Le consentement lors de l’accompagnement de la personne âgée
À l’heure des réformes d’ampleur annoncées par le gouvernement relativement à la question de l’autonomie de la personne âgée, il semble opportun de s’interroger sur son consentement. Même s’il est évident que la volonté de la personne âgée doit primer, cela n’est pas toujours aisé notamment lorsque, en raison d’une maladie neuro-dégénérative, elle ne peut consentir à son accompagnement en connaissance de cause. Quelle protection offre le droit ? Où placer le curseur entre paternalisme bienveillant et autonomie émancipatrice ?
La volonté législative. « Le vieillissement harmonieux ne résulte-t-il pas finalement d’un dialogue constructif entre la personne, son environnement et les acteurs de la protection sociale ? »1, s’interrogeait Jean-Pierre Aquino, médecin gériatre. Aussi pourrait-on, dès l’abord, ajouter que le vieillissement harmonieux pourrait surtout résider dans une meilleure intégration de la volonté de la personne âgée dans son parcours de vie.
Quelle place occupe ce dialogue ? Faut-il mettre la personne âgée au cœur du processus décisionnel ? Si cette question appelle à l’évidence une réponse positive, encore faut-il admettre que cela n’est pas toujours possible. Parfois même il faut envisager, pour la protéger, de l’écarter des décisions qui la concernent. Toutefois, cette dispense de consentement, qui apparaît souvent plus aisée pour l’entourage, va incontestablement à l’encontre des droits fondamentaux2 de la personne âgée.
D’emblée et afin de saisir les premiers enjeux du consentement à l’accompagnement de la personne âgée, il est intéressant de revenir sur la définition de la personne âgée proposée par le Conseil de l’Europe. Elle est ainsi présentée comme « la personne dont l’âge constitue, seul ou combiné avec d’autres facteurs, y compris les perceptions et les attitudes, un obstacle à la pleine jouissance de ses droits de l’Homme et libertés fondamentales, et à sa pleine et effective participation à la société dans des conditions d’égalité »3. Cette définition appréhende indéniablement nos aînés comme des fardeaux. Or, si l’on s’en tient aux textes français, et en particulier à la loi du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement4, on constate que le droit interne s’inscrit en faux. En effet, le texte rompt avec une approche juridique sectorielle de l’avancée dans l’âge et opte pour une vision résolument unitaire et, du reste positive, en plaçant la personne âgée au cœur du système5. L’ambition du législateur français réside donc dans la reconnaissance d’un droit fondamental à l’autonomie de la personne âgée.
La volonté politique. Mais au-delà des textes, pour une approche plus contextuelle que juridique, la question de l’autonomie6 se pose aujourd’hui avec une acuité particulière. L’enjeu est de taille car à s’en tenir aux projections, en 20607, 24 millions de personnes seront âgées de plus de 60 ans. Ce constat, que l’on retrouve d’ailleurs dans l’exposé des motifs de la loi du 28 décembre 2015, a amené les gouvernements successifs à se préoccuper de la question du vieillissement. En témoigne par exemple, la consultation citoyenne sur le thème « comment mieux prendre soin de nos aînés »8 préalable au récent rapport Libault9 qui a conduit la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, à annoncer une réforme d’ampleur pour l’automne10. Désormais, la volonté politique est claire : rendre le vieillissement le moins pathologique possible. Cela suppose-t-il de valoriser son consentement ?
La volonté de la personne âgée. Juridiquement, l’autonomie de la personne renvoie à la question de son consentement, celle de son recueil, de son intégrité et, de manière consubstantielle, à celle de son information. Or lorsque la personne âgée entre dans un processus d’accompagnement, la question de son consentement est cruciale car ce dernier est amené à circuler. La fluidité du parcours de soins emprunte alors nécessairement la voie de l’autonomie décisionnelle de la personne âgée. Néanmoins, il apparaît d’emblée délicat d’avoir une vision juridique d’ensemble car les interrogations soulevées sont à la croisée des chemins entre le droit civil et le droit de la santé. Cependant, l’étude du consentement à l’aune de trois textes majeurs – la loi du 5 mars 200711, la loi du 28 décembre 201512 et celle du 26 janvier 201613 – permet, à tout le moins, de tracer une ligne directrice de l’accompagnement sous forme d’objectif à atteindre : « bien vieillir ». Pour ce faire, il convient de placer la personne âgée au cœur du système. Ainsi, en associant la personne aux décisions qui la concerne, on fait du libre arbitre un outil de responsabilisation qui contribue à une meilleure prise en charge. En effet, si les soignants doivent soigner en science et en conscience, ils doivent encore veiller à ne pas être trop infantilisants. La sollicitude suppose alors de prendre en compte la volonté de la personne âgée et repose sur l’idée qu’une décision souhaitée aura une meilleure portée. Il s’agit alors de trouver un équilibre entre autonomie et paternalisme. Mais qu’en est-il lorsque la personne âgée n’est plus totalement apte à manifester sa volonté ? Peut-elle toujours consentir en connaissance de cause ?
