La reforme attendue des décrets Magendie n’a pas eu lieu : tout ça pour ça ?

Publié le 08/01/2024

La grande réforme des décrets Magendie annoncée par le ministre de la justice et très attendue par les avocats a été publiée au Journal officiel le 31 décembre. Et c’est la déception. Me Patrick Lingibé explique pourquoi ce texte n’est pas à la hauteur des attentes. 

La reforme attendue des décrets Magendie n’a pas eu lieu : tout ça pour ça ?
Eric Dupond-Moretti, garde des Sceaux annonçant la réforme des décrets Magendie le 25 novembre 2022 (Photo ©P. Cabaret)

Le garde des Sceaux, ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, lors de son discours à la rentrée solennelle du barreau de Paris le 25 novembre 2022 avait annoncé une grande réforme des décrets Magendie.  Nous en sommes bien loin : à quelques nuances près, les fondamentaux de la réforme Magendie n’ont pas bougé, contrairement à ce qui était annoncé et attendu.

Pourtant c’était l’occasion pour la France de suivre la recommandation de la Commission européenne pour l’efficacité de la Justice (CEPEJ) du 17 juin 2021 qui préconisait de « réduire les contraintes formelles au strict nécessaire et assurer un « droit à la régularisation » des actes viciés. Avec le décret du 29 décembre 2023, nous n’avons malheureusement donc pas quitté la conception du formalisme excessif franco-français sévèrement critiquée par la Cour européenne des droits de l’Homme dans son arrêt rendu le 9 juin 2022, Xavier Lucas c. France, n° 15567/20 :

« iii. Sur l’excès de formalisme

 57. S’il ne lui appartient pas de remettre pas en cause le raisonnement juridique suivi par la Cour de cassation pour infirmer la solution retenue par la cour d’appel de Douai (paragraphes 49-50 ci-dessus), la Cour rappelle toutefois que les tribunaux doivent éviter, dans l’application des règles de procédure, un excès de formalisme qui porterait atteinte à l’équité du procès. Or, elle considère, dans les circonstances de l’espèce, que les conséquences concrètes qui s’attachent au raisonnement ainsi tenu apparaissent particulièrement rigoureuses. En faisant prévaloir le principe de l’obligation de communiquer par voie électronique pour saisir la cour d’appel sans prendre en compte les obstacles pratiques auxquels s’était heurté le requérant pour la respecter, la Cour de cassation a fait preuve d’un formalisme que la garantie de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice n’imposait pas et qui doit, dès lors, être regardé comme excessif. »

Il convient de rappeler l’essence même de la Justice : rendre la justice c’est avant tout apporter aux justiciables des réponses sur le fond des litiges qu’ils soumettent au juge et non pas aboutir, par des dérobades procédurales, à ne jamais juger le fond et à s’arrêter sur des points de procédure auquel le pauvre justiciable ne comprend rien. L’application des décrets Magendie a ainsi générer des décisions de pure forme au niveau de la procédure, notamment les décisions de caducité, qui ont pour seule vertu d’alimenter les statistiques des juridictions, sans pour autant apporter de réelles réponses sur le fond aux justiciables.

Pourtant le bureau et la commission textes du Conseil national des barreaux ont présenté un excellent rapport qui a été adopté les 6 et 7 juillet 2023 par l’assemblée générale formulant des contre-propositions très pertinentes et de bon sens sur le projet de décret transmis (rapport présenté par Alexandra Boisramé pour le bureau et Maya Assi pour la commission textes). Finalement la version du projet de décret transmis pour avis notamment au Conseil national des barreaux n’est pas différente de la version publiée.

Le décret n° 2023-1391 du 29 décembre 2023 portant simplification de la procédure d’appel en matière civile qui a été publié au Journal Officiel du dimanche 31 décembre 2023 fera donc plus de déçus que de contents et sera loin de simplifier les choses déjà rendues inintelligibles par la réforme Magendie. Les 17 articles du texte qui maintient donc la conception posée par la réforme Magendie se répartissent à travers les quatre titres suivants :

Chapitre Ier : La procédure d’appel (Articles 1 à 3)

Chapitre II : Les effets de l’appel (Article 4)

Chapitre III : Dispositions diverses (Articles 5 à 14)

Chapitre IV : Dispositions relatives à l’application outre-mer et à l’entrée en vigueur (Articles 15 à 17)

Nous commenterons ce décret sur les trois aspects mis en avant par la Chancellerie.

