L’effet interruptif de la demande en justice au sens de l’article 2241 du Code civil
L’article 2241 du Code civil, issu de la réforme de la prescription en matière civile, pose un principe simple et a vocation générale, celui de l’effet interruptif de la demande en justice. Encore faut-il toutefois pouvoir en définir précisément les contours non seulement au regard de la formulation générique employée par le législateur de 2008 mais aussi des récents tempéraments qui y ont été apportés.
Depuis la loi n° 2008-561 du 17 juin 20081, la demande en justice interrompt les délais de prescription et de forclusion, au même titre que l’exécution forcée. En substituant ainsi une formulation générique à celle de « citation en justice », telle qu’employée depuis la loi du 25 mars 1804, le législateur a entendu couvrir aussi bien la citation que l’assignation, partant du constat que le Code civil employait indifféremment les deux termes2. Si l’on peut aisément admettre l’opportunité d’avoir substitué la référence « aux actes d’exécution forcée » aux notions de commandement et de saisie au regard de l’article 2 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 19913, précisant que seul « le créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l’exécution forcée sur les biens de son débiteur dans les conditions propres à chaque mesure d’exécution », il en va différemment de la demande en justice. Faute de précision, le caractère général de l’expression est en effet propice à de nombreuses ambiguïtés et zones d’ombre. Affranchie de toute signification préalable à celui qu’on veut empêcher de prescrire, l’on peut être tenté d’en déduire que la requête et la déclaration, telles que définies par l’article 58 du Code de procédure civile, emportent également interruption des délais de prescription et de forclusion, nonobstant leur caractère non contradictoire4. Il est vrai que la notion de demande en justice est en tout état de cause suffisamment large pour pouvoir accueillir cette solution, pour le moins contraire à la jurisprudence antérieure à la réforme5. En outre, se pose encore la question de savoir si la demande en justice suppose la saisine effective du juge et partant, celle de la détermination du sort de l’effet interruptif de l’acte introductif en cas de placement tardif ou de caducité. Sur ce dernier point, le doute est permis à la lecture du deuxième alinéa de l’article 2241 du Code civil qui maintient l’interruption des délais à l’égard d’une demande portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l’acte est annulé par l’effet d’un vice de procédure. L’ensemble de ces interrogations, résultant de l’absence de définition précise non seulement de la demande en justice mais également des contours de son effet interruptif, rend délicate la mise en œuvre du texte et ce, à plus forte raison encore au regard de la généralisation des modalités de résolution amiable des différends et de la récente introduction, en droit français, de l’action de groupe. D’inspiration jurisprudentielle et empreinte de volonté simplificatrice, la loi de 2008 semble donc n’avoir posé qu’un principe d’apparence simple (I), loin d’être aussi général qu’il n’y paraît au vu des récents tempéraments qui y ont été apportés (II).
I – Un principe d’apparence simple
L’effet interruptif de la demande en justice n’est pas une nouveauté issue de la réforme de 2008, telle qu’en atteste la rédaction de l’ancien article 2244 du Code civil. Si le dispositif actuel semble avoir été allégé de toutes précisions jugées redondantes, sa formulation d’apparence simple soulève toutefois un certain nombre de difficultés, tant au regard du caractère général de la notion de demande en justice (A) que de la généralisation de l’obligation de faire précéder la demande de diligences amiables (B).
