Divergence d’incidences d’une vocation successorale et de droits successoraux sur la fixation de la prestation compensatoire
La Cour de cassation rejette une question prioritaire de constitutionnalité relative à la différence de traitement entre l’époux ayant une simple vocation successorale à la date du divorce et celui bénéficiant déjà de droits successoraux pour fixer la prestation compensatoire.
Cass. 1re civ., 16 févr. 2022, no 21-20362
Une vocation successorale ne confère pas de droits prévisibles. C’est ce que rappelle l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 16 février 2022 à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à l’appréciation de la prestation compensatoire.
Un mari, condamné à verser une somme à son épouse à titre de prestation compensatoire lors d’un divorce aux torts partagés prononcé par la cour d’appel de Besançon, le 20 mai 2021, forme un pourvoi en cassation et demande à la haute juridiction de renvoyer au Conseil constitutionnel une QPC sur son interprétation de l’article 271 du Code civil. La question porte plus particulièrement sur le point de savoir si le fait d’exclure des éléments d’appréciation de la prestation compensatoire les droits successoraux réservataires de l’époux dont les parents sont encore en vie et d’inclure l’actif reçu par l’autre dans la succession de ses parents déjà décédés ne crée pas une rupture d’égalité des époux devant la loi contraire à la Constitution.
Relative à l’interprétation de l’article 271 du Code civil, qui pose les critères de fixation de la prestation compensatoire, la question met en jeu des notions du droit des successions en invitant à comparer les incidences respectives d’une vocation successorale et de droits successoraux sur les situations des époux au moment du divorce.
La Cour de cassation admet certes que la disposition contestée est applicable au litige et n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel mais considère que la question n’est pas nouvelle et ne présente pas de caractère sérieux. Reprenant une argumentation classique en droit de la famille, elle considère que la différence objective entre la situation de l’époux dont les parents sont encore en vie et celle de l’époux dont les parents sont déjà décédés justifie la différence de traitement, en rapport direct avec l’objet de la prestation compensatoire, qui est de compenser la disparité créée dans les conditions de vie respectives des époux par la rupture du mariage. Considérant dès lors qu’il n’existe pas d’atteinte au principe d’égalité entre les époux devant la loi, la Cour de cassation refuse de renvoyer la QPC au Conseil constitutionnel.
L’arrêt de la première chambre civile du 16 février 2022 continue ainsi à distinguer la vocation successorale, exclue des critères de fixation de la prestation compensatoire (I), des droits successoraux, à prendre en compte (II).
I – Exclusion d’une vocation successorale des critères de fixation de la prestation compensatoire
La prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l’époux créancier et les ressources de l’époux débiteur. Cependant, l’article 271, alinéa 1er, du Code civil impose de prendre en compte non seulement leur situation au moment du divorce mais aussi son évolution dans un avenir prévisible. Cette solution s’explique par le fait que la prestation compensatoire a en principe un caractère forfaitaire1 et justifie qu’il soit possible de prendre en considération d’autres éléments. L’article 271, alinéa 2, du Code civil vise expressément la durée du mariage, l’âge, l’état de santé, la qualification et la situation professionnelle, le temps consacré aux enfants ou à l’activité professionnelle de l’autre, le patrimoine estimé ou prévisible, les droits existants et prévisibles et leur situation respective en matière de pensions de retraite. Aucune référence n’est faite à la vocation successorale d’un époux, mais cet argument ne permet pas de l’exclure en raison de l’absence d’exhaustivité de cette liste.
C’est au titre du patrimoine prévisible ou des droits prévisibles que pourrait être envisagée la prise en compte d’une vocation successorale. En l’espèce, l’époux invoque plus particulièrement les droits successoraux réservataires de l’épouse dont les parents sont encore vivants. Cette référence procède toutefois d’une erreur sur l’institution de la réserve. Même réservataires, les descendants ne sont pas certains de recevoir des droits effectifs dans la succession de leurs parents, qui peuvent librement disposer de tous leurs biens jusqu’à leur décès. La qualité d’héritier réservataire ne les protège que contre les libéralités excédant la quotité disponible et, le cas échéant, contre les avantages matrimoniaux excessifs s’il ne s’agit pas d’enfants communs. Comme le rappelle justement la Cour de cassation dans l’arrêt commenté, ils n’ont jusqu’à l’ouverture de la succession qu’une simple espérance successorale soumise à des aléas. Il est par conséquent logique d’en déduire qu’une vocation successorale ne constitue pas un droit prévisible au sens de l’article 271 du Code civil. La solution est conforme au droit des successions et aux règles de la prestation compensatoire, l’hypothèse présentant trop d’incertitudes, tant dans la valeur que dans la date de l’héritage. Elle évite en outre toute spéculation sur la mort d’autrui.
