de l’urbanisme inclut les ventes de gré à gré de l’article L. 642-18 du Code de commerce autres que celles mentionnées à R. 214-8 du Code de l’urbanisme ?

Dès lors, l’intérêt général que pourrait revêtir l’aliénation d’un actif du débiteur, participant pourtant à l’apurement du passif et au désintéressement des créanciers, ne semble pas caractérisé pour le législateur. Cela est d’autant plus dommage que dans la réalité, la cession de l’actif immobilier participe pourtant de l’intérêt général en ce sens qu’elle permettra justement de régler au moins une partie du passif du débiteur !

17. Il n’en a pourtant pas toujours été ainsi puisque l’Administration considérait auparavant qu’en vertu du dessaisissement du débiteur par le biais du jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire, la vente n’avait plus le caractère de vente amiable et ne pouvait ainsi être soumise au droit de préemption urbain si la commune sur laquelle se situe en a instauré un36. La Cour de cassation elle-même ne savait pas comment considérer la licéité du droit de préemption urbain eu égard à la qualification de vente forcée de la vente de gré à gré ordonnée par le juge-commissaire, indiquant dans un arrêt de 2012 que « le liquidateur judiciaire (…) n’avait pas commis de faute (…) en l’état de l’incertitude juridique affectant la nature de la vente de gré à gré d’un élément d’actif dans une procédure de liquidation judiciaire et rendant pareillement incertaine l’illégalité de l’exercice du droit de préemption par la commune »37.

S’agissant malheureusement d’un point de vue doctrinal, rien n’empêche les communes d’imposer la purge dudit droit avant toute cession immobilière, exposant ainsi la vente prononcée sur le fondement de l’article L. 642-12 du Code de commerce à une préemption, donc à une cession effectuée au profit d’une personne tierce que celle désignée (pour le cas des ventes de gré à gré) dans l’ordonnance du juge commissaire. Il en sera de même pour le droit de préemption instauré au profit des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER).

18. La jurisprudence a depuis clarifié la situation du droit de préemption, tant urbain que celui instauré au profit des SAFER, dans le cas de la vente d’un immeuble sur le fondement de l’article L. 642-18 du Code de commerce. Dans un tel cas, le caractère forcé de la vente ne saurait influer sur la légalité du droit de préemption. Ce dernier étant instauré en fonction de la qualité de l’immeuble et non du vendeur, que ce dernier ait donné son accord ou que la vente de l’immeuble résulte d’une ordonnance ne changera rien : le droit de préemption produira ses effets quoi qu’il arrive, bien que le prix de vente reste nécessairement celui exprimé dans l’ordonnance du juge-commissaire38.

19. En matière de droit de préemption du locataire, la solution sera identique (dans les limites du droit de préemption offert au locataire du bien à usage d’habitation selon la loi du 6 juillet 1989, c’est-à-dire en cas de première vente du lot après mise en copropriété39). Pour le droit de préemption de l’indivisaire de l’article 815-14 du Code civil, il est convenu de considérer que celui-ci continuera à s’appliquer.

20. En matière de vente du logement de la famille, protégé par les dispositions de l’article 215 du Code civil, la solution dégagée par la jurisprudence est différente et tient compte, cette fois, du caractère faussement amiable de la vente ordonnée sur le fondement de l’article L. 642-18 du Code de commerce : dans un tel cas, même si l’article 215, alinéa 3, du Code civil précise que « les époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille », il est de jurisprudence constante que le caractère forcé de la vente ordonnée par le juge-commissaire empêche l’application du régime de protection du logement de la famille40.

21. Une dernière analogie peut être effectuée avec l’interdiction d’aliéner de l’article 900-1 du Code civil : ce dernier prévoit en effet la possibilité pour le donateur d’empêcher la vente du bien donné sans son accord, à condition que l’inaliénabilité stipulée soit « temporaire et justifiée par un intérêt sérieux et légitime »41. Théoriquement, cette inaliénabilité devrait empêcher toute vente envisagée sur le fondement de l’article L. 642-18 du Code de commerce ; mais l’alinéa 1er de l’article 900-1 du Code civil précise que le donataire « peut être judiciairement autorisé à disposer du bien (…) s’il advient qu’un intérêt plus important l’exige ».

