L’insaisissabilité de la résidence principale à l’épreuve du divorce de l’entrepreneur individuel

Publié le 15/07/2022
Maison, saisie, couple, résidence, endettement
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La Cour de cassation apporte une précision inédite sur le champ d’application de l’insaisissabilité de la résidence principale dans son arrêt du 18 mai 2022. En effet, la haute juridiction considère que si l’entrepreneur individuel ne réside plus dans le logement familial, dont la jouissance exclusive a été attribuée à son conjoint dans le cadre d’une procédure de divorce pendante au moment de l’ouverture de la procédure collective, l’immeuble n’est plus insaisissable et fait partie du gage commun de tous ses créanciers. C’est une solution rigoureuse à l’encontre du conjoint du débiteur mais parfaitement justifiée. À bon entendeur, mieux vaut cohabiter en mauvais termes, au moins jusqu’à l’ouverture de la procédure d’insolvabilité, plutôt que de voir le précieux logement happé dans la procédure.

Cass. com., 18 mai 2022, no 20-22768

Près de 20 ans après l’institution de l’insaisissabilité de la résidence principale de l’entrepreneur individuel1, le contentieux est toujours aussi nourri, peut-être même plus depuis que l’insaisissabilité légale s’est substituée à la déclaration notariée d’insaisissabilité. En effet, là où seuls les entrepreneurs qui avaient procédé à une déclaration notariée d’insaisissabilité pouvaient entrer en conflit avec leurs créanciers, sont désormais potentiellement concernés tous les entrepreneurs individuels. Rappelons à cet égard qu’à compter du 8 août 20152, les droits de l’entrepreneur individuel sur sa résidence principale sont devenus automatiquement insaisissables par ses créanciers professionnels pour les dettes nées à l’occasion de son activité après l’entrée en vigueur de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

La raison de ce contentieux est simple : les réformes se sont succédé, le législateur a même élargi la possibilité de déclarer insaisissable tout type de bien foncier non professionnel, mais il ne s’est jamais préoccupé de l’articulation, pourtant nécessaire, de l’insaisissabilité avec le droit de l’insolvabilité. L’arrêt du 18 mai 2022 est une nouvelle illustration de la patiente édification jurisprudentielle du régime de l’insaisissabilité de la résidence principale de l’entrepreneur.

Dans cette affaire, un coiffeur avait été placé en redressement le 23 juin 2016 puis en liquidation judiciaire le 23 juin 2017. Celui-ci était propriétaire avec son épouse d’une maison d’habitation. Or, par une ordonnance du 9 juillet 2019, le juge-commissaire a autorisé le liquidateur à procéder à la vente aux enchères publiques de l’immeuble d’habitation. L’épouse du débiteur a fait appel de l’ordonnance du juge-commissaire, et a obtenu gain de cause. La cour d’appel déclare le liquidateur irrecevable en sa demande d’autorisation de faire procéder à la réalisation de la propriété du débiteur et de son épouse. À première vue, cette solution ne surprend pas. Un arrêt rendu par la Cour de cassation le 13 avril 20223 a confirmé qu’il suffit que certaines créances soient nées à raison de l’activité professionnelle après l’entrée en vigueur de la loi du 6 août 2015 pour que la résidence principale du débiteur soit exclue du gage commun des créanciers et, partant, ne puisse être appréhendée par la procédure collective. Mais, en l’espèce, un détail prenait beaucoup d’importance. Le débiteur était en instance de divorce et, bien avant l’ouverture de la procédure d’insolvabilité, le juge aux affaires familiales avait rendu une ordonnance de non-conciliation le 19 juillet 2010 et avait attribué la jouissance exclusive du logement familial à l’épouse.

Le liquidateur s’est pourvu en cassation. Il invoque avec succès le fait qu’au jour de l’ouverture du jugement d’insolvabilité en 2016, l’immeuble appartenant à la communauté, ne constituait plus la résidence principale de l’entrepreneur et qu’il était donc parfaitement saisissable. La Cour de cassation censure effectivement la cour d’appel en énonçant qu’il résulte de la combinaison des articles L. 526-1 du Code de commerce et 255, 3° et 4°, du Code civil que « lorsque, au cours de la procédure de divorce de deux époux dont l’un exerce une activité indépendante, le juge aux affaires familiales a ordonné leur résidence séparée et attribué au conjoint de l’entrepreneur la jouissance du logement familial, la résidence principale de l’entrepreneur, à l’égard duquel a été ouverte postérieurement une procédure collective, n’est plus située dans l’immeuble appartenant aux deux époux (…). Les droits qu’il détient sur ce bien ne sont donc plus de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l’occasion de son activité professionnelle ». Cette précision apportée par la Cour de cassation est inédite.

Il en résulte alors que l’immeuble est attrait dans la procédure collective du débiteur.

La solution est bien sévère pour le conjoint du débiteur mais elle est indiscutable (I). En revanche, elle soulève tout de même des questions (II).