La volonté de la personne âgée dans son parcours de soins. La question du consentement renvoie ensuite à la participation de la personne âgée dans son parcours de soins. En effet, la grande diversité de ses besoins nécessite de coordonner les actions relatives à son accompagnement, qu’il soit médical ou social14. Cela étant, on peut se demander si cette traversée du parcours de soins, et plus prosaïquement du parcours de vie, doit être solitaire ou au contraire procéder d’un travail d’équipe. La question mérite d’être posée à l’heure du « virage ambulatoire » où l’accompagnement à domicile reste privilégié. L’enchevêtrement des parcours est lié à la multitude d’acteurs qui veillent tour à tour au bien-être de la personne. Pour surmonter cette complexité, il convient de dépasser la logique des silos pour davantage de coordination. À ce titre, les MAIA15 constituent un système d’intégration des services existants sur un territoire destiné à lutter contre la fragmentation liée à la diversité des acteurs de l’accompagnement des âgés16. Il s’agit ainsi de promouvoir un accompagnement global de la personne. Or, si l’on ne peut que saluer l’initiative, cela entraîne néanmoins certaines difficultés. Concrètement, dans ces dispositifs, le « gestionnaire de cas » est un chef d’orchestre qui assure le lien et coordonne les actions des différents intervenants, professionnels de santé et acteurs du secteur médico-social, et œuvre ainsi au maintien à domicile de la personne. Interlocuteur de choix, il accompagne les personnes âgées atteintes de polypathologies qui rejaillissent sur leur autonomie tant fonctionnelle que décisionnelle. De ce fait, c’est souvent lui qui recueille de précieuses informations. Il est donc permis de se demander si le consentement donné à un maillon de la chaîne vaut pour tous. Loin d’être saugrenue, cette question est du reste exacerbée par la progression des nouvelles technologies et les craintes qu’elles engendrent au regard de la protection des données de santé, par essence, sensibles. Se pose alors la question du partage de ces données entre professionnels.
La protection de l’autonomie de la personne âgée. Quelle protection le droit confère-t-il ? Quelle approche retenir ? Celle d’une vulnérabilité ou celle d’une autonomie de principe ? De manière générale, le droit ne distingue pas selon que la personne est ou non âgée. À ce titre, la loi17 fait de l’autonomie la règle et gomme ainsi les particularismes de la personne âgée. Cette approche est nécessairement bonne car on considère qu’elle est un sujet de droit à part entière et que son consentement est par principe valable. Il n’y a donc pas, a priori, de traitement de faveur, ce dont on peut se réjouir. Mais parfois, lorsque la personne âgée est empêchée, le droit va la protéger… sans jamais la diminuer18. En effet, lors de la conclusion d’un contrat ou avant de recevoir des soins médicaux par exemple, le droit exige un consentement libre et éclairé. L’altération des facultés intellectuelles ou physiques faisant obstacle à l’intégrité du consentement, les actes passés peuvent être annulés19. Pour cette raison, les dispositions dérogatoires n’ont vocation à jouer que dans la mesure où elles permettent de tenir compte de la singularité de la personne âgée20. En tout état de cause, si l’on s’en réfère à l’article 415 du Code civil, les règles de protection poursuivent un double objectif : l’intérêt de la personne protégée et son autonomie. C’est donc sur ce point qu’il convient d’insister. Le droit commande de protéger le consentement de la personne âgée dès son recueil (I) mais aussi en cas de circulation du consentement (II).
I – Le recueil du consentement de la personne âgée
L’affaiblissement du jugement de la personne âgée. Pour consentir en connaissance de cause, il faut que le consentement ait été, au préalable, éclairé par une information complète et appropriée. Cela étant, la personne âgée n’est pas toujours en possession de ses facultés, ce qui rend délicate la manifestation de sa volonté. Il s’agit, pour le professionnel, de tisser une relation de confiance, support nécessaire au dialogue, afin de faciliter d’une part la délivrance de l’information (A) et d’autre part, l’expression de l’approbation (B).
