Les affres du changement de nom consécutif à une modification de la filiation
Dans cette décision, la Cour de cassation rappelle que lorsqu’un enfant majeur voit sa filiation modifiée, le changement de son nom de famille ne peut se faire sans son consentement. Elle précise en outre que la majorité s’apprécie à la date du jugement modifiant le lien de filiation.
Cass. 1re civ., 5 sept. 2018, no 17-21140, PB
La question du changement de nom de famille à la suite d’une modification du lien de filiation suscite un contentieux épineux. En effet, bien que non systématique, l’interdépendance entre le lien de parenté que traduit le lien de filiation et l’attribution du nom à l’enfant est souvent à l’origine de conflits. Or, dans les réponses qu’il apporte, le droit peine à composer avec les questions identitaires inhérentes à ce type de problématique.
Faisant suite au prononcé de son divorce, un homme sollicite l’annulation de sa reconnaissance de paternité ainsi que la reprise par l’enfant du nom de sa mère, alors même que l’intéressée manifeste le souhait de continuer à porter le nom de son père. Pour accueillir la demande de ce dernier, la cour d’appel de Bordeaux retient que le consentement de l’enfant n’était pas requis, ce dernier étant mineur lors de l’introduction de l’action. La Cour de cassation casse cette décision et rappelle que la modification du lien de filiation n’emporte le changement du nom de l’enfant majeur que sous réserve de son consentement1, l’âge de la majorité s’appréciant au jour du jugement. Dès lors, le consentement de l’intéressée devenue majeure était donc requis en l’espèce.
Si l’apport essentiel de cet arrêt est de préciser le moment à prendre en considération pour apprécier l’âge de la majorité, il donne l’occasion de revenir plus largement sur les tribulations du nom de famille lorsque ce dernier est confronté à une redéfinition de la filiation de l’enfant. En effet, cette décision de la Cour de cassation met indirectement en évidence la précarité du nom attribué à l’enfant consécutivement à une reconnaissance de paternité (I) et rappelle qu’en cas d’annulation de cette dernière, le refus de l’enfant majeur fait obstacle au changement de nom (II).
I – La précarité du nom attribué à l’enfant à la suite d’une reconnaissance de paternité : l’identité de l’enfant fragilisée
Longtemps mode privilégié d’établissement de la filiation hors mariage, la reconnaissance a vu son domaine d’application élargi avec l’ordonnance du 4 juillet 20052. Aux termes de l’article 316 du Code civil, elle permet d’établir la filiation d’un enfant lorsque cette dernière n’a pu l’être par l’effet de la loi. Ainsi, elle est aujourd’hui un mode d’établissement essentiellement de la filiation paternelle3, non seulement pour le couple non marié mais aussi plus exceptionnellement dans le cadre d’un couple uni par le mariage4.
Fruit d’une démarche libre de la part de son auteur, la reconnaissance est un mode volontaire d’établissement de la filiation. Pour s’en tenir à la filiation paternelle, l’homme affirme sa paternité en reconnaissant un enfant comme étant le sien, démontrant par là même son désir d’assumer toutes les conséquences inhérentes à l’établissement de ce lien. Dans l’affaire étudiée, l’enfant a été reconnu par un homme peu de temps avant son mariage avec la mère.
Prenant la forme d’un acte authentique, la reconnaissance n’est pour autant soumise à aucun contrôle. Son auteur n’a pas à prouver la véracité du lien de filiation. Corrélativement, celui qui reçoit la reconnaissance, le plus souvent l’officier d’état civil n’a pas le pouvoir de la refuser, encore moins le pouvoir ni les moyens de contrôler la conformité de la reconnaissance avec le lien de filiation visé.
