L’articulation des délais de prescription en matière d’indus d’allocation personnalisée d’autonomie

Publié le 09/01/2019

Dans sa décision en date du 5 octobre 2018, le Conseil d’État rappelle que même si ce sont deux délais de prescription différents qui peuvent trouver à s’appliquer en matière d’indus d’allocation personnalisée d’autonomie, une bonne articulation de ces deux délais s’impose.

CE, 5 oct. 2018, no 409136

Dans cette affaire, un indu d’allocation personnalisée d’autonomie avait été notifié par les services départementaux de la Loire-Atlantique à l’héritier de la bénéficiaire de cette allocation individuelle de solidarité. La prescription était soulevée par l’héritier1. Pour rappel, l’allocation personnalisée d’autonomie, créée en 20012, permet à la personne âgée de plus de soixante ans de profiter d’une prestation en nature consistant en une prise en charge des frais liés à la dépendance tels que les gestes aux corps, l’aide à la préparation aux repas, les aides techniques comme la téléalarme… Le financement de cette allocation – en tout ou partie – est assuré par la collectivité départementale, en tant que « chef de file de l’action sociale »3, un reste à charge pouvant peser sur l’allocataire en fonction de son degré de dépendance et de ses ressources4. En l’espèce, l’usager avait bénéficié de l’allocation personnalisée d’autonomie à domicile jusqu’au 30 novembre 2007 alors qu’il avait intégré un établissement pour personnes âgées depuis le mois de juillet 2007. L’indu, s’élevant à un montant de 3 930,80 €, lui avait été réclamé par une décision de notification en date du 12 novembre 2007 d’une part et d’autre part, par le titre exécutoire s’y rapportant le 10 juin 2008. À la suite de son décès, intervenu le 10 novembre 2008, c’est vers son fils, héritier acceptant de la succession, que la paierie départementale, comptable public, a poursuivi ses démarches de récupération de l’indu lui adressant alors un commandement de payer par courrier du 26 janvier 2010 assorti des frais de commandement. Le 3 novembre 2010, les services départementaux ont retiré le titre initial et émis un nouveau titre exécutoire directement à l’encontre de l’héritier pour la somme initialement réclamée. L’héritier a alors contesté l’émission de ce titre exécutoire devant la commission départementale d’aide sociale, juridiction administrative ad hoc, compétente jusqu’au 31 décembre 20185 pour statuer notamment sur les contestations relatives à l’allocation personnalisée d’autonomie6 et les titres exécutoires émis7. Son recours a été rejeté, ainsi que l’appel formé devant la commission centrale d’aide sociale8. C’est pourquoi l’héritier se pourvoit en cassation devant le Conseil d’État arguant de la prescription de l’action du département pour récupérer l’indu. Les magistrats du Palais-Royal annulent la décision de la commission centrale d’aide sociale considérant que cette dernière avait commis une erreur de droit et en profitent pour rappeler que s’il existe deux délais en matière d’indus d’allocation personnalisée d’autonomie – le délai pour notifier l’existence de l’indu (I) et le délai pour recouvrer le titre constatant l’indu (II) –, c’est au regard du premier délai que les juges d’aide sociale auraient dû étudier la validité du titre exécutoire émis contre l’héritier.

I – L’application de la prescription biennale à l’action départementale pour la mise en recouvrement des sommes indûment versées

En vertu de l’article L. 232-25 du Code de l’action sociale et des familles, l’action intentée par le président du conseil départemental, ordonnateur, pour la mise en recouvrement des sommes indûment versées au titre de l’allocation personnalisée d’autonomie est soumise à la prescription biennale. Il s’agit donc d’une action qui doit être intentée à bref délai – le délai de prescription de droit commun étant de cinq ans9 –, ce qui est courant en matière d’allocations individuelles de solidarité servies par les collectivités territoriales10 ou les prestations financières versées par l’une des branches de la sécurité sociale11 afin d’éviter le fait qu’un usager ou allocataire, public potentiellement fragile, ayant bénéficié de prestations financières, soit rattrapé tardivement par une action en justice au risque de rendre sa situation encore plus précaire. Néanmoins, tous les textes faisant référence à la prescription de deux ans réservent le cas de la fraude12 ou de la fausse déclaration13, appliquant l’adage « la fraude corrompt tout » ; dans cette hypothèse, il faudra se référer à la prescription quinquennale. Pour rappel, la fraude entraîne pour son auteur, outre le remboursement de l’indu, d’éventuelles sanctions pénales ; le délit de fraude aux prestations sociales étant puni de deux ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende14.

