La libéralité préciputaire dépassant la quotité disponible ordinaire doit être fixée à la fraction excessive de la libéralité

Publié le 05/07/2017

La Cour de cassation censure les juges du fond qui ne déterminent pas l’indemnité de réduction d’une libéralité préciputaire excédant la quotité disponible ordinaire à la fraction excessive de la libéralité réductible.

Cass. 1re civ., 22 mars 2017, no 16-15484, F–PB

1. Il a été beaucoup débattu du sens et de la portée du nouveau rapport à succession et de la réduction pour atteinte à la réserve successorale issues de la réforme du 23 juin 20061. La question de la réduction des libéralités a été soulevée sous l’empire de l’ancien article 865 du Code civil et a donné lieu à des réponses jurisprudentielles divergentes. De fait, la jurisprudence a cherché à déterminer les principes directeurs applicables aux règles de la réduction pour atteinte à la réserve. Les faits ayant donné lieu au litige peuvent se résumer de la manière suivante. Henri X et son épouse, Odette Y, sont décédés respectivement le 16 décembre 1997 et le 13 novembre 2010, laissant pour leur succéder leurs trois enfants, Colette, Lucette et Dominique. Des difficultés liées à la liquidation partage du patrimoine des parents vont apparaître au moment de l’état liquidatif, quant à la masse de calcul de la quotité disponible (I) et lors de l’imputation des libéralités (II).

I – Sur les règles du rapport à succession

2. Pour la haute juridiction judiciaire l’héritier appelé à la succession du défunt doit rapporter les biens donnés (A) afin de permettre au notaire chargé de régler la succession de reconstituer le patrimoine du cujus (B).

A – Libéralités rapportables par l’héritier ab intestat

3. Pour mettre en œuvre la réduction pour atteinte à la réserve successorale, il est de jurisprudence constante que le rapport est dû par l’héritier ab intestat. En effet, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2006-228 du 23 juin 2006, l’article 843 du Code civil disposait : « Tout héritier, même bénéficiaire, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu’il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu’ils ne lui aient été faits expressément par préciput et hors part, ou avec dispense de rapport. Les legs faits à un héritier sont réputés faits par préciput et hors part, à moins que le testateur n’ait exprimé la volonté contraire, auquel cas le légataire ne peut réclamer son legs qu’en moins prenant »2. Il est admis que les héritiers appelés et acceptants la succession du de cujus sont tenus en principe au rapport des donations3. En l’espèce des difficultés sont nées, comme bien souvent, lors des opérations de liquidation partage. La cour d’appel de Riom estime : « La succession d’Henri X, que pour remplir Mme Lucette X de ses droits d’héritier réservataire, Mme Colette X est redevable envers elle de la somme de 20 132,09 € et M. Dominique X de celle de 16 120,05 €, à titre d’indemnité de réduction, l’arrêt énonce que les valeurs à rapporter suite aux donations s’élèvent à 145 156,82 € au total (soit donation de 75 252,41 € à Colette et de 69 903,41 € à Dominique), l’actif de succession après réunion fictive de la valeur des biens donnés à 145 206,24 € et la quotité disponible à hauteur d’un quart à 36 301,56 € ; qu’il en déduit que la valeur des libéralités dépassant la quotité disponible, il y a lieu à réduction en faveur du cohéritier qui n’a pas perçu le montant de sa réserve, de 36 301,56 €, soit un tiers de la réserve globale de 208 904,68 € ». Après avoir rappelé l’article 843 du Code civil la Cour de cassation s’emploie ensuite à définir à considérer que « l’indemnité de réduction d’une libéralité préciputaire excédant la quotité disponible doit être fixée à la fraction excessive de la libéralité réductible ».