A – La délivrance de l’information
L’information appropriée à l’état de la personne âgée. L’article L. 1111-2 du Code de la santé publique précise que « toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé ». L’information est délivrée par le professionnel au cours d’un entretien individuel et ce, même si la personne est hors d’état de manifester sa volonté21. Autrement dit, l’aptitude à décider de la personne créancière de l’information ne dispense jamais le professionnel. Seule l’urgence ou l’impossibilité libère. S’agissant de l’information de la personne âgée, on peut encore mentionner à côté des professionnels de santé, les CLIC22 qui œuvrent à une meilleure coordination du parcours de vie et qui ont précisément pour rôle de renseigner sur l’aide, le maintien à domicile et bien d’autres aspects qui dépassent l’état de santé. Or, délivrer l’information est nécessaire mais reste insuffisant. En effet, tout professionnel doit veiller à ce que celle-ci soit intelligible et bien comprise par son interlocuteur, par son représentant ou par la personne participant à sa prise en charge. Ainsi, l’information doit être adaptée aux capacités de compréhension lorsque les facultés cognitives sont affectées.
B – L’expression de l’approbation
L’assentiment et le consentement. Lorsque la personne est âgée et, de surcroît, atteinte d’une maladie neuro-dégénérative, l’expression de sa volonté s’avère malaisée. Pour cette raison, la notion d’assentiment par non-opposition permet de pallier cet écueil et vérifier non pas sa pleine adhésion mais, à tout le moins, son défaut d’opposition. La nuance est ténue mais bien réelle. Elle a le mérite de placer le sujet au cœur du processus décisionnel en tenant tout de même compte de la volonté d’une personne qui demeure apte à décider sans toutefois consentir pleinement.
La personne en état de manifester sa volonté. Tout en excluant cependant de l’abus de dépendance la vulnérabilité liée à l’âge23, le droit civil offre des dispositions de protection de la personne non aliénée et de son patrimoine. Ainsi, sans prétendre à l’exhaustivité, on mentionnera les dispositions relatives aux vices du consentement qui permettent de remettre en cause un acte ou encore l’article 909 du Code civil qui, destiné à protéger la personne âgée vulnérable contre le risque de captation d’héritage de son entourage, institue une incapacité de recevoir à titre gratuit visant tout professionnel24, soignant ou intervenant au domicile. Ensuite, tout comme en droit civil25, en droit de la santé, l’autonomie de la volonté est la règle puisque la personne doit prendre « les décisions concernant sa santé »26. Non seulement le consentement doit être libre et éclairé, mais il peut encore être retiré à tout moment27. Pour parfaire l’édifice et aller plus loin dans la prise en compte de la volonté, la loi Claeys-Léonetti du 2 février 201628 permet de faire valoir le droit à une sédation profonde et continue. En effet, dans des conditions précises29, il est possible de mettre un terme aux traitements, les soins palliatifs prenant alors le relais pour accompagner la personne. Ces dispositions variées révèlent l’importance de la prise en compte du consentement de la personne âgée. Mais qu’en est-il lorsqu’elle n’est plus en état de consentir librement ?
La personne hors d’état de manifester sa volonté. Dès lors que son état le permet et conformément à l’article 459 du Code civil, le majeur prend seul les décisions qui concernent sa personne. Toutefois, lorsque la personne âgée ne peut consentir librement, on fait allusion au majeur sous tutelle, le tuteur devra30 demander l’autorisation au juge des tutelles pour toute décision qui affecterait son intégrité physique ou qui porterait atteinte sa vie privée. Ce principe bien connu vient d’être récemment modifié par la loi du 23 mars 201931. L’article 459 du Code civil autorise désormais le juge à prévoir, au jour de l’ouverture de la mesure, que le représentant pourra accomplir tous les actes nécessaires à la protection du majeur, y compris ceux qui auront pour effet de porter atteinte à son intégrité corporelle. En somme, le juge ne sera saisi qu’a posteriori, en cas de désaccord32. Cette rédaction nouvelle est bienvenue, elle confère un pouvoir plus étendu au représentant et facilite l’accès aux soins dans le respect de la volonté de la personne. Les actes portant atteinte à la vie privée demeurent inchangés, c’est-à-dire soumis à autorisation préalable. À cet égard, s’agissant de la vie privée, on peut penser au « placement »33 de la personne en institution contre son gré. Si le législateur a tout mis en œuvre pour favoriser l’autonomie de la personne âgée34 et son maintien à domicile35, « l’accueil » en institution peut parfois se faire en urgence ou contre la volonté de la personne. Pour surmonter cette crainte, sans doute serait-il fructueux de recourir à la notion de « consentement assisté » qui suppose une décision concertée36. Une application singulière pourrait en être faite lors de la signature d’un contrat séjour en EHPAD afin de pallier le risque d’extorsion du consentement37. Mais au-delà des mots, l’anticipation reste indubitablement la meilleure garantie du respect de la volonté de la personne.
