La loi applicable à l’action en contestation de paternité : le mot de la fin ?

Publié le 10/07/2019

La question de la règle de conflit de lois applicable à la contestation de reconnaissance a fait l’objet d’une jurisprudence hésitante. Deux positions étaient défendues ; une thèse moniste préconisait l’application de l’article 311-17 du Code civil pour déterminer la loi applicable à la validité et à la contestation de la reconnaissance, tandis qu’une seconde thèse préconisait l’application de l’article 311-14 lorsqu’il s’agissait de contester la reconnaissance. L’arrêt du 15 mai 2019 vient mettre un terme aux hésitations et consacre l’application de l’article 311-17 à la contestation de reconnaissance.

Cass. 1re civ., 15 mai 2019, no 18-12602

Le législateur de 19721 a introduit dans le Code civil des règles de conflit de lois en matière de filiation. Le principe, posé par l’article 311-14 du Code civil, est que la « filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l’enfant ; si la mère n’est pas connue, par la loi personnelle de l’enfant ». Mais à cette règle générale s’ajoute le tempérament de l’article 311-15 relatif à la possession d’état qui produit ses effets selon la loi française quelle que soit la loi applicable à la filiation, ainsi qu’un article concernant la reconnaissance volontaire. En effet, selon l’article 311-17 du Code civil, la reconnaissance est « valable si elle a été faite en conformité soit de la loi personnelle de son auteur, soit de la loi personnelle de l’enfant ».

Les réformes du droit de la filiation n’ont pas affecté ces dispositions du Code civil. Or, l’articulation des domaines d’application respectifs des articles 311-14 et 311-17 a soulevé des difficultés spécialement en ce qui concerne l’action en contestation de reconnaissance. À vrai dire, il convient de distinguer l’action en nullité de la reconnaissance qui consiste à remettre en cause la régularité de l’acte et l’action de contestation dont l’objet est de remettre en cause la réalité du lien de filiation. Sur le plan pratique, les deux actions conduisent au même résultat, l’anéantissement rétroactif de la filiation établie, mais sur le plan du droit international privé, la jurisprudence s’est d’abord attachée à traiter ces deux questions différemment. Ainsi la cour d’appel de Paris2 avait considéré qu’une action en contestation de reconnaissance devait être soumise à la loi personnelle de la mère conformément au principe général de l’article 311-14 du Code civil, tandis que l’article 311-17 ne devait s’appliquer qu’à la question de la validité ou de la non-validité de la reconnaissance. Cette solution avait fait l’objet d’un accueil mitigé de la part de la doctrine3. En définitive, la Cour de cassation paraissait s’être positionnée dans un arrêt du 6 juillet 19994. Elle avait en effet jugé que « l’article 311-17 du Code civil est applicable tant à l’action en nullité qu’à l’action en contestation d’une reconnaissance qui doivent être possibles à la fois au regard de la loi de l’auteur de celle-ci et de la loi de l’enfant ».

Toutefois, en 2005, puis en 2013, la Cour de cassation avait jeté le trouble, aussi l’arrêt du 15 mai 2019 est-il bienvenu car il semble fixer précisément le domaine d’application de l’article 311-17 du Code civil, mettant un terme à plusieurs années de flottement.

Le différend à l’origine de l’arrêt est né dans un contexte successoral. Un homme de nationalité française décède en 2010 laissant ses frère et sœurs et une fille de nationalité espagnole, née à Barcelone, qu’il avait reconnue en 1992. Or les collatéraux du défunt ont intenté une action en contestation de la reconnaissance. Les juges du fond ont accueilli favorablement cette demande et ordonné une expertise biologique en application du droit français. En effet, il résulte des articles 321 et 334 du Code civil qu’en l’absence de possession d’état conforme au titre, toute personne qui y a intérêt peut agir dans les 10 ans.

Toutefois, la Cour de cassation censure les juges du fond au visa de l’article 311-17 et de l’article 3 du Code civil.

La haute juridiction énonce qu’en présence d’un élément d’extranéité, à savoir, la nationalité espagnole de l’enfant, la cour d’appel aurait dû « vérifier d’office si la contestation de reconnaissance paternelle était recevable au regard, non seulement de la loi de son auteur, mais également de la loi personnelle de l’enfant ».