La solution a été affirmée à plusieurs reprises par la Cour de cassation2. L’auteur de la QPC se réfère précisément à cette jurisprudence constante pour sous-entendre qu’elle crée une rupture d’égalité des époux devant la loi. Cependant, il faut se placer au jour du prononcé définitif du divorce pour apprécier la disparité prévisible dans les conditions de vie des époux et fixer la prestation compensatoire, or, à cette date, seul le décès des parents est prévisible et l’épouse n’a aucune certitude successorale.
En revanche, des droits successoraux déjà perçus peuvent être pris en compte.
II – Prise en compte des droits successoraux dans la fixation de la prestation compensatoire
L’auteur de la QPC fait aussi référence à l’inclusion de l’actif reçu par un époux par succession de ses parents déjà décédés dans les éléments d’appréciation de la prestation compensatoire, visant ainsi des droits successoraux perçus avant le divorce. Certes, l’article 271, alinéa 2, du Code civil ne fait pas davantage référence aux droits successoraux des époux ; néanmoins, en visant leur patrimoine estimé et leurs droits existants, il suppose de prendre en compte tous les éléments figurant déjà dans leur actif au jour du divorce, quelle que soit leur origine. Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation admet l’application de cette règle aux droits successoraux d’un époux existants à la date de la rupture du lien matrimonial. Cette solution n’est pas nouvelle3 mais elle lui permet ici de justifier la différence de situation et de traitement de l’époux dont les parents sont encore en vie, qui n’a qu’une simple vocation successorale, de celui dont les parents sont décédés et qui a déjà des droits successoraux effectifs.
La solution retenue n’opère pas de distinction selon le moment de la détermination des droits successoraux par rapport à la procédure de divorce. Pourtant, s’il n’y a pas de difficulté lorsque la liquidation et le partage d’une succession interviennent avant le prononcé du divorce, la situation est plus délicate si la succession est déjà ouverte mais pas encore liquidée et partagée au moment du prononcé définitif du divorce. Au regard du droit des successions, l’héritier acceptant étant réputé avoir reçu ses droits dès l’ouverture de la succession, il semble suffisant que le décès des parents soit antérieur au prononcé définitif du divorce pour prendre en compte les droits successoraux de l’époux dans les éléments d’appréciation de la prestation compensatoire. Néanmoins, dans l’attente de la liquidation de la succession, il sera difficile pour le juge d’en évaluer la valeur de manière certaine pour apprécier la situation de l’époux héritier et déterminer la prestation compensatoire. La question, plus générale, ne soulevait cependant pas en l’espèce cette difficulté.
De même, l’arrêt commenté ne fait aucune référence à la forme de la prestation compensatoire, pourtant déterminante du point de vue de l’évolution de la situation des époux. En effet, si son montant est définitif lorsque la prestation compensatoire est versée en capital, il n’en va pas de même si elle prend la forme exceptionnelle d’une rente viagère4. Dans un tel cas, il peut être révisé par le juge au cas de changement important dans les ressources ou les besoins des parties5, ce qui laisse alors la possibilité de prendre en compte les droits successoraux reçus par l’ex-conjoint créancier après le prononcé définitif du divorce, pour diminuer ou supprimer la rente s’il peut désormais subvenir en tout ou partie à ses besoins. Cette possibilité rapproche ainsi la situation de l’époux bénéficiant de droits successoraux existants à la date du divorce de celui qui n’a, à cette date, qu’une simple vocation successorale transformée ultérieurement en droits effectifs pris en compte lors de la révision de la prestation compensatoire. L’absence de référence à cette hypothèse s’explique toutefois en l’espèce par le fait que le mari a été condamné à verser la prestation compensatoire sous forme de capital par le paiement d’une somme d’argent, excluant de ce fait toute révision lors de l’ouverture future de la succession des parents de l’ex-épouse, quels que soient les droits successoraux qu’elle obtiendrait.
Néanmoins, au-delà des difficultés d’appréciation qui peuvent parfois se poser, il est indéniable que seule la prise en compte des éléments déjà réalisés ou qui présentent un caractère prévisible au jour du prononcé définitif du divorce évite les extrapolations des ex-époux et les divergences d’interprétation des juges du fond lors de la fixation de la prestation compensatoire. En distinguant la vocation successorale des droits successoraux, l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 16 février 2022 participe ainsi de la pacification et de l’harmonisation des conséquences du divorce, sans pour autant rompre l’égalité des époux devant la loi.
Notes de bas de pages
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1.
C. civ., art. 270, al. 2.
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2.
Cass. 1re civ., 21 sept. 2005, n° 04-13977 : Bull. civ. I, n° 339 – Cass. 1re civ., 6 oct. 2010, n° 09-10989 : Bull. civ. I, n° 186 – Cass. 1re civ., 23 oct. 2013, n° 12-24391.
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3.
Cass. 1re civ., 28 févr. 2006, n° 04-17695 ; Cass. 1re civ., 6 oct. 2010, n° 09-65301.
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4.
C. civ., art. 276.
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5.
C. civ., art. 276-3.
Référence : AJU004f3