La personne hors d’état de manifester sa volonté ayant anticipé. D’une part, si la personne âgée a anticipé son état, les mesures envisageables sont d’une grande diversité. En effet, sans prétendre à l’exhaustivité, on peut mentionner en premier lieu le mandat de protection future38 prévu par l’article 477 du Code civil. Institué par la loi du 5 mars 200739, il peut concerner tant la gestion des biens que le gouvernement de la personne. Plébiscité par les familles, il permet à la personne qui ne fait pas l’objet d’une tutelle ou d’une habilitation familiale d’anticiper pour le jour où elle ne sera plus apte à décider par elle-même. Du reste, depuis la loi du 23 mars 201940 le mandat, qu’il revête la forme authentique ou non, prime sur toute mesure de protection légale ou judiciaire. À l’initiative de la personne âgée, cette figure d’assistance et d’accompagnement doit être privilégiée comme mode d’expression de la volonté de la personne.
En deuxième lieu, l’article L. 1111-6 du Code de la santé publique a instauré une mesure d’aide et d’accompagnement à la décision. Ainsi, la personne de confiance, doit être consultée lors de l’accueil en établissement41, dans un service médico-social ou avant toute intervention, sauf urgence ou impossibilité. Elle n’est sollicitée pour avis que lorsque la personne concernée est hors d’état de manifester sa volonté. Même s’il ne s’agit pas d’un représentant légal, son témoignage (elle ne fait que rendre compte de la volonté de la personne âgée) prévaut sur tout autre avis non médical42. Toutefois, sa désignation ne joue, le cas échéant, que pour la durée de l’hospitalisation si bien que cette personne peut changer dans l’hypothèse d’une nouvelle hospitalisation ce qui rend dès lors le dialogue parfois compliqué avec les soignants. Du reste, la personne âgée placée sous tutelle, peut révoquer la personne de confiance antérieurement désignée, c’est-à-dire celle choisie pendant la période ayant précédé le placement.
En dernier lieu, la question du consentement de la personne dans son parcours de soins serait incomplète si l’on occultait les dispositions sur sa fin de vie. Elles permettent au patient de faire connaître ses volontés pour le cas où il serait empêché de les manifester. Ainsi, tout comme la personne lucide, la personne hors d’état d’exprimer sa volonté peut, avec toutefois l’aide du juge des tutelles, rédiger des directives anticipées ou avoir prévu en amont l’arrêt de ses traitements43. Dans l’hypothèse où elle ne peut écrire ou signer elle-même ces directives, deux témoins, dont la personne de confiance, devront attester du consentement libre et éclairé de la personne au moment de la rédaction des directives. Par ailleurs, la loi du 2 février 201644, dite Claeys-Léonetti, supprime leur délai de validité et précise qu’elles sont opposables au médecin mais non contraignantes. En somme, le médecin pourra, au terme d’une décision collégiale, s’opposer à la volonté de la personne si les directives anticipées apparaissent manifestement disproportionnées ou inappropriées45. Dès lors qu’elles sont valables, les traitements pourront être suspendus soit qu’ils révèlent une obstination déraisonnable soit qu’ils maintiennent artificiellement la personne en vie. Ici, la volonté du patient sera toujours prise en considération et, à ce titre, il est crucial que les formules rédigées ne soient pas trop évasives. Mais encore faut-il avoir anticipé comme en témoigne tristement le cas de Vincent Lambert.
La personne hors d’état de manifester sa volonté n’ayant pas anticipé. D’autre part, à défaut d’anticipation, plusieurs figures peuvent permettre de pallier cet écueil. Pour retenir une vision globale, il est permis d’en dresser un inventaire en retenant à l’esprit que la solidarité familiale doit être privilégiée.
D’abord, en cas d’altération des facultés, le conjoint pourra représenter son époux empêché et ce, quel que soit le choix du régime matrimonial. En effet, en vertu du principe de subsidiarité des mesures de protection des majeurs, les articles 217 et 219 du Code civil ont vocation à jouer en priorité. Ainsi, lorsqu’un époux ne peut plus exprimer son consentement en connaissance de cause, ou qu’une altération de ses facultés compromet son jugement, son conjoint peut être autorisé par le juge à passer seul un acte juridique pour lequel le consentement des deux est requis ou représenter son conjoint. L’époux peut demander par requête au juge des tutelles une habilitation judiciaire aux fins de représentation du conjoint dont les facultés mentales sont altérées.