La différence avec l’action autorisée par l’article 924-4 du Code civil vient du fait que l’article 900-1 prévoit expressément l’autorisation judiciaire de disposer du bien sans l’accord du donateur. Dans notre cas, l’action réservée aux codonataires en vertu de l’article 924-4 du Code civil ne semble souffrir d’aucune exception, le silence du législateur ne faisant qu’accentuer l’incertitude relative à cette possibilité. Bien qu’il eût été possible de considérer que l’apurement du passif devant permettre la clôture de la procédure collective pouvait être considéré comme participant de l’intérêt général, l’applicabilité du droit de préemption urbain et de celui ouvert aux SAFER permet d’affirmer le contraire : la vente de gré à gré d’un immeuble du débiteur ne permet pas d’évincer l’existence d’un droit de préemption au prétexte de l’intérêt général.

Nous pouvons le comprendre, puisque la supériorité d’un tel principe permettrait de mettre à mal l’action de l’article 924-4 du Code civil et d’empêcher toute action en réduction ou en revendication contre le tiers acquéreur, tout comme d’ailleurs, en matière d’expropriation. À cette différence que l’expropriation doit justifier d’un intérêt légitime : l’utilité publique42.

3 – Une responsabilité du liquidateur, du juge-commissaire ou du notaire ?

Dans le cadre de la liquidation judiciaire, la vente est considérée comme parfaite dès lors que l’ordonnance du juge-commissaire l’autorisant a acquis force de chose jugée43, l’intervention du notaire, sous l’autorité du liquidateur44, ne faisant que constater le transfert de propriété (et accessoirement le transfert des risques sur l’acquéreur).

Dès lors, se pose la question de la responsabilité, qui du juge-commissaire, qui du notaire, en cas de recours contre le tiers acquéreur sur le fondement de l’article 924-4 du Code civil.

22. Le critère de la vente parfaite. En matière de liquidation judiciaire, la vente, nous l’avons vu, sera parfaite dès lors que l’ordonnance du juge-commissaire aura été purgée de tout recours. En matière de vente amiable (donc hors procédure collective), la vente est théoriquement parfaite, sur le fondement de l’article 1583 du Code civil, dès lors « qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé », bien qu’ici une tempérance doive être ajoutée, puisqu’en pratique l’avant-contrat sera systématiquement conclu sous la condition suspensive de réitération des consentements par acte authentique.

L’acte authentique reçu par notaire constate le transfert de propriété puisqu’il constate en même temps la réunion de toutes les conditions nécessaires à la rencontre des volontés de l’acquéreur et du vendeur45.

23. Le notaire responsable de ses actes. De manière générale, le notaire est responsable du contenu des actes qu’il reçoit. La question de la responsabilité du notaire ayant reçu l’acte authentique constatant la vente de gré à gré se pose : dans la mesure où ce dernier doit rédiger un acte authentique, son but, à savoir le transfert de propriété de l’immeuble appartenant au débiteur, bien qu’il résulte d’une ordonnance du juge-commissaire, est-il de nature à engager la responsabilité du notaire ?

Dans un arrêt du 7 octobre 2003, la cour d’appel de Paris a estimé, pour le cas d’un notaire ayant reçu un acte de dépôt de titres de sociétés étrangères, que ce dernier, « constitué gardien des titres par le seul déposant (…) n’avait pas à se livrer à des investigations au-delà de la vérification d’identité »46.

Mais une réponse ministérielle est venue préciser que « les diligences du notaire sont les mêmes et qu’il encourt la même responsabilité, qu’il rédige l’acte ou qu’il le reçoive au rang de ses minutes », le notaire ayant en effet « pour mission d’assurer la régularité formelle des actes et de veiller à leur efficacité, d’éclairer les parties, de vérifier si leurs intérêts sont sauvegardés, de les instruire de leurs droits et obligations respectifs, de leur expliquer les engagements qu’ils contractent »47, la Cour de cassation ayant quant à elle estimé que « les notaires, tenus d’assurer la validité et l’efficacité des actes qu’ils établissent, doivent prendre toutes les précautions utiles et s’entourer de tous les renseignements nécessaires à l’accomplissement de leur ministère, sans s’arrêter aux seules déclarations qui leur sont faites par les parties »48.

