Capacité commerciale du majeur en curatelle
La Cour de cassation admet la capacité commerciale du majeur en curatelle et lui permet d’exercer l’activité d’apporteur d’affaires en agence immobilière sous la forme de micro-entreprise.
Cass. 1re civ., 6 déc. 2018, no 18-70011
Curatelle et capacité commerciale sont-elles compatibles ? C’est à cette délicate question que répond la première chambre civile de la Cour de cassation dans un avis du 6 décembre 2018.
Saisi par une personne en curatelle qui souhaitait exercer une activité d’apporteur d’affaires en agence immobilière sous la forme d’une micro-entreprise, le tribunal d’instance de Nogent-sur-Marne a sollicité, le 16 août 2018, l’avis de la Cour de cassation, l’interrogeant sur la possibilité pour un majeur bénéficiant d’une mesure de protection judiciaire d’assistance (curatelle simple ou renforcée) d’exercer une activité commerciale, artisanale ou libérale sous la forme d’auto-entreprise.
La demande d’avis intéressait la capacité professionnelle des personnes en curatelle, mais elle est limitée par la Cour de cassation à leur capacité commerciale, qui suscite des doutes en raison de l’absence de disposition spécifique. Reconnaissant qu’il s’agit d’une question de droit nouvelle présentant une difficulté sérieuse et susceptible de se poser dans de nombreux litiges, la Cour de cassation y répond par l’affirmative. Considérant qu’aucun texte n’interdit à la personne en curatelle d’exercer le commerce, sous réserve d’être assistée de son curateur pour accomplir les actes de disposition, elle admet qu’elle peut exercer l’activité commerciale d’apporteur d’affaires en agence immobilière sous le régime de la micro-entreprise.
L’intérêt pratique de cette solution est d’autant plus important que les apporteurs d’affaires sont de plus en plus nombreux, particulièrement dans le secteur de l’immobilier. Mais au-delà de l’activité visée, cet avis permet surtout de mettre un terme aux doutes concernant la capacité commerciale de la personne en curatelle, jusqu’alors controversée.
La capacité commerciale est en principe fixée à l’âge de 18 ans, même si un mineur peut parfois exercer une activité commerciale1. Cependant, la capacité des majeurs peut être restreinte s’ils bénéficient d’une mesure de protection judiciaire. La loi l’exclut même pour la personne en tutelle, qui ne peut pas exercer le commerce2 ; mais aucune disposition ne prévoit expressément la situation de la personne en curatelle. À défaut de règles particulières, la Cour de cassation se réfère dans son avis du 6 décembre 2018 aux dispositions du Code civil relatives à la capacité des majeurs protégés. Elle en a déduit la capacité commerciale du majeur en curatelle, mais y apporte toutefois plusieurs tempéraments.
I – L’admission de la capacité commerciale de la personne en curatelle
La Cour de cassation se fonde sur l’absence d’interdit légal pour reconnaître la capacité commerciale de principe du majeur en curatelle.
A – L’absence d’interdit légal
Ni le Code de commerce, ni le Code civil ne contiennent de disposition spécifique à l’exercice du commerce par la personne en curatelle. C’est donc au regard du droit commun des incapacités que la question de sa capacité commerciale doit être tranchée.
La Cour de cassation s’appuie ainsi sur les articles 467 et 509, 3°, du Code civil. Le premier prévoit que la personne en curatelle ne peut faire aucun acte qui, en cas de tutelle, requerrait une autorisation du juge ou du conseil de famille, sans l’assistance de son curateur ; alors que le second admet que le tuteur ne peut, même avec une autorisation, exercer le commerce au nom de la personne protégée. L’ambiguïté de ces textes relevée par la Cour de cassation résulte du renvoi de l’article 467 aux articles 505 à 508 du Code civil, qui concernent les actes que le tuteur peut accomplir avec une autorisation, mais pas à l’article 509 relatif aux actes que le tuteur ne peut accomplir même avec une autorisation. S’il est par conséquent incontesté que la personne en tutelle ne peut jamais exercer d’activité commerciale, ni par elle-même ni par représentation de son tuteur, ces textes ne permettent pas de conclure avec certitude que la personne en curatelle ne peut pas exercer le commerce ou qu’elle le peut, assistée ou non par son curateur. La doctrine est divisée sur l’interprétation à retenir3.