A – Les conséquences du caractère général de la notion de demande en justice
Lors de l’examen de la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière civile, la commission des lois du Sénat a préféré l’expression de demande en justice à celle de citation. Il est vrai que le terme de citation, visant de manière générique l’acte de procédure par lequel l’on somme son adversaire ou un témoin de comparaître, n’est que très peu utilisé, à la différence de l’acte d’assignation qui, en tant que mode de citation, est expressément défini à l’article 55 du Code de procédure civile. En l’absence de précision, l’effet interruptif semble donc pouvoir s’étendre à toutes sortes de demandes, aussi diverses soient-elles au regard de leur forme. Nonobstant le principe selon lequel l’interruption de la prescription ne peut s’étendre d’une action à une autre, la Cour de cassation a ainsi pu admettre l’effet interruptif de l’exception d’incompétence dès lors que les deux actions tendent à un seul et même but, de sorte que la deuxième entre dans le giron de la première6. Le sens générique de l’expression ne semble pas non plus être de nature à remettre en cause les solutions rendues au visa de l’ancien article 2244. L’effet interruptif peut donc s’entendre tant des demandes initiales que des demandes incidentes7, des demandes au fond que des demandes en référé8, ou encore du simple dépôt d’écritures au greffe9, y compris dans le cadre d’une procédure orale, dès lors que la partie ou son représentant a comparu et les a reprises oralement10. Si la notion générale de demande en justice a eu le mérite de tenir compte de la diversification des modes d’introduction de l’instance, l’effet interruptif qui y est en principe attaché est cependant loin d’être absolu. En témoigne l’arrêt de la Cour de cassation du 11 septembre 2014 qui, sur le fondement de l’article 2241, n’a pas jugé interruptive de prescription une demande de vérification des dépens11. En revanche, à la lecture combinée des dispositions de l’article 2241 et 54 du Code de procédure civile, la requête, tout comme la déclaration au greffe, semblent devoir être entendues comme des modes introductifs d’instance à part entière susceptibles d’interrompre les délais pour agir12. Bien que la Cour de cassation, dans un arrêt inédit rendu en première chambre civile le 19 mars 2015, ait admis qu’une requête aux fins de saisie des rémunérations, en ce qu’elle équivaut à une citation en justice, puisse interrompre la prescription, il semble cependant difficile d’en déduire une règle générale13. En effet, si certains textes prévoient expressément que la requête interrompt la prescription, c’est bien que le principe y est contraire. Comment admettre la solution inverse puisque non seulement la partie adverse, par essence même, ignore l’existence de la requête, mais encore le requérant n’a pas de délais pour mettre en application la mesure autorisée sur requête. Reste encore en suspens la question de savoir si la notion de demande en justice implique la saisine effective du juge, notamment dans les cas d’assignation. La jurisprudence considérait traditionnellement que l’effet interruptif devait s’opérer à compter de la date de délivrance de l’assignation, bien que sa mise au rôle soit généralement postérieure14. Pour certains, le maintien de cette solution serait préférable, estimant que l’inclusion du placement se concilie difficilement avec la portée générale du principe selon lequel « la demande initiale est formée par assignation »15 et forcerait à reconnaître qu’elle puisse émaner tant du demandeur que du défendeur16. Or, si ce n’est faire dépendre le moment de l’interruption des délais pour agir à des contraintes que le demandeur ne peut maîtriser, notamment les horaires d’ouverture et le fonctionnement des greffes, il semble que toute idée de placement de l’assignation ne soit pas totalement exclue. En tant qu’acte juridique unilatéral de manifestation de volonté permettant au juge de connaître la prétention du demandeur, la notion de demande en justice sous-entend en effet la saisine du juge. En ce sens, toutes les formes d’introduction de l’instance confondent saisine et demande, à la seule exception de l’assignation. Peuvent également plaider en faveur de cette interprétation, les dispositions de l’article 53 du Code de procédure civile précisant que « la demande initiale est celle par laquelle un plaideur prend l’initiative d’un procès en soumettant au juge ses prétentions ». La Cour de cassation a d’ailleurs estimé, pour relever la caducité, que « l’assignation ne pouvait être assimilée à une demande en justice interruptive de prescription au motif qu’elle n’avait pas fait l’objet d’un placement devant le tribunal »17. Fruit du hasard de la plume ou véritable volonté de ne viser que l’acte de saisine, la notion générique de demande en justice n’est peut-être pas tant la seule source d’ambiguïtés à en juger par l’ambivalence des formulations employées par le Code de procédure civile. Toutefois, au regard de l’obligation, qui tend à se généraliser, de faire précéder la demande de diligences amiables, les doutes semblent se dissiper.