Dès lors, à partir du moment où l’enfant n’a pas de filiation déjà établie à l’égard d’un parent de même sexe5, toute personne peut reconnaître un enfant dont elle pense qu’il est bien le sien. En outre, il est possible pour l’auteur de la reconnaissance d’accepter en connaissance de cause l’établissement d’un lien de filiation à l’égard d’un enfant dont il sait ne pas être le parent biologique. On rencontre ces hypothèses de reconnaissances mensongères ou de complaisance dans un contexte où le nouveau compagnon de la mère de l’enfant, par affection pour cette dernière et souvent d’ailleurs en accord avec elle accepte d’assumer la paternité de l’enfant. En l’espèce, même s’il n’est pas interdit d’imaginer qu’à l’époque de la reconnaissance, l’homme pouvait croire qu’il était bien le père de l’enfant, on serait tenté de penser qu’il a procédé à une reconnaissance de complaisance si on prend en compte la promptitude de ce dernier à vouloir se dégager de ce lien à la suite de son divorce. En effet, bien souvent, ces paternités de convenance ne résistent pas aux vicissitudes de la vie sentimentale des adultes, notamment lorsque la relation de couple s’étiole et prend fin.
Il n’en demeure pas moins que quelles que soient les circonstances qui l’entourent, la reconnaissance paternelle attribue systématiquement à l’enfant un lien de filiation à l’égard de son auteur, mais aussi parfois le nom de famille de ce dernier. En effet, si la reconnaissance de complaisance apparaît comme un acte altruiste, empreint de générosité envers l’enfant en lui donnant un cadre affectif, une famille, elle peut aussi lui « offrir » un nouveau nom.
Cette modification du nom de l’enfant à la suite d’une reconnaissance paternelle n’est pas systématique. En effet, les règles d’attribution du nom dépendent de l’ordre d’établissement des filiations6. Donc, la reconnaissance faite par un homme étant le plus souvent postérieure à l’établissement de la filiation maternelle, elle ne va pas générer automatiquement une modification du nom. Cette dernière ne peut avoir lieu qu’à l’initiative du couple. En effet, lors de l’établissement du second lien de filiation, les parents peuvent par déclaration conjointe devant l’officier d’état civil choisir de modifier le nom de l’enfant, en lui substituant notamment le nom du parent à l’égard duquel le lien de filiation a été établi en second lieu7. Dans l’affaire soumise à la Cour de cassation il semblerait que le couple ait opté pour cette solution. En effet, lors de la demande d’annulation de la reconnaissance, le demandeur sollicite de la cour d’appel la reprise par l’enfant du nom de sa mère, ce qui sous-entend que l’enfant avait déjà porté ce nom par le passé, avant la substitution du nom paternel.
On voit bien que dans un premier temps, lors de l’établissement du second lien de parenté et selon la volonté du couple, le nom de l’enfant peut suivre la modification affectant sa filiation. Dans notre hypothèse, après avoir porté le nom de sa mère depuis sa naissance, l’enfant a changé de nom pour porter celui de son père à la suite de sa reconnaissance de paternité. Puis, dans un second temps, lorsque ce second lien vient à être contesté comme en l’espèce, le nom de l’enfant est encore susceptible de changer, cette fois selon la volonté du législateur. En effet, s’agissant de contester le lien de filiation établi par la reconnaissance, l’auteur de cette dernière doit démontrer qu’il n’est pas le père de l’enfant. Dès lors que l’action aboutit et que la reconnaissance est annulée, l’enfant devient juridiquement étranger au parent dont le lien de filiation a été rétroactivement anéanti. Or la destruction du lien de filiation n’est pas sans conséquence sur le nom, elle entraîne en principe la perte de ce dernier pour l’enfant8.
