Séparation de biens et financement d’un immeuble indivis

Publié le 25/11/2019

Lors de la liquidation du régime de séparation de biens, la Cour de cassation opère une distinction entre le financement du bien indivis par apport en fonds personnel et par emprunt bancaire, jugeant que l’apport de capitaux ne doit pas être considéré comme une contribution aux charges du mariage.

La Cour de cassation vient de rendre un arrêt intéressant en matière de liquidation de régime de séparation de biens par divorce, sur la question du financement d’un immeuble indivis à affectation familiale par apport de fonds personnel. La question se posait de savoir si cet apport devait être analysé comme une participation, par l’époux apporteur, à l’exécution de l’obligation de contribuer aux charges du mariage.

Pour constater l’existence d’une éventuelle créance d’un époux sur l’autre, la haute juridiction opère une distinction selon que le bien a été financé par apport en fonds personnel ou par emprunt bancaire (Cass. 1re civ., 3 oct. 2019, n° 18-20828).

Séparation de biens et financement d’un immeuble indivis
Inga / AdobeStock

Financement exclusif par un seul époux

Dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation, des époux mariés sous le régime de la séparation de biens avaient acquis en indivision, pour moitié chacun, une résidence secondaire dans le Var. En pratique, le bien avait été entièrement financé par l’époux, par apport de fonds personnels, provenant de la vente de biens acquis avant le mariage. Le couple se sépare. Lors du divorce, l’époux estime qu’il détient une créance sur l’indivision du fait d’avoir financé seul l’acquisition de la résidence secondaire.

Le contrat de mariage du 23 août 1991 stipulait en son article 2 intitulé : « contribution aux charges du mariage » que « les futurs époux contribueront aux charges du mariage en proportion de leurs facultés respectives conformément aux dispositions des articles 214 et 1537 du Code civil. Chacun d’eux sera réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive, en sorte qu’aucun compte ne sera fait entre eux à ce sujet et qu’ils n’auront pas de recours l’un contre l’autre pour les dépenses de cette nature ».

Dans son arrêt du 6 juin 2018, la cour d’appel de Grenoble ne va pas dans le sens de l’époux qui demandait la reconnaissance de sa créance. Elle a retenu que le patrimoine de l’époux permettait cette acquisition, sans qu’il y ait lieu de distinguer ses disponibilités en revenus et en capital, la notion de contribution aux charges du mariage pouvant comprendre de façon extensive toute dépense, tout investissement réalisé dans l’intérêt de la famille. Dès lors que la dépense d’investissement n’apparaît pas disproportionnée au regard de ses capacités financières, lesquelles ne se réduisent pas à ses seuls revenus, cette dépense à affectation familiale doit être analysée comme une participation à l’exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage.

Ce faisant, la cour d’appel poursuit le raisonnement jusqu’à présent tenu par la jurisprudence en vertu duquel les demandes de créances formulées par un époux séparé de biens à l’égard de son conjoint au moment de la liquidation sont de nature à être neutralisées par l’obligation qui lui est faite de contribuer aux charges du mariage.

Charge de mariage ?

L’époux apporteur se pourvoit donc en cassation. Il estime que le financement en question ne constitue pas une contribution aux charges du mariage. Pour soutenir son point de vue, il fait valoir qu’il n’avait pas investi ses revenus dans cette opération d’achat mais bien son capital personnel, tel qu’il lui revenait de la vente de biens propres (parts de SCI et un bien immobilier).

Comme il s’agissait, selon lui, d’une opération d’investissement exceptionnelle financée au comptant, elle n’emportait pas de charge récurrente et régulière de remboursement d’emprunt, seule assimilable à une charge du mariage au sens de l’article 214 du Code civil, selon lequel : « si les conventions matrimoniales ne règlent pas la contribution des époux aux charges du mariage, ils y contribuent à proportion de leurs facultés respectives ».

Distinguer les modes de financement

La Cour de cassation rend un arrêt innovant en s’attachant au mode de financement du bien indivis. Elle considère que « sauf convention matrimoniale contraire, l’apport en capital provenant de la vente de biens personnels, effectué par un époux séparé de biens pour financer la part de son conjoint lors de l’acquisition d’un bien indivis affecté à l’usage familial, ne participe pas de l’exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage ».

Ainsi, elle pose le principe selon lequel le financement par apport en capital par époux séparé de biens d’un bien indivis sur des deniers personnels lui confère une créance. Ce mode de financement ne correspond pas à une participation aux charges du mariage, sauf à ce que les époux en aient convenu autrement.

C’est donc sur l’appréciation des contributions aux charges du mariage que la Cour de cassation apporte un éclairage nouveau. Désormais, la contribution aux charges du mariage n’est plus une notion pouvant comprendre de façon extensive toute dépense, tout investissement réalisé dans l’intérêt de la famille. Elle doit tenir compte non pas des disponibilités financières de l’époux se prévalant d’une créance mais de l’ensemble de son patrimoine.

X