Licéité du cautionnement à durée indéterminée et prise en compte des biens communs dans l’appréciation de la disproportion

Publié le 23/02/2018

Le cautionnement à durée indéterminée est licite. Cela sera-t-il toujours le cas en présence d’un véritable cautionnement à durée indéterminée, portant sur des dettes futures ?

Même si les biens communs échappent au droit de poursuite du créancier, ils doivent être pris en compte pour apprécier la proportionnalité de l’engagement de la caution. Mais à quelle hauteur ?

Cass. com., 15 nov. 2017, no 16-10504

Une affaire tout ce qu’il y a de plus banal a donné à la Cour de cassation l’occasion de se prononcer sur la licéité d’un cautionnement à durée indéterminée, ainsi que sur les critères devant être pris en compte pour apprécier la proportionnalité de l’engagement de la caution mariée sous le régime de la communauté réduite aux acquêts. La décision est aussi riche d’enseignements que porteuse d’interrogations.

Dans cette affaire, une caution personne physique s’est portée caution solidaire en garantie du paiement des dettes d’une société. Souscrit par actes sous seing privé du 7 décembre 2009 et du 22 juillet 2010 envers un créancier professionnel, le cautionnement entrait, à n’en point douter, dans le champ d’application des articles L. 341-2 et suivants du Code de la consommation, devenus L. 331-1 et suivants avec l’ordonnance du 14 mars 20161.

La caution s’est prêtée à la rédaction d’une mention manuscrite, comme l’impose l’article L. 341-2 à peine de nullité. Toutefois, la mention recopiée différait de celle prescrite, puisqu’elle spécifiait que la caution s’engageait « jusqu’au paiement effectif de toutes les sommes dues », au lieu d’indiquer qu’elle s’engageait « pour la durée de … ».

Cet écart justifiait-il l’annulation du cautionnement pour non-respect du formalisme ad validitatem ? Les juges du fond ont apporté une réponse négative à cette interrogation, jugeant le cautionnement valable, ce qui a poussé la caution à se pourvoir en cassation et à soumettre la même question à la haute juridiction. Peine perdue : la Cour de cassation approuve sans réserve la décision de la cour d’appel, motif pris que la mention écrite par la caution « ne modifiait pas le sens et la portée de la mention manuscrite ». Cette justification aurait suffi, à elle seule, à rejeter le pourvoi. La Cour aurait alors simplement pris parti sur l’appréciation d’une irrégularité formelle, comme elle l’a fait tant d’autres fois auparavant. Elle a cependant souhaité donner à sa décision les atours d’un arrêt de principe en reprenant l’énonciation de la cour d’appel selon laquelle « il se déduit de la combinaison des articles L. 341-2 et L. 341-6 du Code de la consommation, issus de la loi du 1er août 2003, que le cautionnement à durée indéterminée est licite ». Si elle voulait, par là, mettre un terme aux interrogations que suscite la lecture de l’article L. 341-2 du Code de la consommation, il n’est pas certain qu’elle y soit parvenue.

Parallèlement, la Cour s’est également penchée sur l’exigence, substantielle cette fois, et non formelle, d’un engagement qui ne soit pas disproportionné aux biens et revenus de la caution. Il s’agissait d’une autre question épineuse, au croisement du droit des sûretés et des régimes matrimoniaux : celle de savoir quelle assiette du patrimoine doit être prise en compte pour apprécier la disproportion de l’engagement lorsque la caution est une personne mariée sous un régime de communauté.

En l’espèce, les juges du fond ont estimé que l’engagement de la caution était manifestement disproportionné à ses revenus, mais non à ses biens. Pour fonder cette appréciation, ils ont tenu compte d’un bien immobilier commun qui échappait pourtant au droit de gage général du créancier, par l’effet de l’article 1415 du Code civil, dès lors que le conjoint de la caution n’avait pas consenti à l’acte. Là encore, la solution a été approuvée par la Cour de cassation, sur le fondement d’une interprétation stricte de la lettre du texte : « la disproportion manifeste de l’engagement de la caution s’appréci[e] (…) par rapport, notamment, à ses biens, sans distinction ». La Cour de cassation refuse ainsi que la disproportion de l’engagement de la caution soit appréciée à l’aune du droit de poursuite du créancier. Peu importe donc que les biens entrent ou non dans l’assiette du droit de gage général du créancier, dès lors qu’ils figurent dans le patrimoine de la caution.

