L’exclusion du caractère indemnitaire de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé et de son complément

Publié le 13/09/2021
L’exclusion du caractère indemnitaire de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé et de son complément
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Dans cette décision, la première chambre civile de la Cour de cassation s’aligne sur la position adoptée par la deuxième chambre, considérant que l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé et son complément ne revêtent pas de caractère indemnitaire.

Cass. 1re civ., 2 juin 2021, no 20-10995

L’affaire soumise à la Cour de cassation1 porte sur l’articulation entre l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé et son complément, prestations versées par la caisse d’allocations familiales, et l’indemnisation des préjudices subis par un enfant et ses parents du fait du handicap de l’enfant, payée par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l’ONIAM). Dans cette affaire, les parents d’un enfant tétraplégique, handicap causé par des complications survenues lors du déclenchement de l’accouchement de la mère, ont assigné, en leur nom personnel et en tant que représentant de leur enfant mineur, l’ONIAM ainsi que la société d’assurances venant aux droits du centre hospitalier afin de voir indemnisés les préjudices liés au handicap de l’enfant. Il convient de préciser que le mineur s’était vu attribuer l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé et son complément2. Les juges du fond ont considéré que la totalité de l’indemnisation des préjudices subis devait peser sur l’ONIAM. Ce dernier forme alors un pourvoi en cassation : s’appuyant sur les articles L. 1142-1, II, et L. 1142-17 du Code de la santé publique, ainsi que sur le principe de réparation intégrale du préjudice, il soutient que l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé ainsi que son complément devaient être déduits de l’indemnisation due par l’ONIAM au titre des frais d’assistance par tierce personne. Il s’agissait donc de minorer l’indemnisation due par l’office. La Cour régulatrice a rejeté le pourvoi. Pour elle, si effectivement, le principe évoqué conduit à la déduction des prestations énumérées à l’article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 19853, et plus globalement les indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d’autres débiteurs du chef du même préjudice, de l’indemnisation à la charge de l’ONIAM, l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé et son complément n’en font pas partie. Selon les magistrats, ces prestations sont des prestations familiales et n’ont donc pas de caractère indemnitaire. Si la solution n’est pas étonnante, en ce qu’elle rejoint la position déjà adoptée en la matière par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation4, elle permet de rappeler la fonction de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé et son complément (I), ainsi que leur nature (II).

I – L’utilité de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé et de son complément

La loi du 11 février 20055 a substitué l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé à l’allocation d’éducation spéciale, prestation qui avait vu le jour grâce à la loi de 19756, base de la législation contemporaine en faveur du handicap. Pour en bénéficier, la personne qui assume la charge permanente de l’enfant (souvent le parent) doit déposer un dossier auprès de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH), guichet unique d’accès aux prestations en lien avec le handicap7. Quant au versement de la prestation, il s’effectue via la caisse d’allocations familiales du lieu de résidence de l’allocataire (ou de la caisse de mutualité sociale agricole lorsque la personne relève d’un régime de protection sociale agricole)8.

Cette nouvelle prestation est composée d’une allocation de base, d’un montant unique (132,74 euros par mois depuis le 1er avril 2021), et d’un complément dont le montant est forfaitaire et sera calculé en fonction du niveau de handicap de l’enfant9. Pour prétendre à l’allocation de base et à son complément, l’enfant doit souffrir d’une incapacité permanente d’au moins 80 %, ou d’une incapacité comprise entre 50 et 79 % dès lors qu’il fréquente un certain type d’établissement ou lorsque son état exige le recours à un dispositif adapté ou d’accompagnement, ou des soins à domicile dans le cadre des mesures préconisées par la commission départementale de l’autonomie des personnes handicapées (exemples : classes spécialisées annexées à des établissements scolaires ordinaires, instituts médico-pédagogiques…).

L’objectif est de compenser une partie des frais générés par le handicap de l’enfant. C’est pourquoi, lorsque ce handicap entraîne des dépenses mensuelles importantes (non remboursées par la caisse primaire d’assurance maladie), et implique l’embauche d’une tierce personne ou conduit la personne qui s’occupe de l’enfant à réduire son activité professionnelle, un complément d’allocation d’éducation de l’enfant handicapé peut être alloué. Son montant sera différent selon le niveau de handicap de l’enfant. Ainsi, lorsque le niveau de handicap est de 1, le complément sera de 232,29 euros par mois (depuis le 1er avril 2021) alors que s’il s’agit du niveau 6, le complément s’élève à 1 126,42 euros par mois (depuis le 1er avril 2021). Il est à noter qu’une majoration peut être accordée dès lors que l’allocataire est en situation d’isolement (séparé, divorcé ou veuf) à condition que le handicap de l’enfant soit classé au moins en niveau 210. Ces prestations sont dues de la naissance de l’enfant jusqu’à ce qu’il ait atteint l’âge de vingt ans11, à moins que les conditions d’attribution ne soient plus remplies.