B – Les conséquences de l’obligation de faire précéder la demande en justice de diligences amiables
Depuis le décret n° 2015-282 du 11 mars 2015, la saisine du juge doit être précédée d’une tentative préalable en vue de résoudre le différend à l’amiable, sauf motif légitime tenant à l’urgence et à la matière considérée18. Les diligences ainsi entreprises doivent être précisées dans l’acte introductif d’instance. De toute évidence, la nouvelle exigence ne se heurte pas aux mêmes difficultés au regard des demandes formées au moyen d’une assignation. Le tribunal étant saisi par la remise au greffe d’une copie de l’assignation19, l’on peut en toute logique en déduire que les tentatives d’approches doivent avoir été réalisées avant sa délivrance20. Cela rejoint la position de la Cour de cassation précisant, dans un avis du 4 mai 2010, que « la date d’introduction de l’instance doit s’entendre de la date de cette assignation, à condition qu’elle soit remise au secrétariat-greffe »21. Une assignation non placée ne peut donc interrompre les délais22. En tout état de cause, l’économie du texte quant aux conséquences du non-respect de l’obligation d’entreprendre des approches collaboratives ne semble pas devoir perturber outre mesure le principe de l’effet interruptif de la demande en justice. C’est ainsi que le tribunal de grande instance a récemment considéré, à l’occasion d’une affaire opposant le père et la mère au regard de la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants, que l’absence de recherche préalable d’une résolution amiable ne pouvait être sanctionnée par la nullité, faute de sanction prévue par le législateur23. Si l’absence de sanction peut paraître bien aisée d’un point de vue procédural, la solution inverse n’aurait guère été plus comminatoire. En effet, l’article 2241 du Code civil, en son deuxième alinéa, laisse subsister l’effet interruptif de la demande, même lorsque l’acte de saisine de la juridiction est annulé pour vice de procédure puisque la jurisprudence considère que cette notion vise aussi bien l’irrégularité de fond que de forme24. Dès lors, quand bien même serait-elle entachée de nullité, la demande devrait en toute occurrence conserver son effet interruptif, sauf peut-être en cas de mauvaise foi du demandeur25. À l’inverse, le défaut de placement dans les délais à raison d’artifices mis en œuvre par le défendeur, se prêtant au jeu des négociations dans le seul dessein de gagner du temps et de faire échec à toute action en justice, pourrait être lourde de conséquences. En effet, bien que le législateur n’ait pas consacré la jurisprudence de l’assemblée plénière de la Cour de cassation considérant que l’assignation dont la caducité est constatée ne pouvait interrompre le cours de la prescription26, il semble que la solution demeure toutefois acquise au vu de la récente décision de la cour d’appel de Paris du 7 avril 201627. En outre, suite à l’adoption de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, les juges pourraient bien se montrer plus exigeants dans la démonstration des démarches entreprises en ce qu’elle permet désormais d’échapper à l’irrecevabilité d’une déclaration au greffe du tribunal d’instance qui ne serait pas précédée d’une tentative de conciliation28. Le nouveau dispositif étant limité aux seuls litiges dont le montant n’excède pas 4 000 €, l’on peut d’ores et déjà prédire que la faveur sera donnée aux démarches amiables préalables, notamment lorsque les délais pour agir sont courts et sanctionnés par la forclusion. Tout au plus, le demandeur s’exposera à la volonté du juge de mettre en œuvre un mode judiciaire de résolution du litige29. Faute de contrainte législative, l’on pourrait imaginer des reports d’audience systématiques afin d’astreindre le demandeur à la recherche de solutions alternatives au règlement de son litige, comme c’est déjà parfois le cas lorsque la médiation est obligatoire. À Évry, il est de pratique courante de rappeler, dans le cadre des convocations devant le juge aux affaires familiales, la nécessité de justifier s’être rendu à un entretien d’information au risque que l’affaire ne soit renvoyée à une audience ultérieure, « le temps d’engager les démarches nécessaires à la tenue d’un entretien préalable sur la médiation en application de l’article 127 du Code de procédure civile »30. Si le principe de l’effet interruptif de la demande en justice semble pouvoir être préservé au regard de cette nouvelle exigence, sa portée n’en reste pas moins tempérée par un certain nombre de dispositions.
