La qualification des loyers des biens indivis perçus par un seul des époux mariés sous le régime de la séparation de biens dans le contentieux de la prestation compensatoire

Publié le 09/04/2018

Les fruits civils des biens indivis des époux mariés sous le régime de la séparation de biens accroissant à l’indivision, les juges du fond ne peuvent les prendre en considération au titre des ressources du conjoint qui les perçoit.

Cass. 1re civ., 11 oct. 2017, no 16-15612

« Elle perpétue le passé, sans innover. Ce passé inclut, certes la représentation d’un avenir : mais il ne s’agit que d’un avenir prévisible. Optimiste ou pessimiste, l’opération mentale n’inclut que ce qui peut être raisonnablement prévu : non ce qui sera, mais ce que l’on sait présentement »1.

Le commentaire du professeur Seriaux sur la nature juridique de la prestation compensatoire illustre la difficile tâche qui incombe au juge du divorce2 lorsqu’il doit se prononcer sur la prestation compensatoire3. Ne connaissant pas le résultat du partage, ne pouvant trancher « des points de discorde relatifs à l’évaluation des biens ou à leur attribution »4, il doit néanmoins prévoir « le patrimoine prévisible » des époux afin d’allouer à l’un d’eux une juste compensation destinée à restaurer à certain équilibre5 !

Si le divorce emporte dissolution du régime matrimonial6, la date de sa liquidation n’est jamais concomitante à la date à laquelle l’acte de divorce devient exécutoire. Le décalage temporel entre la date d’effet de la dissolution du régime matrimonial des époux et celle de sa liquidation entraîne l’ouverture d’une période pendant laquelle « le patrimoine commun » des époux tombe dans une indivision qu’il est d’usage de nommer, selon une expression usitée dont la paternité incombe à Henri Capitant7, l’indivision post-communautaire, pendant laquelle les biens communs devenus indivis sont régis par le droit commun de l’indivision8. Aussi, les époux peuvent, par contrat de mariage, adopter le régime de la séparation de biens et, dans ce cas, les biens acquis en commun sont soumis ab initio à ces mêmes règles.

Les biens indivis des époux peuvent être frugifères9. On pense évidemment aux immeubles à usage d’habitation mis en location. Or le plus souvent, lorsque le divorce « pointe son nez », les époux ont cessé de collaborer et les loyers vont être conservés par celui qui les perçoit. Peut-on prendre en compte ces revenus pour les inclure dans les ressources propres de l’époux percepteur ?

La réponse à cette question semble assez simple à la lecture de la règle Fructus augent hereditam10 laquelle, issue du Sénatus Consulte Juventien11, s’illustre12 au deuxième alinéa de l’article 815-10 du Code civil : « Les fruits et revenus des biens indivis accroissent à l’indivision, à défaut de partage provisionnel ou de tout autre accord établissant la jouissance divise ». Les époux étant « propriétaires en indivision », les fruits viennent augmenter la masse des biens indivis13 et, dans des cas de divorce entre époux mariés sous le régime de la communauté légale, la doctrine14 et la jurisprudence15 considèrent que les fruits afférents aux biens communs et, après dissolution du régime matrimonial, aux biens indivis, ne peuvent être considérés comme les ressources propres d’un conjoint.

Il n’en demeure pas moins que certains juges du fond ne l’appliquent pas et la première chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 11 octobre 2017, a dû réaffirmer sa position dans un cas de divorce entre époux mariés sous le régime de la séparation de biens.

