Le nouveau droit communautaire des régimes matrimoniaux (Loi applicable et limitation des risques d’insécurité juridique)
Le règlement (UE) n° 2016/1103 du 24 juin 2016 met en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux. C’est au sujet des conflits de lois que les solutions qu’il énonce présentent le plus d’intérêt, car elles permettent de limiter les risques d’insécurité juridique.
1. Le phénomène de communautarisation du droit international privé se poursuit par l’adoption, le 24 juin 2016, de deux règlements qui portent sur les régimes matrimoniaux1, et les effets patrimoniaux des partenariats enregistrés2. Après l’entrée en vigueur de ces textes, le droit patrimonial international de la famille deviendra alors intégralement de source européenne. Le nouveau règlement traitant des régimes matrimoniaux est sans conteste le plus attendu. La détermination de la loi à laquelle ils sont soumis engendre en effet de nombreux risques d’insécurité juridique. Or cette situation est d’autant plus regrettable dans un domaine qui, par essence, nécessite prévisibilité et sécurité juridique.
2. Les risques d’insécurité juridique émanent des solutions jurisprudentielles et conventionnelles. Ainsi, le principe de la désignation par les époux de la loi applicable au régime matrimonial a-t-il d’abord été retenu par la jurisprudence. En l’absence de choix exprès, leur volonté commune doit être recherchée en se fondant sur la présomption de localisation de leurs intérêts pécuniaires au premier domicile matrimonial3. Les difficultés suscitées par cette présomption simple sont à l’origine d’une jurisprudence incertaine et fluctuante. La convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux4, entrée en vigueur en France le 1er septembre 1992, maintient le principe de l’autonomie de la volonté mais en l’encadrant. À défaut de choix, une règle de conflit hiérarchisée est alors utilisée. Cette convention provoque également de nombreux risques d’insécurité juridique. Elle instaure en effet un changement automatique de loi qui déjoue les légitimes attentes des époux5.
3. L’adoption du règlement (UE) n° 2016/1103 du 24 juin 2016 intervient donc fort opportunément, même si elle n’a pas été sans difficulté. La commission avait présenté, le 16 mars 20116 et le 2 mars 20167, des propositions de règlements qui n’ont pu aboutir à défaut d’unanimité entre les États membres. Le Conseil a alors adopté le 9 juin 2016, la décision (UE) n° 2016/954 autorisant le recours à la procédure de coopération renforcée8. Le règlement du 24 juin 2016, qui s’appliquera à compter du 29 janvier 2019, la met ainsi en œuvre entre 18 États membres dont la France, dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux.
4. L’architecture de ce texte doit être approuvée, car il a pour spécificité de traiter à la fois des conflits de juridictions, des conflits de lois, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions. D’un point de vue pratique, il facilite la tâche des praticiens qui peuvent aisément prendre connaissance de l’ensemble des règles applicables. D’un point de vue théorique, il garantit la cohérence des solutions dans les conflits de juridictions et les conflits de lois. Le nouveau règlement présente surtout pour principal intérêt de limiter les risques d’insécurité juridique en ce qui concerne la loi à laquelle le régime matrimonial est soumis, car il s’agit du domaine où ils se sont manifestés jusqu’à présent avec le plus d’acuité. Le considérant 15 justifie d’ailleurs les principes qu’il affirme par le souci « d’assurer la sécurité juridique des couples mariés à l’égard de leurs biens », et la volonté « de leur offrir une certaine prévisibilité ». À cet égard, la plupart des solutions qu’il énonce sont satisfaisantes ; même si certaines d’entre elles suscitent quelques réserves9.
5. De manière très opportune, les nouvelles règles forgées par le règlement permettent de restreindre les risques d’insécurité juridique. Cette tendance se traduit lors de la détermination du droit applicable au régime matrimonial (I). Elle se manifeste également en ce qui concerne le changement de loi le régissant ; c’est d’ailleurs sur ce point qu’elle s’avère la plus significative (II).
I – La détermination de la loi du régime matrimonial
6. Le règlement du 24 juin 2016 limite les risques d’insécurité juridique en consacrant le principe de l’unité de la loi applicable (A). Cette inflexion se poursuit également à travers les modalités de détermination du droit auquel le régime est soumis (B).