Ensuite, l’habilitation familiale46 vient pallier les limites des règles précitées en permettant à un proche d’assister ou de représenter une personne qui ne peut manifester sa volonté ou qui ne peut plus pourvoir seule à ses intérêts. Cette mesure est donc, par essence, destinée aux familles unies. À l’inverse des mesures de protection, l’habilitation familiale voit disparaître le juge une fois qu’il s’est assuré de la non-opposition de la personne à protéger. Par ailleurs, depuis la loi du 23 mars 201947, le majeur ayant besoin de protection peut lui-même saisir le juge d’une demande d’ouverture de la mesure d’habilitation. En tout état de cause, son consentement est protégé. Néanmoins, s’il accomplit seul un acte pour lequel il aurait dû être assisté de la personne habilitée, l’annulation nécessite la démonstration d’un préjudice48.
Enfin, en dernière intention, il sera possible de solliciter les mesures de protection. En filigrane, l’autonomie de la personne âgée est encore ici promue par trois principes : le principe de nécessité qui suppose que l’altération soit constatée par un certificat médical, le principe de subsidiarité qui consiste à ne faire jouer ces mesures que lorsqu’il ne peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par l’application de règles relatives aux devoirs entre époux et le principe de proportionnalité qui commande que les mesures soient graduées en fonction de l’altération. En tout état de cause, en raison de maladie neuro-dégénératives, le consentement de la personne âgée est parfois difficile à obtenir. Comme « la loi récompense les sujets qui devancent leur destin »49, il faut donc encourager les professionnels à inciter les personnes à anticiper cet état.
II – La circulation du consentement de la personne âgée
La mise en commun des informations relatives à la personne âgée. Pour rendre efficiente la coordination entre les professionnels qui entourent la personne âgée, les équipes qui œuvrent à la prise en charge de la dépendance souhaiteraient la création d’un outil commun d’évaluation des besoins dans lequel les informations recueillies circuleraient mieux. Si sur le terrain, l’efficacité de l’accompagnement s’en verrait renforcée, il est néanmoins à craindre pour le consentement de la personne. En l’état actuel, le droit prévoit certaines dispositions relatives au partage (A) et à la protection de l’information (B) qu’il s’agit d’exposer.
A – Le partage de l’information
La finalité du partage. Le partage des informations recueillies constitue un gage de qualité de l’accompagnement de la personne âgée, notamment à domicile, puisque chaque maillon de la chaîne bénéficie d’un état des lieux complet de la situation. Néanmoins, toutes les informations ne sont pas indispensables et toutes ne peuvent être partagées. À cet égard, le partage d’informations reste doublement conditionné50. C’est ainsi que l’information ne peut être partagée qu’avec le consentement préalable de la personne et le partage doit être destiné à la prise en charge de la personne. Plusieurs remarques s’imposent. D’abord, l’échange d’informations n’est qu’une faculté. Ensuite, les informations doivent concerner la même personne accompagnée. Enfin, et c’est sans doute l’aspect le plus délicat en pratique, il ne s’agit que des informations qui sont « strictement nécessaires à la coordination ou à la continuité des soins, à la prévention ou à son suivi médico-social ou social ». On pourra cependant préciser que la liste de ce qui constitue une « information strictement nécessaire » n’est pas exhaustive et que, par voie de conséquence, la casuistique laisse une marge de manœuvre au professionnel. Néanmoins, en présence de troubles cognitifs, il est parfois symptomatique que la personne concernée réponde correctement à l’interrogatoire du professionnel. C’est le cas par exemple des malades d’Alzheimer qui ne se souviennent pas d’avoir oublié. C’est donc l’expérience qui permettra d’opérer le tri entre ce qui est ou non pertinent, dans le respect de la volonté de la personne.
La destination du partage. L’article L. 1110-4 du Code de la santé publique modifié par la loi du 26 janvier 201651 introduit également la notion d’équipe de soins52 comprenant un « ensemble de professionnels qui participent directement au profit d’un même patient à la réalisation d’un acte diagnostique, thérapeutique, de compensation du handicap, de soulagement de la douleur ou de prévention de la perte d’autonomie ou aux actions nécessaires à la coordination de plusieurs actes ». Par exemple, le dispositif MAIA précité, lorsqu’il compte un professionnel de santé est considéré comme une équipe de soins. Ainsi sont visés par le texte les professionnels qui exercent dans le même établissement de santé ou de service social ou médico-social. Le terme « établissement » doit être entendu au sens large, c’est-à-dire que la définition inclut les structures de coopération53. Le texte vise, en outre, les professionnels que le patient a lui-même qualifiés de membres d’une équipe de soins ou encore ceux qui exercent dans un ensemble comprenant au moins un professionnel de santé.