Ainsi, au gré des aléas de la vie sentimentale de sa mère, la filiation de l’enfant est sujette à des variations qui peuvent impacter le nom de famille qu’il porte, soit par la volonté de ses parents, soit par l’effet de la loi. On constate donc qu’à travers les modifications susceptibles d’affecter sa filiation, notamment comme en l’espèce dans l’hypothèse d’une reconnaissance de paternité qui vient à être annulée, c’est l’identité de l’enfant qui se trouve malmenée et par là même fragilisée. Le changement de nom consécutif à la modification du lien de filiation semble procéder d’une manière générale du lien qui existe entre l’état de l’enfant et son identité. En effet, il paraît difficile de détacher le nom de l’enfant de son état, ce dernier étant le reflet de sa filiation. En général, l’enfant porte le nom d’au moins un de ses parents. Dès lors, dans l’hypothèse d’une redéfinition de la filiation de l’enfant, il n’est pas surprenant de voir ce dernier perdre le nom du parent à l’égard duquel le lien est anéanti9. Si au premier abord, il semble assez cohérent de supprimer un nom qui ne correspond plus à aucune réalité, on peut reprocher à cette solution de ne pas prendre en considération la dimension identitaire du nom de famille. De ce point de vue, à partir d’un certain âge, la perspective d’un changement d’identité peut s’avérer très perturbante pour l’enfant. Or, lorsque la personne concernée est majeure, la loi prévoit qu’elle peut s’opposer au changement de son nom. C’est ce que rappelle la Cour de cassation dans sa décision.
II – Le refus du changement de nom par l’enfant majeur en cas d’annulation de la reconnaissance paternelle : l’identité de l’enfant consolidée ?
Le législateur n’a pas souhaité faire du changement de nom consécutif à une modification de la filiation une règle absolue. Si elle concerne à l’évidence le nom des enfants mineurs qui n’ont d’autre choix que de subir le changement, une entorse est prévue au profit des enfants majeurs.
En effet, il résulte de l’article 61-3, alinéa 2 du Code civil que « l’établissement ou la modification du lien de filiation n’emporte cependant le changement du nom de famille des enfants majeurs que sous réserve de leur consentement ». Dans l’affaire étudiée, l’intéressée avait manifesté son désir de continuer à porter le nom de l’auteur de la reconnaissance, ce qui lui avait été refusé par la cour d’appel, cette dernière relevant son état de minorité au jour de l’introduction de l’action. La Cour de cassation accueille sa demande, considérant que l’âge de la majorité doit s’apprécier au jour du prononcé de la décision modifiant le lien de filiation. Ainsi, dans l’hypothèse d’un enfant majeur, le changement de nom consécutif à une modification de son lien de filiation ne saurait lui être imposé contre sa volonté. En d’autres termes, le législateur laisse à la personne devenue adulte le choix de continuer à porter le nom du parent dont le lien de filiation à son égard est supprimé.
Force est de constater qu’après le choix laissé aux parents lors de la reconnaissance, c’est maintenant de la seule volonté de l’enfant majeur que va dépendre le devenir de son nom. En effet, selon qu’il donne ou pas son accord au changement, le nom va se trouver soit une nouvelle fois modifié, soit stabilisé. Dans notre affaire, si l’intéressée avait accepté le changement de son nom de famille, elle aurait pu se voir attribuer à nouveau le nom de sa mère. Ainsi, elle aurait porté depuis sa naissance successivement le nom de sa mère, celui de son père et enfin repris le nom maternel. C’est à cette succession de changements que s’est opposé l’enfant majeur dans l’affaire soumise à la Cour de cassation en demandant à pouvoir continuer à porter le nom de l’auteur de la reconnaissance annulée.
Il n’est pas aisé de porter une appréciation sur cette faculté reconnue par la loi à une personne adulte de pouvoir en quelque sorte consolider son identité en refusant le changement de son nom.
