Seul un recel de communauté, à l’exclusion d’un recel successoral peut être retenu à l’encontre du conjoint survivant ayant refusé de communiquer un compte commun
Encourt la censure de la Cour de cassation, l’arrêt de la cour d’appel qui retient le recel successoral du conjoint pour non communication d’un compte commun alors que ce délit relève de la communauté.
Cass. 1re civ., 27 sept. 2017, no 16-22150, F-PB
1. Le recel civil est un grand classique du contentieux patrimonial. En l’espèce1, M. Y est décédé en 2002, en laissant pour lui succéder Mme X, son épouse commune en biens, et M. Louis Y, son fils issu d’une première union. Selon, les juges du fond, Mme X a intentionnellement refusé de communiquer le montant du solde d’un compte personnel, dont les avoirs sont présumés être des actifs de la communauté ayant existé entre elle et son époux, et qu’elle s’est ainsi rendue coupable de recel successoral, au sens de l’article 792 ancien du Code civil. En effet, l’article 792 du Code civil précisait que : « Les héritiers qui auraient diverti ou recélé des effets d’une succession sont déchus de la faculté d’y renoncer : ils demeurent héritiers purs et simples, nonobstant leur renonciation, sans pouvoir prétendre aucune part dans les objets divertis ou recelés ». Les juges du fait sont censurés par la haute juridiction qui écarte la qualification du recel successoral (I) pour ne retenir que celle du recel de communauté (II).
I – L’exclusion du recel successoral
2. S’agissant de l’exclusion du recel successoral, la Cour de cassation a été amenée à censurer les juges du fond sur le fondement de l’article 792 du Code civil (devenu depuis C. civ., art. 778) en estimant que, sous couvert d’interprétation, que le champ d’application rationæ personæ (A) et rationæ materiæ du délit de recel successoral (B) ne pouvait être retenu.
A – Inapplication rationæ personæ du délit de recel successoral
3. C’est un point bien acquis que les héritiers légaux peuvent être poursuivis pour avoir dissimulé des biens successoraux, voire un héritier ayant vocation à hériter2. Dans bien des cas, le délit civil de recel successoral est assimilé au fait de se prévaloir sciemment et de mauvaise foi d’un acte de notoriété inexact3. La formule employée par la haute juridiction dans un arrêt remarqué et très important du 5 janvier 1983 précise clairement « (…) en sa qualité de légataire universelle, les peines du recel successoral, alors que la sanction du recel, peine privée d’interprétation stricte ne peut être appliquée qu’aux héritiers soumis à rapport et non à un légataire non-héritier soumis seulement à une éventuelle réduction ; mais attendu que les peines édictées par l’article 792 du Code civil s’appliquent à toutes les personnes appelées à venir au partage de la succession en vertu d’un titre universel et que c’est à bon droit que la cour d’appel a fait application des sanctions du recel à Françoise Raveneau dont la qualité de légataire universelle n’est pas contestée ; que le moyen n’est donc pas fondé »4.
4. Aussi bien, ne saurait-on s’étonner que sous l’empire de la loi ancienne (C. civ., art. 792 anc.), la haute juridiction avait censuré une cour d’appel dans les termes suivants : « qu’en statuant ainsi, alors que les libéralités consenties par le de cujus à M. et Mme Y n’étaient pas rapportables et qu’en l’absence d’héritier réservataire, elles n’étaient pas non plus susceptibles d’être réductibles, de sorte que leur dissimulation ne pouvait être qualifiée de recel successoral, la cour d’appel a violé le texte susvisé »5. Toutefois, il convient d’exclure du champ d’application rationæ personæ du délit de recel successoral les donataires et les légataires à titre particulier6. En l’espèce, la Cour de cassation estime que la sanction prévue par ce texte7 n’est pas applicable au conjoint survivant qui prélève des sommes au préjudice de l’indivision post-communautaire, celui-ci étant débiteur des sommes correspondantes envers cette seule indivision, non en sa qualité d’héritier, mais en sa qualité d’indivisaire tenu au rapport de ce qu’il a prélevé dans l’indivision avant le partage.