Les deux points développés par l’arrêt sont tout aussi importants l’un que l’autre : d’une part, l’affirmation de la licéité du cautionnement à durée indéterminée (I) ; d’autre part, le refus d’apprécier la disproportion de l’engagement de la caution à l’aune du droit de poursuite du créancier (II).

I – La licéité du cautionnement à durée indéterminée

Au vu des faits de l’espèce qui lui était soumise, la Cour de cassation n’avait pas besoin de prendre parti sur la licéité du cautionnement à durée indéterminée. En insistant néanmoins sur ce point, tout en se retranchant derrière les énonciations de la cour d’appel, la haute juridiction crée une incertitude sur la portée de l’affirmation.

A – L’inutilité de l’affirmation

Dans l’opinion commune, la notion de durée du cautionnement n’a de sens qu’au sujet du cautionnement de dettes futures. Dans ce cadre, la durée est utilisée comme un moyen de quantifier l’obligation de la caution. En effet, lorsque la caution s’engage à garantir un ensemble de dettes à naître, le montant qu’elle devra effectivement payer dépendra non seulement du plafond quantitatif qu’elle aura éventuellement fixé à son engagement, mais aussi de la durée pendant laquelle elle a accepté d’apporter sa garantie. Elle sera alors tenue de toutes les dettes nées pendant la durée de son engagement, mais ne devra pas garantir celles qui seront nées postérieurement à l’extinction de son engagement. Ce fonctionnement du cautionnement de dettes futures est généralement décrit par la distinction entre l’obligation de couverture, obligation de garantie à exécution successive, et l’obligation de règlement, obligation de payer à exécution instantanée2. L’adoption de cette distinction conduit à affirmer que seule l’obligation de couverture peut être affectée d’une durée, puisqu’elle est à exécution successive, à la différence de l’obligation de règlement, qui ne s’étale pas dans le temps. L’obligation de couverture, en ce qu’elle traduit l’existence d’une période de couverture dont dépend le quantum de l’engagement de la caution, n’a de pertinence que dans le cautionnement de dettes futures. Dès lors, la notion de durée du cautionnement n’aurait de sens que dans le cautionnement de dettes futures3. La caution qui garantit une dette présente ne s’engage pas sur la durée ; elle est simplement tenue d’une obligation à exécution instantanée, différée dans le temps puisque le paiement ne sera dû qu’en cas de défaillance du débiteur.

Or, en l’espèce, tout porte à croire que la caution s’est engagée à garantir une dette présente, au vu de la précision du montant de son engagement : 143 375,75 € et 20 926,40 € pour le principal et les intérêts de la première facture ; 115 673 € et 8 808,31 € pour le principal et les intérêts de la seconde facture. C’est pour cette raison que, dans les faits de l’espèce commentée, la mention relative à la durée de l’engagement de la caution n’avait pas véritablement de sens : l’obligation de payer n’était pas affectée d’une durée. Elle était simplement, comme toute obligation issue d’un cautionnement, soumise à la condition suspensive de la défaillance du débiteur4. Sauf à remettre en cause l’analyse classique et à admettre l’idée d’une durée assortissant l’obligation de règlement, la temporalité de cette condition ne confère pas à l’obligation le caractère d’un engagement assorti d’une durée ; il diffère simplement le moment où la caution sera tenue de payer. D’où la mention selon laquelle la caution était engagée « jusqu’au paiement effectif de toutes les sommes dues ».

Au vu de ces éléments de fait, l’affirmation selon laquelle le cautionnement à durée indéterminée est licite était parfaitement inutile : l’obligation de la caution étant à exécution instantanée, elle n’était par essence affectée d’aucune durée. Autrement dit, il ne s’agissait pas d’un cautionnement à durée indéterminée, faute de période de couverture, mais d’un cautionnement instantané portant sur une dette présente. D’ailleurs, s’il était à durée indéterminée, ce cautionnement serait assorti d’une faculté de résiliation, comme le rappelle l’article L. 341-6 du Code de la consommation. Or, on voit mal comment la caution aurait pu résilier son engagement en l’espèce. L’eût-elle fait, sa résiliation n’aurait eu aucun effet libératoire : elle aurait toujours été tenue de payer les dettes présentes qu’elle s’est engagée à garantir. Résolument, son engagement n’était pas à durée indéterminée.