B – Réunion fictive des libéralités

4. Il est indispensable de soigneusement distinguer le rapport successoral de la réunion fictive des libéralités comme en atteste la doctrine qui estime que le « rapport ne concerne que les libéralités faites à des présomptifs héritiers – donation ou legs mais dans ce cas il faut une stipulation expresse de rapport – et a pour objectif de rétablir l’égalité entre eux lors du partage de la succession de leur auteur »4. Il résulte de l’article 922 du Code civil que « la réduction se détermine en formant une masse de tous les biens existant au décès du donateur ou testateur. Les biens dont il a été disposé par donation entre vifs sont fictivement réunis à cette masse, d’après leur état à l’époque de la donation et leur valeur à l’ouverture de la succession, après qu’en ont été déduites les dettes ou les charges les grevant. Si les biens ont été aliénés, il est tenu compte de leur valeur à l’époque de l’aliénation. S’il y a eu subrogation, il est tenu compte de la valeur des nouveaux biens au jour de l’ouverture de la succession, d’après leur état à l’époque de l’acquisition. Toutefois, si la dépréciation des nouveaux biens était, en raison de leur nature, inéluctable au jour de leur acquisition, il n’est pas tenu compte de la subrogation. On calcule sur tous ces biens, eu égard à la qualité des héritiers qu’il laisse, quelle est la quotité dont le défunt a pu disposer ». Cette méthode liquidative consiste à reconstituer le patrimoine du défunt comme s’il n’avait consenti aucune libéralité. Par conséquent elle concerne toutes les libéralités, en avancement de part successorale ou hors part, quel qu’en soit leur bénéficiaire – héritier ou tiers5.

5. Au cas d’espèce, la Cour de cassation estime que la valeur des biens donnés et soumis à réunion fictive excédait le montant de la quotité disponible, et que par conséquent Colette et Dominique X étaient redevables d’une indemnité de réduction, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations au regard de l’article 919-2 du Code civil, violant ainsi à nouveau ledit article. Il n’est pas rare que les juges du fond soient censurés par la Cour de cassation pour violation de l’article 922 du Code civil. C’est ainsi que la Cour de cassation a censuré les juges du fond en considérant : « Vu les articles 913, 920, 922 et 924 du Code civil ; Attendu, selon l’arrêt attaqué, qu’Hervé X est décédé le 27 octobre 2011, laissant pour héritiers Mme Y, son épouse, et leurs trois enfants, Nicolas, Élodie et Mathieu ; que ceux-ci, invoquant un don manuel d’un certain montant d’Hervé X à M. Z, ont sollicité la réduction de la part excédant la quotité disponible ; Attendu que, pour rejeter leur demande, l’arrêt retient que le rapport d’une donation ne s’impose pas pour un tiers à la succession ; Qu’en statuant ainsi, alors que cette libéralité, même consentie à un tiers, qui portait atteinte à la réserve, était réductible à la quotité disponible, la cour d’appel a violé les textes susvisés »6.

II – Sur la délicate imputation des libéralités

6. Pour la Cour de cassation, la libéralité préciputaire excédant la quotité disponible doit être fixée à la fraction excessive de la libéralité réductible afin de protéger la réserve de l’héritier appelé à la succession (A). La question reste entière en ce qui concerne l’évaluation de l’indemnité de réduction pour excès en matière d’usufruit (B).

A – L’action en réduction pour atteinte à la réserve d’un héritier appelé à la succession

7. L’appréciation du caractère excessif de la libéralité est à rapprocher de celle des primes manifestement excessives ou exagérées en matière d’assurance-vie. À cet égard, la doctrine estime que « (..) la réduction suppose que le défunt a avantagé un tiers ou un héritier au-delà de ce qui lui était permis par la loi, alors que le rapport suppose que le défunt n’a pas voulu avantager un héritier, bien que la loi le lui permette sans toutefois pouvoir porter atteinte à la réserve »7.