B – Inapplication rationæ materiæ du délit de recel successoral
5. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, avant comme après la réforme opérée par la loi n° 2006-728 du 23 juin 20068, le légataire qui dissimule une libéralité ni réductible ni rapportable ne commet pas un recel successoral9. On peut y voir une importante distinction qui est désormais de jurisprudence constante. C’est ainsi ce qui résulte d’un arrêt rendu le 25 mai 2016 qui précise : « attendu que, pour décider que M. Michel Y a commis un recel portant sur les donations de la nue-propriété de la villa d’Antibes et des biens et droits immobiliers situés résidence Clamart à Compiègne, l’arrêt retient que le donataire les a dissimulées à M. Jean-Claude Y en vue de les soustraire au rapport à la succession et de rompre l’équilibre du partage au détriment de ce dernier ; qu’en statuant ainsi, après avoir relevé que ces donations avaient été consenties par préciput et hors part, ce qui en excluait le rapport, et alors qu’elle n’avait pas constaté qu’elles étaient réductibles, la cour d’appel a violé le texte susvisé »10. Cette décision implique que les libéralités consenties à l’héritier ne pouvaient d’aucune façon faire partie de la succession car elles étaient faites par préciput et hors part excluant le rapport à la succession et l’éventuelle réduction11. Selon la doctrine qui relève que : « Les liens entre ces deux formes de recel sont particulièrement marqués en cas de dissolution d’une communauté par décès, lorsque l’on partage de manière concomitante la communauté et la succession »12.
II – L’admission du recel de communauté
6. Pour la haute juridiction la non-communication du compte commun permettant de liquider le régime matrimonial constitue un recel de communauté (A) qui entraîne une sanction à l’encontre de l’auteur (B).
A – La non-communication d’un compte commun constitutive de recel de communauté
7. L’article 1477 du Code civil définit les éléments constitutifs du recel de communauté en disposant que : « Celui des époux qui aurait diverti ou recelé quelques effets de la communauté est privé de sa portion dans lesdits effets. De même, celui qui aurait dissimulé sciemment l’existence d’une dette commune doit l’assumer définitivement ». Force est de reconnaître que le recel de communauté est généralement constitué lors de la dissolution du mariage au moment de la liquidation du régime matrimonial.
8. L’appréciation des éléments constitutifs du délit de recel successoral incombe aux juges du fond13 qui été à juger à maintes reprises des hypothèses de recel de communauté. C’est ainsi que la Cour de cassation a jugé que : « Attendu que pour retenir le recel successoral commis par Mme Y sur la somme de 69 979,71 €, l’arrêt attaqué retient qu’elle avait prélevé sur le compte qu’elle détenait en commun avec son époux, une somme provenant de la vente d’un bien propre de ce dernier, puis sciemment dissimulé le sort de ces fonds, qui n’avait été révélé qu’à l’occasion de l’instance de référé expertise diligentée par les héritiers, quand ils auraient dû être portés à l’actif de la succession, peu important l’option ultérieurement exercée en exécution de la donation ; qu’en statuant ainsi, alors qu’ayant opté pour l’usufruit de la totalité de la succession, Mme X, réputée avoir, dès l’ouverture de celle-ci, la jouissance de tous les biens la composant, ne disposait pas de droits de même nature que ceux des autres héritiers, de sorte qu’il n’y avait pas lieu à partage entre elle et ces derniers et que la dissimulation des fonds ne pouvait être qualifiée de recel successoral, la cour d’appel a violé le texte susvisé ; par ces motifs ; casse et annule »14. Dans le même ordre d’idées, la haute juridiction a précisé clairement : « Attendu que si la convention définitive homologuée, ayant la même force exécutoire qu’une décision de justice, ne peut être remise en cause, un époux divorcé demeure recevable à présenter une demande ultérieure tendant au partage complémentaire de biens communs omis dans l’état liquidatif homologué, à l’application éventuelle des sanctions du recel et au paiement de dommages-intérêts pour faute commise par son ex conjoint lors de l’élaboration de la convention ; attendu que pour déclarer irrecevables les demandes présentées de ces chefs par Mme X, l’arrêt attaqué se borne à énoncer qu’elles remettraient en cause la convention définitive homologuée par le jugement de divorce ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé ; par ces motifs ; casse et annule »15.
