Ta paternité, tu assumeras !

Publié le 11/05/2017

La paternité judiciairement établie sur le fondement de l’article 327 du Code civil implique seulement de rapporter la preuve que le défendeur à l’action est le géniteur de l’enfant. Toute autre considération, liée notamment au fait que celui-ci n’a pas désiré et voulu sa paternité, est indifférente.

CA Versailles, 10 oct. 2016, no 15/07061

Selon l’article 327, alinéa premier, du Code civil, « la paternité hors mariage peut être judiciairement déclarée ». L’emploi des termes « peut être » dans le texte autorise-t-il une juridiction saisie d’une action en recherche de paternité à ne pas déclarer la paternité du géniteur de l’enfant lorsque celui-ci n’a pas souhaité sa conception ? Telle était au fond la question posée à la cour d’appel de Versailles, laquelle lui a apporté une réponse négative dans un arrêt du 10 octobre 2016.

Monsieur X a entretenu avec Madame Z une relation intime, que l’on peut qualifier d’éphémère puisqu’elle a duré, selon les termes de la cour, « de la fin de l’année 2011 au début de l’année 2012 ». S’agissait-il d’une relation amoureuse ? À ce sujet, les versions divergent. Pour Monsieur X, « lui-même et Madame Z étaient amants et non en couple (…) », Madame Z ayant « privilégié une relation rapide non par amour pour lui mais afin d’avoir un enfant », son but étant de « faire un enfant seule sans effectuer les démarches d’insémination ou d’adoption ». À l’inverse, Madame Z fait valoir « qu’il a eu une relation sincère et suivie avec elle », que « le couple était amoureux et envisageait l’avenir ensemble » et qu’elle ne l’a quitté « après plusieurs mois car il était incapable d’assumer avoir un autre enfant ».

Toujours est-il qu’en septembre 2012, Madame Z donne naissance à un petit garçon Matthias, dont seule la filiation maternelle est établie. Huit mois plus tard, en mai 2013, elle assigne, en son nom personnel et en sa qualité de représentante légale de l’enfant, Monsieur X devant le tribunal de grande instance de Versailles sur le fondement de l’article 327 pour voir sa paternité judiciairement établie. Dans un jugement d’avril 2014, le TGI déclare sa demande recevable. Il ordonne une expertise génétique, laquelle met en évidence quelques mois plus tard que la paternité de Monsieur X vis-à-vis de l’enfant Matthias « est extrêmement vraisemblable car supérieure à 99,999 % ». Le tribunal de grande instance de Versailles rend le 7 juillet 2015 un jugement sur le fond : il déclare judiciairement la paternité de Monsieur X. Il précise que l’enfant conservera néanmoins le nom de sa mère et que cette dernière exercera unilatéralement l’autorité parentale. Il fixe à 200 euros par mois la somme que Monsieur X doit verser à Madame Z au titre de sa part contributive à l’éducation et à l’entretien de l’enfant, précisant que « la contribution alimentaire est due au-delà de la majorité de l’enfant jusqu’à l’obtention d’un emploi rémunéré lui permettant de subvenir à ses besoins ». Monsieur X décide alors de faire appel.

On pense alors que l’appel donnera lieu à une décision classique dans laquelle la cour se contentera, puisque la paternité biologique de l’appelant est établie par expertise et la question ainsi tranchée sur le fond, d’infirmer ou de confirmer les positions prises par le tribunal de grande instance s’agissant des conséquences de l’établissement de la filiation (nom de l’enfant, modalités d’exercice de l’autorité parentale et montant de la contribution du père à son entretien et son éducation). Rien de tel ! L’argumentation de l’appelant, que ce dernier qualifie lui-même d’ « avant-gardiste », se situait sur un tout autre terrain. Celui-ci invoquait, en effet, devant la cour « une paternité imposée/forcée, lui-même ayant déclaré ne pas souhaiter avoir d’enfant et les relations intimes ayant toutes été protégées sauf une ». Il faisait valoir que « la procédure en recherche de paternité est née à une époque où toute contraception était refusée à la femme », observait « qu’il n’est pas concevable d’interdire l’avortement à une femme ayant omis de prendre la pilule contraceptive » et estimait « qu’il est inéquitable d’imposer une paternité à un homme qui ne le souhaitait pas au motif qu’il n’a pas utilisé de préservatif ». Il invoquait « une parité dans la fécondité et la possibilité de recourir à la procédure de géniteur sous X ». En conclusion, il inférait « de l’expression “peut être”, figurant à l’article 327 du Code civil, qu’aucune juridiction n’est tenue, nonobstant les preuves, de déclarer cette paternité ».