Dans son avis du 6 décembre 2018, la Cour de cassation considère que le silence et l’ambiguïté des textes doivent être interprétés de manière favorable à la capacité commerciale de la personne protégée. Elle affirme donc qu’aucune disposition n’interdit à la personne en curatelle d’exercer le commerce.
B – La capacité commerciale de principe du majeur en curatelle
La question posée à la Cour de cassation par le tribunal d’instance de Nogent-sur-Marne portait plus largement sur la possibilité pour une personne en curatelle d’exercer une activité professionnelle sous le régime de la micro-entreprise. Le juge des tutelles souhaitait ainsi l’interroger sur la compatibilité d’une mesure de curatelle avec le statut de micro-entrepreneur. La Cour de cassation a cependant restreint le débat à l’hypothèse rencontrée en l’espèce : l’exercice de l’activité d’apporteur d’affaires en agence immobilière sous le régime de la micro-entreprise. Privilégiant ensuite le critère de l’activité, au motif que la micro-entreprise n’est pas une forme juridique mais une modalité d’exploitation simplifiée d’une entreprise individuelle, elle a considéré qu’il convenait de se référer aux règles régissant l’activité envisagée pour déterminer les conditions de capacité de la personne protégée. Or l’activité d’apporteur d’affaires en agence immobilière peut être assimilée aux opérations d’intermédiaires pour l’achat, la souscription ou la vente d’immeubles, de fonds de commerce, d’actions ou parts de sociétés immobilières, qualifiées d’actes de commerce par nature par le Code de commerce4. Ayant par conséquent justement relevé la nature commerciale de l’activité envisagée, la Cour de cassation a circonscrit la question posée à la possibilité pour une personne en curatelle d’exercer le commerce.
Néanmoins, sa réponse favorable ne se limite pas à l’activité concernée. La Cour de cassation affirme d’abord de manière générale qu’aucun texte n’interdit à la personne en curatelle d’exercer le commerce, admettant ainsi le principe de sa capacité commerciale, sans distinguer selon le caractère simple ou renforcée de la curatelle. Elle en déduit ensuite qu’aucun texte n’interdit à la personne en curatelle d’être apporteur d’affaires en agence immobilière sous le régime de la micro-entreprise. Son raisonnement est parfaitement conforme au syllogisme juridique.
Cependant, la Cour de cassation ne se contente pas de viser la profession d’apporteur d’affaires, elle prend soin de préciser la modalité d’exploitation concernée, la micro-entreprise. Cette précision est déterminante en raison de l’absence de statut juridique particulier de l’apporteur d’affaires, qui peut exercer en tant qu’agent commercial, salarié, associé ou micro-entrepreneur. En l’espèce, l’absence de réglementation propre à l’apporteur d’affaires exerçant sous le régime de la micro-entreprise justifie l’alignement de sa capacité commerciale sur sa capacité civile. Malgré l’altération de ses facultés, le majeur en curatelle n’est pas hors d’état d’agir lui-même5 ; il peut donc en principe accomplir seul les actes qui ne présentent pas de gravité, actes d’administration, de gestion courante, ainsi que ceux que le juge lui autorise expressément6.
Toutefois, après avoir affirmé la capacité commerciale de principe de la personne en curatelle, la Cour de cassation y apporte plusieurs tempéraments.
II – Les tempéraments à la capacité commerciale de la personne en curatelle
La capacité commerciale de la personne en curatelle peut être réduite par l’intervention de son curateur ou en raison des exigences propres à l’activité habituelle du majeur protégé.
A – L’intervention du curateur
L’intervention du curateur est justifiée par l’altération des facultés de la personne en curatelle, qui a besoin d’être assistée ou contrôlée de manière continue dans les actes importants7, en matière civile comme en matière commerciale.
Elle peut classiquement prendre la forme d’une assistance, exigée par l’article 467 du Code civil pour tous les actes qui ne peuvent être accomplis par un tuteur sans l’autorisation du juge ou du conseil de famille8. Les actes les plus graves, actes de disposition essentiellement, ne peuvent donc être effectués par le majeur seul, réduisant d’autant sa capacité juridique. La Cour de cassation envisage ici cette restriction en affirmant que tous les actes de disposition relatifs à l’activité commerciale du majeur en curatelle nécessiteront l’assistance de son curateur. Elle admet même qu’il soit fait application de l’article 471 du Code civil, qui autorise à tout moment le juge à ajouter d’autres actes à ceux pour lesquels l’assistance du curateur est exigée. Cette possibilité permet opportunément d’adapter la capacité juridique du majeur à sa situation9.