8. En l’espèce, la cour d’appel conclut que la valeur des libéralités dépassant la quotité disponible, il y avait lieu à réduction en faveur du cohéritier qui n’avait pas perçu le montant de sa réserve de 36 301 €, soit un tiers de la réserve globale de 208 904 €8. La Cour de cassation censure les juges du fond aux visas de l’article 865 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 et des articles 919-2 et 924 du Code civil9. En effet, il est de pratique notariale que : « la donation (…) absorbant la totalité de la quotité disponible, il en résulte que l’avantage préciputaire accordé (…) est sujet à réduction à hauteur de l’excès »10.

B – L’appréciation du caractère excessif d’une libéralité en usufruit

9. Il résulte de l’article 917 du Code civil que « si la disposition par acte entre vifs ou par testament est d’un usufruit ou d’une rente viagère dont la valeur excède la quotité disponible, les héritiers au profit desquels la loi fait une réserve, auront l’option, ou d’exécuter cette disposition, ou de faire l’abandon de la propriété de la quotité disponible ». Pour la doctrine la solution traditionnelle étant trop aléatoire, le recours à l’équité s’avère souvent indispensable11.

10. Force est de conclure que par cette décision rapportée privilégiant le pragmatisme d’une solution à la rigidité d’un grand principe, il ne s’agit pas d’une leçon de droit mais d’une règle de bon sens.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Vareille B., « Nouveau rapport, nouvelle réduction », D. 2006, p. 2565. Mésa R., « Précisions sur les réductions des libéralités hors part successorale », Dalloz actualité, 20 avr. 2017.
  • 2.
    C. civ., art. 843, issu de L. n° 2006-228, 23 juin 2006, dispose : « Tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l’actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu’il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu’ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale. Les legs faits à un héritier sont réputés faits hors part successorale, à moins que le testateur n’ait exprimé la volonté contraire, auquel cas le légataire ne peut réclamer son legs qu’en moins prenant ».
  • 3.
    Peterka N., « Synthèse – Rapports successoraux », JCl. Civil Code, n° 9.
  • 4.
    Levillain N., « Ne pas confondre rapport et réunion fictive – Cour de cassation, 1re civ. 9 novembre 2016 », AJ fam. 2016, p. 610 ; Prigent S., « Donation-partage conjonctive : action en réduction d’un héritier réservataire non alloti », Defrénois 30 déc. 2011, n° 40272, p. 1689 ; Letellier F., « La proportionnalité liquidative », Defrénois 30 avr. 2016, n° 122z9, p. 429.
  • 5.
    Ibid.
  • 6.
    Cass. 1re civ., 9 nov. 2016, n° 15-27064.
  • 7.
    Rapport de Mme Crédeville et avis de M. de Gouttes sous Cass. ch. mixte, 23 nov. 2004, n° 01-13592 : Bull. civ. ch. mixte, nos 5, 6, 7 et 8 ; BICC n° 613, p. 17, https://www.courdecassation.fr.
  • 8.
    « La réduction d’une libéralité préciputaire excédant le disponible doit être fixée à la fraction excessive de la libéralité », Defrénois Flash 10 avr. 2017, n° 139f9, p. 16.
  • 9.
    Mathieu M. et Levillain N., in JCl. Liquidations – Partages, v° Quotité disponible et réserve, fasc. 270, Quotité disponible et réserve - Réduction des libéralités en viager, chap. 264. Farge C., « Masse partageable en présence de libéralités : la réduction des libéralités », Dalloz Action, Droit patrimonial de la famille 2014, nos 264-80 et s. ; « La réduction d’une libéralité préciputaire excédant le disponible doit être fixée à la fraction excessive de la libéralité », art. préc.
  • 10.
    Prigent S., « Donation-partage conjonctive : action en réduction d’un héritier réservataire non alloti », art. préc.
  • 11.
    Mathieu M. et Levillain N., in JCl. Liquidations – Partages, v° Quotité disponible et réserve, fasc. 270, Quotité disponible et réserve - Réduction des libéralités en viager, chap. 270.
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