Opposabilité de la déclaration notariée au liquidateur : suite et fin ?
Après l’arrêt du 5 avril 2016 qui a proclamé le droit pour les créanciers auxquels la déclaration d’insaisissabilité est inopposable de saisir l’immeuble qui en a fait l’objet, aux fins de vente forcée, un nouveau coup de boutoir est porté à la « forteresse de l’insaisissabilité ». L’arrêt du 15 novembre dernier vient de consacrer le droit du liquidateur à agir en inopposabilité de la déclaration d’insaisissabilité. La portée de l’arrêt, présenté par la Cour de cassation comme un revirement, reste cependant à relativiser dans la perspective de la mise en œuvre de l’insaisissabilité de droit de la résidence de l’entrepreneur telle qu’elle résulte de la loi du 6 août 2015.
Cass. com., 15 nov. 2016, no 14-26287, FS–PBI
La loi sur l’initiative économique du 2 août 2003 a instauré la déclaration notariée d’insaisissabilité pour permettre à l’entrepreneur individuel de rendre sa résidence principale insaisissable par ses créanciers professionnels dont les droits naissent après la publication de la déclaration notariée d’insaisissabilité. Le dispositif, codifié aux articles L. 526-1 et suivants du Code de commerce a été élargi par la loi LME du 4 août 2008, à tout bien foncier bâti ou non, dès lors qu’il n’est pas affecté à l’activité professionnelle. Quant à la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques du 6 août 20151, elle a instauré une insaisissabilité automatique de la résidence principale de l’entrepreneur individuel, personne physique, mais le législateur n’a pas saisi l’occasion de régler une fois pour toutes le sort de l’insaisissabilité en cas de procédure collective2, préférant laisser œuvrer la jurisprudence.
Peu à peu, les arrêts de la Cour de cassation lèvent le voile sur l’étendue de la protection offerte à l’entrepreneur individuel par la déclaration d’insaisissabilité. Aussi sont-ils toujours reçus avec beaucoup d’intérêt et le dernier en date du 18 novembre 2016 ne fait pas exception d’autant plus qu’il est présenté comme un arrêt de revirement et qu’il est destiné à une large diffusion puisqu’il est publié sur le site de la Cour de cassation et qu’il est promis au Bulletin.
En l’espèce, une commerçante avait effectué une déclaration notariée d’insaisissabilité pour protéger sa résidence familiale. Cette déclaration avait fait l’objet d’une publicité auprès des services de la publicité foncière le 18 octobre 2010. En revanche, il n’avait pas été procédé aux mesures de publicité auprès du registre du commerce et des sociétés. En mars 2011, la commerçante a été mise en liquidation judiciaire et, le liquidateur, arguant du défaut de publicité au RCS, a agi en inopposabilité de la déclaration d’insaisissabilité afin de pouvoir procéder à la licitation de l’immeuble.
À ce stade, il est important de rappeler que dans un arrêt du 13 mars 20123, à l’occasion d’une affaire dans laquelle un entrepreneur soumis à une double immatriculation (au RM et au RCS) n’avait publié sa déclaration d’insaisissabilité qu’à l’un des registres, la Cour de cassation avait affirmé que le liquidateur n’avait pas qualité à agir en inopposabilité de ladite déclaration. Elle avait motivé sa décision sur la règle selon laquelle le liquidateur ne peut agir que dans l’intérêt de tous les créanciers et non dans l’intérêt d’un groupe de créanciers, or, la déclaration notariée d’insaisissabilité n’ayant d’effet « qu’à l’égard des créanciers dont les droits naissent postérieurement à sa publication, à l’occasion de l’activité professionnelle du déclarant », le liquidateur n’a donc « pas qualité pour agir, dans l’intérêt de ces seuls créanciers, en inopposabilité de la déclaration d’insaisissabilité ». En définitive, la haute juridiction avait indiqué que « l’intérêt collectif des créanciers ne résulte pas de l’irrégularité de la publicité de la déclaration d’insaisissabilité ».
Dans l’affaire sous commentaire, c’est sur ce principe que les juges du fond s’étaient fondés pour déclarer la demande du liquidateur irrecevable, or, leur décision est censurée par la Cour de cassation au visa des articles L. 526-1 et L. 526-2 du Code de commerce. Celle-ci expose l’importance de revenir sur la solution qu’elle avait consacrée en 2012, surtout au regard de « la protection et la reconstitution du gage commun des créanciers ».