24. La question est néanmoins plus large et doit être posée ainsi : le notaire peut-il être tenu responsable du contenu d’un acte ne faisant que reprendre, en constatant la réalisation de diverses conditions suspensives éventuelles, les termes d’une ordonnance délivrée par le juge-commissaire ayant acquis force de chose jugée ? Dans quelle mesure, et par quelle cabriole juridique, le notaire pourrait-il être tenu responsable de problématiques liées à la vente du bien du débiteur, alors que cette dernière est déjà parfaite ? Car l’ordonnance du juge-commissaire est une condition de validité de la vente de gré à gré telle que prévue par l’article L. 642-18 du Code de commerce. Dès lors, comment considérer que la présence du juge-commissaire et de son ordonnance permettra néanmoins d’engager, en cas de problème, la responsabilité du notaire ? Certes, le notaire est débiteur d’un devoir de conseil et d’investigation eu égard aux actes qu’il dresse pour le compte de ses clients. Mais lorsque ces derniers s’adressent à lui pour la rédaction de l’acte de vente à la suite d’une décision de justice rendant la vente parfaite, le notaire doit-il endosser, en plus du rôle d’authentificateur, celui de superviseur ?

25. Cependant, au regard de l’interprétation de la vente réalisée sous le régime de l’article L. 642-18 du Code de commerce, il apparaît que l’intervention du notaire permettra, outre de finaliser le transfert de propriété, de faire mention de la levée des différentes conditions suspensives éventuellement mentionnées dans l’offre d’achat. Dès lors, l’acte authentique constatant la vente de gré à gré de l’immeuble du débiteur en liquidation judiciaire pourrait s’interpréter comme une réitération du consentement de l’acquéreur, bien que, comme nous l’avons déjà souligné, la vente soit déjà parfaite. En ce sens, la responsabilité du notaire devrait être engagée si ce dernier passait l’acte de vente sans informer l’acquéreur du risque représenté par l’article 924-4 du Code civil, mais encore plus s’il ne recueillait pas, ou tentait de le faire, les consentements des cohéritiers à l’aliénation du bien donné, ainsi que le prévoit l’alinéa 2 dudit article. Dès lors, la responsabilité du juge-commissaire ne semble pas pouvoir être engagée puisque la mission de ce dernier sera d’ordonner la vente de l’immeuble du débiteur, la nécessité d’un acte authentique dans le cas d’une vente de gré à gré repoussant le formalisme et les vérifications qui y sont associés au stade de l’intervention du notaire. La procédure même de la vente de gré à gré de l’article L. 642-18 du Code de commerce semble parfaire ce raisonnement puisque seuls les créanciers inscrits du débiteur auront l’obligation d’être informés selon les articles R. 642-23 et R. 642-36 du Code de commerce, lequel ne vise pas les cohéritiers du débiteur de l’indemnité en réduction.

Bien qu’à notre sens, cette solution ne puisse être convenable, elle demeure concevable, et ce au titre du devoir de conseil, d’efficacité et de l’obligation d’information circonstanciée pesant sur le notaire. Il convient par conséquent de prendre les mêmes précautions, au regard de l’article 924-4 du Code civil, que la vente soit soumise au régime de l’article L. 642-18 du Code de commerce ou qu’il s’agisse d’une véritable vente amiable : dans le cas contraire, sa responsabilité pourrait, à juste titre, être engagée. Grâce au mécanisme de la RAAR a posteriori, le notaire pourra régulariser l’absence de consentement à la vente des cohéritiers dans l’ordonnance du juge-commissaire. Il est ainsi possible de faire renoncer les codonataires à toute action en réduction, ou à une partie seulement49 après la vente.

4 – La vente de gré à gré sur ordonnance du juge-commissaire est-elle un contrat ?