Pour inutile qu’elle soit, l’affirmation n’en figure pas moins dans l’attendu de la Cour de cassation, et confère à l’arrêt toute sa portée. Une portée sur laquelle, toutefois, il faut se garder de tirer des conclusions trop hâtives.

B – La portée de l’affirmation

Analysant l’expression « jusqu’au paiement effectif de toutes les sommes dues » comme la stipulation d’un engagement à durée indéterminée, les juges du fond ont affirmé « qu’il se déduit de la combinaison des articles L. 341-2 et L. 341-6 du Code de la consommation, que le cautionnement à durée indéterminée est licite ».

Nul ne doutait que le cautionnement à durée indéterminée fût licite. L’article L. 341-6 du Code de la consommation consacre cette possibilité en imposant une obligation d’information particulière au créancier en cas d’engagement à durée indéterminée. Simplement, on estime généralement que le cautionnement ne peut être à durée indéterminée que lorsqu’il sort du champ d’application de l’article L. 341-2 du Code de la consommation, lequel impose à la caution de mentionner expressément la durée pour laquelle elle s’engage. Ainsi, seuls pourraient être à durée indéterminée les cautionnements souscrits par une personne morale, ou bien par une personne physique envers un créancier non professionnel, ou encore par une personne physique envers un créancier professionnel par le biais d’un acte authentique. L’article L. 341-6 du Code de la consommation s’appliquant au cautionnement souscrit par une personne physique envers un créancier professionnel, il ne trouverait à s’appliquer, pour un cautionnement à durée indéterminée, qu’en cas de souscription par acte authentique5.

En l’espèce, les juges du fond ont pris leurs distances avec cette opinion répandue. En déduisant la licéité du cautionnement à durée indéterminée de la combinaison des articles L. 341-2 et L. 341-6, la cour d’appel a manifestement entendu appliquer ce principe de licéité aux cautionnements souscrits par acte sous seing privé et relevant du champ de l’article L. 341-2. Nonobstant l’exigence d’une durée figurant dans la mention manuscrite, une caution personne physique pourrait donc s’engager envers un créancier professionnel sans limitation de durée. La généralité de la formulation implique que le principe s’applique non seulement au cautionnement de dettes présentes, mais aussi aux cautionnements qui peuvent véritablement être à durée indéterminée : les cautionnements de dettes futures.

Est-ce là la position consacrée par la Cour de cassation ? Rien n’est moins sûr. En effet, la Cour de cassation se contente, dans un premier temps, de rappeler les énonciations de la cour d’appel quant à la licéité du cautionnement à durée indéterminée et à la stipulation litigieuse. Ce n’est que dans un second temps qu’elle approuve sans réserve (« à bon droit ») la décision de la cour d’appel d’écarter la nullité de l’acte. Cette approbation n’est pas justifiée par le principe de licéité du cautionnement à durée indéterminée, mais par l’affirmation propre de la Cour de cassation selon laquelle « cette mention ne modifiait pas le sens et la portée de la mention manuscrite légale ». Telle est la ratio decidendi de l’arrêt : l’irrégularité n’est pas cause de nullité parce qu’elle ne modifie pas le sens et la portée de la mention légale. C’est d’ailleurs à l’aune de ce même critère que sont généralement appréciées les irrégularités dans les mentions recopiées6.

Or, si, en l’espèce, la mention apposée ne modifiait pas la portée de la mention légale, c’est parce qu’il s’agissait d’un cautionnement de dettes présentes non inscrit dans la durée, de sorte que la mention relative à la durée n’avait aucune incidence sur l’étendue de l’engagement de la caution. Pour autant, un véritable cautionnement de dettes futures assorti du même type de mention aurait-il trouvé grâce aux yeux de la haute juridiction ? Peut-on sérieusement considérer que la stipulation selon laquelle la caution s’engage « jusqu’au paiement effectif de toutes les sommes dues » ne modifie pas le sens et la portée de la mention exigeant une durée spécifique, lorsque la caution s’engage à garantir un ensemble de dettes à naître ? Dans une telle hypothèse, la durée du cautionnement délimite la quantité des dettes couvertes par la caution, donc le quantum de son engagement. La mention de cette durée a alors nécessairement une incidence sur la portée de l’engagement. En présence d’un véritable cautionnement de dettes futures, s’engager sans limitation de temps n’est pas la même chose que s’engager dans la limite d’une certaine durée. La modification de la mention légale aurait alors une véritable incidence sur sa portée.