Toujours est-il que la lecture de cet arrêt laisse perplexe quant à la portée de la solution qu’il pose comme un revirement de jurisprudence. Au regard des particularités de l’affaire qui avait donné lieu à l’arrêt du 13 mars 2012, on ne peut s’empêcher de se demander si l’arrêt du 15 novembre 2016 est un véritable revirement (I). Une deuxième interrogation s’impose alors sur la portée de cette décision sur la situation du déclarant (II).
I – L’arrêt du 15 novembre 2016 consacre-t-il un véritable revirement de jurisprudence ?
La Cour de cassation rappelle fort justement que « les organes de la procédure collective [ont] qualité à agir pour la protection et la reconstitution du gage commun des créanciers »4 – gage commun qui se définit comme « le gage que partagent tous les créanciers »5. Or la déclaration d’insaisissabilité a justement pour objectif de soustraire l’immeuble qui en fait l’objet au droit de gage des créanciers professionnels dont la créance est née postérieurement aux mesures de publicité de ladite déclaration. Dès lors cela signifie que l’immeuble est seulement dans l’assiette du droit de gage général des créanciers domestiques et des créanciers professionnels dont les droits sont nés avant la publicité de la déclaration d’insaisissabilité. Dans ces conditions, l’immeuble est exclu du gage commun de l’ensemble des créanciers et il échappe à l’effet réel de la procédure6. Il s’ensuit que le liquidateur n’a pas qualité à agir pour vendre l’immeuble.
Mais quid si la déclaration d’insaisissabilité est irrégulièrement publiée ?
Certes, l’arrêt du 13 mars 2012, cité en l’espèce par la Cour de cassation pour le contredire, avait déclaré que le liquidateur n’avait pas qualité à agir en inopposabilité de la déclaration d’insaisissabilité car, ce faisant, il ne représentait pas l’intérêt collectif des créanciers. Mais les circonstances de cette affaire étaient très particulières. La déclaration notariée avait été publiée régulièrement au répertoire des métiers au titre de l’activité artisanale du débiteur mais, elle n’avait pas fait l’objet d’une publicité au RCS au titre de son activité commerciale. Par conséquent, si le liquidateur avait pu agir en inopposabilité de la déclaration pour défaut de publicité au RCS, il n’en restait pas moins qu’elle était toujours opposable aux créanciers professionnels de l’activité artisanale dont les droits étaient nés après sa publication au RM. Le liquidateur aurait donc seulement réintégré l’immeuble dans l’assiette du droit de gage général des créanciers de l’activité commerciale pour les créances nées après la déclaration et partant il n’œuvrait pas dans l’intérêt de la communauté des créanciers mais seulement d’une catégorie d’entre eux.
En revanche, toute autre est la situation qui a donné lieu à l’arrêt du 15 novembre 2016. En effet, ici il n’y a eu aucune publicité. La déclaration d’insaisissabilité est donc irrégulière et ne produit aucun effet à l’égard des créanciers, quels qu’ils soient7. Dès lors, admettre que le liquidateur peut agir en inopposabilité de cette déclaration paraît tout à fait légitime car, une fois que la déclaration est jugée inopposable, l’immeuble se retrouve dans l’assiette du gage de tous les créanciers. On défend bien la collectivité des créanciers. Mais il n’y a aucune incompatibilité entre cette solution et celle retenue par l’arrêt du 13 mars 2012 et on ne comprend pas pourquoi la Cour de cassation affirme ici un revirement de jurisprudence.
Cela le serait si l’arrêt de 2012 devait être compris comme ayant posé un principe de portée générale qui interdisait au liquidateur d’agir en inopposabilité d’une déclaration d’insaisissabilité en toute hypothèse, dès lors que seuls les créanciers professionnels ont intérêt à ce que la déclaration soit inopposable. Mais une telle interprétation avait été rejetée par certains auteurs8 au motif qu’une déclaration d’insaisissabilité n’ayant pas fait l’objet d’une publicité régulière serait inopposable à tous les créanciers et le liquidateur représenterait alors une collectivité de créanciers qui a le droit de saisir l’immeuble.