Depuis 200812, l’enfant handicapé peut également bénéficier de la prestation de compensation du handicap13, composée de cinq éléments cumulatifs. Lorsque l’allocataire perçoit l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé et son complément, il ne peut bénéficier que du troisième volet de la prestation de compensation du handicap (aménagement du domicile, du véhicule et surcoût lié aux transports). Il peut également conserver l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé de base et opter pour l’ensemble des volets de la prestation de compensation du handicap (soit en plus : l’aide humaine, les aides techniques, les dépenses exceptionnelles ou spécifiques et les aides animalières). En matière de prestation de compensation du handicap, le montant alloué dépend du plan d’aide déterminé par l’équipe pluridisciplinaire chargée de l’évaluation des besoins de l’enfant, placée auprès de la MDPH. Dans l’affaire soumise à la Cour de cassation, les parents de l’enfant handicapé bénéficiaient pour ce dernier de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé et de son complément. Pour la Cour de cassation, la nature de ces prestations justifie qu’elles ne soient pas déduites de l’indemnisation due par l’ONIAM au titre des frais d’assistance par tierce personne.

II – La nature de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé et de son complément

En 2014, la Cour de cassation avait considéré que l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé et son complément « revêtent un caractère indemnitaire dès lors qu’elles ne sont pas attribuées sous condition de ressources et que, fixées en fonction des besoins individualisés de l’enfant, elles réparent certains postes de préjudices indemnisables »14. Il est vrai que le montant du complément d’allocation d’éducation de l’enfant handicapé nécessite une évaluation de la situation de l’enfant handicapé et des conséquences du handicap, notamment sur l’embauche d’une tierce personne.

Pourtant, si l’on se réfère à l’article L. 511-1 du Code de la sécurité sociale, cette prestation à affectation spéciale figure bien au sein des prestations familiales. De plus, le montant versé, bien qu’il dépende du niveau de handicap de l’enfant, est forfaitaire et non individualisé. En outre, cette prestation sera attribuée à toute personne assumant la charge d’un enfant handicapé, indépendamment de l’origine du handicap, qu’il intervienne à la suite d’un accident, d’une maladie ou qu’il soit de naissance. C’est pourquoi la Cour régulatrice était revenue sur sa solution, considérant que cette prestation n’a pas pour objectif de réparer le préjudice subi et n’a donc pas de caractère indemnitaire15.

C’est cette position qui est réitérée cette fois par la première chambre civile de la Cour de cassation16. En quoi est-ce que cette qualification est importante ? Afin de savoir si cette prestation doit être imputée de l’indemnité que sera amené à verser l’ONIAM, argumentation défendue par l’organisme. En effet, selon l’article L. 1142-17 du Code de la santé publique, l’indemnisation due par l’ONIAM doit être effectuée « déduction faite des prestations énumérées à l’article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 et plus généralement des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d’autres débiteurs du chef du même préjudice ». Si les prestations dont il était question ne font pas partie de celles visées à l’article 29 de la loi précitée (dont font partie les sommes versées en remboursement des frais de traitement médical et de rééducation ou les salaires et accessoires du salaire maintenus par l’employeur pendant la période d’inactivité consécutive à l’événement qui a occasionné le dommage par exemple), il convenait donc de vérifier un éventuel caractère indemnitaire. En effet, si la victime a droit à la réparation intégrale de son préjudice, il ne s’agit pas pour elle de s’enrichir mais « d’être replacée dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu »17.

Avec cette décision, la Cour régulatrice semble donc entériner sa position quant à l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé et son complément en excluant leur caractère indemnitaire. Le montant perçu au titre de ces prestations viendra donc s’ajouter à l’indemnité versée par l’ONIAM. Il est intéressant de se demander si ce cumul aurait été également possible dans l’hypothèse où les parents de l’enfant auraient opté pour la prestation de compensation de handicap et non pour le complément de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé. Concernant cette prestation, si la Cour de cassation a admis, dans un premier temps, qu’elle ne présentait pas de caractère indemnitaire au motif que son montant est modulé en fonction des besoins et des ressources de chaque bénéficiaire18, elle est revenue dans un second temps sur sa position19, suivie par le Conseil d’État20.