A – Le principe de l’unité de la loi
7. Le nouveau règlement affirme le principe de l’unité de la loi applicable au régime matrimonial ; que celle-ci ait ou non fait l’objet d’une désignation expresse. L’article 21 énonce qu’elle régit « l’ensemble des biens relevant de ce régime » quel que soit le lieu où ils se trouvent. Ainsi, à compter du 29 janvier 2019, les immeubles ne pourront-ils plus être soumis à la lex rei sitae. Certes, l’unité de la loi applicable est affirmée à l’article 3, alinéa 3, de la convention de La Haye du 14 mars 1978. Toutefois, ce principe est affecté d’une exception, car l’alinéa 4 prévoit que « les immeubles ou certains d’entre eux » peuvent relever de la loi du lieu où ils sont situés. Cette solution s’applique également, selon l’article 6, alinéa 4, lorsque les époux modifient la loi de leur régime. D’un point de vue théorique, l’application de la lex rei sitae aux immeubles se justifie à partir d’un double fondement. D’une part, elle s’explique par un souci de compromis, et ce afin de donner satisfaction aux délégués des pays anglo-saxons lors de la négociation de la convention de La Haye du 14 mars 1978. D’autre part, elle se justifie également en se fondant sur le pouvoir d’attraction de l’immeuble. D’un point de vue pratique, cette solution présentait pour intérêt de permettre l’application d’une loi unique, car la loi successorale et la loi du régime étaient identiques. Ce n’est cependant plus le cas actuellement car le règlement successoral (UE) n° 650/2012 du 4 juillet 2012, entré en vigueur le 17 août 2015, soumet dorénavant tous les biens à la loi de l’État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès10 ou à la professio juris11.
8. L’affirmation par le nouveau règlement de l’unité de la loi applicable doit être approuvée. D’un point de vue théorique, cette solution a pour fondement le principe de l’indivisibilité du régime matrimonial. D’un point de vue pratique, elle présente un intérêt incontestable. D’une part, elle facilite considérablement la tâche du notaire qui est tenu d’une obligation de conseil. Il doit en effet informer les époux sur l’opportunité de soumettre tous les immeubles existants à la lex rei sitae, ou uniquement certains d’entre eux, ainsi que sur son éventuelle application à ceux qui seront ultérieurement acquis12. D’autre part, cette solution limite de manière substantielle les risques d’insécurité juridique, et s’avère donc particulièrement satisfaisante. Le considérant 43 la justifie d’ailleurs en invoquant des raisons de sécurité juridique. Elle évite en effet le dépeçage du régime matrimonial, ainsi que les difficultés qui en résultent. De fait, un notaire peut être amené, en présence d’immeubles situés dans différents États, à liquider plusieurs régimes matrimoniaux. Tel est le cas dans l’hypothèse où une loi est applicable à l’ensemble du régime, et où chaque immeuble est soumis à la lex rei sitae. Cette opération est alors nécessairement facteur de complexité d’un point de vue technique. Elle suscite également des difficultés, fondées sur la dimension internationale de la situation, qui sont liées à la recherche de la teneur du droit étranger et à son application.
9. Le principe de l’unité de la loi applicable doit être approuvé, car il réduit les risques d’insécurité juridique. Cette tendance se poursuit aussi à travers les modalités de détermination du droit auquel le régime matrimonial est soumis.