Sachant que, de façon générale, la Cour de cassation estime que le sens et la portée de la mention légale sont modifiés par une formule faisant état d’une durée qui n’en est pas une7 ou qui n’est pas suffisamment explicite8 ou précise9, il serait étonnant que cette même juridiction admette la stipulation d’une durée indéterminée lorsque cette durée a un impact sur la portée de l’engagement de la caution, donc sur la portée de la mention manuscrite.

En somme, il est loin d’être acquis que la Cour de cassation retienne la même solution en présence d’un véritable cautionnement de dettes futures. Le seul enseignement que l’on puisse tirer avec certitude de cette décision est le suivant : dans le cautionnement de dettes présentes, la stipulation d’un engagement sans durée déterminée n’entraîne pas la nullité de l’acte. La question reste à poser concernant le cautionnement de dettes futures.

D’autres incertitudes surgissent à la lecture du second attendu.

II – La disproportion appréciée indépendamment du droit de poursuite

Si elle est opportune, la solution n’en suscite pas moins des interrogations quant à sa portée.

A – L’opportunité de la solution

La solution posée par la Cour de cassation semble opportune, d’abord, au regard de la finalité du principe de proportionnalité. Ce principe repose sur une double logique : logique de sanction du créancier, d’une part, puisqu’il se traduit en droit commun par l’engagement de la responsabilité civile du créancier et en droit spécial par une déchéance de ses droits10 ; logique de solvabilité de la caution, d’autre part, puisqu’il s’agit de s’assurer que la caution dispose d’un patrimoine suffisant pour faire face à ses engagements. En témoigne la précision selon laquelle le créancier retrouve son droit de poursuite, même en cas de disproportion, si le patrimoine de la caution, au moment où elle est appelée, lui permet de faire face à son obligation. Dans cette double perspective, la solution posée par l’arrêt commenté est opportune.

En effet, d’une part, il n’y a pas lieu de sanctionner le créancier lorsqu’il fait souscrire un cautionnement qui n’est pas manifestement disproportionné au regard de l’ensemble du patrimoine de la caution. Le fait que certains biens du patrimoine échappent au droit de gage général du créancier reporte le risque d’impayé au stade de la mise en œuvre des voies d’exécution. Mais il ne justifie pas la déchéance des droits du créancier à l’égard de la caution, car il n’y a pas alors de comportement qui mérite d’être sanctionné11.

D’autre part, la solution évite, à juste titre, de confondre solvabilité de la caution et saisissabilité de ses biens. Le principe de proportionnalité tend à vérifier que la caution dispose, dans son patrimoine, de ressources suffisantes pour acquitter ses obligations. C’est ici une logique d’exécution volontaire qui est à l’œuvre. À cet égard, c’est la caution qui est protégée, et non le créancier. Cela explique que le principe de proportionnalité s’apprécie au regard de l’ensemble du patrimoine de la caution, et non pas au regard des seuls biens sur lesquels le créancier peut exercer son droit de gage général. En effet, pour acquitter ses obligations, la caution peut parfaitement choisir de mobiliser des biens qui échappent aux poursuites de ses créanciers (sous réserve, pour une caution mariée et commune en biens, qu’elle obtienne le consentement de son conjoint, nécessaire pour disposer de certains biens).

Ensuite, l’opportunité de la solution commentée tient à ce qu’elle met fin à une controverse créée par deux arrêts contradictoires rendus par la même formation quelques mois plus tôt.

Ainsi, dans un arrêt du 18 janvier 201712, la chambre commerciale a admis qu’il soit tenu compte d’un bien sur lequel les voies d’exécution avaient été contractuellement limitées, au motif que le contrat « avait pour seul objet d’interdire au [créancier] le recours à certaines procédures d’exécution forcée sans modifier la consistance du patrimoine de la caution pouvant être pris en compte ». Il s’en déduisait que l’insaisissabilité d’un bien n’empêche pas sa prise en compte pour apprécier la disproportion de l’engagement.