En l’espèce, des futurs époux avaient conclu, le 5 juin 1992, un contrat de mariage dans lequel ils stipulaient se marier sous le régime de la séparation de biens, puis, célébrèrent le mariage le 9 juillet suivant. Au cours de leur union, ils avaient acquis huit biens en indivision. Gérés par le mari, celui-ci encaissait seul les loyers et les conservait intégralement. À la suite du dépôt d’une requête de divorce, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Nanterre, par une ordonnance de non-conciliation en date du 3 octobre 2011, autorisa le mari à assigner son épouse en divorce et, le 9 juillet 2014, statuant au fond, prononça le divorce aux torts exclusifs de l’époux, le condamna à verser à son épouse, à titre de prestation compensatoire, une somme de 150 000 € sous forme de capital. L’époux interjeta appel général du jugement devant la cour d’appel de Versailles. Il demandait l’infirmation du jugement entrepris, notamment la décision portant sur la prestation compensatoire, à savoir que le juge d’appel dise qu’il n’y a pas lieu au versement d’une prestation compensatoire par l’un des époux. La défenderesse, interjeta appel incident dans lequel elle demanda à la cour d’appel, d’une part, de constater qu’il « existe une substantielle disparité entre les époux » et, d’autre part, de confirmer le jugement sur l’attribution de la prestation compensatoire. Par un arrêt rendu le 18 février 201616 la cour d’appel confirme la décision des juges de première instance et, après avoir relevé que l’époux encaissait seul et conservait l’intégralité des revenus fonciers issus des biens indivis, le condamna à verser à son épouse sous forme de capital une somme 350 000 € à titre de prestation compensatoire.

L’époux forma un pourvoi en cassation aux fins, notamment, d’obtenir la cassation de la décision relative à la prestation compensatoire. Il avance qu’« en prenant en considération, au titre des ressources du mari, l’intégralité des “revenus nets fonciers” perçus par M. X, incluant ceux générés par les biens indivis des époux, pour apprécier la disparité créée par la rupture du mariage dans leurs conditions de vie respectives, la cour d’appel a derechef privé sa décision de base légale au regard des articles 270 et 271 du Code civil ».

La Cour régulatrice devait répondre à la question de savoir si les loyers afférents aux biens indivis pouvaient être considérés comme des ressources propres de l’époux aux motifs qu’il les avait encaissés seul et conservés.

La réponse de la première chambre civile de la Cour de cassation est négative : « En prenant en considération, au titre des ressources du mari, les revenus locatifs procurés par les biens indivis des époux, qui accroissent à l’indivision, pour apprécier la disparité créée par la rupture du mariage dans leurs conditions de vie respectives, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ».

La Cour de cassation réaffirme une solution traditionnelle : les fruits civils afférents aux biens indivis ne peuvent être englobés dans les ressources propres des époux lorsque le juge statue sur la prestation compensatoire (I). Cette interprétation de l’article 271 du Code civil est compréhensible pour les fruits perçus au cours de l’indivision. Elle est en revanche discutable pour les revenus générés par les biens frugifères après sa liquidation. Ces questions prennent une acuité particulière avec le divorce « sans juge » où les conjoints vont d’un commun accord, fixer la prestation compensatoire, sans que le juge ne puisse porter son regard avant que la convention de divorce n’acquière force exécutoire (II).

I – L’exclusion des fruits civils des biens indivis des époux de la base d’évaluation de la prestation compensatoire

Les fruits des biens indivis des époux n’entrant pas dans leur patrimoine personnel (A), le juge ne peut les prendre en considération pour évaluer leurs ressources (B).

A – La juste qualification de biens indivis attribuée aux fruits civils perçus par un seul des époux

Dans l’arrêt rapporté, les loyers perçus par le mari provenaient en partie des biens indivis des époux. Le Code civil envisage les loyers des baux d’habitation comme des « fruits civils » (C. civ., art. 584). Quant à l’acquisition de ces biens, l’article 547 de ce code pose la règle suivante : « Les fruits civils (…) appartiennent au propriétaire par droit d’accession ». Cette règle trouve son origine dans la maxime latine accessorium sequitur principale17. Les fruits en qualité d’accessoire ont le même statut du bien dont ils dépendent. L’immeuble, étant indivis, les loyers ne peuvent que l’être également, à concurrence des droits des indivisaires dans l’indivision. Ce syllogisme s’applique aux biens des époux mariés sous le régime de la communauté lorsque, par l’effet de la dissolution du régime matrimonial, leurs biens tombent dans l’indivision postcommunautaire. Il s’applique a fortiori dans l’hypothèse d’époux marié sous le régime de la séparation de biens. L’originalité de ce « régime matrimonial » réside dans le fait qu’à la différence des régimes communautaristes, il ne crée pas une troisième masse de biens. Chaque époux conserve la propriété exclusive18 de ses biens, peu importe leur date d’acquisition19. Toutefois, les époux peuvent acquérir ensemble des biens et la gestion de ces biens ne sera pas régie par les règles de la communauté légale, mais celles de l’indivision.