Des questions se sont posées en jurisprudence sur le point de départ du délai de prescription de l’action en répétition de l’indu exercée par une autorité administrative. Si on se réfère à l’article 2224 du Code civil, le texte indique que c’est la connaissance des faits ou le moment où l’auteur du recours aurait dû connaître les faits qui fait débuter le délai de prescription de l’action. Or, il arrive que la collectivité publique obtienne l’information mettant fin au droit tardivement ce qui pourrait conduire, en raison de l’étalement dans le temps du paiement de la prestation, à récupérer une somme d’argent importante. Le Conseil d’État, sur ce point, a pris une position plutôt favorable au bénéficiaire de la prestation puisqu’il a considéré que « le délai de prescription de l’action en répétition de l’indu exercée par le président du conseil départemental ou le représentant de l’État pour la mise en recouvrement de sommes indûment versées au titre de l’allocation personnalisée d’autonomie court à compter du paiement de la prestation, seule l’existence d’une fraude ou de fausses déclarations étant de nature à reporter, à la date de découverte de celles-ci, le point de départ de la prescription ; par suite, n’a pas commis une erreur de droit la commission centrale qui n’a pas déterminé le point de départ de la prescription par application des règles du Code civil »15. Ainsi, dans l’espèce confiée à l’étude de la haute juridiction administrative, ce n’est donc pas l’entrée en établissement de la bénéficiaire de l’allocation personnalisée d’autonomie qui fait courir le délai de prescription mais le paiement mensuel de la prestation. Aussi, comme les paiements indus se sont étalés sur la période du 1er juillet au 30 novembre 2007, le délai de prescription expirait, mois par mois pour chaque paiement, entre le 1er juillet et le 30 novembre 2009. Par ailleurs, alors que la simple lettre de notification de l’indu des services départementaux n’est pas nécessairement suffisante pour interrompre le délai de prescription16, le titre exécutoire si. Ce dernier étant daté du 10 juin 2008, le délai de prescription n’était donc pas dépassé. La difficulté dans cette affaire est que les services départementaux ont retiré le titre exécutoire initial pour en émettre un nouveau, le 3 novembre 2010, cette fois à l’encontre de l’héritier de la bénéficiaire de l’allocation personnalisée d’autonomie. Or, pour étudier la validité de ce nouveau titre, les juridictions d’aide sociale se sont fondées sur un autre délai de prescription, d’où la cassation du Conseil d’État.

II – L’application de la prescription quadriennale à l’action des comptables publics pour la mise en recouvrement des sommes énoncées sur le titre exécutoire

En l’espèce, le Conseil d’État ne se prononce pas clairement sur le fait de savoir si l’action du président du conseil départemental était prescrite ou non au regard de la prescription biennale concernant le titre daté du 3 novembre 2010 ; c’est à la juridiction d’appel de renvoi qu’incombera cette charge. En revanche, par la formulation de l’arrêt, les magistrats du Conseil d’État font une leçon de droit aux juges de première instance et d’appel. En effet, ces derniers avaient considéré que c’est au regard de la prescription quadriennale que devait être étudiée la validité du titre exécutoire émis le 3 novembre 2010. Ainsi, pour les juges de l’aide sociale, à partir du moment où le titre exécutoire originel avait été émis dans le délai de deux ans, le délai de quatre ans s’ouvrait au comptable public pour recouvrer sa créance, soit un délai expirant le 10 juin 2012. En effet, l’article L. 1617-5, 3° du Code général des collectivités territoriales prévoit que « l’action des comptables publics chargés de recouvrer les créances des régions, des départements, des communes et des établissements publics locaux se prescrit par quatre ans à compter de la prise en charge du titre de recettes. Le délai de quatre ans mentionné à l’alinéa précédent est interrompu par tous actes comportant reconnaissance de la part des débiteurs et par tous actes interruptifs de la prescription ». Or, comme le précise le Conseil d’État, ce n’est pas de ce délai qu’il fallait faire application pour se prononcer sur la validité du titre exécutoire en date du 3 novembre 2010 mais du délai de l’action évoqué à l’article L. 232-25 du Code de l’action sociale et des familles. Par ailleurs, les magistrats du Palais-Royal en profitent pour préciser que l’ouverture du délai de quatre ans de l’action des comptables publics n’a pas pour effet de proroger le délai de l’action appartenant à la collectivité départementale ; par conséquent la prescription quadriennale ne s’applique qu’au titre initial. En l’espèce, les services départementaux auraient mieux fait de conserver le titre originel, puisqu’émis dans le délai imparti ; le payeur départemental, comptable public, bénéficiait ensuite de quatre années pour recouvrer le titre17. Vraisemblablement, en raison du décès de la bénéficiaire de l’allocation personnalisée d’autonomie, le département a préféré annuler le premier titre pour en émettre un second, au nom de l’héritier acceptant de la succession. Cela n’aurait pas posé de difficultés si ce nouveau titre avait respecté le délai de prescription biennale18 (ce qui ne semble pas être le cas, sans vouloir préjuger de la future décision des magistrats de la cour d’appel de renvoi) mais s’avérait quand bien même inutile. En effet, d’une part, l’héritier est saisi de plein droit des actions du défunt19 – « le mort saisit le vif » comme l’indique l’adage – et d’autre part, l’indu d’allocation personnalisée d’autonomie faisait partie du passif de la succession, succession acceptée par l’héritier20.