Cette démonstration contient une exactitude : l’action en recherche de paternité est effectivement née à une époque où toute contraception était refusée à la femme puisqu’elle a été instituée par une loi du 16 novembre 1912, c’est-à-dire bien avant la loi Neuwirth qui n’a légalisé la contraception qu’en 1967.

Pour le reste, le raisonnement de l’appelant ne tenait juridiquement pas. Il n’a d’ailleurs convaincu en aucun point la cour d’appel de Versailles. Cette dernière, après avoir rappelé que l’article 327 du code dispose que « la paternité hors mariage peut être juridiquement déclarée », a considéré « qu’il s’induit des termes “peut être” qu’une action à cette fin est possible mais nullement que le tribunal peut refuser de déclarer cette paternité si celle-ci est démontrée ». Elle a rappelé qu’ « il est de l’intérêt de l’enfant de voir sa filiation établie de manière certaine à l’égard de son père » et « qu’il est constant que Monsieur X est le père de l’enfant ». La cour d’appel a ainsi confirmé le jugement en toutes ses dispositions, notamment en ce qu’il a déclaré que Monsieur X est père de l’enfant.

Pour conforter la solution de la cour, on rappellera que l’objet de l’action en recherche de paternité est précisément de faire déclarer en justice la paternité du géniteur de l’enfant, qui refuse de l’assumer. Longtemps redoutée car pouvant faire vaciller la paix des familles, l’action en recherche de paternité était, au départ, très canalisée en droit français. Ainsi, le législateur subordonnait la preuve de la paternité biologique du défendeur à la démonstration préalable de l’existence d’un cas d’ouverture1 puis à celle d’un adminicule préalable2. Une fois ce premier obstacle procédural franchi, encore fallait-il que le demandeur à l’action soit en mesure de prouver la paternité biologique du défendeur, laquelle, on le sait, a été, pendant des décennies, un fait difficile à établir3. Aussi, le développement des expertises sanguines et génétiques dans le droit de la filiation, à partir des années 1990, marque un tournant important pour le défendeur à l’action puisque sa paternité biologique peut, par ce procédé, être facilement établie et ce, avec une grande certitude4. Puis, surtout, l’ordonnance du 4 juillet 2005 libère l’action en recherche de paternité de l’adminicule préalable, admettant ainsi que la preuve de la paternité du défendeur puisse être directement rapportée. L’article 327 du Code civil qui en est issu énonce donc que « la paternité peut être judiciairement déclarée », ce qui signifie qu’elle peut être établie en justice à la condition, désormais unique, que la preuve biologique en soit faite. Ainsi, seule compte la vérité biologique pour déclarer judiciairement la paternité, les autres circonstances étant, elles, totalement indifférentes. Certes, on peut ne pas adhérer à cette conception du tout biologique5 mais il n’empêche que cette position est bien celle que défend le législateur français dans l’action en recherche de paternité. La cour d’appel de Versailles le rappelle lorsqu’elle considère « qu’aucune disposition législative actuelle ne permet d’écarter la paternité d’un père au motif que celui-ci a été manipulé par la mère ; que les développements contraires des parties sur une instrumentalisation de Monsieur X ou sur l’existence d’une relation sincère et suivie sont sans incidence ».