Dans la présente affaire, les juges du fond avaient intégré les fruits perçus par le mari dans ses ressources, tout comme s’il en était devenu propriétaire par l’effet de leur perception et de leur détention. La motivation des magistrats versaillais n’est pas limpide mais on retrouve cette idée en filigrane lorsque l’on s’attarde quelques instants sur les motifs de leur décision : « Les époux sont propriétaires en indivision de huit appartements (…). L’époux paye les emprunts et charges de tous les biens acquis (…). Il conserve à ce jour l’intégralité des loyers produits par les biens immobiliers acquis (en indivision) (…) ». Au soutien de leur décision, il pourrait être avancé que le Code Napoléon envisage l’appropriation des fruits d’une chose par leur perception20. On pense évidemment à l’usufruitier pour lequel « les fruits civils sont réputés s’acquérir jour par jour » (C. civ., art. 586) et au simple possesseur qui fait « les fruits siens » (C. civ., art. 549)21. Mais il ressort de la lecture des règles de l’indivision, que le législateur n’a pas opté pour une acquisition des fruits par un seul des indivisaires dès leur perception ou par l’effet de leur détention. En effet, si l’indivisaire est bien propriétaire du bien indivis, il n’en est pas le seul propriétaire. L’article 815-9 du Code civil est assez explicite sur ce point : « Chaque indivisaire peut user et jouir des biens indivis conformément à leur destination, dans la mesure compatible avec le droit des indivisaires (…) ». S’il en a la jouissance, les autres aussi. Seule une concession des autres indivisaires à laisser l’indivisaire jouir seul d’une partie des biens indivis, lui confère, l’acquisition des fruits issus de ces biens22, ce que permet justement l’article 815-10 alinéa 2 : « Les fruits et revenus des biens indivis accroissent à l’indivision, à défaut de partage provisionnel ou de tout autre accord accordant la jouissance divise ». À défaut d’un tel accord, les fonds reçus ne deviennent pas sa propriété : il n’en a que la détention.

Les fruits ont une vocation naturelle à servir à la conservation de la chose. L’indivisaire peut employer les fruits pour des dépenses nécessaires à la conservation des biens indivis, ce qui était le cas en l’espèce. Le conjoint assurait certaines dépenses : le paiement des emprunts, charges et taxes afférents aux biens indivis. Ces dépenses sont qualifiées de conservatoires par la jurisprudence23 et le deuxième alinéa de l’article 815-2 autorise, dans ce cas, l’usage des fruits : « Il peut employer les fonds de l’indivision détenus par lui et il est réputé en avoir la libre disposition à l’égard des tiers ». Le conjoint pouvait donc valablement disposer des sommes d’argent. Cependant, cela ne lui donne pas la propriété exclusive des fonds qu’il détient24 car, après avoir payé « les emprunts, taxes et charges afférents aux biens indivis », il est « redevable des produits nets de sa gestion » (C. civ., art. 815-12). Pour en revenir aux faits, le mari devait restituer le montant des loyers, auxquels on soustrayait les frais de conservation, c’est-à-dire, pour reprendre l’expression des magistrats versaillais, les « revenus fonciers nets ».

Dès lors, la première chambre civile de la Cour de cassation casse à juste titre la décision de la cour d’appel de Versailles aux motifs que « les revenus locatifs procurés par les biens indivis des époux (…) accroissent à l’indivision (…) ». Par une motivation concise mais précise, les magistrats du quai de l’Horloge réintègrent les loyers, en qualité de fruits, dans la masse des biens composant l’indivision et, en déduisent logiquement qu’ils ne sont pas des ressources au sens de l’article 271 du Code civil.

