Retour sur les conditions d’application de l’article 1387-1 du Code civil

Publié le 29/10/2018

Du fait de son laconisme et son imprécision, l’article 1387-1 du Code civil qui permet au juge, en cas de divorce, de transférer la charge exclusive du passif de l’entreprise sur la tête du conjoint qui conserve le patrimoine professionnel n’a pas fini d’interroger quant à son domaine d’application et ses effets.

Jusqu’alors seules les juridictions du fond avaient eu à connaître du contentieux généré par ce texte. La Cour de cassation vient de rendre le premier arrêt sur le fondement de l’article 1387-1 du Code civil ; lequel permet de revenir sur ses conditions d’application.

Cass. com., 5 sept. 2018, no 17-23120, FS–PB

La loi du 2 août 2005 sur les petites et moyennes entreprises1 a introduit dans le Code civil un article 1387-1 selon lequel « lorsque le divorce est prononcé, si des dettes ou sûretés ont été consenties par les époux solidairement ou séparément, dans le cadre de la gestion d’une entreprise, le tribunal de grande instance peut décider d’en faire supporter la charge exclusive au conjoint qui conserve le patrimoine professionnel ou, à défaut, la qualification professionnelle ayant servi de fondement à l’entreprise ».

Ce texte, né à la faveur d’un amendement au titre III de la loi de 2005 consacré au conjoint collaborateur, salarié ou associé, a fait l’objet de virulentes critiques. On l’a accusé de porter atteinte au principe de la force obligatoire des contrats, de bouleverser les règles de liquidation des régimes matrimoniaux, d’attenter au crédit des entreprises, voire d’être inefficace pour protéger le conjoint du chef d’entreprise2. À tel point que certains ont même souhaité son abrogation3.

Quoi qu’il en soit, 13 ans après, la Cour de cassation vient de rendre le premier arrêt fondé sur l’article 1387-1 qui est toujours présent dans le Code civil en tête des dispositions générales du titre V, relatif au contrat de mariage et aux régimes matrimoniaux.

Il s’agit sans doute du premier d’une longue série car il faut bien le reconnaître, la piètre qualité rédactionnelle du texte empêche une interprétation unanime.

D’abord, la doctrine s’est divisée sur la question de ses effets.

Deux thèses peuvent être soutenues. Soit le texte concerne l’obligation aux dettes, soit il affecte seulement la contribution à la dette.

D’une part, on pourrait effectivement considérer que l’article 1387-1 du Code civil autorise le juge à libérer le conjoint divorcé du chef d’entreprise du passif de l’entreprise. Cela n’est pas sans rappeler l’article 1415 du Code civil en matière de cautionnement ou de dettes d’emprunt contractés par un conjoint sans le consentement de l’autre, qui prévoit alors que seuls les biens de celui qui a contracté sont engagés vis-à-vis des créanciers. Ce qui modifie bien l’obligation à la dette4. En outre, si le texte n’était qu’une dérogation aux règles de la liquidation des régimes matrimoniaux dans la répartition de la charge de la dette entre époux, il aurait dû figurer après l’article 1490 du Code civil5 et non pas en tête des dispositions générales sur les régimes matrimoniaux.

Cependant, d’autre part, si on replace le texte dans le contexte de la loi en faveur des PME dont l’un des objectifs était de favoriser le crédit, on ne peut pas l’interpréter dans un sens attentatoire aux droits des créanciers. S’il constitue une exception à la force des engagements juridiques, il convient de l’interpréter strictement et considérer qu’il ne produit aucun effet à l’encontre des tiers6.

C’est ainsi que le tribunal de grande instance d’Évreux a jugé en 20067 que l’article 1387-1 du Code civil permet juste « que la contribution finale à la dette sera finalement supportée par le conjoint qui conserve le patrimoine professionnel ou la qualification professionnelle ayant servi de fondement à l’entreprise », substituant l’expression « contribution finale » à la lettre du texte « charge exclusive ».

Cette interprétation reste évidemment à confirmer mais ce n’était pas le problème posé devant la Cour de cassation dans l’espèce sous commentaire. Il s’agissait ici de la seconde question qui a rendu la doctrine tout aussi perplexe, à savoir les conditions d’application du texte. Or la façon dont on appréhende le domaine du texte est lui aussi susceptible d’influencer sa lecture quant à ses effets8.