Sur le fond, cette affaire met en évidence que le défendeur à l’action en recherche a été contraint au fil des années, de changer de stratégie pour échapper à la déclaration judiciairement de paternité. En effet, celui-ci, longtemps protégé par les cas d’ouverture puis l’adminicule préalable et aussi par les difficultés que le demandeur pouvait avoir à démontrer la paternité biologique, est aujourd’hui très exposé. Attrait dans une procédure en recherche de paternité, le défendeur sait, dès lors qu’il est bien le géniteur de l’enfant, qu’il verra sa paternité déclarée avec toutes les conséquences juridiques qui en résultent, notamment l’obligation de lui verser une pension alimentaire. Aussi, pour tenter d’y échapper, un nouvel argument est actuellement brandi, celui de l’égalité des sexes. C’était précisément le cas dans cette espèce puisque, rappelons-le, l’appelant invoquait, pour échapper à la déclaration judiciaire de sa paternité, « une parité dans la fécondité et la possibilité de recourir à la procédure de géniteur sous X ». En septembre 2016, un homme, également attrait dans une procédure d’action en recherche de paternité, avait d’ailleurs présenté une question prioritaire de constitutionnalité dans ces termes : « Renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité tirée de ce que les dispositions de l’article 327 du Code civil, qui sont applicables en la cause, sont contraires aux droits et libertés garantis par la Constitution, dès lors qu’en empêchant aux hommes, contrairement aux femmes, de se soustraire à l’établissement d’une filiation non désirée, elles ne garantissent pas à la partie demanderesse au pourvoi son droit à ne pas être discriminé en raison du sexe ». La Cour de cassation, dans un arrêt du 9 novembre 20166 a refusé de transmettre cette QPC au Conseil constitutionnel en faisant valoir, que la question posée n’était « pas nouvelle »7 et qu’elle ne présentait « pas de caractère sérieux au regard du principe d’égalité entre les hommes et les femmes, dès lors, d’une part, que la maternité hors mariage est susceptible d’être judiciairement déclarée, comme la paternité hors mariage et dans les mêmes conditions procédurales, y compris en cas d’accouchement dans le secret, lequel ne constitue plus une fin de non-recevoir à l’action en recherche de maternité, d’autre part, que ni la question elle-même ni le mémoire qui la soutient n’exposent pour quels motifs d’intérêt général une différence de traitement devrait être instaurée entre les enfants nés en mariage et ceux nés hors mariage pour priver ces derniers du droit d’établir leur filiation paternelle en cas de refus de leur père de les reconnaître ».

Le message est ainsi clair : qui fait l’enfant doit le nourrir, et ce, qu’il s’agisse du père ou de la mère…

Notes de bas de pages

  • 1.
    Lois du 16 novembre 1912 et du 3 janvier 1972.
  • 2.
    À savoir l’existence de présomptions ou indices graves de paternité selon la formule retenue dans la loi du 8 janvier 1993.
  • 3.
    Tronchet disait à ce sujet que « le fait de la paternité est toujours enveloppé dans les nuages », Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, t. 10, 1828, Fenet, p. 81.
  • 4.
    Développement auquel la Cour de cassation a d’ailleurs contribué en jugeant dès 2000 que « l’expertise est de droit en matière de filiation, sauf s’il existe un motif légitime de ne pas y procéder », Cass. 1re civ., 28 mars 2000, n° 98-12806 : D. 2000, p. 731, note Garé T.
  • 5.
    V. Théry I. et Leroyer A.-M., Filiation origine, parentalité : le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle, 2014, La documentation française, p. 84 et s.
  • 6.
    Cass. 1re civ., 9 nov. 2016, n° 15-20547.
  • 7.
    V. déjà, Cass. 1re civ., 28 mars 2013, n° 13-40001 : D. 2013, p. 1436, obs. Granet-Lambrechts F. ; RTD civ. 2013, p. 361, obs. Hauser J.
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