B – La nécessaire exclusion des fruits civils afférents aux biens indivis des ressources propres des époux

L’article 270 alinéa 2, du Code civil dispose que « l’un des époux peut être tenu de verser à l’autre une prestation destinée à compenser, autant qu’il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives (…) ».

Le mariage met en place un ensemble d’obligations aux fins de faire profiter à un époux du niveau de vie de l’autre. Le divorce, emportant à la fois dissolution des droits et devoirs nés du mariage et du régime matrimonial, peut créer un déséquilibre dans les conditions de vie respectives des époux. Pour pallier cette « injustice »25, le législateur octroie une prestation compensatoire à l’époux qui la subit. Pour apprécier « la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives », le juge devra tenir compte « des ressources des époux ». La loi ne contient pas de définition générique des ressources mais dresse une liste non exhaustive. D’un point de vue monétaire, on y retrouve les revenus du travail, ou encore les pensions de retraite, mais aussi « le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu’en revenus, après la liquidation du régime matrimonial ».

Avant tout il n’est pas inutile de rappeler qu’après un débat controversé, la Cour de cassation a considéré dans un premier temps et de manière indirecte, que les fruits et revenus des biens propres sont communs26. Puis, quelques années plus tard, elle a expressément précisé que les fruits et revenus des biens propres sont communs27. Toutefois, dans l’arrêt rapporté, les époux étaient mariés sous le régime de la séparation de biens. Dans ce régime matrimonial, tous les revenus des époux restent propres28, qu’ils proviennent de leur industrie personnelle ou de leurs biens mais le juge peut cependant en tenir compte au titre de l’obligation de contribution aux charges du mariage29. La prise en compte des revenus tirés des biens indivis est plus problématique. Avant la liquidation des intérêts patrimoniaux des époux, ils n’appartiennent ni à l’un ni à l’autre mais aux deux en même temps. In casu, les loyers étant générés par les biens indivis, ils faisaient partie de l’assiette des droits de propriété concurrents des conjoints. L’erreur des juges versaillais fut d’intégrer ces fruits « communs » dans les ressources du mari et ils encourent, en toute logique, la censure de la 1re chambre civile : « les revenus locatifs procurés par les biens indivis des époux (…) accroissent à l’indivision » et ne peuvent être pris en considération par le juge « au titre des ressources du mari (…) pour apprécier la disparité créée par la rupture du mariage dans leurs conditions de vie respective ».

D’un point de vue pratique, la décision de la Cour de cassation impose aux juges du fond de ventiler entre les revenus fonciers issus des biens propres et ceux afférents aux biens indivis. Dans les faits, le mari gérait l’intégralité des immeubles mis en location, dont une partie lui appartenait en propre, mêlant ainsi les revenus des biens propres avec les fruits les biens indivis et c’est peut-être cette gestion confuse qui a confondu les juges versaillais. En théorie, la position des juges est partiellement défendable. En effet, lorsqu’il s’agit d’évaluer les ressources que perçoit chaque conjoint « au moment du divorce », il est logique de ne pas prendre en compte les revenus des biens indivis. Tant que l’un des époux n’a pas provoqué le partage, les fruits tombent dans l’indivision. Mais, après partage, les fruits constitueront une source de revenu pour l’un des époux. Quid de la prévision du juge ?

II – Portée de la décision à l’aune de la déjudiciarisation du divorce

La position de la Cour régulatrice reste-t-elle valable pour les fruits qui vont être perçus après le partage des biens indivis ? Leur exclusion de principe dénature quelque peu le sens de l’article 271 du Code civil et fait fi de la nature des biens à partager (A). Cette question est d’autant plus aiguë avec la consécration du divorce sans juge dans lequel il revient à ses acteurs d’évaluer, sans contrôle judiciaire a priori, les ressources des époux (B).

