Principe de l’unicité de l’allocataire et allocation d’éducation de l’enfant handicapé

Publié le 21/03/2022
Enfant, handicap
LIGHTFIELD STUDIOS/AdobeStock

Dans cette décision, la première chambre civile de la Cour de cassation refuse le partage de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé entre les deux parents du mineur concerné par la prestation à la suite de leur séparation, conformément au principe d’unicité de l’allocataire.

Cass. 2e civ., 25 nov. 2021, no 19-25456

L’affaire soumise à la Cour de cassation1 porte sur la question du partage d’une prestation familiale, à savoir l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH), entre deux parents séparés. Pour rappel, c’est la loi du 11 février 20052 qui a substitué l’AEEH à l’allocation d’éducation spéciale, prestation qui avait vu le jour grâce à la loi de 19753, base de la législation contemporaine en faveur du handicap. Pour en bénéficier, la personne qui assume la charge permanente de l’enfant (souvent le parent) doit déposer un dossier auprès de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH), guichet unique d’accès aux prestations en lien avec le handicap4. L’objectif est de compenser une partie des frais générés par le handicap de l’enfant. Le versement de la prestation s’effectue via la caisse d’allocations familiales du lieu de résidence de l’allocataire (ou de la caisse de mutualité sociale agricole lorsque la personne relève d’un régime de protection sociale agricole)5. L’AEEH est composée d’une allocation de base, d’un montant unique (132,74 € par mois depuis le 1er avril 2021), et peut être assorti d’un complément dont le montant forfaitaire varie en fonction du niveau de handicap de l’enfant6 et, le cas échéant, d’une majoration parent isolé7. Ces prestations sont dues de la naissance de l’enfant jusqu’à ce qu’il ait atteint l’âge de 20 ans8, à moins que les conditions d’attribution ne soient plus remplies.

Dans cette affaire, la caisse d’allocations familiales de Paris avait refusé le partage de l’attribution de l’AEEH entre deux parents divorcés assumant tous les deux la charge effective et permanente du mineur en garde alternée au sens de l’article L. 521-2 du Code de la sécurité sociale. Le père de l’enfant forme alors un recours en justice ; la cour d’appel de Paris fait droit à sa demande se fondant sur l’article R. 521-2 du Code de la sécurité sociale. Pour elle, cet article qui permet, en cas de désaccord des parents sur la désignation d’un allocataire unique, d’octroyer à chacun la qualité d’allocataire devait s’appliquer à l’AEEH ; aux caisses d’allocations familiales concernées de mettre en œuvre le partage de l’AEEH et de ses compléments. La mère du mineur et la caisse d’allocations familiales de Paris se pourvoient en cassation. Pour elles, même si l’article L. 541-3 du Code de la sécurité sociale prévoit que les dispositions de l’article L. 521-2 du même code s’appliquent à l’AEEH, ce renvoi n’inclut pas le deuxième alinéa permettant un droit de partage entre les parents d’un enfant accueillant ce dernier en résidence alternée mise en œuvre de manière effective, ledit alinéa étant limité aux seules allocations familiales. La Cour régulatrice casse et annule l’arrêt d’appel, rappelant que bien que le principe d’unicité de l’allocataire posé pour les prestations familiales comporte des exceptions, l’AEEH ne fait pas partie de la liste de celles-ci.

Cet arrêt est l’occasion de rappeler la règle d’unicité de l’allocataire posée par le législateur (I), principe qui pourrait bien être amené à évoluer sous l’influence de la jurisprudence (II).