B – Les modalités de détermination de la loi
10. Le nouveau règlement maintient le principe du choix par les époux de la loi applicable au régime matrimonial. À juste titre, ce choix est encadré. Une totale autonomie de la volonté, à l’instar des solutions issues de la jurisprudence, n’est pas souhaitable car elle provoquerait des risques d’insécurité juridique. D’une part, les époux pourraient ne pas connaître suffisamment la teneur du droit qu’ils ont désigné, et ce d’autant plus que, selon l’article 20, le règlement a un caractère universel. Il peut donc permettre l’application de la loi d’un État qui n’est pas membre de l’Union européenne. D’autre part, les tiers seront sans doute moins surpris par la soumission du régime à une loi proche de la situation des conjoints. Ainsi, l’article 22, § 1, offre-t-il une option à deux branches qui porte sur « la loi de l’État dans lequel au moins l’un des époux ou futurs époux a sa résidence habituelle », ou sur « la loi d’un État dont l’un des époux ou futurs époux a la nationalité ». Ces facteurs de rattachement sont classiques. Le considérant 45 les justifie sur un fondement de proximité, car ils permettent l’application d’une loi ayant un lien étroit avec la situation des époux. Il est alors facile pour ces derniers de se renseigner sur la teneur du droit choisi. Lorsqu’ils ont désigné la loi, ils peuvent ensuite opter pour le régime légal ou un régime conventionnel. Il est cependant fâcheux que le règlement n’ait pas expressément affirmé cette solution. Elle peut néanmoins se déduire du considérant 18 qui précise que la notion de régime matrimonial englobe « les règles auxquelles les époux ne peuvent pas déroger, mais aussi toutes les règles facultatives qui peuvent être fixées par les époux conformément à la loi applicable, ainsi que les règles supplétives ». Dans un souci de sécurité juridique, le règlement intègre fort opportunément la prise en compte du facteur temps. D’une part, le moment auquel le choix doit être effectué est défini au considérant 45. Il affirme qu’il peut l’être « avant le mariage, lors de la célébration du mariage ou au cours de ce dernier ». D’autre part, l’article 22, § 1, comporte une précision temporelle, qui supprime tout conflit mobile, en affirmant que l’élément de rattachement doit être envisagé au jour de la conclusion de la convention.
11. Certains risques d’insécurité juridique auraient cependant pu être évités si les solutions retenues s’étaient inspirées de celles émanant du règlement successoral du 4 juillet 201213. D’une part, le critère de la première résidence habituelle aurait dû faire l’objet d’une définition, ou tout au moins le texte aurait pu fournir différents éléments permettant de l’appréhender. D’autre part, le conflit positif de nationalités aurait dû être réglé. Certes, le considérant 50 apporte des éléments de réponse mais qui ne sont malheureusement pas dénués d’ambiguïté. À cet égard, deux solutions sont envisageables. Soit, selon une première hypothèse, l’on se fonde sur les règles utilisées pour régler le conflit de nationalités. Il sera alors résolu selon le droit international privé français en faisant prévaloir la nationalité française, dans le cas d’une double nationalité franco-étrangère14, ou la nationalité effective15 si les nationalités possédées sont étrangères. Cette solution se réclame du considérant 50 qui affirme qu’il s’agit « d’une question préalable » qui relève du « droit national, y compris le cas échéant, de conventions internationales dans le plein respect des principes généraux de l’Union ». Toutefois, il précise également que cette question « ne devrait pas influencer la validité du choix de la loi applicable effectué conformément au présent règlement ». Ainsi, par exemple, la désignation de la loi allemande par de futurs époux de nationalité franco-allemande ne pourrait-elle être remise en cause. En réalité, il importe peu que les règles régissant le conflit de nationalités aient été ou non respectées. Soit, selon une seconde hypothèse, l’on estime que les époux peuvent choisir l’une des lois dont ils ont la nationalité. Cette solution doit être privilégiée16 dans la mesure où le non-respect des principes régissant le conflit de nationalités est dénué d’effet. Il est néanmoins regrettable qu’elle n’ait pas été expressément affirmée.
12. Le règlement limite également les risques d’insécurité juridique en ce qui concerne la forme de la convention portant sur le choix de la loi applicable. À cette fin, l’article 23, § 1, énonce une règle matérielle affirmant qu’elle doit être « formulée par écrit, datée et signée par les deux époux ». Il précise également que « toute transmission par voie électronique qui permet de consigner durablement la convention est considérée comme revêtant une forme écrite ». Ces solutions sont classiques17. Elles sont justifiées au considérant 47 par le souci de s’assurer que les époux sont conscients des conséquences de leur choix. Par ailleurs, l’article 23 prévoit également des solutions spécifiques pour les conventions matrimoniales. D’une part, les paragraphes 2 et 4 envisagent l’application de règles de forme supplémentaires si elles sont exigées dans les hypothèses énoncées par le texte. D’autre part, le paragraphe 3 est inspiré par un souci de « favor validitatis ». Les conventions sont en effet valables si elles satisfont aux conditions de forme de la loi de l’État de la résidence habituelle de l’un ou l’autre des époux.