Puis, adoptant une position radicalement inverse, la même chambre avait expressément lié l’appréciation de la disproportion du cautionnement à l’assiette du droit de gage général du créancier, par un arrêt rendu le 22 février 201713. Elle avait jugé que l’ensemble des biens communs des époux devait être pris en compte pour l’appréciation de la disproportion, aux motifs que l’assiette du gage général du créancier s’y étendait14.

L’arrêt commenté met fin à la controverse en renouant avec la solution amorcée le 18 janvier 2017, tout en délaissant celle adoptée le 22 février 2017. En affirmant qu’un bien commun doit être pris en compte pour l’appréciation de la disproportion, alors même qu’il ne peut « être engagé pour l’exécution de la condamnation éventuelle de la caution », la Cour de cassation considère clairement que la disproportion doit être appréciée indépendamment de l’assiette du gage général du créancier.

Tout opportune qu’elle est, la solution mérite d’être précisée dans sa portée.

B – La portée de la solution

La solution commentée appelle plusieurs précisions.

D’abord, la Cour de cassation énonce que le bien « dépendant de la communauté devait être pris en considération ». Cependant, rien n’est dit sur la hauteur à laquelle le bien commun doit être pris en compte. Or, si les biens communs peuvent être considérés comme figurant dans le patrimoine de la caution, ils ne sont pas pour autant sa propriété exclusive, puisqu’ils appartiennent tout autant au conjoint. On le sait, la masse commune a vocation à être partagée par moitié entre les époux lors de la dissolution de la communauté. Dès lors, chaque époux n’est, virtuellement, propriétaire que de la moitié des biens communs. Si l’on tient compte de la réalité patrimoniale du couple marié sous un régime de communauté, la référence aux biens de la caution renvoie à ses biens propres et à la moitié des biens communs.

Faut-il alors tenir compte des biens communs à hauteur de la moitié de leur valeur pour apprécier la disproportion de l’engagement de la caution ? La décision commentée n’apporte aucun élément de réponse sur ce point dès lors qu’en l’espèce, la caution ne produisait aucun justificatif de la valeur du bien commun au jour de son engagement. On ignore donc à quelle hauteur le bien a été pris en considération.

En faveur d’une prise en compte de la valeur totale du bien, il pourrait être avancé que la totalité de cette valeur peut être utilisée par la caution pour le paiement de sa dette : à supposer que les deux époux soient d’accord pour la vente du bien, le prix qui sera retiré de la vente sera soumis au principe de la gestion concurrente posé par l’article 1421 du Code civil : chaque époux pourra en disposer librement. La valeur totale du bien commun représente donc une ressource que la caution peut utiliser pour acquitter son obligation.

Pour autant, cela ne semble pas suffire à justifier une prise en compte de la valeur totale du bien, car l’utilisation de la somme commune par la caution donnera le plus souvent lieu à récompense : si, comme en l’espèce, le cautionnement garantit une dette professionnelle, la dépense sera considérée comme effectuée pour le profit personnel de l’époux caution. Elle devra alors être supportée à titre définitif par la masse propre de celui-ci, comme le prévoit l’article 1437 du Code civil. Par le jeu des récompenses, l’époux caution n’aura pu, in fine, utiliser que la moitié de la somme commune à son profit. Il serait donc plus logique, eu égard à la finalité du principe de proportionnalité, que la disproportion de l’engagement de la caution soit appréciée en fonction de ses biens propres et de la moitié de la valeur des biens communs.

Cette logique pourrait être appliquée également aux revenus de la caution, qui sont aussi des biens communs et ne lui appartiennent donc que pour moitié. Toutefois, il ne serait pas nécessairement opportun que la disproportion de l’engagement du débiteur ne soit appréciée qu’au regard de la moitié de ses revenus. Aussi, on peut penser qu’un sort spécifique doit être réservé aux revenus de la caution, sur le fondement d’une lecture stricte de l’article L. 341-4, lequel commande d’apprécier la disproportion de l’engagement de la caution eu égard « à ses biens » (soit la moitié des biens communs) « et revenus » (soit la totalité de ses revenus, peu important qu’ils ne figurent que pour moitié dans son patrimoine). Quand bien même les revenus de la caution sont aussi des biens communs, et n’appartiennent donc à la caution que pour moitié, la lettre du texte peut justifier de les prendre en compte dans leur totalité.