I – Le logement familial attribué au conjoint de l’entrepreneur en cours de divorce n’est pas insaisissable : solution rigoureuse

La Cour de cassation s’est déjà prononcée plusieurs fois sur le sort de la résidence principale de l’entrepreneur alors qu’il était en instance de divorce et ciblé par une procédure d’insolvabilité. Ainsi, à propos d’un logement en indivision postcommunautaire après divorce, la haute juridiction avait jugé que le liquidateur n’avait pas qualité pour agir en partage et licitation de l’immeuble4.

Peu importe selon nous que le divorce soit prononcé avant ou après l’ouverture de la procédure collective dès lors que la communauté n’est pas liquidée au moment de l’ouverture de la procédure d’insolvabilité. De fait, l’immeuble étant hors procédure, la licitation et le partage s’opèrent comme s’il n’y avait pas de procédure collective5. Si le logement est vendu, le produit de la vente est partagé le cas échéant et la somme qui revient au débiteur reste insaisissable pendant un an jusqu’à un éventuel remploi de cette somme pour acquérir la résidence principale. Cependant, il ne faut pas oublier que le débiteur en procédure collective est dessaisi de ses droits. La protection n’est donc que temporaire. Parallèlement, si le bien est attribué au conjoint de l’entrepreneur, les créanciers n’ont aucun droit de suite et, s’il est attribué à l’entrepreneur, il reste insaisissable. On pourrait donc croire les époux parfaitement protégés. C’est la solution qu’avait fait prévaloir la cour d’appel en raisonnant en termes de droits sur l’immeuble. De fait, la décision judiciaire attribuant la jouissance exclusive de la résidence de la famille à l’épouse du débiteur est sans effet sur les droits du débiteur sur le bien. Il en reste propriétaire avec sa conjointe. La cour d’appel avait distingué jouissance et propriété du logement familial. Au jour de l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire puis de liquidation, le débiteur était toujours propriétaire avec son épouse du logement, lequel était toujours insaisissable. À vrai dire, la cour d’appel faisait prévaloir un objectif de protection du logement d’habitation sur la lettre du texte. Mais tel n’est pas le cas et la censure était inévitable.

La Cour de cassation retient une lecture stricte de l’article L. 526-1 du Code de commerce conforme à sa lettre et à son esprit. Ce texte prévoit expressément que les droits d’une personne physique qui exerce une activité professionnelle indépendante « sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale sont de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle de la personne ». A contrario, un immeuble, même non affecté à l’activité, où n’est pas fixée sa résidence principale n’est pas insaisissable de plein droit. Pour qu’il le soit, il faudrait qu’il ait fait l’objet d’une déclaration notariée d’insaisissabilité conformément à l’article L. 526-1, alinéa 2.

En outre, l’objectif de l’article L. 526-1 du Code de commerce est de protéger l’entrepreneur individuel et non sa famille, à la différence notamment de l’article 215, alinéa 3, du Code civil qui interdit à un époux seul de disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille sous peine de nullité de l’acte à la demande du conjoint non consentant. D’ailleurs, s’agissant de ce dernier texte, la Cour de cassation considère qu’il s’oppose à une demande d’un créancier fondée sur l’article 815 du Code civil pour obtenir le partage d’un bien indivis par lequel est assuré le logement de la famille6.

Dans l’affaire commentée, avant l’ouverture de la procédure collective, l’immeuble litigieux n’était plus la résidence principale de l’entrepreneur. Celui-ci avait fixé sa résidence ailleurs et autant ses droits sur cette nouvelle résidence étaient effectivement insaisissables, autant ceux qu’il détenait sur l’immeuble dans lequel son conjoint résidait ne l’étaient pas. Cet immeuble rentre alors dans le gage commun des créanciers et le liquidateur est donc tout à fait recevable à agir en licitation et partage.

La solution n’est pas critiquable sur le plan juridique, mais elle soulève quelques questions.

II – Les questions soulevées par la solution

À la lecture de l’arrêt, il ne fait aucun doute que tant que l’entrepreneur habite effectivement dans l’immeuble, ce dernier demeure insaisissable. Il faut donc recommander à l’entrepreneur en procédure collective de s’organiser en conséquence le temps de l’instance en divorce jusqu’à la liquidation de ses intérêts matrimoniaux. Les conjoints ont sans doute envie de se séparer mais force est de constater que si l’épouse avait fait preuve de patience, elle se serait prémunie contre l’action du liquidateur.

Néanmoins, une question se pose. Ici, la résidence séparée a été imposée en 2010, de sorte qu’au jour de l’ouverture de la procédure, l’immeuble litigieux ne constituait plus la résidence principale du débiteur. Quelle aurait été la position de la Cour de cassation si l’ordonnance du juge aux affaires familiales attribuant la jouissance du logement à l’épouse était intervenue après l’ouverture de la procédure d’insolvabilité mais avant la demande en licitation ?