13. En l’absence de choix par les conjoints de la loi applicable au régime, une règle de conflit hiérarchisée doit alors être mise en œuvre. Le considérant 49 justifie les rattachements choisis par le souci de concilier « la prévisibilité et l’impératif de sécurité juridique » avec « la nécessité de prendre en compte la vie menée par le couple ». À cet égard, l’article 26, § 1, prévoit l’application successive de la loi de l’État « de la première résidence habituelle commune des époux après la célébration du mariage », à défaut celle de l’État de « la nationalité commune des époux au moment de la célébration du mariage », à défaut celle de l’État « avec lequel les époux ont ensemble les liens les plus étroits au moment de la célébration du mariage, compte tenu de toutes les circonstances ». Dans cette hypothèse, les risques d’insécurité juridique sont aussi limités. D’une part, l’article 26, § 1, prévoit d’abord l’application de rattachements objectifs. Ceux-ci sont faciles à mettre en œuvre et seront le plus souvent caractérisés. À défaut, il se fonde sur un rattachement subjectif reposant sur la notion de liens les plus étroits. D’autre part, l’article 26, § 2, règle le conflit de nationalités. Lorsque les époux ont plus d’une nationalité commune, au moment de la célébration du mariage, le rattachement suivant doit alors être appliqué.
14. Néanmoins, certains risques d’insécurité juridique persistent. D’une part, le rattachement subjectif énoncé à l’article 26, § 1, peut parfois s’avérer difficile à utiliser. Il n’est pas toujours aisé d’identifier la loi qui présente les liens les plus étroits avec la situation des époux. D’autre part, ces risques émanent également de l’exception posée à l’article 26, § 3. Une autorité judiciaire peut en effet autoriser l’application de la loi de l’État de la dernière résidence habituelle commune des époux, à la place de celle de leur première résidence habituelle commune après le mariage. Des conditions strictes sont alors exigées. Le considérant 51 précise d’ailleurs que ce texte ne vise que « des cas exceptionnels ». Il faut que l’un des époux en fasse la demande, qu’il démontre que l’établissement dans l’État de leur dernière résidence habituelle commune repose sur une période « significativement plus longue » que dans l’État de la première résidence habituelle après le mariage, et qu’ils se soient fondés sur la loi de cet autre État pour « organiser ou planifier leurs rapports patrimoniaux ». Les risques d’insécurité juridique qui émanent des articles 26, § 1 et 26, § 3 doivent néanmoins être nuancés, car ces dispositions seront vraisemblablement peu utilisées.
15. Enfin, que les époux aient ou non désigné la loi applicable au régime matrimonial, l’article 32 exclut le renvoi. Cette éviction, qui ne peut qu’être approuvée, se justifie en raison de la particularité de la matière visée qui relève de l’autonomie de la volonté. Admettre l’utilisation de ce procédé reviendrait à déjouer les légitimes attentes des conjoints, en appliquant une loi autre que celle qu’ils ont choisie. Cette solution est classique. Elle est admise par la jurisprudence18, ainsi que par la convention de La Haye du 14 mars 1978 dont les dispositions se réfèrent le plus souvent à la notion de « loi interne ».
16. Le règlement du 24 juin 2016 limite les risques d’insécurité juridique en ce qui concerne la détermination du droit auquel le régime matrimonial est soumis. Le principe de l’unité de la loi et ses modalités de désignation suscitent ainsi l’approbation. C’est toutefois dans l’hypothèse d’un changement de loi que cette tendance se manifeste de la manière la plus significative. Les solutions retenues sont en effet satisfaisantes et méritent d’être saluées.
II – Le changement de la loi du régime matrimonial
17. Le règlement réduit de manière substantielle les risques d’insécurité juridique en condamnant le changement automatique de loi (A). Il maintient fort heureusement la faculté pour les époux de changer volontairement la loi de leur régime matrimonial (B).