Le rayonnement du consentement donné. De la qualification d’équipe de soins découlent des conséquences relativement au consentement. En effet, lorsque le consentement est donné à un membre indifférencié de l’équipe de soins, « ces informations sont réputées confiées par la personne à l’ensemble de l’équipe »54. Dès lors, sauf opposition expresse, l’accord donné par la personne à un maillon de la chaîne profite directement à tous les autres. À l’inverse, si le professionnel qui a recueilli le consentement ne fait pas partie de l’équipe, l’obtention préalable ou la réitération du consentement demeure obligatoire55. Du reste, puisque le texte encadre, par la référence à la notion d’équipe de soins, la liste des personnes susceptibles d’avoir connaissance d’informations sensibles, cela exclut des personnes compétentes pour évaluer les besoins et l’on pense à celles qui allouent des aides. En tout état de cause, cela commande à chacun de respecter le secret de l’information.
Le respect du secret professionnel. Toute personne a droit au secret des informations la concernant56. Le secret médical couvre l’ensemble des informations concernant la personne dont le médecin aura eu connaissance, tout ce qu’il aura « vu, entendu ou compris »57. Plus généralement, les professionnels qui s’inscrivent au sein d’un processus global de prise en charge sont également soumis au secret relatif aux informations en lien avec l’accompagnement. C’est le cas par exemple des professionnels exerçant au sein de structures médico-sociales comme les SSIAD58, SAAD59, HAD60, ESA61. En conséquence, chaque professionnel doit s’interroger afin de s’assurer qu’il prend part directement à la prise en charge de la personne pour la coordination, la continuité des soins, le suivi médico-social ou social. L’information concernant la personne peut toutefois être divulguée sans son accord. En cas de diagnostic grave, seul le médecin peut, sauf opposition, divulguer aux membres de la famille et aux proches62 les informations protégées si ces derniers manifestent leur souhait d’apporter leur soutien à la personne.
B – La protection de l’information
La notion de données de santé. Comme il a été précisé, une fois recueillie, l’information peut circuler au sein de l’équipe de soins. À cette occasion, des données de santé, par essence sensibles, vont être échangées. Quelle protection le droit confère-t-il ? Le règlement général sur la protection des données (RGPD) en vigueur depuis le 25 mai 201863, offre une définition des données de santé qui se veut large pour inclure tout ce qui aura pu être divulgué au cours de la prise en charge sanitaire. Le texte vise ainsi les données « relatives à l’état de santé physique ou mental, passée, présente ou future qui révèlent des informations sur l’état de santé »64. Du reste, et sans tronquer l’analyse en la simplifiant, on distingue trois catégories de données de santé65. Les premières, données de santé par nature, visent aussi bien les maladies que les résultats d’examen. Les deuxièmes, sont issues du croisement avec d’autres données. Ce sont celles qui permettent par exemple de tirer des conclusions sur l’état de santé. Enfin, les troisièmes, sont des données de santé par destination. Dans ce cas, de simples informations qui paraîtraient anecdotiques intègrent cette catégorie dès lors qu’elles permettent d’établir un diagnostic (avoir oublié d’éteindre le gaz, avoir oublié que l’on a oublié d’éteindre le gaz). Ces données sont protégées et il est fait interdiction de les traiter sans consentement66.
Le droit à l’autonomie de la personne âgée. Souvent l’on associe à la personne âgée les termes de dépendance, de vulnérabilité, de fragilité ou d’absence d’autonomie67. Cela renverrait presque à nier sa qualité de sujet de droit. Dans la perspective d’un statut juridique émergent et singulier des seniors, cette perception de l’avancée dans l’âge est à proscrire. De ce qui précède, en dépit de l’altération de ses facultés et de l’affaiblissement de son jugement qui tenterait parfois certains de faire abstraction de sa volonté, il apparaît que le consentement de la personne âgée doit toujours être recherché. Celle-ci doit en effet rester autonome dans la prise de décision qu’il s’agisse de son état de santé, de son lieu de vie et plus globalement de ses conditions d’existence68. Néanmoins, lorsque les maladies neuro-dégénératives ou la fatigue physique font obstacle à l’intégrité ou l’existence même du consentement, le droit prend le relais pour protéger la personne âgée. Pour toutes ces raisons, il convient d’alerter les professionnels, juristes comme soignants, sur l’anticipation du vieillissement. La personne âgée doit participer à son accompagnement. Cela suppose son consentement. Choisie en amont, la décision sera nécessairement mieux acceptée. Par différents biais, le droit tente de parvenir à concilier des intérêts divergents qui renvoient à deux visions concurrentes : celle de la protection de la personne âgée confinant parfois à un paternalisme excessif et celle de son autonomie. La politique de l’avancée dans l’âge doit désormais emprunter la voie de l’autonomie de la personne car, en ce domaine, le progrès ne peut qu’advenir d’une juste place accordée à la volonté de la personne âgée.