A – Une solution indifférente des résultats du partage : retour sur l’article 271 du Code civil

L’interprétation de l’article 271 du Code civil que nous livre la Cour de cassation n’est pas nouvelle. Elle a une lecture similaire dans des procédures de divorce d’époux mariés sous le régime de la communauté. Dans un arrêt remarqué du 15 février 2012, elle affirma que les fruits afférents aux biens communs constituaient des biens communs puis, après la dissolution du régime matrimonial, accroissaient à l’indivision postcommunautaire30. Que pensez de ces solutions ? Elles sont simples, mais peut-être « trop simpliste31 ». La liquidation des biens des époux est fondée sur une égalité en valeur. Soit ! Cela ne signifie pas pour autant que les époux vont recevoir des biens d’une égale nature. Un époux peut bénéficier d’un bien productif de revenus. En outre, ce bien frugifère, pourra déjà l’être pendant le fonctionnement du régime matrimonial : c’était le cas en l’espèce où les biens immobiliers des époux étaient tous loués. Parmi eux, le mari détenait 99 % des parts indivises : il n’est pas irraisonnable de penser qu’à la suite de la liquidation des intérêts patrimoniaux du couple, le conjoint devienne le propriétaire exclusif de ces biens frugifères et continue à percevoir ces revenus, des « ressources prévisibles », en quelque sorte. Rappelons sur ce point que l’article 271 du Code civil énonce : « La prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l’époux à qui elle est versée et les ressources de l’autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l’évolution de celle-ci dans un avenir prévisible.

À cet effet, le juge prend en considération notamment : (…) le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu’en revenus, après liquidation du régime matrimonial ».

Le juge ne peut se contenter d’évaluer les ressources propres de chaque époux au moment du divorce. Il doit également prévoir le montant de leurs revenus respectifs après liquidation du régime matrimonial32. La Cour de cassation ne semble pas être de cet avis. Suivant la ligne de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation33, la première chambre civile, dans un arrêt du 1er juillet 2009 affirma que « la liquidation du régime matrimonial est par définition égalitaire et que chacun gère librement son lot dans l’avenir », pour exclure de la base d’évaluation de la prestation compensatoire la part de communauté des époux34.

Ce principe comporte une exception : le juge peut prendre en compte la liquidation des intérêts patrimoniaux lorsqu’il il existe des « circonstances particulières affectant la nature des biens communs à partager »35. Le professeur Bernard Vareilles, dans une note réprobatrice36, a tenté de déceler quelles sont ces circonstances particulières, pour en conclure, avec d’autres, que « le partage, peut, en tant que tel, être source d’inégalité lorsqu’il attribue à un seul des époux un bien frugifère »37.

L’exclusion des fruits des biens indivis perçus avant le prononcé du divorce, des ressources à prendre en compte, est justifiée par le fait que chaque époux en bénéficiait grâce au fonctionnement du régime matrimonial ou de l’indivision. À leur disparition, il n’en profitera plus et, si l’époux créancier de la prestation compensatoire ne reçoit pas dans son lot le bien frugifère, il subira une baisse de ressources et, corrélativement, l’époux débiteur bénéficiera d’une hausse de ses revenus38. L’exclusion des fruits civils issus des biens indivis, des ressources propres des conjoints est bien radicale et le voile de l’égalité en valeur du partage des biens masque une injustice. Certes, la jurisprudence suscitée justifie sa position en affirmant que « chacun gère librement son lot » et il ne pourrait être sérieusement avancé qu’un des époux, une fois en présence d’un bien frugifère non exploité, sera tenu de le mettre à disposition d’autrui pour en tirer des revenus. Mais, in specie, les biens immobiliers étaient déjà mis en location et produisaient avant la liquidation, des revenus fonciers qui, « dans un avenir prévisible », continueront à être générés.

