Précisions sur le régime du droit de rétractation de l’auteur d’une offre d’achat d’un actif appartenant à un débiteur en liquidation judiciaire dans le cadre d’une vente de gré à gré autorisée par le juge-commissaire
Mission impossible pour l’auteur d’une offre d’achat d’un actif d’un débiteur en liquidation judiciaire qui souhaite se rétracter après le prononcé de l’ordonnance du juge-commissaire autorisant ladite vente.
Cass. com., 14 nov. 2019, no 18-15871, PB
1. Dans un arrêt du 14 novembre 2019, la chambre commerciale de la Cour de cassation précise sa position traditionnelle1 en indiquant que dans le cadre de la réalisation des actifs d’un débiteur en liquidation judiciaire, la rétractation de l’auteur de l’offre est impossible dès le rendu de l’ordonnance du juge-commissaire ayant autorisé la vente de gré à gré dans les conditions et modalités de l’offre. L’emploi de l’adjectif « impossible » n’est pas anodin et semble permettre la résolution des difficultés laissées par la jurisprudence antérieure en la matière.
2. Dans cette espèce, une SCI a adressé au liquidateur une proposition d’achat pour l’acquisition d’un immeuble appartenant à un débiteur en liquidation judiciaire. Le juge-commissaire a autorisé la cession amiable du bien aux conditions de l’offre de la SCI en date du 19 novembre 2014. Par la suite, la SCI avait renoncé à son offre en date du 11 août 2015. L’ordonnance du juge-commissaire lui a pourtant été notifiée en date du 19 janvier 2016. La SCI a ainsi fait appel de ladite ordonnance le 27 janvier 2016 pour faire valoir sa rétractation.
3. Dans son pourvoi, la SCI reprochait à la cour d’appel d’avoir déclaré l’appel recevable mais d’avoir pour autant rejeté sa demande de rétractation au motif qu’elle intervenait après que l’ordonnance a acquis force de chose jugée. La cour d’appel avait en effet retenu que l’article R. 642-23 du Code de commerce n’imposant aucune notification de l’ordonnance à l’acquéreur, l’ordonnance avait acquis force de chose jugée dès l’expiration du délai d’appel ouvert au débiteur et aux créanciers, soit le 7 décembre 2014. Pour la Cour, la vente était donc parfaite à cette date, la rétractation de la SCI intervenue par courriel le 11 août 2015 était donc sans effet. Pour la SCI, l’ordonnance du juge-commissaire ne pouvait avoir acquis force de chose jugée alors que la voie de l’appel lui était encore ouverte en sa qualité de partie conformément à l’article R. 661-3 du Code de commerce. Il convenait donc de retenir la plus tardive des notifications, soit celle à son encontre le 19 janvier 2016. La vente ne pouvait être parfaite lors de la rétractation du 11 août 2015.
4. On constate que la SCI ne contestait pas la règle qui résulte de la jurisprudence en la matière, à savoir que la vente de gré à gré d’un élément d’actif du débiteur en liquidation judiciaire est parfaite dès l’ordonnance du juge-commissaire qui l’autorise, sous la condition suspensive que celle-ci acquière force de chose jugée. Le débat se limitait à la date à retenir pour constater que l’ordonnance du juge-commissaire avait acquis force de chose jugée.
5. La Cour de cassation va pourtant écarter cette question pour retenir de façon lapidaire que l’ordonnance qui autorise la cession de gré à gré d’un bien conformément aux conditions et modalités d’une offre déterminée rend impossible la rétractation de son consentement par l’auteur de l’offre. Cette nouvelle formulation permet de préciser le champ d’application de cette règle prétorienne (I). Mais l’emploi de l’adjectif impossible nous permet d’entrevoir la réponse que la Cour de cassation donnerait à la question de la difficile articulation entre la perfection de la vente de gré à gré d’un immeuble appartenant à un débiteur en liquidation judiciaire et le bénéfice pour l’acquéreur non professionnel d’un immeuble à usage d’habitation du délai de rétractation-réflexion prévu par l’article L. 271-1 du Code de la construction et de l’habitation (II).