II – Un principe à tempérer
Bien le principe de l’effet interruptif de la demande en justice ait une vocation générale, un certain nombre d’aménagements y ont progressivement été apportés au profit de la suspension des délais. Il en va ainsi notamment lorsque les justiciables optent pour un mode de résolution extrajudiciaire de leur conflit (A) ou lorsqu’ils décident de se joindre à une action de groupe (B).
A – Un principe progressivement aménagé en faveur des modes alternatifs de règlement des litiges
Depuis quelques années, la priorité est donnée à la résolution amiable des litiges. En permettant aux parties de s’écarter des lourdeurs du droit procédural, la philosophie de la justice prend une autre dimension, davantage tournée vers un ordre juridique négocié. La faveur contemporaine pour les modes alternatifs de règlement des différends est ainsi mise en œuvre tant de manière conventionnelle31 que judiciaire32. Distinctes des principes de procédure classiques, les règles relatives à la prescription ont été aménagées afin que les parties ne soient pas dissuadées de recourir à un mode extrajudiciaire de résolution, de peur de se heurter, en cas d’échec, à une fin de non-recevoir. L’article 2238 du Code civil fait ainsi une place à part, au côté de l’effet interruptif de la demande en justice, à la suspension des délais de prescription lorsque les parties conviennent de recourir à la médiation ou à la conciliation, ainsi qu’à une convention de procédure participative. L’issue de la procédure négociée est elle-même sécurisée, que ce soit en cas d’échec ou de succès, puisque les parties sont assurées, par dérogation à l’article 2230 du Code civil, que le délai de prescription qui recommencera à courir ne peut être inférieur à six mois. Une question se pose néanmoins à la lecture de la disposition en ce qu’elle ne mentionne littéralement que la suspension. Faut-il en conclure que les délais de forclusion sont exclus de la garantie suspensive ? Bien que l’article 2220 du Code civil exclut expressément les délais de forclusion des règles applicables à la prescription extinctive, il faut espérer que la jurisprudence en retienne une application identique. Cependant, en l’état actuel, rien n’est moins sûr. En témoigne la décision de la cour d’appel de Bourges du 6 avril 2015, estimant, pour rejeter le moyen tiré de l’application de l’article 2238, que le délai de garantie décennale n’était pas un délai de prescription mais un délai d’épreuve, de sorte qu’il ne pouvait être régi par ce texte « qui ne s’applique qu’aux délais de prescription »33. En revanche, la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 20 septembre 2011, a approuvé les juges du fond ayant fait application de la procédure contractuelle de conciliation au délai préfix d’un an prévu par l’article 46 de la loi du 10 juillet 196534. Face à de telles incertitudes, la prudence peut naturellement conduire à préférer la garantie d’un effet interruptif d’une demande en justice, quand bien même serait-elle assortie de l’obligation minimale de la faire précéder de diligences amiables. L’inverse serait tout le moins surprenant pour les contentieux relevant de la compétence du tribunal d’instance et du tribunal de proximité. En effet, conformément à l’article 830 et suivants du Code de procédure civile, le demandeur peut saisir le juge, verbalement ou par lettre simple, aux seules fins de provoquer une tentative de conciliation, ce qui a pour effet d’interrompre tant les délais de prescription que de forclusion, conformément à l’alinéa premier de l’article 2241 du Code civil. Depuis le décret n° 2015-282 du 11 mars 2015, il est toutefois précisé que le demandeur ne peut s’opposer à ce que le juge délègue ses pouvoirs à un conciliateur de justice. Il n’est d’ailleurs pas exclu que ce mode de saisine ait vocation à se généraliser au vu de l’article 4 de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, qui prévoit désormais que, « sous peine d’irrecevabilité », la saisine du tribunal d’instance par déclaration au greffe doit être précédée d’une tentative de conciliation35. L’article 2243 du Code civil ne distinguant pas selon que la demande est définitivement rejetée par un moyen de fond ou par une fin de non-recevoir36, le risque d’irrecevabilité de l’assignation à toutes fins présente un risque bien trop élevé pour que l’on se range du côté de la raison, surtout pour les litiges dont le montant n’excède pas 4 000 €. Si l’intention du législateur était de désengorger les tribunaux et d’anticiper la suppression des juridictions de proximité, telle qu’annoncée au 1er janvier 2017, le dispositif semble être, en toute occurrence, inopérant faute de modification de l’article 843 du Code civil n’instituant, pour l’heure, la déclaration au greffe qu’à titre facultatif. Dès lors, si le principe de l’effet interruptif de la demande en justice peut être préservé au regard des modes alternatifs de règlement des litiges, nonobstant les aménagements qui y sont apportés, il en va tout autrement au regard du mécanisme de l’action de groupe.