B – Des incertitudes à lever avec la création du divorce sans juge

La loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle crée une forme de divorce inédite39 : le « divorce conventionnel par acte sous signature privée contresignée par avocat déposé au rang des minutes d’un notaire ». Ce nouveau divorce par consentement mutuel, s’ajoutant à l’actuel divorce par consentement mutuel renommé pour la cause « divorce par consentement mutuel judiciaire », repose essentiellement sur la volonté des époux qui devront s’accorder, tant sur la prestation compensatoire, que sur la liquidation de leurs intérêts patrimoniaux et ce, sans que le juge ne puisse exercer son contrôle sur la convention de divorce au cours de cette procédure déjudiciarisée.

À cet effet, le nouvel article 229-3 alinéa 2 du Code civil dispose : « La convention comporte expressément à peine de nullité :

4° Les modalités du règlement complet des effets du divorce conformément au chapitre III du présent titre, notamment s’il y a lieu à versement d’une prestation compensatoire 

5° L’état liquidatif du régime matrimonial, le cas échéant en la forme authentique devant notaire lorsque la liquidation porte sur des biens soumis à publicité foncière, ou la déclaration qu’il n’y a pas lieu à liquidation ».

Les parties à cette convention de divorce devront être attentive pour évaluer les ressources des époux lors de la fixation de la prestation compensatoire et, en premier lieu, leurs avocats qui sont chargés de leur rédaction40. Les problèmes sus-évoqués sur les liens entre prestation compensatoire et liquidation des intérêts patrimoniaux des époux ne vont pas disparaître avec la réforme. Dans une récente étude sur le divorce « sans juge », il était justement observé que le notaire n’exercera qu’un contrôle réduit de la convention de divorce41, pour déterminer si elle n’est pas manifestement contraire à l’ordre public42. Pourra-t-il, par exemple, contrôler les revenus pris en compte pour l’évaluation de la prestation compensatoire et refuser « d’instrumenter »43 s’il estime que certains revenus ont été omis ou, au contraire, pris en compte alors qu’ils ne devaient pas l’être ?

L’absence d’un contrôle judiciaire antérieur à la date d’effet du divorce risque de générer un contentieux. Certes, la convention de divorce aura « force exécutoire » et, le législateur est intervenu pour insérer ce nouvel acte de divorce dans la nomenclature des titres exécutoires de l’article L. 111-3 du Code des procédures civiles d’exécution44. La convention de divorce, par son dépôt au rang des minutes du notaire bénéficiera de l’imperium attaché aux actes notariés. Mais, elle n’aura pas autorité de la chose jugée et, accusant sur ce point des mêmes faiblesses que les actes notariés45, l’époux débiteur de la prestation compensatoire pourra facilement la remettre en cause devant le juge de l’exécution qui sera compétent pour apprécier de leur validité46.

Ainsi, loin de donner une sécurité aux époux, le nouveau divorce sans juge fragilise les droits des époux et, en premier lieu, leur droit à la prestation compensatoire qui, nous le rappelons, est destiné à compenser une perte de niveau de vie dès le prononcé du divorce !