A – L’abandon du changement automatique
18. Le nouveau règlement communautaire abandonne à juste titre le changement automatique de loi issu de l’article 7, alinéa 2, de la convention de La Haye du 14 mars 1978. Cette disposition s’applique aux époux mariés à compter du 1er septembre 1992, qui n’ont pas désigné le droit applicable et n’ont pas établi de contrat de mariage. Elle énonce des exceptions au principe de la permanence de la loi, qui se justifient sur un fondement de proximité ou en raison d’un cumul des rattachements. La loi interne de l’État où les époux ont tous deux leur résidence habituelle devient alors applicable, à la place de celle à laquelle leur régime matrimonial était antérieurement soumis, dans trois hypothèses limitativement énumérées19.
19. De manière très opportune le règlement met fin à cette solution, et facilite ainsi considérablement la tâche des praticiens. Le considérant 46 affirme en effet qu’« aucun changement de loi applicable au régime matrimonial ne devrait intervenir sans demande expresse des parties ». Seul un changement volontaire de loi sera donc possible pour les époux mariés à compter du 29 janvier 201920. C’est précisément sur ce point que le règlement limite de manière la plus significative les risques d’insécurité juridique. À ce titre, la solution qu’il retient mérite l’approbation. L’article 7, alinéa 2, de la convention a d’ailleurs fait l’objet de virulentes critiques21 de la part de la doctrine et des praticiens. Il lui a notamment été fait grief d’être « une bombe à retardement »22. Il génère en effet de nombreux risques d’insécurité juridique pour les époux, mais également pour les tiers, dans un domaine où la prévisibilité des solutions est fondamentale.
20. Le changement automatique de loi entraîne d’importants risques d’insécurité juridique pour les époux. D’une part, il déjoue leurs légitimes attentes, car le plus souvent ils n’ont pas conscience de la modification qui s’est opérée. Ils se retrouvent ainsi soumis à un régime qu’ils n’ont pas choisi, dont ils ne mesurent pas les effets, et qu’ils découvrent lors de sa liquidation. Ainsi par exemple, dans l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 12 avril 201223, des époux de nationalité française ont-ils d’abord été soumis à un régime de séparation de biens (selon la loi de l’État de New-York), puis à un régime de communauté (selon la loi française). Le problème ne s’est pas posé dans l’espèce considérée, mais il faut néanmoins souligner les risques encourus dans l’hypothèse de l’exercice d’une activité commerciale par l’un d’entre eux. Il arrive d’ailleurs que le couple soit issu d’un État ne connaissant pas la notion même de régime matrimonial. Tel est le cas des pays de Common law ou de droit musulman. D’autre part, le notaire peut être amené à liquider deux ou plusieurs régimes, car l’article 8, alinéa 1, précise que le changement de loi n’a d’effet que pour l’avenir. De réelles difficultés pratiques sont alors susceptibles de se poser qui génèrent de nombreux risques d’insécurité juridique. Il incombe en effet au praticien de déterminer les biens appartenant aux époux avant le changement de loi, puis de procéder à la liquidation du régime selon le droit compétent. Cette opération doit ensuite être menée pour les biens acquis après la modification de la loi. En plus des difficultés liées à l’existence d’un élément d’extranéité, à savoir la recherche de la teneur du droit étranger et son application, des problèmes de preuve, de nature et d’estimation des biens ne sont pas à négliger. Par ailleurs, l’article 7, alinéa 2, risque aussi d’entraîner des situations boiteuses, car les solutions obtenues à l’issue de son application peuvent ne pas être reconnues dans les pays non parties à la convention. Cette disposition entraîne également des risques d’insécurité juridique pour les tiers ayant contracté avec les époux. Dans la mesure où le changement de loi ne fait l’objet d’aucune mesure de publicité, il existe alors une réelle incertitude quant à la nature exacte du régime matrimonial de ces derniers.
21. Certes il est possible pour les conjoints de mettre en place, sur les conseils de leur notaire, une stratégie afin d’éviter ces risques d’insécurité juridique24. Actuellement, l’article 6 de la convention leur permet de procéder à un changement volontaire de loi. Ils peuvent également, sur le fondement de l’article 8, alinéa 2, prévoir que celle nouvellement choisie s’applique à l’ensemble de leurs biens25. À compter du 29 janvier 2019, date d’entrée en vigueur du nouveau règlement, ils devront cependant se fonder sur l’article 22, § 1, traitant du changement volontaire de loi26. Quel que soit l’intérêt de ces solutions, leur mise en œuvre implique toutefois que les époux se soient effectivement interrogés sur la loi de leur régime. Or, le plus souvent ils découvrent cette question à un moment où il est trop tard, à savoir lors de sa liquidation.