26. Nous rejoignons néanmoins les propos de François Sauvage50 : en faisant une lecture stricte de l’article 924-4, alinéa 1er, il apparaît que « les héritiers réservataires peuvent exercer l’action en réduction ou revendication contre les tiers détenteurs des immeubles faisant partie des libéralités » lorsque ces derniers auront été aliénés par le gratifié. Or, dans le cadre d’une procédure de liquidation judiciaire, le dessaisissement de ce dernier empêche qu’il soit l’auteur de la vente puisque, rappelons-le, cette dernière sera prononcée par l’ordonnance du juge-commissaire et passera par le biais du liquidateur51. Dès lors, la vente du bien du débiteur en liquidation judiciaire, lorsqu’elle ne suit pas le régime de la vente sur saisie immobilière des articles L. 322-5 à L. 322-12 du Code des procédures civiles d’exécution, prendra la forme d’une vente par adjudication amiable ou de gré à gré.

Si l’on revient à la base du droit des obligations, la vente d’immeuble est « une convention par laquelle l’un s’oblige à livrer une chose, et l’autre à la payer » selon l’article 1582 du Code civil.

27. De fait, puisque le débiteur n’est pas à l’origine de l’aliénation du bien donné, par le jeu de son dessaisissement et puisque la vente est ordonnée par le juge-commissaire, il conviendrait de penser que l’article 924-4 du Code civil ne saurait trouver application dans le sens où l’alinéa 1er de ce dernier vise expressément l’aliénation « des immeubles faisant partie des libéralités » par le gratifié. Dès lors, si la vente n’est pas de son chef et puisqu’il n’y consent même pas, il ne devrait pas être considéré comme le vendeur du bien donné.

Une telle solution, si elle reste plaisante à l’esprit, mérite néanmoins d’être traitée avec beaucoup de prudence en raison de l’absence de toute jurisprudence relative à cette problématique. L’idéal sera d’obtenir, au choix ou selon les circonstances, une renonciation anticipée à l’action en réduction ou, à défaut, le consentement à l’aliénation par les donateurs et tous les héritiers. À ce sujet, l’alinéa 2 de l’article 924-4 du Code civil précise que ce consentement pourra intervenir postérieurement à la donation. Donc, pourquoi s’en priver.

Le problème viendra finalement du cas où tous les consentements ne pourront être obtenus : dès lors, une information précise et circonstanciée devra impérativement être délivrée au tiers acquéreur avant l’ordonnance du juge-commissaire. Cette information sera en outre réitérée par le notaire chargé, en cas de vente de gré à gré, de constater le transfert de propriété ; bien que dans un tel cas, la vente étant parfaite, le mal soit déjà fait.