Notes de bas de pages

  • 1.
    Seriaux A., « La nature juridique de la prestation compensatoire ou les mystères de Paris », RTD civ. 1997, p. 54-66, spéc. p. 56.
  • 2.
    Cette tâche est d’autant plus difficile qu’il ne peut surseoir à statuer sur la prestation compensatoire dans l’attente de la liquidation du régime matrimonial : CA Versailles, 6 mars 1991, n° VE060391 : D. 1991, IR, p. 119.
  • 3.
    Rapport Collombet sur la proposition de loi relative à la réforme du divorce, 8 oct. 2001, p. 21, n° 3299.
  • 4.
    Niel P.-L., « Le juge du divorce et les règles de la commise judiciaire du notaire », LPA 30 déc. 2015, p. 10 et s.
  • 5.
    Seriaux A., « La nature juridique de la prestation compensatoire ou les mystères de Paris », RTD civ. 1997, p. 66,
  • 6.
    C. civ., art. 1441, 3°.
  • 7.
    Capitant H., « De l’indivision qui suit la dissolution de la communauté entre époux », Rev. crit. DIP 1929, p. 65.
  • 8.
    Les fruits augmentent la succession.
  • 9.
    Cornu G., Vocabulaire juridique, 11e éd., 2016, PUF, Association Henri Capitant, Quadrige : Bien frugifère.
  • 10.
    Roland H. et Boyer L., Adages du droit français, 4e éd., 1999, Litec : Fructus augent hereditatem.
  • 11.
    Bouchet P., Essai sur l’indivision qui suit la dissolution de la communauté de biens entre époux, thèse, 1931, Grenoble, p. 89.
  • 12.
    Murat P. (dir.), Droit de la famille, 7e éd., 2016, Dalloz Actions, nos 134-118 ; Terré F. et Simler P., Droit civil. Les régimes matrimoniaux, 7e éd., 2015, Dalloz, Précis, p. 481, n° 620.
  • 13.
    Bouchet P., Essai sur l’indivision qui suit la dissolution de la communauté de biens entre époux, op. cit., p. 89 ; Cabrillac R., Droit des régimes matrimoniaux, 10e éd., 2017, LGDJ, Précis, p. 225, n° 273.
  • 14.
    Cabrillac R., op. cit., p. 225, n° 273 ; Dauriac I., Droit des régimes matrimoniaux, 4e éd., 2015, LGDJ, Manuel, p. 284, n° 522 ; Voirin P. et Goubeaux G., Droit civil. Régimes matrimoniaux. Successions – Libéralités, t. 2, 26e éd., date, LGDJ, Manuel, n° 510 ; Terré F. et Simler P., Droit civil. Les régimes matrimoniaux, op. cit.,p. 485, n° 625.
  • 15.
    Cass. 1re civ., 19 juin 2007, n° 05-21970 : Bull. civ. I, n° 242 – Cass. 1re civ., 15 févr. 2012, n° 10-20018 : Bull. civ. I, n° 30 ; RTD civ. 2012, p. 301, obs. Hauser J. ; AJ fam. 2012, p. 225, obs. David S. ; Dr. Famille, Avril 2012, p. 63, comm. Larribeau-Terneyre V.
  • 16.
    CA Versailles, 18 févr. 2016, n° 14/06586.
  • 17.
    L’accessoire suit le principal.
  • 18.
    V. C. civ., art. 1536.
  • 19.
    Grimaldi M. (dir.), Droit patrimonial de la famille, 6e éd., 2017, Dalloz actions, p. 336, n° 161-11.
  • 20.
    Bergel J.-L., Bruschi M. et Simamonti S., Traité de droit civil. Les biens, 2e éd., 2010, LGDJ, 2010, p. 300, n° 254 bis ; Terré F. et Simler P., Droit civil. Les biens, op. cit., n° 810 ; Malaurie P. et Aynès L., Les biens, 6e éd., année, LGDJ, Droit civil, p. 290, n° 819.
  • 21.
    L’indivisaire n’est pas un possesseur de bonne foi. V. Cass. 1re civ., 26 avr. 1988, n° 86-14864 : Bull. civ. I, n° 117.
  • 22.
    Terré F. et Simler P., Droit civil. Les biens, op. cit., p. 484, n° 588.
  • 23.
    Cass. 1re civ., 18 oct. 1983, n° 82-14798 : Bull. civ. I, n° 236 (mensualités d’un emprunt immobilier) – Cass. 1re civ., 13 janv. 2016, n° 14-24767 : Bull. civ. I, PB (taxes foncières).
  • 24.
