Divorce : l’équité permet de refuser d’attribuer une prestation compensatoire, pas d’en limiter le montant

Publié le 04/04/2019

La prestation compensatoire peut être demandée par tous les époux, dans tous les divorces. Lorsque l’équité le commande, elle peut être refusée, soit en considération des critères prévus à l’article 271 du Code civil, soit lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de l’époux qui demande le bénéfice de cette prestation, au regard des circonstances particulières de la rupture. Dans un arrêt du 5 décembre dernier, la Cour de cassation a précisé que l’équité peut permettre de refuser d’attribuer une prestation compensatoire, mais pas d’en limiter le montant.

Cass. 1re civ., 5 déc. 2018, no 17-28563

Depuis la réforme de 2004, les causes et les conséquences du divorce sont dissociées. Il en résulte, notamment, que tous les époux peuvent obtenir une prestation compensatoire, y compris celui qui est à l’origine de la rupture ou exclusivement fautif.

Exceptionnellement, l’article 270, alinéa 3, du Code civil admet que la prestation compensatoire peut être refusée, si l’équité le commande :

  • soit en considération des critères prévus à l’article 271 du Code civil,

  • soit lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de l’époux qui demande le bénéfice de cette prestation, au regard des circonstances particulières de la rupture.

La possibilité de refuser l’attribution d’une prestation compensatoire, en se fondant sur l’équité, permet au juge, certes indirectement, de prendre en considération les éventuelles fautes des conjoints et, finalement, de passer outre la dissociation des causes et des conséquences du divorce. Dans un arrêt rendu le 5 décembre dernier1, la Cour de cassation a précisé que l’équité peut être prise en considération pour l’attribution de la prestation compensatoire (I), mais pas pour en fixer le montant (II).

I – Équité et attribution de la prestation compensatoire

L’attribution d’une prestation compensatoire est souvent la pierre d’achoppement de la séparation. En effet, le divorce met fin au devoir de secours imposé par l’article 212 du Code civil. L’ex-époux dans le besoin ne peut plus réclamer de l’aide à l’autre. Néanmoins, l’article 270 du Code civil prévoit que « l’un des époux peut être tenu de verser à l’autre une prestation destinée à compenser, autant qu’il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives ». Il s’agit d’un droit d’ordre public et toute convention par laquelle un conjoint renoncerait par avance à une prestation compensatoire serait déclarée nulle.

Cette prestation peut être demandée dans tous les types de divorce et peut être allouée à tous les divorcés, même si le demandeur est exclusivement fautif ou à l’initiative d’un divorce pour altération du lien conjugal, alors que l’autre époux, innocent, ne veut pas divorcer. Dans une affaire où un homme a demandé le divorce parce que son épouse l’avait trompé et que l’enfant qu’il pensait être le sien était en réalité celui d’un autre, les juges ont effectivement prononcé le divorce aux torts exclusifs de l’épouse et condamnée celle-ci à verser 5 000 € à son mari, à titre de dommages et intérêts, mais lui ont octroyé la somme de 140 000 € de prestation compensatoire2.

Exceptionnellement, l’article 270, alinéa 3, du Code civil admet que la prestation compensatoire peut être refusée, si l’équité le commande. Deux situations doivent être distinguées.

Première hypothèse. Pour considérer que l’équité commande d’écarter la prestation compensatoire, les juges peuvent prendre en considération des critères prévus par l’article 271 du Code civil. Selon ce texte : « La prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l’époux à qui elle est versée et les ressources de l’autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l’évolution de celle-ci dans un avenir prévisible.

À cet effet, le juge prend en considération notamment :

  • la durée du mariage ;

  • l’âge et l’état de santé des époux ;

  • leur qualification et leur situation professionnelles ;

  • les conséquences des choix professionnels faits par l’un des époux pendant la vie commune pour l’éducation des enfants et du temps qu’il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne ;

  • le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu’en revenu, après la liquidation du régime matrimonial ;

  • leurs droits existants et prévisibles ;

  • leur situation respective en matière de pensions de retraite en ayant estimé, autant qu’il est possible, la diminution des droits à la retraite qui aura pu être causée, pour l’époux créancier de la prestation compensatoire, par les circonstances visées au sixième alinéa ».

L’adverbe « notamment », au début de la liste, indique que celle-ci n’est pas exhaustive. Il a par exemple été jugé que les magistrats devaient tenir compte :

  • de tous les composants du patrimoine des époux « et notamment leurs biens propres ou personnels quelle qu’en soit l’origine », telle que la perception d’« une somme importante lors de la vente d’un bien propre, dont il (le défendeur) n’avait pas justifié l’emploi »3 ;

  • du concubinage d’un des conjoints, qu’il s’agisse de l’époux créancier4 ou débiteur5 ;

  • du RMI (revenu minimum d’insertion) du créancier6 ;

  • de la prestation compensatoire versée à une précédente épouse7 ;

  • de la contribution à l’entretien et l’éducation des enfants, pour déterminer les ressources de l’époux débiteur8, mais pas celles du conjoint qui en a la garde9.