L’arrêt permet ainsi de revenir sur la loi applicable à la contestation de reconnaissance (I), mais aussi sur l’office du juge (II) ôtant ainsi les doutes que ses arrêts antérieurs avaient pu susciter.

I – L’application de l’article 311-17 à l’action en contestation de reconnaissance

La question de savoir si l’action en contestation de reconnaissance relève de l’article 311-14 ou 311-17 du Code civil présente un enjeu considérable pour l’enfant. En effet, l’article 311-17 présente des rattachements alternatifs concernant la validité de la reconnaissance. Dès lors, la règle devient cumulative lorsqu’il s’agit de remettre en cause la reconnaissance qui doit être possible non seulement au regard de la loi de l’auteur mais aussi de l’enfant. Or que l’on y voie un argument en faveur de la stabilité des familles ou au contraire, le risque d’emprisonner l’enfant dans une filiation mensongère5, toujours est-il que l’application de rattachements cumulatifs rend plus difficile la contestation de la filiation établie par la reconnaissance.

À vrai dire, en 20056, la Cour de cassation avait censuré sur le fondement de l’article 311-14 une cour d’appel qui avait appliqué le droit français à une action en contestation de reconnaissance paternelle alors qu’elle aurait dû appliquer la loi libanaise de la mère. Toutefois, les commentateurs s’étaient demandé si la Cour de cassation avait véritablement entendu trancher la question du domaine respectif d’application des articles 311-14 et 311-17 du fait justement de l’absence totale de référence à ce dernier texte. La Cour de cassation s’était davantage concentrée sur l’office du juge en rappelant qu’en matière de filiation, le juge doit rechercher d’office le droit applicable en présence d’éléments d’extranéité7.

Dans un second temps, dans un arrêt du 15 mai 20138, la Cour de cassation avait affirmé l’inapplicabilité de l’article 311-14 du Code civil à l’action en contestation de la reconnaissance sans toutefois prendre parti sur l’article 311-17. En fait, face au demandeur au pourvoi qui avait proposé d’appliquer cumulativement les articles 311-14 et 311-17, la haute juridiction avait approuvé la cour d’appel qui, saisie d’une action en contestation de reconnaissance, n’avait pas à faire application de l’article 311-14 et à rechercher si cette action était ouverte par la loi personnelle de la mère. Cela étant, on s’était aussi demandé si la Cour de cassation n’avait pas cherché à adopter une règle de simplification qui consistait à appliquer la même loi à la question de la reconnaissance et de sa contestation9. Ainsi la recevabilité d’une action en contestation de reconnaissance s’apprécierait au regard de la loi française si la reconnaissance avait été accomplie conformément au droit français. C’est peut-être ainsi que les juges du fond avaient raisonné dans l’affaire sous commentaire.

Cependant cette interprétation était très audacieuse car en fait, dans l’arrêt de 2013, la Cour de cassation s’était contentée de rebondir sur l’appréciation du caractère mensonger de la reconnaissance en vertu du droit français, ce qui semblait logique puisque s’agissant d’une question de preuve, cela relève de la lex fori10.

Quoi qu’il en soit, l’arrêt du 15 mai 2019 balaye tous les doutes. Désormais, tant l’action en nullité que l’action en contestation de reconnaissance relèvent de l’article 311-17.

Cette solution est opportune.

Certes on a pu faire valoir que l’ordonnance de 2005 sur la filiation a aligné les règles applicables aux filiations légitime et naturelle, ce qui constituerait un argument en faveur de l’application de l’article 311-14 tant en matière d’établissement de la filiation qu’en matière de contestation de reconnaissance ; tandis que l’article 311-17 n’édicte que des dispositions spéciales à la forme de l’acte et ne devrait donc s’appliquer qu’à la question de l’annulation de l’acte juridique de reconnaissance11. Néanmoins, l’intention du législateur était aussi de protéger l’intérêt de l’enfant qui est d’avoir une filiation. Aussi est-il plus facile de protéger la reconnaissance en recourant à l’article 311-17 du Code civil puisque cette disposition implique l’application cumulative de la loi personnelle de l’auteur et de l’enfant12. En l’espèce, la loi française de l’auteur de la reconnaissance permettait de contester la reconnaissance. En effet, l’article 334 du Code civil ouvre l’action en contestation de reconnaissance à toute personne y ayant un intérêt dès lors que l’enfant n’a pas la possession d’état. En outre le délai pour agir est de 10 ans. Mais, s’agissant de la loi espagnole de l’enfant, l’article 141 du Código civil admet l’action en contestation de reconnaissance dans des cas bien définis (erreur, violence, intimidation), dans le délai d’1 an à compter de la reconnaissance ou de la découverte du vice13.