Ces limites, conformes au droit commun de la curatelle, tendent ainsi à protéger le majeur en curatelle dans son activité commerciale. Néanmoins, elles ne semblent pas a priori concerner l’apporteur d’affaires, qui se contente en principe de mettre en relation une entreprise avec un client potentiel sans prendre part à la négociation ou à l’opération. Exercée sous le régime de la micro-entreprise, cette activité ne suppose pas généralement l’accomplissement d’actes de disposition. Néanmoins, l’assistance du curateur peut être envisagée si le juge restreint la capacité de la personne en curatelle en élargissant l’intervention de son curateur.
Dans les cas les plus importants, le curateur peut même représenter la personne protégée. En effet, la loi lui permet d’accomplir seul un acte au nom du majeur si ce dernier refuse son assistance à un acte qui l’exige ou compromet gravement ses intérêts. Le curateur peut alors saisir le juge des tutelles pour être autorisé à accomplir seul un acte déterminé ou même provoquer l’ouverture d’une tutelle10. La Cour de cassation admet également la possibilité d’appliquer ces règles à l’apporteur d’affaires en agence immobilière sous le régime de la micro-entreprise. Elle souligne ainsi le contrôle continu effectué par le curateur et le juge des tutelles sur l’activité commerciale de la personne en curatelle.
Conformes au droit commun de la curatelle, ces solutions viennent opportunément tempérer la reconnaissance de la capacité commerciale de principe de la personne en curatelle. La Cour de cassation y ajoute une éventuelle limite tirée de règles spécifiques à l’activité commerciale elle-même.
B – L’activité commerciale habituelle de la personne en curatelle
L’activité d’apporteur d’affaires n’étant pas définie par la loi, la Cour de cassation prend soin de préciser que si, à l’occasion de cette activité, la personne en curatelle prête son concours, même à titre accessoire, à des opérations relatives à l’achat, la vente ou la recherche d’immeubles bâtis ou non bâtis, elle sera soumise à la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d’exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce. Or cette loi indique que seuls les titulaires d’une carte professionnelle peuvent prendre part de manière habituelle aux activités d’entremise et de gestion des immeubles et fonds de commerce11 et leur impose une obligation de formation continue12.
Cette hypothèse suppose que la personne en curatelle exerce habituellement l’une des activités visées, qu’elle remplisse les conditions requises pour l’obtention de cette carte13 et qu’elle puisse accomplir la formation continue exigée. À défaut, seule une activité ponctuelle et restreinte est envisageable, limitant sa capacité commerciale à l’accomplissement d’actes de commerce isolés14.
La reconnaissance de principe de la capacité commerciale de la personne en curatelle doit par conséquent être nuancée. Tendant à concilier liberté d’entreprendre et protection de la personne vulnérable, l’avis favorable émis par la première chambre civile de la Cour de cassation le 6 décembre 2018 montre néanmoins la difficulté d’envisager l’exercice de toutes activités commerciales par le majeur en curatelle.
Notes de bas de pages
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1.
C. com., art. L. 121-2 ; C. civ., art. 413-8.
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2.
C. civ., art. 440, al. 3 ; C. civ., art. 509, 3°.
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3.
V. not. Gosselin-Gorand A., « L’incapacité commerciale après la réforme de la protection des majeurs protégés », JCP N 2008, 1289 ; Peterka N., « Majeurs protégés : capacité commerciale de la personne en curatelle », Dalloz actualité, 14 janv. 2019.
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4.
C. com., art. L. 110-1, 3°.
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5.
C. civ., art. 440, al. 1.
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6.
C. civ., art. 471.
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7.
C. civ., art. 425.
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8.
C. civ., art. 505 à 508.
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9.
V. not. Gosselin-Gorand A., « La Cour de cassation favorable à l’exercice de l’activité commerciale par un majeur sous curatelle », LEFP janv. 2019, n° 111u2, p. 2.
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10.
C. civ., art. 469.
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11.
L. n° 70-9, 2 janv. 1970, art. 3, al. 1.
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12.
L. n° 70-9, 2 janv. 1970, art. 3-1.
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13.
L. n° 70-9, 2 janv. 1970, art. 3, al. 2.
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14.
V. not. Menjucq M., « L’incapable majeur en droit des affaires », JCP N 1999, 836.