B – Un principe écarté dans le cadre de l’action de groupe ?
Introduite en droit de la consommation par la loi du n° 2014-344 du 17 mars 2014 et le décret n° 2014-1081 du 24 septembre 2014, l’action de groupe est désormais généralisée à la matière civile et administrative par la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle37. L’objectif premier de ce dispositif consiste en la mise en place des règles communes susceptibles d’être déclinées par chacun des ministères concernés dans leurs secteurs spécifiques38. Le législateur va encore plus loin en élargissant son champ d’application, lequel vise désormais la réparation des préjudices tant matériels que moraux. Bien que reposant sur une procédure excessivement formalisée, le fonctionnement de l’action de groupe paraît simple. Au sens des articles 62 et 63 de la loi, l’action de groupe est introduite par une association dont l’objet social recouvre la défense d’un intérêt collectif en vue de représenter une classe de personnes qui, placées dans une situation similaire, ont subi un dommage causé par une même personne et ayant pour cause commune un manquement de même nature à ses obligations légales ou contractuelles. Elle présente ainsi des avantages certains du point de vue de l’administration de la preuve, notamment au regard des expertises et moyens d’investigations judiciaires mis en œuvre au bénéfice du groupe. Cependant, cette relative simplicité peut s’avérer bien trompeuse. Sur un plan procédural en effet, l’articulation entre la procédure de droit commun et les dispositions spéciales se révèle bien délicate. L’article 79 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 précise ainsi que « l’adhésion au groupe ne fait pas perdre le droit d’agir selon les voies de droit commun pour obtenir la réparation des préjudices n’entrant pas dans le champ défini par le jugement de responsabilité ». Un premier aménagement est apporté au principe de l’effet interruptif de la demande en justice en ce qu’il est précisé, quelques articles plus loin, que la prescription est seulement suspendue au regard de ces actions individuelles39. En revanche, le texte ne dit mot quant à la demande principale introduite par l’association. Doit-on en déduire que l’action de groupe interrompt la prescription à son égard, en application de l’article 2241 du Code civil ? Pour l’affirmative, l’on peut se référer à la circulaire du 26 septembre 2014 de présentation de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 qui, partant du constat qu’aucune règle particulière relative à la prescription de l’action de groupe n’a été établie, cette dernière est, par voie de conséquence « soumise aux règles de prescription de droit commun »40. Rédaction malencontreuse ou volonté de ne pas surcharger de manière surabondante le dispositif, il semble cependant, au vu de la rigueur employée afin d’encadrer le dispositif, qu’une réponse affirmative soit contraire à l’esprit du législateur. Le renvoi au droit commun de la procédure civile soulève encore une autre interrogation, celle de la possibilité de se greffer à l’action de groupe, non pas en vue d’y adhérer, mais afin d’y élever ses propres prétentions41. À la lecture du dispositif, aucun obstacle textuel ne semble s’y heurter, dès lors que l’intervention principale procède de la demande initiale et tend aux mêmes fins, le texte n’excluant que la seule action de groupe qui serait fondée sur « le même fait générateur, le même manquement et la réparation des mêmes préjudices »42. Au regard de l’article 2241 du Code civil, l’intervention aurait ainsi un effet interruptif du délai de prescription, à la différence des actions individuelles qui seraient engagées par les membres du groupe. En outre, il nous faut déplorer, une fois encore, l’absence de toute référence au délai de forclusion, ce qui ne fait que conforter la nécessité d’une jurisprudence claire en la matière.