Parallèlement, force est de reconnaître que l’action en contestation et l’action en nullité de la reconnaissance conduisent au même résultat : la remise en cause du lien de filiation. En outre, les deux actions peuvent se recouper. En effet, dans le cas d’une erreur de l’auteur, celui-ci peut non seulement agir sur le fondement du vice de consentement, dans le cadre d’une action en nullité, mais aussi invoquer l’absence de vérité dans le cadre d’une contestation de la reconnaissance14.

Il est donc bien plus simple de soumettre la validité et la contestation de la reconnaissance à l’article 311-17 du Code civil, d’autant plus que le droit étranger applicable en vertu de la règle de conflit de loi française ne fera pas systématiquement la différence entre validité et contestation et qu’il peut exiger au titre de la validité de la reconnaissance la condition de véracité.

Par ailleurs, l’arrêt qui vient d’être rendu par la Cour de cassation lève aussi une ambiguïté qui avait pu s’induire de son arrêt de 2013 quant à l’application d’office de l’article 311-17 du Code civil.

II – L’application d’office de l’article 311-17 à la contestation de la reconnaissance

En l’espèce, l’arrêt ne fait pas état de la nationalité française de l’enfant mais seulement de sa nationalité espagnole. Pourtant, si la reconnaissance par le père de nationalité française a été effectuée pendant la minorité, l’enfant serait également français. Si tel était le cas, il aurait la double nationalité franco-espagnole. Or il est classique de résoudre le conflit de nationalités au profit de celle du for15. Toutefois, la jurisprudence retient parfois une approche plus fonctionnelle16. Sans doute la Cour de cassation a-t-elle pris en compte la coloration matérielle de la règle de conflit de l’article 311-17 qui supposerait de faire primer la nationalité étrangère de l’enfant afin que le cumul des facteurs de rattachement conduise réellement à l’application de deux lois substantielles.

Quoi qu’il en soit, dès lors que les juges du fond avaient constaté la nationalité espagnole de l’enfant, ils devaient rechercher au besoin d’office si en vertu de la loi espagnole, la contestation de reconnaissance était recevable.

Cette solution ne surprend pas. La Cour vise l’article 3 du Code civil et reprend un principe régulièrement rappelé. Le juge qui a connaissance d’un élément d’extranéité a l’obligation d’appliquer d’office la règle de conflit de lois en matière de droits indisponibles même si les parties n’ont pas soulevé l’application de la loi étrangère17.

Toutefois, dans l’arrêt du 15 mai 2013, la Cour de cassation n’avait pas censuré les juges du fond qui s’étaient abstenus de rechercher la loi étrangère des enfants reconnus. Un auteur avait alors émis l’idée que l’absence de censure pouvait peut-être s’expliquer par le caractère disponible de l’action en contestation de reconnaissance. De fait, la reconnaissance résulte d’un acte de volonté. Or l’acte juridique de reconnaissance qui matérialise l’autonomie de la volonté est le domaine des droits disponibles18. Toutefois, bien que l’auteur du pourvoi invoquait l’application d’office de la règle de conflit, la Cour de cassation ne s’était pas placée sur ce terrain.

En outre, jusqu’à présent, la haute juridiction a régulièrement affirmé qu’en matière de filiation les droits des parties sont indisponibles19. Elle a ainsi rappelé dans une espèce jugée le 24 mai 2018 que dans le cadre d’une action en contestation de paternité, le juge ne peut ordonner une expertise biologique sans avoir préalablement déterminé la loi applicable dès lors que la mère est de nationalité étrangère20.

L’affaire sous commentaire est donc l’occasion de réaffirmer le principe.

En définitive, cela veut dire que dans l’hypothèse où l’enfant est de nationalité étrangère, et que cet élément est connu, les juges devront appliquer l’article 311-17 du Code civil et rechercher si la loi étrangère de l’enfant ouvre la possibilité de contester la reconnaissance. À défaut, si l’auteur de la reconnaissance est français, et que l’enfant ne fait état que de sa nationalité française, l’application de ce texte conduira à la seule application du droit français.