I – Ne demandez, ni ne désirez l’impossible ! Une précision qui réduit à néant les espoirs de l’auteur de l’offre
6. On sait qu’en application de l’article R. 661-1 du Code de commerce, l’ordonnance du juge-commissaire, rendue en matière de liquidation judiciaire, est exécutoire de plein droit à titre provisoire. Depuis la modification de ce texte en 20142, il est possible d’arrêter l’exécution provisoire d’une ordonnance rendue en matière de liquidation judiciaire. La tâche n’est pourtant pas aisée, il convient de saisir le premier président de la cour d’appel, statuant en matière de référé, et de démontrer un moyen sérieux à l’appui de l’appel. L’ordonnance acquiert donc force de chose jugée à l’expiration du délai d’appel dans la mesure où il existe une possibilité (certes limitée) d’obtenir l’arrêt de l’exécution. Dans notre espèce, la difficulté résidait en ce que l’ordonnance n’a été notifiée à l’auteur de l’offre que très tardivement, bien après la notification faite au débiteur et aux créanciers et l’expiration de leur délai d’appel. Alors que la SCI se prévalait du fait que l’ordonnance ne pouvait acquérir force de chose jugée qu’à l’expiration du délai d’appel de la plus tardive des notifications. La cour d’appel a rendu une décision pour le moins critiquable, en retenant que l’article R. 642-23 du Code de commerce n’imposant aucune notification à l’égard de l’auteur de l’offre, la décision était nécessairement passée en force de chose jugée à l’expiration du délai d’appel ouvert au créancier et au débiteur, soit en l’espèce le 7 décembre 2014.
7. La Cour de cassation va pourtant écarter ce débat pour répondre à une autre question, à savoir celle des effets de l’ordonnance à l’égard des parties au moment de son prononcé. Cette question n’est pas nouvelle, on sait qu’un arrêt de la chambre mixte du 16 décembre 2005 a retenu que : « la force de chose jugée attachée à une décision judiciaire dès son prononcé ne peut avoir pour effet de priver une partie d’un droit tant que cette décision ne lui a pas été notifiée »3. Autrement dit, dans cet arrêt auquel avait participé la chambre commerciale, lorsqu’une décision a force de chose jugée dès son prononcé, il faut qu’elle soit notifiée aux parties pour produire des effets à leur égard. Notons également que la jurisprudence précitée s’applique également lorsque la décision n’est pas passée en force de chose jugée mais seulement assortie de l’exécution provisoire4. Donc en application de cette jurisprudence, la SCI s’étant rétractée le 11 août 2015 et l’ordonnance lui ayant été notifiée le 19 janvier 2016, elle a pu valablement se rétracter d’une ordonnance qui n’a pas pu produire d’effet à son encontre.
8. Il semble pour autant que la chambre commerciale change son fusil d’épaule dans notre espèce en retenant que les effets de l’ordonnance sont immédiats. La vente est parfaite dès le prononcé de l’ordonnance et ses effets s’appliquent immédiatement aux parties, en ce que la rétractation de l’auteur de l’offre est impossible. Cette position a le mérite de pallier les insuffisances de l’argumentaire de la cour d’appel qui se retranchait derrière l’article R. 642-23 du Code de commerce pour retenir que la vente était parfaite avant la rétractation de la SCI et la notification de la décision à son égard. On s’interroge alors si, ici, la Cour de cassation n’a pas tenté un grand écart entre sa position traditionnelle et la nécessité de sauver un arrêt d’appel mal fondé ? On peut le penser au regard de la substitution de motif qu’elle opère.
9. L’examen de la décision laisse également supposer que la Cour de cassation a abandonné la condition suspensive d’acquisition de la force de chose jugée par l’ordonnance pour parfaire la vente et privilégie ainsi une ordonnance aux effets immédiats à l’égard des parties, à savoir la seule nécessité de l’autorité de la chose jugée. La Cour opérerait ainsi un glissement de critère pour retenir celui de l’autorité de la chose jugée, qui survient dès le prononcé de la décision. Il importerait peu donc que la voie de l’appel soit toujours possible à l’auteur de l’offre. Cette solution nous semble cohérente déjà en ce qu’elle permet d’éviter une interprétation quant à la date de l’acquisition de la force de chose jugée de la décision du juge-commissaire comme dans le cas d’espèce. Elle est également satisfaisante en ce qu’elle n’opte pas non plus pour un critère qui serait celui de la décision devenue « définitive ». En effet, l’acquéreur qui fait appel d’une ordonnance faisant droit à son offre et selon ses conditions risquerait de se voir soulever d’office par le juge d’appel un défaut d’intérêt5. Il n’y a donc aucune raison de retarder la perfection de la vente.