Notes de bas de pages
-
1.
Aquino J.-P., « Plan national d’action et de prévention de la perte d’autonomie », sept. 2015, p. 13, v. https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/plan_national_daction_de_prevention_de_la_perte_dautonomie.pdf
-
2.
-
3.
Vignon-Barrault A., « Les droits fondamentaux de la personne âgée », RDSS 2018, p. 759.
-
4.
Recommandation CM/Rec (2014) 2 du comité des ministres aux États membres sur la promotion des droits de l’Homme des personnes âgées.
-
5.
L. n° 2015-1776, 28 déc. 2015, relative à l’adaptation de la société au vieillissement.
-
6.
Berthet P., Dionisi-Peyrusse A., Fabas-Serlooten A.-L. et Levillain N., « Vieillissement de la population : le point sur la réforme », AJ fam. 2016, p. 90 et s.
-
7.
Hauser J., « Vulnérable ou protégeable : deux notions à ne pas confondre », RTD civ. 2010, p. 761.
-
8.
INSEE, « Projection de la population à l’horizon 2060 ».
-
9.
https://www.pour-les-personnes-agees.gouv.fr/actualites/participez-la-consultation-citoyenne-comment-mieux-prendre-soin-de-nos-aines.
-
10.
https://solidarites-sante.gouv.fr/actualites/presse/communiques-de-presse/article/remise-du-rapport-libault-sur-la-concertation-grand-age-et-autonomie.
-
11.
Avena-Robardet V., « Vers une réforme historique de la dépendance ? », AJ fam. 2019, p. 169.
-
12.
L. n° 2007-308, 5 mars 2007, portant réforme de la protection juridique des majeurs.
-
13.
L. n° 2015-1776, 28 déc. 2015, relative à l’adaptation de la société au vieillissement.
-
14.
L. n° 2016-41, 26 janv. 2016, de modernisation de notre système de santé.
-
15.
Girer M., « L’accompagnement de la personne âgée vulnérable », Dr. famille 2017, dossier 22.
-
16.
Méthode d’action pour l’intégration des services d’aide et de soins dans le champ de l’autonomie, définition codifiée à l’article L. 113-3 du CASF : « Les institutions et les professionnels de santé intervenant dans le secteur social, médico-social et sanitaire, sur un même territoire, auprès des personnes âgées en perte d’autonomie coordonnent leurs activités en suivant la méthode d’action pour l’intégration des services d’aide et de soins dans le champ de l’autonomie ».
-
17.
Raoul-Cormeil G., « Accompagnement et protection des intérêts patrimoniaux », Dr. famille 2017, dossier 23.
-
18.
L. n° 2015-1776, 28 déc. 2015, relative à l’adaptation de la société au vieillissement.
-
19.
Fossier T., « L’objectif de la réforme du droit des incapacités, protéger sans jamais diminuer », Defrénois 15 janv. 2005, n° 38076, p. 3.
-
20.
Il est possible d’annuler tout acte (C. civ., art. 414-1) ou tout contrat (C. civ., art. 1129) à la condition de prouver l’insanité au moment de la rédaction.
-
21.
Exemple : si elle n’a pas toutes ses facultés, on rejettera la faute inexcusable en cas d’accident de la circulation lequel suppose une part de conscience de l’imminence du danger.
-
22.
CSP, art. R. 1110-3.
-
23.
Centres locaux d’information et de coordination.
-
24.
C. civ., art. 1143.
-
25.
Cass. 1re civ., 17 oct. 2018, n° 16-24331 : AJ fam. 2018, 691, note Levillain N.
-
26.
C. civ., art. 16-3.
-
27.
CSP, art. L. 1111-4.
-
28.
CSP, art. L. 1111-4.
-
29.
L. n° 2016-87, 2 févr. 2016, créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.
-
30.
CSP, art. L. 1110-5-2.
-
31.
Sauf urgence.
-
32.
L. n° 2019-222, 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice.
-
33.