Conclusion
Présenté comme un principe général de procédure civile, l’effet interruptif de la demande en justice souffre encore aujourd’hui de nombreuses ambivalences et incertitudes. Si des adaptations sont indubitablement nécessaires, ce n’est pas tant les dispositions de l’article 2241 du Code civil qu’il convient de parfaire mais davantage celles qui nécessitent d’y être articulées, notamment par voie réglementaire. À défaut, il ne reste qu’à espérer que la jurisprudence puisse dégager une interprétation homogène à l’égard de toutes ces dispositions, y compris celles de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle qui ne feront pas l’objet de codification.
Notes de bas de pages
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1.
L. n° 2008-561, 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile : JORF n° 0141, 18 juin 2008, p. 9856, texte 1.
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2.
Béteille L., Rapport n° 83 fait au nom de la commission des lois du Sénat, 1re lecture, 14 nov. 2007, p. 47 ; Blessig É., Rapport n° 847 fait au nom de la commission des lois de l’Assemblée nationale, 1ère lecture, 31 avr. 2008, p.50.
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3.
L. n° 91-650, 9 juill. 1991, portant réforme des procédures civiles d’exécution : JO n° 163, 14 juill. 1991, p. 9228.
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4.
Chainais C., Ferrand F. et Guichard S., Procédure civile, Droit interne et européen du procès civil, 33e éd., 2016, Dalloz, n° 334, p. 260.
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5.
Cass. 3e civ., 9 nov. 2005, n° 04-15073 : Bull. civ. III, n° 2019 – Cass. 2e civ., 8 juin 1988, n° 86-14736 : Bull. civ. II, n° 137. V. aussi Foulon M. et Strickler Y., « Qu’est-ce qu’une requête (ou la polysémie du mot “requête ”) », Gaz. Pal 8 déc. 2012, n° J1813, p. 10.
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6.
Cass. 3e civ., 26 mars 2014, nos 12-24203 et 12-24208 : Bull. civ. III, n° 42.
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7.
Cass. 2e civ, 26 nov. 1998 : Bull. civ. II, nos 282 et 283.
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8.
Cass. soc., 22 mars 2000 : Bull. civ. V, n° 120 – Cass. 1re civ., 12 févr. 1991 : Bull. civ. I, n° 61 ; Cass. 3e civ., 11 mai 1994 : Bull. civ. III, n° 90.
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9.
Cass. 2e civ., 26 nov. 1998, n° 95-19280 : JCP G 1999, IV, p. 1073.
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10.
Cass. 1re civ., 13 nov. 2008, n° 06-21745 : Dalloz actualité, 25 nov. 2008, obs. Avena-Robardet V.
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11.
Cass. 2e civ., 11 sept. 2014, n° 13-24041 : Bull. civ. II, n° 184 ; D. 2015, p. 287, obs. Fricero N. V. égal. CA Bordeaux, 20 juill. 1870 : DP 1872, p. 70, concernant une simple signification entre avoué et avocat – Cass. 1re civ., 21 janv. 1997, n° 94-16157 : Bull. civ. I, n° 27, concernant une mise en demeure notifiée par lettre recommandée avec accusé de réception – Cass. 2e civ., 13 déc. 2001, n° 99-18692 : Bull. civ. II, n° 195, concernant des conclusions dépourvues de signature de l’avocat dès lors que la représentation est obligatoire.
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12.
Chainais C., Ferrand F. et Guichard S., Procédure civile, Droit interne et européen du procès civil, préc.
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13.
Cass. 1re civ., 19 mars 2015, n° 14-10972.
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14.