En somme, on peut soutenir que devraient être intégrés dans l’assiette d’appréciation de la disproportion les biens propres de la caution, ainsi que ses revenus et la moitié de la valeur des autres biens communs15.

Paradoxalement, cette même solution devrait s’appliquer dans l’hypothèse où le créancier a obtenu le consentement du conjoint de la caution : puisque l’assiette d’appréciation de la disproportion est détachée de l’assiette du gage général du créancier, la solution vaut dans les deux sens. Peu importe que le créancier ait accès aux biens communs. La disproportion devrait s’apprécier en toute hypothèse eu égard aux revenus de la caution débitrice et à ses biens, entendus comme ses biens propres et la moitié des biens communs. Seul un accord du conjoint valant engagement de sa part comme cofidéjusseur permettrait d’intégrer l’ensemble des biens des deux époux dans l’assiette d’appréciation de la disproportion. Les deux époux seraient alors débiteurs, si bien que la disproportion devrait être appréciée en comparant le montant total de leur engagement à la totalité de leur patrimoine.

Outre cette épineuse question de la proportion dans laquelle les biens communs doivent être pris en compte, l’arrêt commenté invite à s’interroger sur la transposition de la solution posée à d’autres situations, notamment celle de la caution entrepreneur individuel à responsabilité limitée. Faut-il tenir compte des seuls biens figurant dans son patrimoine d’affectation, si la dette est professionnelle ? Ou faut-il également inclure les biens figurant dans son patrimoine personnel, dès lors que le texte vise « ses biens », sans distinction ? Si l’on raisonne indépendamment du droit de poursuite des créanciers, il faudrait tenir compte de l’ensemble des biens de l’entrepreneur pour apprécier la disproportion de son engagement, peu importe le patrimoine dans lequel ils figurent.

Enfin, une dernière observation s’évince de l’arrêt commenté. Pour consommer la dissociation entre l’assiette d’appréciation de la disproportion et l’assiette du gage général du créancier, il faut considérer que les décisions rendues en matière de disproportion n’ont aucun impact sur la délimitation du droit de gage général du créancier.

Cela permet alors de reconsidérer la solution rendue dans l’arrêt du 22 février 2017, où la Cour de cassation semblait prendre parti à l’encontre d’une solution admise par la doctrine majoritaire. Lorsque la caution, commune en biens, s’engage avec l’accord exprès de son conjoint, l’article 1415 du Code civil conduit à intégrer dans l’assiette du gage du créancier non seulement les propres et les revenus de la caution, mais aussi les biens communs, à l’exclusion des propres du conjoint non débiteur. Dans le silence des textes et de la jurisprudence, la doctrine estime qu’il y a lieu d’interpréter l’article 1415 à la lumière de l’article 1414 et de considérer que, dans l’hypothèse de l’accord du conjoint non débiteur, les gains et salaires de ce dernier échappent aux poursuites du créancier. Autrement dit, tous les biens communs seraient engagés du fait de son accord, à l’exception des gains et salaires du conjoint non débiteur. C’est d’ailleurs la solution retenue pour toutes les autres dettes souscrites pendant la communauté.