Notes de bas de pages

  • 1.
    L’article 900-1 du Code civil autorise en effet, pour les donations, la stipulation d’une clause d’inaliénabilité dans la mesure où cette dernière est « temporaire et justifiée par un intérêt sérieux et légitime », laquelle sera la plupart du temps en pratique limitée à la durée de vie du ou des donateurs (ainsi que l’autorise la jurisprudence : Cass. 1re civ., 8 janv. 1975, n° 73-11648). Étant en outre ici précisé que la notion d’intérêt sérieux et légitime doit être apprécié au jour de la libéralité : en ce sens, Cass. 1re civ., 6 mars 2013, n° 12-13340, D.
  • 2.
    Not. en vertu des dispositions de C. civ., art. 1077 et C. civ., art. 1078.
  • 3.
    En particulier ne vertu des dispositions de C. civ., art. 1077-1 et C. civ., art. 1077-2.
  • 4.
    Pezard S. et de La Taille S., « La menace virtuelle de l’article 924-4 du Code civil – Plaidoyer pour un retour à la raison », JCP N 2009, n° 1321.
  • 5.
    Selon les termes de C. civ., art. 924.
  • 6.
    C. civ., art. 924, al. 1er.
  • 7.
    D’autant plus que la jurisprudence a estimé que pour l’exercice de l’action en réduction, l’article 1077-2 du Code civil renvoyait aux règles des donations entre vifs, rendant de facto l’article 1078 inapplicable à ce cas. En ce sens : Cass. 1re civ., 17 déc. 1996, n° 94-17911 : Bull. civ. I, n° 462.
  • 8.
    Régie par C. civ., art. 1075 et s., en particulier C. civ., art. 1076 à C. civ., art. 1078-10.
  • 9.
    C. civ., art. 929 et s.
  • 10.
    Pour une étude plus complète sur ce point, nous renvoyons à l’art. préc. : Pezard S. et de La Taille S., « La menace virtuelle de l’article 924-4 du Code civil — Plaidoyer pour un retour à la raison ».
  • 11.
    Cass. 1re civ., 18 oct. 1966 : Bull. civ. I, n° 474. Dans cet arrêt, la Cour de cassation a validé le raisonnement de la cour d’appel de Paris, laquelle avait indiqué que « pour assurer la protection des tiers acquéreurs de biens donnés, il est possible pour celui qui détient le bien donné de se libérer en offrant la valeur de la récompense due sans être obligé de restituer le bien lui-même ».
  • 12.
    Le principe d’efficacité du notaire est à distinguer de son obligation d’information et de conseil : le premier peut ainsi se définir comme la résultante du second.
  • 13.
    Aubert J.-L., La responsabilité civile des notaires, 5e éd., Defrénois, p. 91.
  • 14.
    Pour le cas où seule une partie des cohéritiers du vendeur aurait donné son consentement, le tiers acquéreur ne serait alors pas libéré, en vertu de l’alinéa second de l’article 924-4 du Code civil, du risque que l’un des cohéritiers n’ayant pas consenti à l’aliénation exerce contre lui une action en réduction ou en revendication sur le fondement de l’alinéa premier de l’article 924-4 du même code.
  • 15.
    Cass. 1re civ., 16 déc. 2015, n° 14-29758 : Bull. civ. I, n° 841.
  • 16.
    Borel J.-P., « Responsabilité du notaire en présence d’une action en réduction à l’encontre d’un tiers acquéreur », Defrénois 15 juill. 2016, n° 124a3, p. 761.
  • 17.
    Larribau-Terneyre V. sous Cass. 1re civ., 13 déc. 2012, n° 11-19098 : Bull. civ. I, n° 258 ; Dr. famille 2013, comm. 27, op. cit.
  • 18.
    En ce sens, v. : Cass. 1re civ., 7 févr. 1989, n° 86-18559 : Bull. civ. I, n° 69 et Cass. 1re civ., 25 janv. 1989, n° 87-12838 : Bull. civ. I, n° 40.
  • 19.
    Cass. 1re civ., 20 déc. 2017, n° 16-13073, FS-PB.
  • 20.
    Hacene A., « Redressement fiscal : manquement du notaire à son obligation d’information et de conseil », Dalloz actualité, 15 janv. 2018.
  • 21.
    JCl. Civil Code Formulaire, fasc. 50, n° 2.
  • 22.
    JCl. Civil Code Formulaire, fasc. 50, n° 18.
  • 23.
    Ibid.
  • 24.
    En vertu de C. com., art. L. 642-18, al. 3.
  • 25.
    C. com., art. L. 642-18, al. 3.
  • 26.
    CPC exéc., art. R. 322-21. Dans les faits, le juge-commissaire ordonnera la vente si les critères de C. com., art. L. 642-18, al. 3 sont remplis.
  • 27.