Cass. 2e civ., 11 déc. 1985 : JCP G 1986, II, 20677, note Taisne J.-J. ; RTD civ. 1987, p. 142, obs Perrot R. – Cass. 1re civ., 10 juill. 1990, n° 89-13345 : Bull. civ. I, n° 194 ; RTD civ. 1991, p. 341, note Mestre J. – Cass. 2e civ., 29 nov. 1995, n° 93-21063 : Bull. civ. II, n° 294 ; JCP 1996, II, 22699, note Sander É. ; RTD civ. 1996, p. 465, obs. Perrot R. – Cass. 3e civ., 27 nov. 2002, n° 01-10058 : Bull. civ. III, n° 243 ; D. 2003, p. 205, obs. Rouquet Y. – Cass., avis, 10 juill. 2006, n° 06-00007 : Bull. civ., avis, n° 7.
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15.
CPC, art. 54.
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16.
Hontebeyrie A., « Prescription extinctive », Rép. pr. civ. Dalloz, n° 397.
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17.
Cass. 3e civ., 5 juill. 2011, n° 10-19280.
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18.
D. n° 2015-282, 11 mars 2015, relatif à la simplification de la procédure civile, à la communication électronique et à la résolution amiable des différends : JO n° 0062, 14 mars 2015, p. 4851, texte 16.
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19.
CPC, art. 757, al. 1er.
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20.
Pour comparaison, v. Cass. 1re civ., 21 sept. 2016, n° 12-23250. Au visa de l’article 1360 du Code de procédure civile, la Cour de cassation estime que la fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité de la demande en partage judiciaire, fondée sur l’inobservation des exigences de l’article 1360 du Code de procédure civile, n’était pas susceptible d’être régularisée au moment où le juge statue.
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21.
Cass., avis, 4 mai 2010, n° 10-00002 : RTD civ. 2010, p. 614, obs. Hauser J. – Cass. 1re civ., 28 mai 2015, n° 14-13544 : AJ fam. 2015, p. 402.
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22.
Cass. ass. plén., 3 avr. 1987 : JCP G 1987, II, 20792, concl. Cabannes X. ; RTD civ. 1987, p. 401, obs. Perrot R.
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23.
TGI Paris, 5 févr. 2016, n° 15-38132 : AJ fam. 2016, p. 156.
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24.
Cass. 3e civ., 11 mars 2015, n° 14-15198 : D. 2015, p. 689.
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25.
Cass. 1re civ., 16 déc. 2004, n° 02-20364 : Procédures 2005, n° 43, obs. Croze H.
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26.
Cass. ass. plén., 3 avr. 1987.
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27.
CA Paris, 7 avr. 2016, n° 15/01260.
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28.
L. n° 2016-1547, 18 nov. 2016, de modernisation de la justice du XXIe siècle : JO n° 0269, 19 nov. 2016, texte 1, art. 4.
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29.
CPC, art. 127.
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30.
V. Avena-Robardet V., « Les MARD : avenir ou fin de l’avocat ? », AJ fam. 2016, p. 67.
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31.
CPC, art. 1528 à 1567.
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32.
CPC, art 127 à 131-15.
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33.
CA Bourges, 6 avr. 2015, n° 14/00786.
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34.
Cass. 3e civ., 20 sept. 2011, n° 10-20990.
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35.
L. n° 2016-1547, 18 nov. 2016, de modernisation de la justice du XXIe, préc., art. 4.
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36.
Cass. com., 26 janv. 2016, n° 14-17952 – Cass. 2e civ., 8 oct. 2015, n° 14-17952.
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37.
Cass. 3e civ., 20 sept. 2011, n° 10-20990 –L. n° 2016-1547, 18 nov. 2016, de modernisation de la justice du XXIe, art. 60 et s.
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38.
Étude d’impact portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle, 31 juill. 2015, NOR : JUSX1515639L, p.153 et s.
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39.
Projet de loi de modernisation de la justice, préc., art. 79, p. 99.
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40.
Circ., 26 sept. 2014, de présentation de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation : BOMJL n° 2014-10, 31 oct. 2014, NOR : JUSC1421594C, spéc. p. 13.
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41.
CPC, art. 328 et 329.
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42.
Projet de loi de modernisation de la justice, préc., art. 80, p. 99.