I – Le principe légal d’unicité de l’allocataire, obstacle au partage de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé en cas de résidence alternée

En vertu de l’article L. 513-1 du Code de la sécurité sociale, « les prestations familiales sont, sous réserve des règles particulières à chaque prestation, dues à la personne physique qui assume la charge effective et permanente de l’enfant ». Pour que l’enfant soit considéré à charge, l’allocataire doit assurer financièrement son entretien (nourriture, logement, vêtements) et assumer à son égard la responsabilité affective et éducative. Cette notion s’apprécie au regard des situations de fait, indépendamment du lien de parenté. Bien entendu, lorsque les parents de l’enfant sont en couple, quel que soit leur statut matrimonial (mariés, pacsés ou en concubinage), il serait tentant de dire que tous deux assument la charge effective et permanente de l’enfant. Cependant, comme le précise l’article R. 513-1 du Code de la sécurité sociale, « sous réserve des dispositions de l’article R.521-2, ce droit n’est reconnu qu’à une personne au titre d’un même enfant ». Il est vrai que cette règle facilite la gestion des dossiers par les caisses d’allocations familiales ; l’enfant devra être rattaché à un seul de ses parents au titre des prestations familiales. Cet article précise ensuite comment déterminer le parent en question : il s’agira de celui qui sera désigné d’un commun accord, sachant que ce droit d’option peut être exercé à tout moment et la décision ne peut être remise en cause qu’au bout d’un an, sauf changement de situation. Cette règle, au premier abord simple quant à sa mise en œuvre, peut poser des difficultés en cas de divorce, de séparation de corps, de rupture de pacs ou de cessation de la vie commune des parents. Les dispositions légales évoquent cette hypothèse et précisent que, si les deux parents ont la charge effective et permanente de l’enfant, l’allocataire sera celui chez qui vit l’enfant.

Toutefois, il n’est pas rare que des parents séparés obtiennent la résidence alternée de l’enfant. Comment alors articuler le principe d’unicité de l’allocataire et la réalité pratique ? Dans deux avis datés du 26 juin 20069, la Cour régulatrice avait précisé, d’une part, qu’il n’appartient pas au juge aux affaires familiales de procéder à la désignation du parent allocataire mais au tribunal des affaires de la sécurité sociale10, celui-ci ne pouvant que constater l’accord des parents sur cette désignation et, d’autre part, que « la règle de l’unicité de l’allocataire prévue à l’article R.513-1 du Code de la sécurité sociale ne s’oppose pas à ce que, lorsque la charge effective et permanente de l’enfant est partagée de manière égale entre les parents, en raison de la résidence alternée et de l’autorité parentale conjointe, le droit aux prestations familiales soit reconnu alternativement à chacun des parents en fonction de leur situation respective et des règles particulières à chaque prestation ». Prenant acte de ces avis, le législateur, par la loi de financement de la sécurité sociale pour 200711 et par un décret en date du 13 avril 200712, est venu assouplir le dispositif en place mais seulement pour les allocations familiales, pour les prestations familiales d’entretien de l’enfant. C’est ainsi que l’article L. 521-2 du Code de la sécurité sociale prévoit que s’il y a résidence alternée de l’enfant au domicile de chacun des parents et que celle-ci est mise en œuvre de manière effective, les parents désignent l’allocataire. Cependant, en cas de demande conjointe des parents ou si ces derniers sont en désaccord sur la désignation de l’allocataire (ce qui sera le cas en l’absence de demande conjointe lorsque les parents n’ont pas désigné d’allocataire unique13), un droit au partage des allocations familiales par moitié sera institué au profit de chacun des parents, à condition que chacun remplisse les conditions d’attribution de la prestation. Dans tous les cas, les modalités arrêtées ne pourront être modifiées qu’annuellement.

En ce qui concerne les autres prestations, même si dans ses avis, la Cour de cassation avait suggéré un droit aux prestations familiales alternatif à chacun des parents, la règle de l’unicité de l’allocataire prédomine14. Aussi, si les parents n’arrivent pas à trouver un accord, le droit reste ouvert pour l’ancien allocataire. Si aucun des parents n’était jusqu’alors allocataire, le droit sera ouvert à celui qui est désigné en premier en tant qu’allocataire. Le parent mécontent pourra toujours saisir la justice s’il souhaite que cette qualité lui soit reconnue. Ces règles légales n’apparaissent plus en adéquation avec les nouvelles configurations familiales. C’est pourquoi les hautes juridictions s’en éloignent, appelant le législateur à adapter le droit des prestations familiales aux évolutions sociétales.