À l’exact opposé de sa première analyse, la Cour régulatrice considère désormais que « la prestation de compensation du handicap constitue une prestation indemnitaire dès lors qu’elle n’est pas attribuée sous condition de ressources, et que, fixée en fonction des besoins individualisés de la victime d’un handicap, elle répare certains postes de préjudices indemnisables »21. En réalité, cette position est discutable. D’une part, le taux de prise en charge de la prestation de compensation du handicap peut dépendre des ressources en capital de son bénéficiaire22 et d’autre part, le montant octroyé au titre des différents volets de la prestation de compensation du handicap peut être plafonné (pour les aides techniques par exemple, le montant maximal alloué sera de 3 960 euros sur trois ans) ou octroyé sous forme de forfait (le « forfait cécité » est de 689 euros par mois)23. La décision commentée démontre également l’intérêt évident qu’auront les parents de l’enfant victime de conserver l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé et son complément et non d’opter pour la prestation de compensation du handicap.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. 1re civ., 2 juin 2021, n° 20-10995.
  • 2.
    CSS, art. L. 541-1 et s.
  • 3.
    Loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation : JO, 6 juill. 1985.
  • 4.
    Cass. 2e civ., 7 mars 2019, n° 17-25855 : Gaz. Pal. 21 mai 2019, n° 351v1, p. 22, note A. Guégan ; RTD civ. 2019, p. 344, obs. P. Jourdain.
  • 5.
    Loi n° 2005-102 du 11 février 2005, pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées : JO, 12 févr. 2005.
  • 6.
    Loi n° 75-534 du 30 juin 1975, d’orientation en faveur des personnes handicapées : JO, 1er juill. 1975.
  • 7.
    CSS, art. R. 541-3.
  • 8.
    CSS, art. L. 541-5.
  • 9.
    CSS, art. L. 541-1 et s.
  • 10.
    CSS, art. L. 541-4.
  • 11.
    Sauf si l’enfant n’est plus à la charge de ses parents et/ou qu’il perçoit lui-même l’allocation aux adultes handicapés (CSS, art. R. 541-4).
  • 12.
    Loi n° 2007-1786 du 19 décembre 2007, de financement de la sécurité sociale pour 2008 : JO, 21 déc. 2007.
  • 13.
    CASF, art. L. 245-1.
  • 14.
    Cass. 1re civ., 18 juin 2014, n° 12-35252 : Gaz. Pal. 14 oct. 2014, n° 195k9, p. 40, obs. F. Bibal ; RTD civ. 2015, p. 148, obs. P. Jourdain – De façon assez surprenante d’ailleurs, car l’allocation d’éducation spéciale avait été considérée comme dépourvue de caractère indemnitaire (Cass. crim., 29 oct. 2002, n° 01-87181 et Cass. 2e civ., 9 déc. 1999, n° 97-15133 : RDSS 2001, p. 145, note F. Monéger ; RTD civ. 2000, p. 300, obs. J. Hauser).
  • 15.
    Cass. 2e civ., 7 mars 2019, n° 17-25855 : Gaz. Pal. 21 mai 2019, n° 351v1, p. 22, note A. Guégan ; RTD civ. 2019, p. 344, obs. P. Jourdain – La Cour de cassation avait adopté la même position en matière d’allocation aux adultes handicapés considérant qu’il s’agit d’une prestation d’assistance dépourvue de caractère indemnitaire (Cass. 2e civ., 10 juill. 2008, n° 07-17424 : D. 2008, p. 2226).
  • 16.
    Cass. 1re civ., 2 juin 2021, n° 20-10995.
  • 17.
    Cass. 2e civ., 28 oct. 1954 : Bull. civ. II, n° 328 ; JCP 1955, II 8765, note R. Savatier ; RTD civ. 1955, p. 324, obs. H. Mazeaud et L. Mazeaud.
  • 18.
    Cass. 1re civ., 28 févr. 2013, n° 12-23706 : Gaz. Pal. 22 juin 2013, n° 135m7, p. 41, note M.-A. Ceccaldi.
  • 19.
    Cass. 1re civ., 16 mai 2013, n° 12-18093 : RTD civ. 2013, p. 621, obs. P. Jourdain – Cass. 1re civ., 13 févr. 2014, n° 12-23731 : Gaz. Pal. 27 mars 2014, n° 171c0, p. 14, note A. Bascoulergue.
  • 20.
    CE, 23 sept. 2013, n° 350799 : Gaz. Pal. 8 oct. 2013, n° 149a0, p. 25, note D. Tapinos.
  • 21.
    Attention néanmoins, la Cour de cassation a précisé qu’indépendamment de la nature indemnitaire de la prestation de compensation du handicap, il devra y avoir un cumul lorsque l’organisme payeur est un responsable, un assureur ou le fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO), faute de recours subrogatoire contre le responsable du dommage ; v. Cass. 2e civ., 2 juill. 2015, n° 14-19797 et Cass. crim., 1er sept. 2015, n° 14-82251 : RTD civ. 2015, p. 889, obs. P. Jourdain.
  • 22.
    CASF, art. L. 245-6.
  • 23.
    Arrêté du 18 juillet 2008, modifiant l’arrêté du 28 décembre 2005 modifié, fixant les tarifs des éléments de la prestation de compensation mentionnés aux 2°, 3°, 4° et 5° de l’article L. 245-3 du Code de l’action sociale et des familles : JO, 31 juill. 2008.
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