  • En revanche, les juges n’ont pas à prendre en considération :

  • la vocation successorale de l’épouse créancière, au motif que celle-ci ne constitue pas un « droit prévisible »10. Il est vrai qu’il est possible que la personne n’ait jamais cet héritage si, par exemple, ses parents dilapident tout, l’exhérèdent ou décèdent après elle ;

  • les prestations destinées aux enfants (allocations familiales, prestations dédiées à la naissance et au jeune enfant…), qui ne constituent pas des revenus bénéficiant aux parents11 ;

  • la durée du concubinage antérieur au mariage, même si celui-ci a duré vingt ans et le mariage seulement cinq12 (en revanche, les juges peuvent tenir compte d’une période de séparation, dès lors que celle-ci est intervenue pendant le mariage13) ;

  • les revenus locatifs procurés par les biens dépendant de la communauté dès lors que, pendant la durée du régime, ces revenus entrent en communauté et, qu’après sa dissolution, ils accroissent l’indivision14 ;

  • le loyer perçu par un des conjoints, pendant la durée de l’instance, au titre du devoir de secours15 ;

  • la pension alimentaire et la jouissance gratuite du domicile conjugal, également accordées à un conjoint au titre du devoir de secours16.

Lorsque le troisième alinéa de l’article 270 du Code civil est invoqué pour rejeter la demande de prestation compensatoire, les juges n’examinent pas ces éléments pour évaluer les besoins de l’époux à qui elle doit être versée et les ressources de l’autre et, donc, fixer le montant de la prestation, mais pour décider s’il y a lieu de l’octroyer, même si la disparité dans les conditions de vie respectives des époux est démontrée.

Dans une affaire où la disparité était établie au détriment de l’épouse, les juges ont retenu que le jeune âge de celle-ci (trente-trois ans), le fait qu’elle n’avait pas la charge des enfants (qui résidaient avec le père) et qu’elle ne versait pas de contribution à leur entretien, le fait qu’elle ne justifiait d’aucun effort pour suivre une formation professionnelle ou exercer un emploi permettaient de conclure que « les conditions n’apparaissent (…) pas réunies pour accorder à cette jeune femme sans charge une prestation compensatoire sous quelque forme que ce soit »17. En revanche, fut cassé l’arrêt qui, pour rejeter la demande de prestation compensatoire, avait retenu la déloyauté de l’épouse laquelle, en imitant la signature de son conjoint, avait multiplié les contrats de prêts, utilisé une carte de crédit et ainsi obéré la situation financière de ce dernier. La Cour de cassation a rappelé que, le divorce ayant été prononcé aux torts partagés des époux, la décision de rejeter la demande de prestation compensatoire ne pouvait être justifiée que par des motifs d’équité, en considération des critères prévus à l’article 271 du Code civil18.

Il pourrait sembler plus simple, lorsque le comportement de l’un des conjoints est vraiment condamnable, de conclure qu’il n’y a pas de disparité dans les conditions de vie respectives. Le législateur a toutefois créé la possibilité de rejeter la demande de prestation compensatoire en invoquant l’équité, y compris en cas de disparité, pour insister sur le fait que le refus est justifié par le comportement de l’époux.

Seconde hypothèse. Également si l’équité le commande, le juge peut refuser d’accorder une prestation compensatoire lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de l’époux qui la demande, au regard des circonstances particulières de la rupture.

En visant le divorce aux torts exclusifs d’un époux, le législateur a clairement dérogé au principe de séparation des causes et des conséquences du divorce. La non-attribution d’une prestation compensatoire, alors que le divorce va créer une disparité dans les conditions de vie des ex-conjoints, permet de sanctionner celui qui est exclusivement fautif, en tenant compte des circonstances particulières de la rupture.

Certes, d’un point de vue juridique, la prestation compensatoire vise à compenser un déséquilibre. Cependant, d’un point de vue moral, il peut paraître choquant que l’époux innocent « paye » celui est à l’origine de l’échec du mariage avec, en plus, un comportement « particulier ». Le législateur a ainsi trouvé le moyen de limiter cette « injustice », en s’en remettant à la libre appréciation des juges du fond.

Il a par exemple été jugé :

  • qu’une femme dont le divorce était prononcé à ses torts exclusifs devait être déboutée de sa demande de prestation compensatoire eu égard sa manière renouvelée de violer le devoir de fidélité19 ;

  • que les circonstances particulières de la rupture, nées de l’attitude incompréhensible de l’épouse qui rejetait son mari et ses enfants, pour une vie exclusivement spirituelle sous l’emprise d’un « guide », justifiaient de ne pas lui accorder de prestation compensatoire20.