Ici, l’application cumulative de la loi espagnole et française conduira à retenir la solution la plus favorable à l’enfant. À savoir celle qui est consacrée par le droit espagnol qui réduit considérablement la possibilité de contester la reconnaissance.

Notes de bas de pages

  • 1.
    L. n° 72-3, 3 janv. 1972 : JORF, 5 janv. 1972, p. 145.
  • 2.
    CA Paris, 1re ch. civ., 11 mai 1976, : D. 1976, Jur., p. 633, note Massip J. ; Defrénois 1976, art. 31179, p. 790, Massip J. ; JDI 1977, p. 656, note Foyer J. ; Rev. crit. DIP 1977, p. 109, Fadlallah I.
  • 3.
    V. dans un sens critique, Foyer J. et Fadlallah I, notes précitées, mais en faveur de cette solution : Massip J. note précitée Dalloz.
  • 4.
    Cass. 1re civ., 6 juill. 1999, n° 97-19453 : Bull. civ. I, n° 225 ; Gaz. Pal. Rec. 2001, som., p. 551 ; D. 1999, Jur., p. 483, Sainte Rose J. ; Defrénois 30 janv. 2000, n° 37096, p. 109, note Massip J. ; JCP G 2000, II 10353, note Vignal T.
  • 5.
    En ce sens, Gorand A. Obs. sous CA Paris, 13 déc. 2007, Juris Data n° 2007-355518 : Dr. famille 2008, comm. 113.
  • 6.
    Cass. 1re civ., 14 juin 2005, n° 02-14328 : Bull. civ. I, n° 243 ; Defrénois 30 nov. 2005, n° 38278-87, p. 1851, obs. Massip J.
  • 7.
    CA Paris, 1re ch. civ., 11 mai 1976 : D. 1976, Jur., p. 633, note Massip J. ; Defrénois 1976, art. 31179, p. 790, Massip J. ; JDI 1977, p. 656, note Foyer J. ; Rev. crit. DIP 1977, p. 109, Fadlallah I.
  • 8.
    Cass. 1re civ., 15 mai 2013, n° 11-12569 : D. 2014, p. 1059, Gaudemet-Tallon H. ; Dr. famille 2013, comm. 104, Neirinck C. ; JDI 2013, n° 4, comm. 14, Guillaumé J. ; Rev. crit. DIP 2014, p. 92, note Gallant E.
  • 9.
    En ce sens, Neirinck C., La loi applicable à la contestation de reconnaissance d’enfants étrangers par un français, Dr. famille 2013, comm. 104.
  • 10.
    .Fongaro E., La loi applicable à la preuve en droit international privé, 2004, LGDJ.
  • 11.
    Cass. 1re civ., 14 juin 2005, n° 02-14328 : Bull. civ. I, n° 243 ; Defrénois 30 nov. 2005, n° 38278-87, p. 1851, obs. Massip J.
  • 12.
    En ce sens, JDI 2013, n° 4, comm. 14, Guillaumé J.
  • 13.
    Código civil : Ministerio de Gracia y Justicia «BOE» núm. 206, de 25 de julio de 1889 Referencia: BOE-A-1889-4763.
  • 14.
    Fulchiron H. « Filiation naturelle : l’article 311-17 du Code civil devant la Cour de cassation », Dr. famille 2000, comm. 55.
  • 15.
    Cass. 1re civ., 7 nov. 1972, n° 71-14470 : Rev. crit. DIP 1973, p. 301, note Lagarde P.
  • 16.
    Lagarde P. « Vers une approche fonctionnelle du conflit de nationalités », Rev. crit. DIP 1988, p. 29.
  • 17.
    Cass. 1re civ., 26 mai 1999, n° 97-16684, M. Belaid : Bull. civ. I, n° 174 ; Ancel B. et Lequette Y., Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé, 5e éd., 2006, n° 74-78 ; Rev. crit. DIP 1999, p. 707 – v. aussi Cass. 1re civ., 19 sept. 2007, n° 06-20208.
  • 18.
    JDI 2013, n° 4, comm. 14, Guillaumé J.
  • 19.
    Cass. 1re civ., 19 déc. 2012, n° 11-26094.
  • 20.
    Cass. 1re civ., 24 mai 2018, n° 16-21163 : Dalloz actualité, 8 juin 2018, note Melin F.
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