Or le 22 février 2017, la Cour de cassation a jugé que, du fait du consentement du conjoint de la caution, la cour d’appel pouvait apprécier la proportionnalité de l’engagement de la caution « tant au regard de ses biens et revenus propres que de ceux de la communauté, incluant les salaires de son épouse ». Elle semblait ainsi désavouer la doctrine, pour qui les salaires du conjoint non débiteur sont protégés des poursuites du créancier. À présent que l’on sait que la disproportion s’apprécie indépendamment du droit de gage général, on peut retrouver une certaine tranquillité d’esprit sur ce point et considérer que la jurisprudence n’a toujours pas pris parti sur la question de savoir si les gains et salaires du conjoint de la caution sont protégés, ou non, en cas d’accord exprès donné à l’engagement de l’autre. On peut donc en toute bonne conscience continuer à penser, soutenir et enseigner que les gains et salaires du conjoint non débiteur restent protégés, par application combinée des articles 1415 et 1414 du Code civil.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Les textes du Code de la consommation seront cités par la suite dans leur numérotation applicable à l’espèce, antérieure à l’ordonnance.
  • 2.
    Mouly C., Les causes d’extinction du cautionnement, 1979, Litec. Pour un affinement de la distinction : Mazeaud V., L’obligation de couverture, 2010, IRJS éditions, qui propose de renouveler l’analyse classique en distinguant la période de couverture, propre au cautionnement de dettes futures, et l’obligation de couverture, présente dans tous les types de cautionnement.
  • 3.
    En ce sens : Bourassin M., Brémond V. et Jobard-Bachellier M.-N., Droit des sûretés, 5e éd., 2016, Sirey Université, n° 207, affirmant que la fixation d’un terme extinctif à l’obligation de la caution n’a de sens que dans les cautionnements de dettes futures, dès lors que, dans les cautionnements de dettes présentes, celles-ci sont nécessairement couvertes par la caution, quelle que soit la durée de son engagement.
  • 4.
    Pour une telle analyse : Mazeaud V., L’obligation de couverture, 2010, IRJS éditions, n° 254 ; Cottet M., Essai critique du la théorie de l’accessoire en droit privé, 2013, LGDJ, nos 271 et s.
  • 5.
    En ce sens : François J., Les sûretés personnelles, 2004, Economica, n° 229 ; Barthez A.-S. et Houtcieff D., Les sûretés personnelles, 2010, LGDJ, n° 547.
  • 6.
    Solution constante depuis Cass. 1re civ., 9 nov. 2004, n° 02-17028 : Bull. civ. I, n° 254 – Cass. 1re civ., 10 avr. 2013, n° 12-18544 : Bull. civ. I, n° 74 – Cass. 1re civ., 22 sept. 2016, n° 15-19543, D.
  • 7.
    Cass. com., 26 janv. 2016, n° 14-20202, censurant la formule indiquant que la caution s’engage pour la durée de « cent huit mensualités », ce qui renvoie à un montant et non à une durée.
  • 8.
    Cass. 1re civ., 9 juill. 2015, n° 14-24287, censurant la formule indiquant que la caution s’engage « pour la durée de l'opération garantie plus deux ans », au motif que « s'agissant d'un élément essentiel permettant à la caution de mesurer la portée exacte de son engagement, cette mention devait être exprimée sans qu'il soit nécessaire de se reporter aux clauses imprimées de l'acte ».
  • 9.
    Cass. com., 17 déc. 2017, n° 15-24294, jugeant que la mention indiquant que la caution s’engage « jusqu’au 31 janvier 2014 ou toute autre date reportée d’accord » entre le créancier et le débiteur principal, ne permettait pas à la caution de connaître, au moment de son engagement, la date limite de celui-ci.
  • 10.
    C. consom., art. L. 313-10 devenu C. consom., art. L. 314-18 et C. consom., art. L. 341-4 devenu C. consom., art. L. 332-1 (concernant tout cautionnement souscrit par une personne physique envers un créancier professionnel) issus de l’Ord. n° 2016-301, 14 mars 2016, relative à la partie législative du Code de la consommation.
  • 11.
    La même logique pousse la jurisprudence à apprécier la disproportion du cautionnement au regard, non pas du patrimoine réel de la caution, mais du patrimoine qu’elle a déclaré au créancier lors de son engagement. En ce sens : Cass. com., 14 déc. 2010, n° 09-69807 : Bull. civ. IV, n° 198 – Cass. com., 22 mai 2013, n° 12-15030 ; Cass. 1re civ., 22 sept. 2016, n° 15-18793 ; Cass. 1re civ., 28 sept. 2016, n° 15-23641.
  • 12.
    Cass. com., 18 janv. 2017, n° 15-12723.
  • 13.
    Cass. com., 22 févr. 2017, n° 15-14915.
  • 14.
    La formule retenue, sans ambiguïté, était la suivante : « Le consentement exprès donné en application de l'article 1415 du Code civil par un époux au cautionnement consenti par son conjoint ayant pour effet d'étendre l'assiette du gage du créancier aux biens communs, c'est à bon droit que la cour d'appel a apprécié la proportionnalité de l'engagement contracté par M. X, seul, tant au regard de ses biens et revenus propres que de ceux de la communauté ».
  • 15.
    Comp. la solution retenue dans l’arrêt du 18 janvier 2017, précité, où les juges du fond avaient considéré que l’immeuble, bien qu’insaisissable, « constituait néanmoins un élément de patrimoine pouvant répondre des dettes à concurrence de la part indivise » de la caution.