Toujours est-il que le juge « peut » transférer judiciairement certaines dettes conjugales nées dans le cadre de l’entreprise sur la tête de l’ex-conjoint qui a conservé le patrimoine professionnel. Ce qui signifie que le juge apprécie souverainement les conditions d’application de l’article 1387-1 du Code civil et que la Cour de cassation contrôlera l’existence de sa motivation mais non sa pertinence. Cette remarque doit donc nous inciter à la prudence quant à l’interprétation de son arrêt du 5 septembre 2018.

En l’espèce, un couple marié en 1985 sous le régime légal avait acquis un fonds de commerce exploité par le mari sous la forme d’une entreprise individuelle, l’épouse ayant opté pour le statut de conjoint collaborateur. Après le prononcé de leur divorce, le couple n’a pas réussi à s’entendre pour liquider les intérêts patrimoniaux et les juges ont décidé que l’ex-époux supporterait la totalité du passif de l’entreprise.

Celui-ci conteste cette décision qu’il estime non motivée. La Cour de cassation contrôle donc l’existence des motifs à l’appui desquels la cour d’appel a condamné l’ex-mari.

En d’autres termes, la Cour de cassation était amenée à s’assurer que la cour d’appel avait vérifié l’existence des conditions d’application du texte.

Or, force est de constater les motifs relevés par la Cour de cassation concernent bien les deux conditions objectives requises par le texte (I), à savoir l’existence de dettes nées dans le cadre de la gestion de l’entreprise et la conservation des biens professionnels par le conjoint sur la tête duquel la charge du passif est transférée, ce qui suffisait donc à rejeter le pourvoi. Mais la haute juridiction prend également soin de relever les autres motifs des juges du fond qui traduisent un comportement imprudent du mari, ce qui tendrait à ajouter au texte une condition subjective quant au comportement du défendeur si la Cour de cassation devait confirmer cette analyse par la suite (II).

I – Retour sur les conditions requises par l’article 1387-1 du Code civil

Mis à part le prononcé du divorce des époux9, l’application de l’article 1387-1 du Code civil est subordonnée à deux conditions objectives :

  • La conservation par un époux du patrimoine professionnel ou de la qualification professionnelle. Cette seconde hypothèse concerne la situation dans laquelle l’exploitation de l’entreprise nécessite l’obtention d’un diplôme, comme c’est le cas pour l’exploitation d’une pharmacie.

  • L’existence de dettes ou sûretés, consenties par les époux, solidairement ou séparément, dans le cadre de la gestion de l’entreprise.

S’agissant de la première condition, elle a pu être discutée car souvent, l’application du texte est demandée alors que l’ex-époux est en procédure collective, ou bien que son entreprise a fait l’objet d’une liquidation judiciaire. Or, dans ce cas, le conjoint ne conserve rien de l’activité qui a généré la dette. Cette critique n’est pas toujours valable. Chaque fois que l’activité nécessitait un diplôme ou une qualification spécifique, on pourra considérer que l’époux qui a conservé cette qualification peut se voir condamné sur le fondement de l’article 1387-1 du Code civil alors que l’entreprise peut avoir été liquidée.

Cela dit, certaines juridictions du fond ont refusé de faire application à ce texte parce que l’ex-époux avait fait l’objet d’une procédure collective10. On peut discuter cette approche car au cours des débats qui ont précédé l’adoption du texte, l’intention des parlementaires était de protéger l’ex-conjoint du chef d’entreprise qui avait cautionné les dettes professionnelles de ce dernier et qui était appelé en garantie à la suite de la liquidation judiciaire de l’entreprise11.

Et, en définitive, cela revient à ajouter au texte une condition qui n’y figure pas expressément. En effet, la situation patrimoniale de l’époux chef d’entreprise n’est pas prise en compte par le texte, dès lors peu importe que sa situation financière soit altérée, ou qu’il fasse l’objet d’une procédure d’insolvabilité12.

En l’espèce, la cour d’appel s’était contentée de noter que le patrimoine professionnel de l’entreprise était attribué à l’ex-mari.

Par ailleurs, sont susceptibles d’être transférées les dettes et sûretés consenties dans le cadre de la gestion de l’entreprise.