I – CLARIFICATION ET SIMPLIFICATION DE LA PROCÉDURE D’APPEL ?

 Le décret du 29 décembre 2023 procède en premier lieu à une restructuration de la sous-section 1 de la section I du chapitre Ier du sous-titre Ier du titre VI du livre II du Code de procédure civile relative à la procédure ordinaire avec représentation obligatoire devant la cour d’appel.  Elle est donc restructurée et désormais divisée en paragraphes.

Cette restructuration, selon la Chancellerie, permet ainsi de distinguer avec clarté et certitude entre d’une part, les dispositions qui relèvent de la procédure à bref délai (articles 906-1 à 906-5 du Code de procédure civile) et d’autre part, celles qui relèvent de la procédure avec mise en état (articles 907 à … du Code de procédure civile).

En deuxième lieu, les renvois aux dispositions de la mise en état devant le tribunal judiciaire sont supprimés.

Les dispositions relatives à la procédure ordinaire devant la cour d’appel sont ainsi complètement autonomisées.

Pour la Chancellerie, cette modification est un gage de clarté.

En troisième lieu, les références à des notions ambiguës, comme l’indivisibilité (articles 562 et 901) ou les chefs du jugement (article 562) sont, toujours dans un objectif de clarification et simplification, supprimées ou remplacées.

II – ASSOUPLISSEMENT DE LA PROCÉDURE D’APPEL ?

 Le décret du 29 décembre 2023 a en premier lieu pour vocation d’assouplir le formalisme de l’acte introductif d’instance en supprimant l’obligation de mentionner dans la déclaration d’appel l’ensemble des chefs du dispositif du jugement critiqué.

Il permet ainsi à l’appelant, en particulier dans le cadre de la procédure ordinaire avec représentation obligatoire, de mentionner les chefs de jugement pour la première fois dans ses premières conclusions lorsqu’il omet de les mentionner en tout ou partie dans la déclaration d’appel.

Cela a pour effet que l’avocat ne sera plus obligé de procéder à une déclaration d’appel rectificative.

Nous relevons que c’est la seule mesure tangible apportée par le décret. Elle atténue la rigueur des dispositions introduites en 2017 sur la forme de la déclaration d’appel en offrant à l’appelant la possibilité de compléter, retrancher ou rectifier dans le dispositif de ses premières conclusions les chefs du dispositif du jugement critiqués mentionnés dans la déclaration d’appel.

Nous rappelons sur ce point que le Conseil national des barreaux a toujours contesté la limitation de l’effet dévolutif depuis le décret du 6 mai 2017. Il avait proposé la suppression de l’obligation de mentionner dans la déclaration d’appel les chefs de jugement querellés afin de garantir une meilleure sécurité juridique qui doit être au cœur de toute réforme.

Par ailleurs, le nouvel article 901 du Code de procédure civile dispose que la déclaration d’appel, qui peut comporter une annexe, est faite par un acte contenant, à peine de nullité :

1° Pour chacun des appelants :

  1. Lorsqu’il s’agit d’une personne physique, ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance ;
  2. Lorsqu’il s’agit d’une personne morale, sa forme, sa dénomination, son siège social et l’organe qui la représente légalement ;

2° Pour chacun des intimés, l’indication de ses nom, prénoms et domicile s’il s’agit d’une personne physique ou de sa dénomination et de son siège social s’il s’agit d’une personne morale ;

3° La constitution de l’avocat de l’appelant ;

4° L’indication de la cour devant laquelle l’appel est porté ;

5° L’indication de la décision attaquée ;

6° L’objet de l’appel en ce qu’il tend à l’infirmation ou à l’annulation du jugement ;

7° Les chefs du dispositif du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est, sans préjudice du premier alinéa de l’article 915-2, limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement.

Elle est datée et signée par l’avocat constitué. Elle est accompagnée d’une copie de la décision et sa remise au greffe vaut demande d’inscription au rôle.

 Nous constatons que le 6° de ce nouvel article 901 impose une obligation formelle à la rédaction de la déclaration d’appel, exigeant désormais qu’elle contienne la mention « infirmation » en sus des chefs du jugement querellé.