Si la Cour de cassation a réellement consacré un revirement par rapport à 2012, cela voudrait dire que dans l’hypothèse où le débiteur est pluri-actif, et que la déclaration d’insaisissabilité n’a été publiée que sur l’un des registres professionnels auxquels le débiteur est inscrit, le liquidateur pourrait agir en inopposabilité. Ce qui nous gêne c’est que, en toute logique, la qualité à agir en inopposabilité sous-tend la qualité à agir en licitation de l’immeuble. Or dans un tel cas le produit de la vente ne pourrait être réparti qu’entre les créanciers auxquels l’insaisissabilité est inopposable. Il n’y a qu’un pas pour revenir aux solutions antérieures à l’arrêt du 28 juin 20119 consacrées par certaines juridictions du fond qui admettaient la possibilité pour le liquidateur de vendre l’immeuble insaisissable et de répartir le prix de vente entre les créanciers auxquels la déclaration d’insaisissabilité était inopposable10.
Toutefois, cela ne nous semble pas raisonnable au regard des évolutions récentes. Précisément, le 5 avril 201611, la Cour de cassation a affirmé le droit des créanciers auxquels l’insaisissabilité de l’immeuble du débiteur est inopposable, de procéder à la vente de l’immeuble sans devoir solliciter l’autorisation du juge commissaire.
Est-ce à dire qu’il faut en conclure que le droit d’agir en inopposabilité pour publicité irrégulière et le droit d’agir en licitation de l’immeuble insaisissable sont deux questions bien distinctes ? Ainsi à supposer que l’arrêt sous commentaire soit un vrai revirement, cela signifierait que dans une hypothèse semblable à celle de 2012, on devrait admettre la possibilité du liquidateur d’agir en inopposabilité mais pour autant, il reviendrait aux créanciers auxquels l’insaisissabilité est inopposable d’agir en dehors de la procédure pour faire vendre l’immeuble dans les conditions du droit commun. Pourquoi le liquidateur perdrait-il du temps pour un tel résultat ?
Cela nous fait douter de la pertinence de l’affirmation de la Cour de cassation d’un revirement par rapport à son arrêt du 13 mars 2012.
D’un autre côté, si ce n’est pas le liquidateur qui peut agir en inopposabilité d’une déclaration d’inopposabilité, qui le pourrait ?
Quoi qu’il en soit la portée de la solution qui vient d’être consacrée doit être relativisée à l’égard du débiteur pour l’avenir.
II – Quelles sont les conséquences pour le débiteur ?
La déclaration non publiée n’est pas opposable au liquidateur et par conséquent l’immeuble se retrouve attrait dans la procédure collective ouverte contre le déclarant. On peine à comprendre comment le débiteur a pu oublier de procéder à la publication de sa déclaration d’insaisissabilité au registre du commerce et des sociétés. En effet, c’est plutôt au notaire qu’il revient de procéder aux mesures de publicité car en tant que rédacteur d’acte, il est tenu de s’assurer de la validité et de l’efficacité technique et pratique des actes qu’il instrumente. Dès lors, sauf décharge écrite de son client, le notaire aurait dû procéder à la publication de façon à conférer à la déclaration d’insaisissabilité sa pleine efficacité. Si tel n’est pas le cas, le notaire est susceptible d’engager sa responsabilité envers son client.
Quoi qu’il en soit, pour l’avenir, s’agissant de la résidence principale de l’entrepreneur, tout du moins, on sait que l’article L. 526-1 du Code de commerce dispose désormais12 que « par dérogation aux article 2284 et 2285 du Code civil, les droits d’une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle ou indépendante, sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale, sont de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle ». Dans le silence de la loi on suppose que la protection est efficace et opposable aux créanciers professionnels à compter de l’immatriculation de l’intéressé13. Dès lors, il n’y aurait guère que dans l’hypothèse où le débiteur est un commerçant de fait qui ne s’est pas immatriculé que la question de l’insaisissabilité de sa résidence principale pourrait se poser… Mais il ne semble pas douteux que l’immatriculation est à la fois la condition pour jouir de l’insaisissabilité de son logement familial et opposer cette insaisissabilité aux créanciers professionnels.