10. Pour tempérer notre propos, on peut se demander si la Cour de cassation ne vient pas définir ici une règle applicable dans le cadre d’un cas bien particulier, à savoir celui de l’impossibilité de la rétractation lorsque le juge-commissaire autorise la vente de gré à gré aux conditions et modalités de l’offre du pollicitant. La Cour marque le coup en utilisant l’adjectif « impossible » pour ôter tout espoir au demandeur au pourvoi. Peu importe la question de l’appel ou celle de l’acquisition par l’ordonnance de la force de chose jugée. Toute rétractation est impossible, l’acquéreur est lié dès le rendu de la décision du juge-commissaire. Cette solution se comprend lorsque la rétractation aurait pour motif une convenance personnelle mais interroge lorsque l’acquéreur a mal évalué le périmètre de son offre. Rappelons que dans notre espèce, la rétractation avait pour motif l’insuffisance des fonds de la SCI… L’impossibilité de la rétractation nous paraît tout de même cohérente et respectueuse des articles L. 642-18 et L. 642-19 du Code de commerce qui attribuent au juge-commissaire le pouvoir de parfaire la vente, en ce qu’il « autorise la vente de gré à gré aux prix et conditions qu’il détermine ». Si le juge-commissaire reprend le prix et les conditions de l’auteur de l’offre, son ordonnance ne formalise que son acceptation. Dès lors, la rencontre de l’offre et de l’acceptation doit former le contrat, nul besoin de retarder cette création à l’acquisition par l’ordonnance de son caractère de force de chose jugée. Cette position n’est d’ailleurs pas plus sévère que ce qui est admis en droit commun des contrats (C. civ., art. 1124, nouv.). Il appartient donc au pollicitant de bien évaluer le périmètre de son offre et d’être sûr de lui avant de se lancer dans l’arène.
11. Toutefois, cette solution reste terrible pour l’acquéreur en ce qu’elle porte atteinte à son droit d’accès au juge. En effet, rappelons que l’ordonnance du juge-commissaire est exécutoire de plein droit selon l’article R. 661-1 du Code de commerce, à moins que l’acquéreur ne démontre des moyens qui paraissent sérieux pour tenter d’arrêter l’exécution provisoire. Un appel de l’ordonnance ne saurait suspendre son exécution. La vente étant parfaite dès le prononcé de la décision du juge-commissaire, elle ne sera réalisée que dans un second temps par la signature de l’acte notarié6. L’acquéreur va donc se retrouver forcé de procéder à la régularisation de l’acte de vente et en cas de refus, il risque d’être assigné en exécution forcée de la vente. Or, et comme l’a rappelé la Cour de cassation dans l’arrêt du 1er octobre 2013, si le tribunal saisi le condamne, l’acquéreur se retrouve privé de la possibilité de faire appel dans la mesure où il ne s’agit pas d’une voie ouverte par l’article L. 661-1 du Code de commerce7. On ne peut alors que s’interroger sur le sacrifice qu’effectue la Cour de cassation des droits de l’acquéreur au profit de l’intérêt général de la procédure collective en retenant que la rétractation du consentement du pollicitant est impossible dès le prononcé de l’ordonnance.
II – L’impossible d’aujourd’hui sera possible demain ? L’auteur de l’offre ne pourra pas non plus bénéficier du délai de rétractation-réflexion prévu par l’article L. 271-1 Code de la construction et de l’habitation
12. Bien que cet arrêt ne vise pas ce cas précis, la Cour de cassation donne des clés pour trancher l’éternel débat de savoir si en matière d’immeuble à usage d’habitation, l’acquéreur non professionnel peut disposer du délai de rétraction-réflexion de l’article L. 271-1 du Code de la construction et de l’habitation pour les immeubles à usage d’habitation8.
13. Dans notre cas de figure, il faut s’interroger au moment où l’acquéreur peut bénéficier du délai de rétractation-réflexion. Le dispositif de protection ne peut s’appliquer au stade de l’offre ou lors du prononcé de l’ordonnance, mais seulement par la suite, lors de la réalisation de la vente, dans le cadre de la signature de l’acte authentique9. Mais la vente étant parfaite, comment l’acquéreur pourrait revenir dessus dans le cadre de sa réalisation ? Nous avons vu que si l’acquéreur refuse de signer l’acte authentique, il risque de se voir assigner en exécution forcée de la vente10. L’articulation entre les deux règles visant chacune à protéger des intérêts divergents est difficile. La doctrine spécialisée s’est étonnée de l’incertitude de la situation et s’est interrogée sur la pertinence d’écarter un dispositif de protection de l’acquéreur non professionnel d’un immeuble à usage d’habitation11. Pour la pratique notariale, la question n’est pas non plus aisée : si d’un côté le congrès des notaires a penché pour l’inapplicabilité de l’article L. 271-1 du Code de la construction et de l’habitation dans ce cas de figure12, d’autres praticiens militent pour son application13, tout comme certaines décisions de justice qui estiment que cet article ne peut être écarté14.