II – L’appel jurisprudentiel à la remise en cause du principe de l’unicité de l’allocataire pour les prestations versées par la caisse d’allocations familiales

Comme le fait remarquer la Cour de cassation dans l’arrêt commenté, les textes instituant une dérogation quant au principe d’unicité de l’allocataire ne s’appliquent que pour les allocations familiales. En effet, même si l’article L. 541-3 du Code de la sécurité sociale prévoit que les règles de l’article L. 521-2 sont applicables à l’AEEH, le renvoi n’englobe pas les dispositions de l’alinéa 2 ajouté par la loi de financement de la sécurité sociale pour 200715 et du décret en date du 13 avril 200716, soit postérieurement à la création de l’AEEH17. Cependant, la Cour régulatrice a ajouté une phrase qui ne passe pas inaperçue : pour elle, « les règles particulières à l’AEEH et ses compléments (…) ne permettent pas leur attribution à chacun des parents de l’enfant en résidence alternée sans la modification ou l’adoption de dispositions relevant du domaine de la loi ou du règlement ». Par cette formulation, elle semble inviter le législateur à se pencher sur une réforme de cette prestation familiale. En effet, en l’état actuel du droit, la complexité de l’AEEH et surtout de ses compléments, dont le niveau dépend des dépenses mensuelles générées par le handicap (non remboursées par la caisse primaire d’assurance maladie), de l’embauche d’une tierce personne ou de la réduction de l’activité professionnelle du parent, entraînerait une gestion chaotique pour les agents de la caisse d’allocations familiales aboutissant sûrement à des incohérences.

Cette décision va au-delà de la position jusqu’ici adoptée par la haute juridiction civile qui semblait plutôt régler la problématique des enfants en résidence alternée par le biais de la reconnaissance de la qualité d’allocataire en alternance, notamment dans un arrêt de 201018 où il s’agissait de l’attribution de la prestation d’accueil du jeune enfant19.

Dans tous les cas, si la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, Sophie Cluzel, interrogée sur cette question, ne semble pas faire de ce sujet une priorité20, il est bien évident que le système actuel ne répond plus à la réalité des compositions familiales et peut aggraver les difficultés financières de parents confrontés au handicap de leur enfant. C’est d’ailleurs ce qu’avait fait remarquer la Défenseure des droits, Claire Hédon, dans l’affaire commentée, considérant d’ailleurs que les articles L. 513-1, L. 521-2 et L. 541-3 du Code de la sécurité sociale portent atteinte au principe d’égalité et à l’exigence de protection de l’intérêt supérieur des enfants, tous deux revêtus d’une valeur constitutionnelle21.