En revanche, s’agissant des autres biens fonciers non professionnels de l’entrepreneur individuel, la déclaration notariée reste de mise puisque en dépit d’une tentative du Sénat pour supprimer la déclaration notariée d’insaisissabilité14, la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle du 18 novembre 2016 n’a pas repris cette proposition. Il conviendra donc d’être vigilant quant aux mesures de publicité et prévoir une double publicité en cas de pluriactivité.
Quoi qu’il en soit, l’insaisissabilité ainsi consacrée ne protège l’entrepreneur que contre les organes de la procédure collective mais, non contre ses créanciers domestiques qui conserveront le droit de saisir l’immeuble hors procédure collective15.
Dès lors, se pose la question de l’opportunité de se tourner vers le statut de l’EIRL comme une alternative plus sûre. De fait, lorsque l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée est en difficulté et qu’une procédure collective est ouverte, seul son patrimoine affecté est concerné. Par conséquent, le débiteur est soumis à la discipline de la procédure et notamment à l’interdiction des paiements, uniquement au titre de son patrimoine affecté. Cela signifie qu’il reste totalement maître de son patrimoine domestique dans lequel figure sa résidence familiale. Ce qui implique que tant qu’il (ou son conjoint) pourra continuer à payer les créanciers domestiques il ne risque rien. Et ensuite, si la perte des revenus professionnels contamine la sphère domestique le débiteur pourra encore solliciter une procédure de surendettement16.
Il semble donc qu’il soit plus que jamais temps de s’interroger à nouveau sur l’opportunité d’adopter le statut d’EIRL.
Notes de bas de pages
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1.
L. n° 2015-990, 6 août 2015, art. 206, dite loi Macron.
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2.
Sur le nouveau régime mis en place : Legrand V., « Le projet de loi pour la croissance et l’activité, et la promesse de l’insaisissabilité de la résidence principale de l’entrepreneur individuel », LPA 12 mars 2015, p. 4 et « L’insaisissabilité de la résidence principale : le cadeau empoisonné de la loi Macron ? », LPA 9 sept. 2015, p. 7.
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3.
Cass. com., 13 mars 2012, n° 11-15428 : D. 2012, p. 1460, Marmoz F. ; LPA 3 mai 2012, p. 5, Legrand V. ; RD bancaire et fin. mai 2012, comm. n° 91, Piédelièvre S.
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4.
La Cour de cassation cite à cet effet cet arrêt Cass. com., 2 juin 2015, n° 13-24714 : Bull. civ. IV, n° 54.
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5.
Le Corre P.-M., « Recevabilité des demandes du liquidateur en matière de déclaration notariée d’insaisissabilité- le sublime tango de la Cour de cassation : mises au point et nouveaux doutes », JCP E 2012 ,1325.
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6.
En ce sens, Cass. com., 13 mars 2013, n° 10-27087 : LPA 3 mai 2012, p. 5, Legrand V.
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7.
C. com., art. L. 526-2; a contrario.
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8.
Le Corre J.-M., op. cit., note n° 5.
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9.
Cass. com., 28 juin 2011, n° 10-15482 : D. 2011, p. 1751, obs. Lienhard A. et D. 2011, p. 2485, Legrand V. ; LPA 23 nov. 2011, p. 5, note Reille F. ; JCP E 2011, 1551, Pétel P.
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10.
CA Orléans, 15 mai 2008 : Juris-Data n° 2008-367848 ; JCP E 2009, 1008, n° 9, obs. Pétel P.
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11.
Cass. com., 5 avr. 2016, n° 14-24640 : BJE juill. 2016, n° 113p8, p. 257, note Legrand V.; Gaz. Pal 28 juin 2016, n° 269p0, p. 54, note Le Corre P.-M.
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12.
C. com., art. L. 526-1 issu de L. n° 2015-990, 6 août 2015, art. 206.
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13.
Legrand V., « Insaisissabilité de la résidence principale : le cadeau empoisonné de la loi Macron ? », LPA 9 sept. 2015, p. 4.
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14.
Legrand V., « Faut-il supprimer la déclaration notariée d’insaisissabilité ? », D. 2015, p. 2387.
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15.
Cass. com., 5 avr. 2016, n° 14-24640, préc.
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16.
C. consom., art. L.711-7.