Si l’on se fonde sur l’effet réel de la procédure collective, le patrimoine du débiteur est figé au jour du jugement d’ouverture de la procédure. D’ailleurs, cet effet réel a pour conséquence la règle du dessaisissement qui protège les créanciers contre les velléités du débiteur failli de soustraire des biens au périmètre de la procédure7.

Ainsi, c’est au jour du jugement d’ouverture de la procédure que la Cour de cassation s’est placée pour trancher la question de savoir si, en application de l’article L. 526-1 tel que modifié par la loi du 6 août 2015, l’immeuble faisant office de résidence principale de l’entrepreneur est insaisissable ou non. En effet, dans un arrêt rendu en mai 20198, le débiteur avait été l’objet d’une procédure de redressement judiciaire ouverte le 9 juin 2015 et par une ordonnance du 9 novembre 2016, le juge-commissaire avait ordonné la vente aux enchères publiques de la résidence principale du débiteur, laquelle était la propriété commune du débiteur et son épouse. Le débiteur avait contesté cette décision au motif que depuis le 8 août 2015, sa résidence principale était devenue de plein droit insaisissable. Or, selon la Cour de cassation, pour appliquer la loi rendant insaisissable la résidence principale, la procédure collective doit avoir été ouverte après l’entrée en vigueur de la loi car l’ouverture de la procédure « réunit les créanciers en une collectivité, [et] emporte, dès ce moment, appréhension de l’immeuble dans leur gage commun ». Il s’ensuit donc que le gage commun est défini au jour de l’ouverture de la procédure collective à l’égard du débiteur.

Par conséquent, un bien saisissable au jour de l’ouverture reste saisissable ; en revanche, un bien insaisissable au jour de l’ouverture le demeure tout le temps de la procédure.

Cela nous conduit à plaindre le conjoint de notre coiffeur car c’est un mauvais « timing » qui est la source de son malheur ! Il aurait suffi que l’ordonnance fixant la résidence séparée intervienne après le jugement d’ouverture pour que le logement reste insaisissable.

Parallèlement, bien que la solution ne soit pas critiquable, il n’en reste pas moins que la résidence principale est moins protégée qu’une résidence secondaire qui aurait fait l’objet d’une déclaration d’insaisissabilité. Assurément, il suffit qu’un bien foncier, même non bâti, ne soit pas affecté à l’activité pour qu’il puisse faire l’objet d’une déclaration notariée d’insaisissabilité9. Peu importe qui a la jouissance effective de ce bien. Ce bien restera insaisissable pendant toute la durée de la procédure et, en cas de divorce, le partage pourra avoir lieu sans tenir compte de la procédure collective. Toutefois, dans un tel cas, le produit de la vente de la résidence secondaire qui reviendrait à l’entrepreneur ne serait plus insaisissable.

En clair, divorce et procédure collective ne sont pas inconciliables mais mieux vaut réfléchir à deux fois.

Notes de bas de pages

  • 1.
    L. n° 2003-721, 1er août 2003, pour l’initiative économique : JO, 5 août 2003 ; C. com., art. L. 526-1 et s.
  • 2.
    L. n° 2015-990, 6 août 2015, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques : JO, 7 août 2015 ; L. Firley, « La résidence principale de l’entrepreneur individuel et la loi Macron : insaisissabilité ou saisissabilité légale ? », LPA 9 juin 2016, n° LPA116v9 ; V. Legrand, « L’insaisissabilité de la résidence principale : le cadeau empoisonné de la loi Macron ? », LPA 9 sept. 2015, p. 6.
  • 3.
    Cass. com., 13 avr. 2022, n° 20-23165 : P.-M. Le Corre, « Provoquer le partage de l’immeuble indivis insaisissable de droit : l’essentiel des créanciers ayant conservé le droit de saisir, ce n’est pas la totalité ! », Lexbase Hebdo avr. 2022, n° 714, éd. Affaires ; V. Legrand, Actu-Juridique.fr, à paraître.
  • 4.
    Cass. com., 14 mars 2018, n° 16-27302 : BJE mai 2018, n° BJE115w3, V. Legrand ; D. 2018, p. 1240, A. Rabreau ; JCP N 2018, 1241, C. Lebel.
  • 5.
    En ce sens, P. Roussel Galle, « Insaisissabilité légale et divorce après l'ouverture de la procédure », Act. proc. coll. 2019, repère 221.
  • 6.
    Cass. 1re civ., 3 avr. 2019, n° 18-15177 : GPL 30 juill. 2019, n° GPL358g8, note A. Lelouvier.
  • 7.
    M. Sénéchal, « L’effet réel de la procédure collective », BJE mars 2014, n° BJE110y0.
  • 8.
    Cass. com., 29 mai 2019, n° 18-16097 : Rev. sociétés 2019, p. 557, note L.-C. Henry.
  • 9.
    C. com., art. L. 526-1, al. 2.
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