Pourtant cette nouvelle obligation est en opposition avec la position adoptée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans arrêt du 25 mai 2023, pourvoi n° 21-15.842, laquelle a jugé ainsi :

 « 6. En application de l’article 901, 4°, du Code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, la déclaration d’appel doit contenir, à peine de nullité, les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à la nullité du jugement ou si l’objet du litige est indivisible.

7.En application de l’article 562 du Code de procédure civile, dans sa rédaction issue du même décret, seul l’acte d’appel emporte dévolution des chefs critiqués du jugement. 

8.Aucun de ces textes ni aucune autre disposition n’exige que la déclaration d’appel mentionne, s’agissant des chefs de jugement expressément critiqués, qu’il en est demandé l’infirmation.

9.Ayant constaté que l’appelant avait énuméré dans sa déclaration d’appel les chefs de jugement critiqués, c’est sans encourir les griefs du moyen que la cour d’appel a statué comme elle l’a fait. »

Le décret exige pourtant une formalité dans la déclaration d’appel qui est totalement inutile dans la mesure où l’objet du litige est suffisamment défini par le visa des chefs du jugement querellé mais également dans les conclusions par l’énoncé des prétentions figurant dans le dispositif.

En deuxième lieu, les délais pour conclure dans la procédure d’appel à bref délai passent d’un mois à deux mois.

De même, le délai pour signifier la déclaration d’appel en procédure d’appel à bref délai passe de 10 jours à 20 jours à compter de la réception de l’avis de fixation.

Il est également prévu que dans la procédure d’appel avec mise en état et la procédure d’appel à bref délai le magistrat compétent puisse augmenter les délais pour conclure.

Il est enfin intégré la possibilité pour le conseiller de la mise en état d’augmenter les délais pour conclure tant dans le cadre de la procédure d’appel avec mise en état que dans celle d’appel à bref délai. Les décrets Magendie avaient transformé les conseillers de la mise en état en caisses enregistreuses pour sanctionner mécaniquement les non-respects de délais prévus sans possibilité de les allonger indépendamment des spécificités de certaines affaires.

Il est à noter également qu’en application du nouvel article 911 du Code de procédure civile, le conseiller de la mise en état peut, à la demande d’une partie ou d’office, allonger ou réduire les délais prévus aux articles 908 (délai de trois mois pour l’appelant pour conclure à partir de la déclaration d’appel), 909 (délai de trois mois pour l’intimé pour conclure à compter de la notification des conclusions de l’appelant) et 910 (délai de trois mois pour l’intimé à un appel incident ou provoqué à compter de la notification qui lui faite pour remettre ses conclusions au greffe).

En troisième lieu, il y a lieu de noter que le nouvel article 915-4 du Code de procédure civile prévoit que les délais prévus au premier alinéa de l’article 906-1 (signification de la déclaration d’appel dans les 20 jours dans la procédure à bref délai), à l’article 906-2 (délai de production de deux mois pour l’appelant et l’intimé dans la procédure à bref délai), au troisième alinéa de l’article 902 (signification dans le mois de la déclaration d’appel suivant l’avis du greffe dans la procédure ordinaire) et à l’article 908 (délai de trois mois pour l’appelant pour conclure à compter de la déclaration d’appel dans la procédure ordinaire) sont augmentés :

– d’un mois, lorsque la demande est portée soit devant une juridiction qui a son siège en France métropolitaine, pour les parties qui demeurent en Guadeloupe, en Guyane, à la Martinique, à La Réunion, à Mayotte, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie ou dans les Terres australes et antarctiques françaises, soit devant une juridiction qui a son siège en Guadeloupe, en Guyane, à la Martinique, à La Réunion, à Mayotte, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, à Saint-Pierre-et-Miquelon ou dans les îles Wallis et Futuna, pour les parties qui ne demeurent pas dans cette collectivité.

– de deux mois si l’appelant demeure à l’étranger.

III – VERS UNE MISE EN ETAT CONVENTIONNELLE ?

 Afin de développer le recours à la mise en état conventionnelle en appel, le décret du 29 décembre 2023 crée une invitation forte et systématique des parties à conclure une convention de procédure participative aux fins de mise en état.