    Elle ne sera pas, par exemple, susceptible de faire l’objet d’un recours en rescision pour lésion : Cass. com., 16 juin 2004, n° 01-17185.
  • 28.
    JCl. Procédures collectives, fasc. 2707, n° 69, Le Corre P.-M. En ce sens : Cass. com., 4 oct. 2005, n° 04-15062 : Bull. civ. IV, n° 191 et Cass. com., 13 mars 2012, n° 10-24192.
  • 29.
    Insérées par l’acquéreur, recevables quand bien même l’ordonnance du juge-commissaire n’en ferait pas état : Cass. com., 27 sept. 2016, n° 14-22372 : JCP E 2016, 1661, n° 7, obs. Pétel P.
  • 30.
    Cass. com., 16 oct. 2001, n° 98-12216.
  • 31.
    JCl Procédures collectives, fasc. 2707, op. cit.
  • 32.
    Le débiteur sera ainsi, selon ledit article, dessaisi de la « disposition de ses biens même de ceux qu’il a acquis à quelque titre que ce soit », conservant néanmoins la possibilité de « se constituer partie civile dans le but d’établir la culpabilité de l’auteur d’un crime ou d’un délit dont il serait victime » ou d’accomplir « les actes et exercer les droits et actions qui ne sont pas compris dans la mission du liquidateur ou de l’administrateur lorsqu’il en a été désigné », c’est-à-dire les actions personnelles.
  • 33.
    CPC exéc., art. R. 322-25 : le juge ne prononcera la vente (lorsque l’acte authentique constatant cette dernière aura été régularisé chez le notaire chargé de la recevoir) qu’à la condition « que l’acte de vente est conforme aux conditions qu’il a fixées, et que le prix a été consigné ».
  • 34.
    C. urb., art. L. 210-1, al 1er.
  • 35.
    C. com., art. L. 642-1, al. 1er.
  • 36.
    Bien qu’un arrêt du Conseil d’État du 17 décembre 2008 ait affirmé le contraire : CE, 1re-6e ss-sect. réunies, 17 déc. 2008, n° 316411.
  • 37.
    Cass. 1re civ., 30 mai 2012, n° 11-13676, D.
  • 38.
    Cass. 3e civ., 19 sept. 2012, n° 10-21858 : Bull. civ. III, n° 129. En ce sens : Barbieri J.-J., Ventes en procédures collectives et restriction au droit de préemption des SAFER, 2012, Defrénois, p. 1085 ; Saint-Alary-Houin C., Une SAFER ne peut faire fixer le prix en justice si la vente a été autorisée par le juge-commissaire, BJE janv. 2012, n° 200, p. 364. Plus récemment : CA Rennes, 1re ch., 30 mai 2017, n° 16/06100.
  • 39.
    Concernant le congé pour vendre, la problématique est différente : ce dernier dépend de la validité de la délivrance du congé. Dès lors que le débiteur est dessaisi de plein droit, il ne pourra en aucun cas être à l’origine de ce congé. Il appartiendrait alors au liquidateur de procéder à un tel congé. Malheureusement, le législateur considère que « le contrat est conclu dès que l’acceptation parvient à l’offrant » (C. civ., art. 1121), estimant en outre que « le contrat est formé par la rencontre d’une offre et d’une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s’engager » (C. civ., art. 1113).
  • 40.
    En ce sens : JCl. Procédures collectives, fasc. 2707, n° 3, Le Corre P.-M.
  • 41.
    L’inaliénabilité ainsi stipulée sera, en pratique, généralement limitée à la durée de vie du donateur.
  • 42.
    Dont les conditions sont indiquées aux articles L. 121-1 et suivants du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.
  • 43.
    Cass. com., 11 juin 2014, nos 13-16194 et 13-20375.
  • 44.
    En particulier pour la répartition du prix de vente, selon C. com., art. L. 642-18, al. 5.
  • 45.
    En ce sens : Cass. com., 4 oct. 2005, n° 04-15062 : Bull. civ. IV, n° 191 – Cass. com., 13 mars 2012, n° 10-24192 ; Cass. com., 27 sept. 2016, n° 14-22372 : JCP E 2016, 1661, n° 7, obs. Pétel P.
  • 46.
    Cass. 1re civ., 14 juin 2005, n° 03-20906.
  • 47.
    Rép. min. n° 13640 : JOAN, 3 nov. 2003, p. 8490.
  • 48.
    Cass. 1re civ., 15 avr. 1989, n° 86-15240.
  • 49.
    V. infra.
  • 50.
    Sauvage F., L’opposabilité au réservataire de l’hypothèque constituée par le donataire, 2007, Defrénois, p. 997.
  • 51.
    C. com., art. L. 642-18.
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