À cet égard, il y a lieu de remarquer que les engagements visés par le texte sont ceux qui sont souscrits par les deux époux, ces derniers ayant pu s’engager solidairement comme co-emprunteurs d’une dette pour les besoins de l’entreprise13 ou bien conjointement, ou même séparément lorsque les deux époux se portent chacun caution d’une même dette14. Toutefois un auteur a émis des doutes quant à la possibilité d’inclure dans le champ d’application du texte les engagements souscrits seulement par l’époux du chef d’entreprise comme un cautionnement15. Il se fonde sur la lettre de l’article 1387-1 du Code civil, en vertu duquel le juge peut faire supporter la « charge exclusive » au conjoint entrepreneur du passif professionnel. En effet, si l’on impose la charge exclusive d’une dette à un débiteur, cela sous-entend que celui-ci en était déjà tenu mais simplement partiellement auparavant, donc que la dette pesait sur les deux époux. Cela dit cette lecture va à l’encontre des objectifs du texte développés lors des débats parlementaires qui ont évoqué l’hypothèse de l’époux caution.

En revanche il importe que la dette ait une origine professionnelle. Or, certaines décisions de cour d’appel ont refusé de décharger un ex-conjoint du poids d’une dette de cotisations professionnelles car la finalité de ces cotisations était de travailler, et partant de protéger sa famille16. En d’autres termes, dès que le conjoint de l’entrepreneur aurait tiré un intérêt de la dette souscrite, il ne pourrait pas ensuite en solliciter la décharge.

Cette interprétation paraît critiquable car cela exclurait systématiquement le conjoint collaborateur, pour lequel précisément le texte a été adopté, celui-ci n’ayant pas d’autre source de revenus que ceux générés par l’entreprise au sein de laquelle il collabore.

Cette critique disparaît cependant si on considère que le conjoint ne saurait avoir intérêt dans une dette ayant pour origine une attitude irréfléchie du chef d’entreprise. Mais cela ajoute tout de même une condition subjective au texte, et c’est précisément ce que la cour d’appel avait fait en l’espèce.

II – Vers une subjectivité de l’article 1387-1 du Code civil ?

La Cour de cassation relève en l’espèce que les juges du fond ont constaté que le patrimoine professionnel est attribué à l’époux ; la valeur patrimoniale de l’entreprise traduit un état de dettes largement supérieur à ses actifs ; les prélèvements annuels personnels de l’époux jusqu’en 2007 sont disproportionnés au regard de la situation financière de l’entreprise ; il a souscrit à titre personnel un prêt de trésorerie de 40 000 €. Autant d’indices qui plaident pour un comportement irréfléchi du mari et qui laissent penser que la cour d’appel a fait jouer l’article 1387-1 du Code civil à titre de sanction d’une faute de gestion.

La Cour de cassation ne dit pas que cette motivation est surabondante car la question ne lui était pas posée. Mais si elle devait confirmer cette position par la suite, ce serait intéressant car introduire une telle condition tenant au comportement du conjoint entrepreneur pourrait impacter l’effet de la mesure.

En effet, si l’on réserve l’application du texte à l’hypothèse dans laquelle l’époux entrepreneur a commis une faute de gestion on devrait alors raisonner par analogie avec l’article 1421 du Code civil.

Ce texte dispose en son premier alinéa que chaque époux a le pouvoir d’administrer seul les biens communs et d’en disposer sauf à répondre des fautes qu’il aurait commises dans sa gestion. Or, la Cour de cassation a eu l’occasion dans un cas où une femme avait contracté 25 prêts à la consommation en cachant à son conjoint la réalité de la situation financière du ménage, de considérer que cet endettement devait rester dans le passif personnel définitif de l’épouse17, ce qui semble bien exclure toute obligation du conjoint à la dette. De plus si le cocontractant de l’époux était de mauvaise foi, la jurisprudence n’hésite pas à prononcer la nullité de l’acte18.

Nul doute que si l’on prenait en compte le comportement de l’entrepreneur et/ou du créancier, la mise en œuvre de l’article 1387-1 du Code civil pourrait alors produire un effet protecteur plus efficace du conjoint en cas de divorce car limiter ses effets à la contribution aux dettes présente une utilité relativement aléatoire. En effet, si les créanciers de l’entreprise se tournent vers l’ex-conjoint de l’entrepreneur c’est souvent parce que ce dernier est en difficulté et le recours offert par l’article 1387-1 est donc totalement illusoire.