Notes de bas de pages

  • 1.
    L’article 2247 du Code civil précise que les juges ne peuvent suppléer d’office ce moyen.
  • 2.
    L. n° 2001-347, 20 juill. 2001, relative à la prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées et à l’allocation personnalisée d’autonomie : JO, 21 juill. 2001, p. 11737.
  • 3.
    CASF, art. L. 121-1.
  • 4.
    CASF, art. L. 232-1 et s.
  • 5.
    La réforme de la justice du XXIe siècle fait disparaître cette juridiction (L. n° 2016-1547, 18 nov. 2016, de modernisation de la justice du XXIe siècle : JO, 19 nov. 2016). Le contentieux de l’allocation personnalisée d’autonomie devra être porté devant le tribunal administratif (CASF, art. L. 134-1 et s. dans leur version à venir).
  • 6.
    CASF, art. 134-1.
  • 7.
    CE, 1er déc. 1989, n° 80306, Mle de Bellegarde : Lebon, p. 243 ; AJDA 1990, p. 335 note Prétot X. ; JCP G 1990, II 21517, concl. de Guillenschmidt J., note Alfandari E. – CE, 1er déc. 1989, n° 103141, Gillet et a. : Lebon, p. 242 ; AJDA 1990, p. 335, note Prétot X. – CE, 11 avr. 2005, n° 268713, Mme M. : CJAS n° 2005/03, p. 3.
  • 8.
    CASF, art. L. 134-2.
  • 9.
    C. civ., art. 2224.
  • 10.
    Le délai de deux ans est ainsi prévu en matière de prestation de compensation du handicap (CASF, art. L. 245-8) ou du revenu de solidarité active (CASF, art. L. 262-45).
  • 11.
    Il est possible de citer à titre d’exemple l’allocation de solidarité aux personnes âgées (CSS, art. L. 815-11), les prestations d’assurance maladie (CSS, art. L. 160-11) ou encore les prestations familiales (CSS, art. L. 553-1).
  • 12.
    La fraude nécessite la réunion d’actes positifs. V. Cass. 2e civ., 28 mai 2015, n° 14-17773 : Bull. civ. II, n° 133 ; D. 2015, p. 1214 ; Dr. soc. 2015, p. 654, obs. Keim-Bagot M.
  • 13.
    La fausse déclaration suppose quant à elle une volonté délibérée de l’allocataire d’obtenir le versement d’une allocation à laquelle il ne peut prétendre, elle ne résulte pas d’une simple omission, même répétée (CE, 15 juin 2009, n° 320040 : Lebon T. – Cass. 2e civ., 28 avr. 2011, n° 10-19551 : Bull. civ. II, n° 103 – CE, 17 nov. 2017, n° 400606 : Lebon T. ; AJDA 2018, p. 1491, note Rihal H.).
  • 14.
    C. pén., art. 441-6.
  • 15.
    CE, 27 avr. 2015, n° 378880, Mme A. : Lebon T. ; RDSS 2015, p. 745, note Dagorgne-Labbé Y.
  • 16.
    Cass. 2e civ., 14 juin 1961 : Bull. civ. II, n° 447 – Cass. soc., 16 mars 1966 : Bull. civ. IV, n° 352. Contra : Cass. soc., 9 oct. 1985, n° 84-11804 : Bull. civ. V, n° 452.
  • 17.
    Avant l’expiration de ce délai de quatre ans, il est toujours possible pour le comptable public, en cas d’impossibilité de récupérer sa créance en raison par exemple de l’insolvabilité du débiteur, de faire une admission en non-valeur ce qui a pour effet de rayer des écritures comptables la créance en cause et de le décharger de sa responsabilité.
  • 18.
    Comme l’a déjà indiqué la Cour de cassation, le décès de l’allocataire n’interrompt pas le cours du délai biennal qui se poursuit à l’égard de ses héritiers. V. : Cass. 2e civ., 3 mars 2011, n° 10-12251 : Bull. civ. II, n° 59 ; JCP S 2011, 1221, note Tauran T.
  • 19.
    C. civ., art. 724.
  • 20.
    C. civ., art. 785.