Le nouvel article 915-3 du Code de procédure civile prévoit ainsi que les délais impartis pour conclure et former appel incident ou provoqué mentionnés aux articles 906-2 (délai de production de deux mois pour l’appelant et l’intimé dans la procédure à bref délai), 908 (délai de trois mois pour l’appelant pour conclure à compter de la déclaration d’appel dans la procédure ordinaire), 909 (délai de trois mois pour l’intimé pour conclure à compter de la notification des conclusions de l’appelant) et 910 (délai de trois mois pour l’intimé d’un appel intimé ou d’un appel provoqué pour remettre ses conclusions au greffe) sont interrompus :

1° Par la décision qui enjoint aux parties de rencontrer un médiateur en application de l’article 127-1 ou qui ordonne une médiation en application de l’article 131-1. L’interruption produit ses effets, selon le cas, jusqu’à expiration du délai imparti aux parties pour rencontrer un médiateur ou achèvement de la mission du médiateur ;

2° Lorsqu’il est justifié de la conclusion d’une convention de procédure participative aux fins de mise en état entre tous les avocats constitués. L’interruption produit ses effets jusqu’à l’information donnée, par la partie la plus diligente, au président de la chambre saisie, au magistrat désigné par le premier président en application du premier alinéa de l’article 906-1 ou au conseiller de la mise en état, de l’extinction de la procédure participative.

Cette nouvelle disposition est une invitation impérative faite aux avocats pour conventionner les procédures de mise en état. Elle s’inscrit dans la dynamique de l’amiable promue par le garde des Sceaux en vue en clair de limiter l’inflation du contentieux.

Force est de constater que le décret du 29 décembre 2023 ne règle nullement les points pour lequel il était attendu, dont celui essentiellement portant sur les sanctions appliquées, à savoir la caducité et l’irrecevabilité de l’appel. Pourtant le constat démontre que ces dispositifs sont contre productifs en rallongeant la procédure d’appel inutilement sans réponse au fond finalement. De plus, la profession demandait la remise en cause de telles sanctions qui génèrent un important contentieux de la sinistralité de la caducité pour les avocats.

Les dispositions de ce décret n’entreront en vigueur que dans six mois, soit à compter du dimanche 1er septembre 2024. Elles s’appliqueront aux instances d’appel et aux instances consécutives à un renvoi après cassation introduites à compter de cette date. Il est à noter que le projet de décret initialement communiqué à la profession prévoyait une date d’entrée en vigueur pour le 1er juin 2024.

Cette date différée d’entrée en vigueur par rapport à la date de publication nous interpelle. En effet, il convient de rappeler que le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile, publiée au Journal Officiel du 12 décembre 2019, est entré en vigueur le 1er janvier 2020, seulement mois de trois semaines après sa publication. Son article 55 I prévoyait que les dispositions de ce décret du 11 décembre 2019 s’appliquaient aux instances en cours à cette date ; ce qui est conforme aux lois et décrets de procédure qui s’appliquent aux instances en cours.

Ce différé de huit mois prévu pour l’application d’un décret non révolutionnaire qui s’attache à faire une réformette aux contours très limités à la place de la grande réforme attendue et annoncée est difficilement compréhensible. Pour l’essentiel, ce texte ne fait que rallonger quelques délais pour signifier, conclure ou qui permet de corriger la déclaration d’appel dans les premières conclusions de l’appelant.

Il n’y avait pas de quoi à attendre huit mois pour l’entrée en vigueur d’un décret de procédure qui n’apporte rien de nouveau sous le soleil en ne réglant finalement aucun problème de fond de la réforme posée par les décrets Magendie.

 

 

Nature ou délai de l’acte procédural Modifications apportées par le décret du 29 décembre 2023 applicables à compter du 1er septembre 2024
Chefs de jugement critiquées dans la déclaration d’appel Possibilité de mentionner les chefs de jugement pour la première fois dans ses premières conclusions lorsqu’il omet de les mentionner en tout ou partie dans la déclaration d’appel.
Signification de la déclaration d’appel procédure à bref délai 20 jours (au lieu de 10 jours).
Délai pour conclure dans la procédure à bref délai Deux mois (au lieu d’un mois).

 

Possibilité pour le conseiller de la mise en état d’augmenter les délais pour conclure.

Délai pour conclure dans la procédure ordinaire Trois mois pour l’appelant et l’intimé (aucun changement)

 

Possibilité pour le conseiller de la mise en état d’augmenter les délais pour conclure.

 

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