22. L’abandon du changement automatique de loi présente un intérêt incontestable, car il réduit de manière substantielle les risques d’insécurité juridique. Cette tendance se poursuit également à travers les modalités du changement volontaire de loi.
B – Les modalités du changement volontaire
23. Le nouveau règlement maintient la faculté pour les époux de changer la loi régissant leur régime matrimonial. Ainsi, l’article 22, § 1, qui traite de la désignation de la loi qui lui est applicable, se prononce-t-il également sur sa modification. Il existe donc une identité entre l’option offerte pour choisir la loi et celle utilisée pour la modifier. À cet égard, l’alternative porte sur « la loi de l’État dans lequel au moins l’un des époux ou futurs époux a sa résidence habituelle », ou sur « la loi d’un État dont l’un des époux ou futurs époux a la nationalité ». La convention modifiant la loi doit alors respecter les conditions de forme prévues à l’article 2327. Ces solutions s’appliquent aux conjoints mariés à compter du 29 janvier 2019 mais également, selon l’article 69, § 3, à ceux dont l’union a été célébrée avant cette date. La succession de deux corps de règles peut toutefois s’avérer complexe à mettre en œuvre pour les praticiens qui devront se familiariser au nouveau texte européen.
24. À juste titre, le règlement se prononce également sur les effets du changement de loi. L’article 22, § 2, précise que « sauf convention contraire des époux », il « n’a d’effet que pour l’avenir ». Ces derniers peuvent donc changer la loi de leur régime, et prévoir par convention que tous leurs biens lui soient soumis. À condition, selon l’article 22, § 3, que l’application rétroactive de cette loi ne porte pas atteinte aux droits des tiers. La solution émanant de l’article 22, § 2, est satisfaisante, car elle réduit les risques d’insécurité juridique. D’une part, elle met fin aux controverses liées à l’application dans le temps de l’article 6 de la convention du 14 mars 1978, et à son articulation avec l’article 1397-4 du Code civil. La question de la rétroactivité de la loi nouvellement choisie a en effet suscité de nombreuses polémiques28 qui n’ont pas été tranchées par la jurisprudence. Il est néanmoins permis de penser que les époux qui modifient la loi de leur régime puissent lui soumettre l’ensemble de leurs biens29. D’autre part, la solution issue de l’article 22, § 2, évite qu’il soit procédé à la liquidation de deux ou plusieurs régimes. C’est sur ce point qu’elle s’avère la plus intéressante, car elle élude toutes les difficultés liées à une telle entreprise30. Il est donc à souhaiter que les époux, conseillés par leur notaire, feront le choix de soumettre l’ensemble de leurs biens à la loi nouvellement choisie.
25. De manière fort opportune, le nouveau règlement traitant des régimes matrimoniaux réduit les risques d’insécurité juridique dans les conflits de lois ; domaine où ils se sont manifestés jusqu’à présent avec le plus d’acuité. Cette tendance se traduit lors de la détermination de la loi applicable, mais c’est surtout à l’occasion de sa modification qu’elle se manifeste de la manière la plus significative. À cet égard, l’abandon du changement automatique de loi ne peut qu’être approuvé. Il reste ainsi à espérer que la communautarisation du droit international privé se poursuive à l’aune de cet objectif de limitation des risques d’insécurité juridique…
Notes de bas de pages
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1.
Péroz H., « Le nouveau règlement européen sur les régimes matrimoniaux », JCP N 2016, 1241, spéc. n° 29, : Godechot-Patris S., « Commentaire du règlement du 24 juin 2016 relatif aux régimes matrimoniaux : le changement dans la continuité », D. 2016, p. 2292 ; Lamarche M., « Union européenne : régimes matrimoniaux et effets patrimoniaux des partenariats enregistrés : un pas de plus vers l’harmonisation européenne des règles de droit international privé », Dr. famille 2016, n° 12, alerte 91 ; Joubert N., « La dernière pierre (provisoire ?) à l’édifice du droit international privé européen en matière familiale », Rev. crit. DIP 2017, p. 1.