En ce qui concerne le principe d’unicité d’allocataire, la haute juridiction administrative a déjà été plus loin que la Cour de cassation. C’est ainsi que dans un arrêt daté du 21 juillet 201722, le Conseil d’État a clarifié les modalités de prise en compte des enfants en garde alternée pour le calcul de l’allocation personnalisée au logement. Faisant fi du principe de l’unicité de l’allocataire, c’est en combinant la dérogation prévue à l’article L. 521-2, alinéa 2, du Code de la sécurité sociale et les articles du Code de la construction et de l’habitation relatifs au mode de calcul de l’allocation personnalisée au logement, que les magistrats ont affirmé que les enfants en situation de résidence alternée doivent être regardés comme vivant habituellement au foyer de chacun de leurs deux parents et sont donc pris en compte pour le calcul de cette prestation sollicitée, le cas échéant, par chacun des deux parents. Néanmoins, chaque parent ne pourra prétendre à une aide déterminée sur cette base qu’au titre de la période cumulée pendant laquelle il accueille l’enfant à son domicile au cours de l’année. Il reviendra aux caisses d’allocations familiales de se débrouiller pour appliquer ce système entraînant de savants calculs, notamment quand la résidence alternée ne prévoit pas 50 % du temps chez chaque parent mais 30 % ou 40 % chez l’un, et 70 % ou 60 % chez l’autre. Réitérant sa position dans un arrêt du 19 mai 202123, le Conseil d’État a considéré que la règle de l’allocataire unique, fixée au premier alinéa de l’article R. 513-1 du Code de la sécurité sociale qui fait obstacle à ce qu’un parent bénéficiant d’une résidence alternée de son enfant mise en œuvre de manière effective et équivalente perçoive le complément du libre choix du mode de garde dès lors qu’il n’est pas cet allocataire unique, n’est pas applicable dès lors que les deux parents peuvent prétendre au bénéfice de cette prestation, que les règles particulières à cette prestation fixée par la loi n’y font pas obstacle et que l’attribution de cette prestation à chacun d’entre eux n’implique ni la modification, ni l’adoption de dispositions relevant du domaine de la loi. Là encore, il reviendra aux caisses d’allocations familiales d’appliquer la décision.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. 2e civ., 25 nov. 2021, n° 19-25456.
  • 2.
    L. n° 2005-102, 11 févr. 2005, pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées : JO, 12 févr. 2005.
  • 3.
    L. n° 75-534, 30 juin 1975, d’orientation en faveur des personnes handicapées : JO, 1er juill. 1975.
  • 4.
    CSS, art. R. 541-3.
  • 5.
    CSS, art. L. 541-5.
  • 6.
    CSS, art. L. 541-1 et s.
  • 7.
    CSS, art. L. 541-4.
  • 8.
    Sauf si l’enfant n’est plus à la charge de ses parents et/ou qu’il perçoit lui-même l’allocation aux adultes handicapés (CSS, art. R. 541-4).
  • 9.
    Cass., avis, 26 juin 2006, n° 06-00004 ; Cass., avis, 26 juin 2006, n° 06-00005 : Dr. famille 2006, comm. 179, p. 36, note A. Devers ; RDSS 2006, p. 945, note P.-Y. Verkindt.
  • 10.
    Depuis la réforme de la justice du XXIe siècle (L. n° 2016-1547, 18 nov. 2016, de modernisation de la justice du XXIème siècle : JO, 19 déc. 2016) et la disparition des tribunaux des affaires de la sécurité sociale, c’est le pôle social du tribunal judiciaire qui est devenu compétent en la matière.
  • 11.
    L. n° 2006-1640, 21 déc. 2006, de financement de la sécurité sociale pour 2007 : JO, 22 déc. 2006.
  • 12.
    D. n° 2007-550, 13 avr. 2007, relatif aux modalités de calcul et de partage des allocations familiales en cas de résidence alternée des enfants au domicile de chacun des parents et modifiant le code de la sécurité sociale : JO, 14 avr. 2007.
  • 13.
    CSS, art. R. 521-2.
  • 14.
    A. Devers, « L’accord des parents sur la désignation de l’allocataire des prestations familiales en cas de résidence alternée », Dr. famille 2009, comm. 133, p. 31.
  • 15.
    L. n° 2006-1640, 21 déc. 2006, de financement de la sécurité sociale pour 2007 : JO, 22 déc. 2006.
  • 16.
    D. n° 2007-550, 13 avr. 2007, relatif aux modalités de calcul et de partage des allocations familiales en cas de résidence alternée des enfants au domicile de chacun des parents et modifiant le code de la sécurité sociale : JO, 14 avr. 2007.
  • 17.
    L. n° 2005-102, 11 févr. 2005, pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées : JO, 12 févr. 2005.
  • 18.
    Cass. 2e civ., 3 juin 2010, n° 09-66445.
  • 19.
    CSS, art. L. 531-1.
  • 20.
    Rép. min., n° 1449S : JO Sénat, 10 mars 2021, S. Babary.
  • 21.
    Déf. Droits, 24 sept. 2020, n° 2020-188.
  • 22.
    CE, 21 juill. 2017, n° 398563 : JCP G 2017, doctr. 1141, 1951, note M. Rebourg.
  • 23.
    CE, 19 mai 2021, n° 435429.
X