Si l’on se place du côté de l’enfant concerné par des modifications successives de son nom de famille, c’est son identité qui risque de se trouver par là même à chaque fois redéfinie. Or, lorsqu’il portait le nom supprimé depuis longtemps, parfois depuis sa naissance, on ne peut nier les répercussions psychologiques d’un tel changement, que ce soit d’un point de vue intime, personnel mais aussi d’un point de vue social10. Alors que ces répercussions n’épargneraient pas à l’évidence la personne devenue majeure, le législateur n’a pas cru devoir les lui imposer. En conséquence, dans l’hypothèse d’un refus opposé par l’enfant majeur, le nom de famille qu’il va donc pouvoir continuer à porter va se trouver totalement dissocié, déconnecté de sa filiation. Cette solution contribue à maintenir « l’illusion d’appartenance à une famille »11, alors même que l’intéressé a été exclu de cette dernière. On peut se demander s’il est vraiment opportun qu’un individu puisse se trouver ainsi rattaché par son nom à une parenté qui n’est plus la sienne et donc symboliquement écarté de sa « vraie » famille…
D’un autre point de vue, on peut s’interroger sur les incidences de ces modifications successives du nom de famille d’une personne au regard du rôle traditionnel que l’on attribue au nom. En effet, ce dernier participe à l’identification des individus au sein de la société, à leur individualisation, et permet en outre le plus souvent de les rattacher à une famille. Ce rôle ne peut être efficient qu’au prix d’une certaine stabilité du nom que peut porter une personne tout au long de sa vie. Si de manière générale, un individu a vocation à conserver son nom de famille de sa naissance à son décès, on voit bien avec l’affaire étudiée que des changements successifs de nom sont possibles, changements qui sont autant d’entraves à la stabilisation de l’identité de la personne.
En définitive, reconnaître à l’enfant majeur la faculté de s’opposer à un changement de son nom n’est-il pas un ultime rempart pour éviter de sacrifier totalement la stabilité du nom sur l’autel des changements successifs affectant la filiation ?
Notes de bas de pages
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1.
Dans le même sens, Cass. 1re civ., 27 nov. 2001, n° 00-12012 : Bull. civ. I, n° 293 ; Defrénois 15 févr. 2002, n° 37478-5, p. 192, obs. Massip J. ; D. 2002, somm., p. 2019, obs. Granet F.
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2.
Ord. n° 2005-759, 4 juill. 2005.
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3.
Selon l’article 311-25 du Code civil, de façon générale, la filiation maternelle s’établit par l’indication du nom de la mère dans l’acte de naissance de l’enfant. L’article 316 permet à la mère qui n’a pas souhaité faire apparaître son nom dans l’acte de naissance (accouchement sous X) de changer d’avis et de reconnaître son enfant.
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4.
Pour la reconnaissance de paternité, cette hypothèse suppose que la présomption de paternité n’a pas pu s’appliquer.
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5.
Dans ce cas, conformément au principe chronologique évoqué à l’article 320 du Code civil, il convient dans un premier temps de contester le lien de filiation de l’enfant avant de pouvoir faire la reconnaissance.
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6.
C. civ., art. 311-23 : « Lorsque la filiation n’est établie qu’à l’égard d’un parent, l’enfant prend le nom de ce parent… ».
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7.
V. C. civ., art. 311-23, al. 2 : De plus, en vertu de ce texte, les parents ont aussi la possibilité d’accoler leurs deux noms dans l’ordre qu’ils choisissent dans la limite d’un nom de famille pour chacun d’eux.
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8.
C. civ., art. 61-3 : « Tout changement de nom de l’enfant de plus de treize ans nécessite son consentement personnel lorsque ce changement ne résulte pas de l’établissement ou d’une modification de son lien de filiation ».
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9.
V. note précédente.
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10.
Sur cette question du changement de nom vu par l’ethnologie : Martial A., « Changements de noms, changements de filiation », in Fine A. (dir.), États civils en question – Papiers, identités, sentiments de soi, 2008, Éditions du CTHS, Le regard de l’ethnologue, p. 115 à 138.
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11.
Siffrein-Blanc C., « La parenté en droit civil français », 2009, Presses universitaires d’Aix-Marseille, n° 628.