V. Arhab-Girardin F., « La décision médicale du majeur protégé : une articulation complexe des dispositions du Code de la santé publique avec la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs », RDSS 2009, p. 875.
-
34.
La loi du 28 décembre 2015 a substitué au terme « placement » celui d’« accueil ».
-
35.
CASF, art. L. 311-3, 2°.
-
36.
L. n° 2015-1776, 28 déc. 2015, relative à l’adaptation de la société au vieillissement.
-
37.
Vignon-Barrault A., « Les droits fondamentaux de la personne âgée », RDSS 2018, p. 759.
-
38.
V. l’article L. 311-4 du CASF qui précise que le directeur d’établissement doit rechercher le consentement de la personne lors de la signature du contrat d’entrée en EHPAD.
-
39.
V. not. Massip J., « Le mandat de protection future », LPA 27 juin 2008, p. 11 ; « Les personnes vulnérables », 102e Congrès des Notaires de France, 21-24 mai 2006, ACNF 2006, p. 518, nos 3094 et s ; Klein J., « Le mandat de protection future ou la protection juridique conventionnelle », Dr. famille 2007, étude 21.
-
40.
L. n° 2007-308, 5 mars 2007, portant réforme de la protection juridique des majeurs.
-
41.
L. n° 2019-222, 23 mars 2019, art. 29 : JO, 24 mars 2019 ; C. civ., art. 428.
-
42.
Niemiec A., « La prise en considération de la volonté de la personne âgée lors de son entrée en établissement d’hébergement », LPA 18 oct. 2017, p. 9.
-
43.
CSP, art. L. 1111-4 et CSP, art. L. 1111-6.
-
44.
CSP, art. L. 1111-4.
-
45.
L. n° 2016-87, 2 févr. 2016, créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.
-
46.
CSP, art. L. 1111-11.
-
47.
Créé par l’ordonnance n° 2005-1288 du 15 octobre 2015, portant simplification et modernisation du droit de la famille (JORF n° 240,16 oct. 2015, p. 19304, n° 10).
-
48.
L. n° 2019-222, 23 mars 2019, art. 29.
-
49.
C. civ., art. 494-9.
-
50.
Raoul-Cormeil G., « La personne âgée et le risque d’insanité », RDSS 2018, p. 790.
-
51.
CSP, art. L. 1110-4.
-
52.
L. n° 2016-41, 26 janv. 2016, de modernisation de notre système de santé.
-
53.
CSP, art. L. 1110-12.
-
54.
D. n° 2016-996, 20 juill. 2016.
-
55.
CSP, art. L. 1110-4, III.
-
56.
D. n° 2016-1349, 1er oct. 2016.
-
57.
CSP, art. L. 1110-4 et les sanctions sont visées par les articles 226-13 et 226-14 du Code pénal.
-
58.
CSP, art. R. 4127-4.
-
59.
Services de soins infirmiers à domicile.
-
60.
Services d’aide et d’accompagnement à domicile.
-
61.
Hospitalisation à domicile.
-
62.
Équipe spécialisée Alzheimer.
-
63.
CSP, art. L. 1111-6.
-
64.
Règl. (UE) n° 2016/679 du PE et du Cons., 27 avr. 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données. V. égal. l’ordonnance n° 2018-1125 du 12 décembre 2018 prise en application de l’article 32 de la loi n° 2018-493 du 20 juin 2018, relative à la protection des données personnelles et portant modification de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, concernant la protection des données à caractère personnel publiée au JO n° 288 du 13 décembre 2018.
-
65.
RGPD, art. 4.
-
66.
https://www.cnil.fr/fr/quest-ce-ce-quune-donnee-de-sante.
-
67.
Les données de santé sont des données sensibles. Par principe, leur traitement est donc interdit. Néanmoins, par exception, outre les données de recherche scientifique et le motif d’intérêt public, les données de santé peuvent être traitées que pour établir un diagnostic médical, à destination de la médecine du travail ; de même, il peut être autorisé en cas de prise en charge sanitaire ou au sein des service de soins de santé. Elles sont protégées dès lors qu’elles donnent une indication sur le traitement de la personne, sur son état de santé en général.
-
68.
Viriot-Barrial D., « Droits fondamentaux de la personne âgée dans la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement », in Une nouvelle politique sociale du vieillissement : histoire et prospective d’un défi, PUAM, p. 79.
-
69.
CASF, art. L. 113-1-1 : « La personne âgée en perte d’autonomie a droit à des aides adaptées à ses besoins et ses ressources, dans le respect de son projet de vie, pour répondre aux conséquences de sa perte d’autonomie, quels que soient la nature de sa déficience et de son mode de vie ».