    L’un des traits essentiels de la propriété est la libre disposition de ses biens. Dans ses rapports avec ses coïndivisaires, l’indivisaire n’est pas présumé avoir une « libre disposition des fonds » : il doit justifier du caractère conservatoire de la dépense. Le fait qu’il soit « réputé avoir la libre disposition envers les tiers » réside plutôt dans un souci de sécurisation du droit des tiers : v. sur ce point : Terré F. et Simler P., Droit civil. Les biens, op. cit., p. 469, n° 577.
  • 25.
    Sériaux A., « La nature juridique de la prestation compensatoire ou les mystères de Paris », préc.
  • 26.
    Cass. 1re civ., 31 mars 1992, n° 90-17212 : Bull. civ. I, n° 96.
  • 27.
    Cass. 1re civ., 20 févr. 2007, n° 05-18066 : Bull. civ. I, n° 67.
  • 28.
    Grimaldi M. (dir.), Droit patrimonial de la famille, op. cit., p. 336, n° 161-111.
  • 29.
    Ibid., p. 337, n° 161-112.
  • 30.
    Cass 1re civ., 15 févr. 2012, préc.
  • 31.
    Malaurie P. et Aynès L., Droit de la famille, 5e éd., 2016, LGDJ, Droit civil, p. 375, n° 789, note 11 ; Claux P.-J. et David S. (dir.), Droit et pratique du divorce, 2015, Dalloz, Dalloz références, n° 215-57.
  • 32.
    Rép. civ. Dalloz, v° Divorce, année, n° 185, Dissaux N.
  • 33.
    Cass. 2e civ., 24 mai 1991, n° 90-12224 : Bull. civ. II, n° 158 – Cass. 2e civ., 14 janv. 1998, n° 95-22059 : Bull. civ. II, n° 12 – Cass. 2e civ., 20 mars 1996, n° 94-16594 : Dr. famille 1997, comm. 14, obs.Lécuyer H. – Cass. 2e civ., 7 mai 2002, n° 00-21536 : RTD civ. 2002, p. 790, obs. Hauser J.
  • 34.
    Cass. 1re civ., 1er juill. 2009, n° 08-18486 : Bull. civ. I, n° 146 – Cass. 1re civ., 21 sept. 2016, n° 15-14986.
  • 35.
    Cass. 1re civ., 30 nov. 2004, n° 03-18158 : Bull. civ. I, n° 293.
  • 36.
    Cass. 2e civ., 14 janv. 1998, n° 95-22059 : Bull. 1998, II, n° 12 ; RTD civ. 1999, p. 171, obs. Vareilles B.
  • 37.
    Claux J.-P. et David S., Droit et pratique du divorce, op. cit., p. 421, n° 215-57.
  • 38.
    Inversement, si l’époux débiteur reçoit le bien frugifère, il bénéficiera d’une hausse de revenus qui devrait être prise en compte. V. Rép. civ. Dalloz, Divorce, n° 185, Dissaux N.
  • 39.
    Morin M. et Niel P.-L., « Chroniques régimes matrimoniaux (Janvier-Octobre 2016) », LPA 8 févr. 2017, n° 123j4, p. 10.
  • 40.
    C. civ., art. 229-4 : « L’avocat adresse à l’époux qu’il assiste, (…) un projet de convention (…) »
  • 41.
    Niel P.-L., Divorce par consentement mutuel conventionnel déposé au rang des minutes d’un notaire : entre l’efficacité de l’instrumentum notarié et la validité du negotium sous seing privé contresigné par l’avocat, LPA 5 mai 2017, n° 126g4, p. 12 et s., spéc. n° 17.
  • 42.
    Ibid. : l’auteur compare le contrôle du notaire à celui du juge qui homologue une transaction.
  • 43.
    Ibid., n° 19.
  • 44.
    CPC exéc., art. L. 111-3, 4° bis : « Seuls constituent des titres exécutoires : (…) Les accords par lesquels les époux consentent mutuellement à leur divorce par acte sous signature privée contresignée par avocats, déposés au rang des minutes d’un notaire selon les modalités prévues à l’article 229-1 du Code civil ».
  • 45.
    Leborgne A., Voies d’exécution, 1re éd., 2009, Dalloz, Précis, p. 587, n° 440.
  • 46.
    Le JEX est compétent pour apprécier la validité d’un acte notarié à l’occasion de la contestation d’une mesure d’exécution forcée prise sur son fondement : Cass. 2e civ., 18 juin 2009, n° 08-10843 : Bull. civ. II, n° 165 ; D. 2009, p. 426.
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