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2.
Règlement (UE) n° 2016/1104.
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3.
Cass. req., 4 juin 1935 : Ancel B. et Lequette Y., « Les grands arrêts de la jurisprudence de droit international privé », 5e éd., 2006, Dalloz, n° 15, p. 128.
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4.
G.A.L. Droz, « Les nouvelles règles de conflit françaises en matière de régimes matrimoniaux », Rev. crit. DIP 1992, p. 631.
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5.
V. infra : n° 20.
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6.
Révillard M., « Propositions de règlements communautaires sur les régimes matrimoniaux et les effets patrimoniaux des partenariats enregistrés », LPA 6 juill. 2011, p. 3 ; Buschbaum M.et Simon U., « Les propositions de la Commission européenne relatives à l’harmonisation des règles de conflit de lois sur les biens patrimoniaux des couples mariés et des partenariats enregistrés », Rev. crit. DIP 2011, p. 801.
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7.
Péroz H., « Proposition de règlement européen du 2 mars 2016 – Partenariat et loi applicable aux effets patrimoniaux », JCP N 2016, 1126, spéc. n° 15.
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8.
Péroz H., « Régimes patrimoniaux des couples internationaux : coopération renforcée en Europe », JCP N 2016, 755, spéc. n° 25.
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9.
V. infra n° 11.
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10.
Art. 21, § 1.
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11.
Art. 22, § 1.
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12.
Péroz H. et Fongaro E., Droit international privé patrimonial de la famille, 2010, Litec, p. 158-158, nos 417 et s.
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13.
Bridge C., « Le nouveau droit communautaire des successions (unité de compétence, autonomie de la volonté et limitation des risques d’insécurité juridique) », LPA 3 juill. 2014, p. 6.
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14.
Cass. 1re civ., 17 juin 1968 : Bull. civ. I, n° 175 ; Kasapyan B., Ancel B. et Lequette Y., préc., n° 46, p. 412 ; Batiffol H., Rev. crit. DIP 1969, p. 59.
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15.
Cass. 1re civ., 15 mai 1974, n° 72-12196, Martinelli : Rev. crit. DIP 1975, p. 260, note Nisard M.
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16.
En ce sens : Péroz H., préc., n° 11.
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17.
Bridge C., préc., n° 10.
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18.
Cass. 1re civ., 1er févr. 1972, n° 70-11953 ;Gouthertz, Ancel B. et Lequette Y., préc. n° 51, p. 467 ; Rev. crit. DIP 1972, p. 644, note Wiederkehr G. ; JDI 1972, p. 594, note Kahn P. ; Rep. Defrénois 1972, p. 1033, note Malaurie P.
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19.
Pour une étude de ces hypothèses : Péroz H. et Fongaro E., préc., p. 178 et s., nos 480 et s.
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20.
V. infra : nos 23 et s.
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21.
Révillard M., JCl. DIP, Régimes matrimoniaux, fasc. 556, n° 82.
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22.
Crône R., « Le changement automatique de loi applicable au régime matrimonial : une bombe à retardement », Defrénois 30 sept. 2001, n° 37396, p. 1026.
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23.
Cass. 1re civ., 12 avr. 2012, n° 10-27016 : Defrénois 30 juill. 2012, n° 40551, p. 696, note Révillard M. ; JDI 2012, p. 950, note Barrière-Brousse I ; AJ Famille 2012, p. 353, note Boiché A. ; Dr. famille 2012, comm. 109, note Abadie L.
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24.
Crône R., « Changement de lois applicables au régime matrimonial : précautions à prendre (observations et formules) », Defrénois 15 sept. 2007, n° 38461, p. 1213.
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25.
V. infra n° 24 : les controverses à ce sujet.
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26.
V. infra nos 23 et s.
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27.
V. supra n° 12.
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28.
Sur ce débat : Péroz H. et Fongaro E., préc., p. 174 et s, nos 473 et s.
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29.
En ce sens : Péroz H. et Fongaro E., préc., p. 175, n° 476.
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30.
V. supra n° 20.