Le texte n’a sans doute pas fini de faire parler…

Notes de bas de pages

  • 1.
    L. n° 2005-882, 2 août 2005 : JO, 3 août 2005, p. 12639.
  • 2.
    Brémond V., « Le nouveau régime des dettes professionnelles conjugales en cas de divorce », JCP N 2005, p. 1497 ; Casey J., « L’article 1387-1 du Code civil et la liquidation des régimes matrimoniaux », Gaz. Pal. 22 nov. 2008, n° H2507, p. 8 ; Crocq P., « Les bons sentiments ne font pas les bons textes (…) », D. 2005, p. 2025 ; Larribau-Terneyre V., « Le créancier se trouva fort dépourvu quand le divorce fut venu… ou le nouvel article 1387-1 du Code civil (loi du 2 août 2005 sur les PME) », Dr. famille 2005, n° 10, étude 21 ; Piedelièvre S., « Le nouvel article 1387-1 du Code civil (ou de l’utilisation d’un pavé par un ours) », D. 2005, p. 2138.
  • 3.
    Notamment, Champenois G., « Pour l’abrogation de l’article 1387-1 du Code civil », JCP 2008, hors-série 2, p. 19, Cabrillac S, « Pour retrouver la tranquillité des régimes matrimoniaux », JCP 2008, hors-série n° 2, p. 6.
  • 4.
    Cass. 1re civ., 2 juill. 1991 : JCP G 1991, IV, p. 340 ; D. 1991, inf. rap. 209 ; Defrénois 15 déc. 1991, n° 35151, p. 1326, obs. Champenois G.
  • 5.
    Brémond V., « Le nouveau régime des dettes professionnelles conjugales en cas de divorce », JCP N 2005, p. 1497.
  • 6.
    Revet T., « Du classicisme et des innovations, patrimoine et entreprise », Dr. & patr. 2005, n° 142, p. 90.
  • 7.
    TGI Évreux, 17 nov. 2006: Defrénois 15 févr. 2008, n° 38719, p. 316, note Champenois G. ; LPA 16 août 2007, p. 10, note Edel V.
  • 8.
    Cf. infra II.
  • 9.
    CA Nîmes, 18 nov. 2010, n° 09/00838.
  • 10.
    CA Colmar, 17 déc. 2008, n° 07/02855, Stéphane X c/ Banque CIC Est : Gaz. Pal. 11 juin 2009, n° H4147, p. 8, note Casey J. – CA Douai, 20 oct. 2008, n° 07/01061, Fabienne H c/ Société Inbev France : Gaz. Pal. 11 juin 2009, n° H4147, p. 8, note Casey J.
  • 11.
    V. l’intervention du député Yves Simon : dossier législatif loi du 2 août 2005, débats parlementaires, Assemblée nationale, 1re lecture, 1re séance du 6 juillet 2005 : www.assemblee-nationale.fr/12/cri/2004-2005-extra/20051006.asp.
  • 12.
    Piedelièvre S., « Le nouvel article 1387-1 du Code civil [ou de l’utilisation d’un pavé par un ours] », D. 2005, p. 2138. ; Larribau-Terneyre V., « Le créancier se trouva fort dépourvu quand le divorce fut venu [ou le nouvel article 1387-1 du Code civil] », Dr. famille 2005, étude 21.
  • 13.
    CA Rennes, 19 juin 2008, n° 06/06093.
  • 14.
    En ce sens Brémond V., « Divorce- Sort des dettes professionnelles des époux », JCl. Civil Code, fasc. unique, art. 1387-1, nos 27 et s.
  • 15.
    Brémond V., « Divorce- Sort des dettes professionnelles des époux », JCl. Civil Code, fasc. unique, art. 1387-1, nos 27 et s.
  • 16.
    CA Paris, 19 oct. 2011, n° 10/16720 ; CA Toulouse, 30 juin 2010, n° 08/06531.
  • 17.
    Cass. 1re civ., 14 mars 2012, n° 11-15369 : JCP G 2012, doct. 999, n° 10, obs. Simler P.
  • 18.
    CA Besançon, 16 mai 1990 : JCP G 1991, II 21756, obs. Simler P., Dr. sociétés 1997, n° 229, note Richard J.
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