II – Équité et fixation de la prestation compensatoire

Dans un arrêt rendu le 5 décembre dernier, la Cour de cassation a précisé que l’équité peut permettre de refuser d’attribuer une prestation compensatoire, mais pas d’en limiter le montant. La cour d’appel ne pouvait pas, en l’espèce, pour limiter à 80 000 € le montant de la prestation compensatoire mise à la charge de l’ex-époux, après analyse du patrimoine des parties en capital et en revenus, retenir que la responsabilité de l’épouse aux torts exclusifs de laquelle le divorce avait été prononcé, devait également être prise en compte21. La solution vaut dans les deux hypothèses visées par l’article 270 du Code civil : que le juge prenne en considération des critères prévus à l’article 271 du Code civil, l’équité n’en faisant pas partie, ou que, le divorce étant prononcé aux torts exclusifs de l’époux qui demande le bénéfice de cette prestation, il examine les circonstances particulières de la rupture.

Cette solution est conforme à la lettre du texte. L’alinéa 3 de l’article 270 du Code civil prévoit, en effet, que la prestation compensatoire peut être « écartée ». La possibilité d’en limiter le montant n’est pas envisagée.

Cette solution est également conforme à l’esprit du texte. L’objectif de la prestation compensatoire n’est pas d’aider un époux dans le besoin ou de corriger les effets du régime de séparation de biens librement choisi par les époux22, mais de compenser un déséquilibre financier, entre les conditions de vie respectives des époux, résultant de la rupture du mariage. Elle peut exceptionnellement être refusée, lorsque l’équité le commande.

Ainsi, trois situations doivent être distinguées :

  • soit la séparation ne crée pas de déséquilibre, aucune prestation compensatoire n’est attribuée ;

  • soit la séparation crée un déséquilibre et l’époux demandeur « mérite » une prestation, en équité, les juges en apprécient le montant ;

  • soit la séparation crée un déséquilibre et l’époux demandeur « ne mérite pas » une prestation, en équité, les juges n’attribuent rien.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. 1re civ., 5 déc. 2018, n° 17-28563.
  • 2.
    Cass. 1re civ., 23 mars 2011, n° 10-17153.
  • 3.
    Cass. 1re civ., 20 sept. 2006, n° 04-17803.
  • 4.
    Cass. 1re civ., 16 mars 2004, n° 02-12786 ; Cass. 1re civ., 25 avr. 2006, n° 05-15706 : Bull. civ. I, n° 203 – Cass. 1re civ., 19 nov. 2014, n° 13-25414 ; Cass. 1re civ., 1er avr. 2015, n° 14-13500.
  • 5.
    Cass. 1re civ., 3 déc. 2008, n° 07-14609 : Bull. civ. I, n° 278.
  • 6.
    Cass. 1re civ., 9 mars 2011, n° 10-11053 : Bull. civ. I, n° 48.
  • 7.
    Cass. 1re civ., 20 févr. 2007, n° 06-10763 : Bull. civ. I, n° 69.
  • 8.
    Cass. 2e civ., 10 mai 2001, n° 99-17255 : Bull. civ. II, n° 93.
  • 9.
    Cass. 1re civ., 25 mai 2004, n° 02-12922 : Bull. civ. I, n° 148.
  • 10.
    Cass. 1re civ., 6 oct. 2010, n° 09-10989. V. déjà, sous l’empire de la législation antérieure – Cass. 1re civ., 21 sept. 2005, n° 04-13977 : Bull. civ. I, n° 339 – Cass. 1re civ., 3 oct. 2006, n° 04-20601.
  • 11.
    Cass. 1re civ., 6 oct. 2010, n° 09-12718 ; Cass. 1re civ., 15 févr. 2012, n° 11-11000 : Bull. civ. I, n° 28 – Cass. 1re civ., 6 juin 2012, n° 11-15410 ; Cass. 1re civ., 5 nov. 2014, n° 13-26860 ; Cass. 1re civ., 4 mars 2015, n° 13-27354 ; Cass. 1re civ., 4 nov. 2015, n° 14-18814 ; Cass. 1re civ., 10 janv. 2018, n° 16-18478.
  • 12.
    Cass. 1re civ., 16 avr. 2008, n° 07-12814 : Bull. civ. I, n° 112 – V. aussi Cass. 1re civ., 1er juill. 2009, n° 08-18.147 – et Cass. 1re civ., 12 janv. 2011, n° 10-13731.
  • 13.
    Cass. 1re civ., 16 avr. 2008, n° 07-17652 : Bull. civ. I, n° 111.
  • 14.
    Cass. 1re civ., 15 févr. 2012, n° 10-20018 : Bull. civ. I, n° 30.
  • 15.
    Cass. 1re civ., 15 janv. 2012, n° 11-14187 : Bull. civ. I, n° 29.
  • 16.
    Cass. 1re civ., 29 févr. 2012, n° 11-14872.
  • 17.
    Cass. 1re civ., 8 juill. 2010, n° 09-66186 : Bull. civ. I, n° 165.
  • 18.
    Cass. 1re civ., 28 févr. 2018, n° 17-11979.
  • 19.
    CA Nancy, 1er juill. 2005, n° 04/00255.
  • 20.
    CA Montpellier, 5 févr. 2008, n° 07/02030.
  • 21.
    Cass. 1re civ., 5 déc. 2018, n° 17-28563.
  • 22.
    Cass. 1re civ., 8 juill. 2015, n° 14-20480 : Bull. civ. I, n° 45.