14. Dans la décision à l’étude, la Cour de cassation semble trancher définitivement la question en utilisant l’adjectif impossible pour qualifier la rétractation du consentement du pollicitant. Les termes sont forts et il n’y a aucune raison de s’abstenir de transposer la situation au cas de l’acquéreur non professionnel d’un immeuble à usage d’habitation. Selon les termes de cette décision, il ne pourra donc se prévaloir, dans le cadre de la réalisation de la vente, du dispositif de protection de l’article L. 271-1 du Code de la construction et de l’habitation, puisque toute rétractation est impossible. La Cour de cassation semble donc privilégier l’intérêt de la procédure collective à celui du pollicitant versatile. Ce sacrifice apparaît pour autant légitime, en ce que l’auteur de l’offre se doit de venir suffisamment informé et avoir l’assurance d’être en capacité d’honorer son offre. Il ne faut pas non plus perdre de vue que le droit des procédures collectives est dérogatoire en ce qu’il vise à sauver le débiteur en difficulté et préserver les droits des créanciers, et pour ce faire une discipline de fer est nécessaire. Marquer la procédure de réalisation des actifs du débiteur en liquidateur judiciaire du sceau de l’incertitude, au demeurant pour des actifs immobiliers qui ont donc une certaine valeur, semble à ce titre fragiliser cet objectif. C’est donc nécessairement que l’intérêt général de la procédure l’emporte sur la protection de la partie faible mais hésitante.
Notes de bas de pages
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1.
Jusqu’à présent la Cour considérait que la vente de gré à gré d’un élément d’actif du débiteur en liquidation judiciaire est parfaite dès l’ordonnance du juge-commissaire qui l’autorise, sous la condition suspensive que celle-ci acquière force de chose jugée. En ce sens : Cass. com., 11 mars 1997, n° 94-14437 : Defrénois 15 nov. 1997, n° 36679, p. 1233, note Sénéchal J.-P. – Cass. com., 4 oct. 2005, n° 04-15062 : Gaz. Pal. 11 févr. 2006, n° G0459, p. 25, obs. M. Sénéchal – Cass. com., 28 oct. 2008, n° 07-15286 : Loyers et copr. 2009, comm. 14, note Brault P.-H. – Cass. com., 11 juin 2014, nos 13-16194 et 13-20375 : Bull. civ. IV, n° 100 ; Defrénois 15 mars 2015, n° 119a5, p.245, obs. Vauvillé F. – Cass. com., 2 juin 2015, n° 14-12230 : Procédures 2015, comm. 257, note Raschel L.
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2.
D. n° 2014-736, 30 juin 2014 pris pour l’application de Ord. n° 2014-326, 12 mars 2014 portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives. Notons qu’avec l’ancienne rédaction de l’article R. 661-1 du Code de commerce, la Cour de cassation avait jugé que l’exécution de l’ordonnance du juge-commissaire ne pouvait être arrêtée (Cass. com., 1er oct. 2013, n° 12-23999).
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3.
Cass. ch. mixte, 16 déc. 2005, n° 03-12206 : JCP G 2006, II 10093, note Salhi K. ; Procédures 2006, comm. 46, note Perrot R. ; RTD civ. 2006, p. 376, obs. Perrot R. – Cass. 2e civ., 14 sept. 2006, n° 04-20602 : Procédures 2006, comm. 232 ; RTD civ. 2006, p. 824, obs. Perrot R.
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4.
JCP G 2006, II 10093, note Salhi K.
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5.
Cass. 2e civ., 11 juill. 1990, n° 87-16836.
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6.
Cass. com., 11 juin 2014, nos 13-1694 et 13-20375.
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7.
Cass. com., 1er oct. 2013, n° 12-23999 : Vallens J.-L. « Pas de recours, une fois l’autorisation de vente devenue définitive », RTD com. 2014 p. 197.
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8.
V. not. : Sommer J.-M., « Loi S.R.U. et protection de l’acquéreur : premières réponses aux interrogations de la pratique », JCP N 2001, 924, spéc. p. 927 ; Cass. com., 7 sept. 2010, n° 09-66284 ; Sénéchal M., « Le revirement n’aura pas lieu : une vente autorisée par le juge-commissaire demeure parfaite dès le prononcé de l’ordonnance » : LEDEN oct. 2010, n° 41009, p. 5.
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9.
Vauvillé F., « Liquidation judiciaire et loi S.R.U. », Droit et patri. 2001, p. 51.
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10.
Cass. com., 1er oct. 2013, n° 12-23999.
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11.
Vauvillé F., « Vente d’un immeuble en liquidation judiciaire : comment “purger” le droit de rétractation-réflexion de l’acquéreur ? », Defrénois 15 mars 2015, n° 119a5, p. 245.
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12.
110e congrès des notaires de France,2e commission, 4e proposition, adoptée le 17 juin 2014.
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13.
Gazeau O., Blin S. et Sardot C. « Le notaire et la réalisation des actifs en liquidation judiciaire, la vente des immeubles », JCP N 2014, n° 19, p. 33.
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14.
Ex. : CA Bourges, ch. civile, 15 févr. 2018, n° 17/00177.