B – La sanction à l’encontre de l’auteur
9. À la différence de la double sanction du recel successoral16, la sanction à l’encontre de l’époux ayant commis un recel de communauté et comme le relève la doctrine : « (…) est privé de tout droit dans le bien détourné qui, avant même qu’il ne soit procédé aux opérations de partage, devient par l’effet même de la sanction légale la propriété privative de son conjoint »17. Dans la même veine la haute juridiction estime que : « mais attendu que l’époux Y est privé de tout droit dans l’objet diverti qui, avant même qu’il ne soit procédé aux opérations de partage, devient par l’effet même de la sanction légale la propriété privative de son conjoint, que s’il peut néanmoins exercer sur ce bien son droit de prélèvement pour cause de reprise ou de récompense, encore doit-il établir l’existence et le montant de sa créance ; que c’est donc à bon droit qu’après avoir relevé que C. n’allègue aucune créance de reprise précise, la cour d’appel a décidé que dame C. était fondée à user de ses prérogatives de propriétaires de l’immeuble recelé et a en exiger la libération ; d’où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ; par ces motifs rejette »18. Force est de conclure que la notion de recel largement absente du Code civil de 1804, c’est la jurisprudence, qui comme en l’espèce, a progressivement construit la définition de ce délit civil19 en essayant de l’articuler avec le recel successoral.
Notes de bas de pages
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1.
« La non-divulgation d’un compte commun est un recel de communauté et non de succession », Defrénois flash 16 oct. 2017, n° 141z5, p. 10.
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2.
Niel P.-L., « Une limite à la responsabilité du notaire en matière de recel successoral », LPA 4 juin 2014, p. 19 ; Mésa R., « Du domaine et de la sanction du recel en droit patrimonial de la famille », RLDC 2011 n° 84.
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3.
Levillain N. et Forgeard M.-C., « Liquidation des successions », D. 2013-2014, p. 142-152.
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4.
Cass. 1re civ., 5 janv. 1983, n° 81-16655 ; Niel P.-L. et Morin M., « Le délit civil de recel successoral n’est pas constitué en cas de soustraction de donations non rapportables et non réductibles », LPA 23 sept. 2016, n° 120j7, p. 15.
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5.
Leprovaux J., « Le légataire qui dissimule une libéralité ni réductible ni rapportable ne commet pas un recel successoral », RJPF 2011/1.
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6.
Mésa R., « Du domaine et de la sanction du recel en droit patrimonial de la famille », RLDC 2011/X, n° 84.
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7.
C. civ., art. 792.
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8.
JO, 24 juin 2006.
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9.
Leprovaux J., art. préc.
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10.
Niel P.-L. et Morin M., « Le délit civil de recel successoral n’est pas constitué en cas de soustraction de donations non rapportables et non réductibles », LPA 23 sept. 2016, n° 120j7, p. 15.
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11.
Leprovaux J., art. préc. ; Mésa R., art. préc.
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12.
De Vregille A. et Tissot F., « Les recels en droit de la famille », https://consultation.avocat.fr/.
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13.
Rép. civ. Dalloz, v°Communauté légale (50 liquidation et partage), n° 523, Vareille B.
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14.
Cass. 1re civ., 29 juin 2011, n° 10-13807.
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15.
Cass. 1re civ., 6 mars 2001, n° 98-15168.
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16.
De Vregille A. et Tissot F., « Les recels en droit de la famille », art. préc.
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17.
Ibid.
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18.
Cass. 1re civ., 7 oct. 1975, n° 73-12045.
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19.
De Vregille A. et Tissot F., art. préc.