L’action en décharge équitable de la dette successorale
Encourt la censure de la Cour de cassation au visa de l’article 786, alinéa 2, du Code civil, l’arrêt d’appel qui retient que le légataire n’a pas été informé de la créance revendiquée par la banque avant son acceptation pure et simple de la succession et que son consentement a été entaché d’une erreur substantielle sans laquelle il n’aurait pas accepté la succession, laquelle s’est révélée déficitaire.
Cass. 1re civ., 4 janv. 2017, no 16-12293
1. L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 4 janvier 20171 était très attendu car la haute juridiction n’avait pas eu encore l’occasion de se prononcer sur les conditions à décharger l’héritier de son obligation à une dette successorale2. Le litige opposait un légataire au Crédit agricole régional de Normandie. M. Claude X est décédé après avoir désigné M. Michaël X en qualité de légataire universel. À la suite du règlement de la succession qui a été acceptée purement et simplement par le légataire la caisse régionale de Crédit agricole de Normandie (la banque) a sollicité le paiement d’une créance résultant d’un engagement de caution souscrit par le défunt. Le légataire demande en justice l’autorisation d’être déchargé de son obligation à cette dette successorale conformément à l’article 786, alinéa 2, du Code civil. En première instance, le légataire obtient gain de cause en invoquant l’absence d’information sur l’existence du cautionnement consenti par le de cujus. La Cour de cassation censure les juges du fond pour violation de l’article 786, alinéa 2, du Code civil. En visant cet article du Code civil pour justifier sa solution, la Cour de cassation apporte une réponse dénuée de toute ambiguïté sur le fondement de la décharge de dette successorale (I) tout en prévoyant les modalités de la réduction de la dette successorale (II).
I – Le fondement de la décharge de dette successorale
2. C’est sans aucun doute ce souci d’équité qui est le fondement de l’arrêt rendu par la haute juridiction le 4 janvier 2017 (A) pour régler la question, toujours délicate du cautionnement (B).
A – Une règle d’équité
3. L’équité a inspiré le nouvel article 786 du Code civil qui dispose que « l’héritier acceptant purement et simplement ne peut plus renoncer à la succession ni l’accepter à concurrence de l’actif net. Toutefois, il peut demander à être déchargé en tout ou partie de son obligation à une dette successorale qu’il avait des motifs légitimes d’ignorer au moment de l’acceptation, lorsque l’acquittement de cette dette aurait pour effet d’obérer gravement son patrimoine personnel. L’héritier doit introduire l’action dans les cinq mois du jour où il a eu connaissance de l’existence et de l’importance de la dette ». Cet article en son alinéa 2 contient une dérogation équitable au principe général de l’obligation ultra vires.
4. Sur le plan philosophique, la notion d’équité renvoie, dans son sens usuel, à la « notion de justice naturelle dans l’appréciation de ce qui est dû à chacun »3. Force est de reconnaître que c’est à Aristote que l’on doit la première formulation élaborée de la notion d’équité. Il considère, en effet, celle-ci comme un correctif, un moyen de pallier les insuffisances de la loi et de moduler son application au divers cas d’espèce4. Même si en droit civil positif, la place et le rôle de l’équité sont ambigus, le Code civil lui accorde un rôle actif et notamment à l’article 786, alinéa 2, du Code civil5. Les auteurs contemporains continuent à distinguer la justice commutative et la justice distributive pour expliquer le fondement de cet article 786, alinéa 2, du Code civil. C’est ainsi que pour Vincent Brémond : « Le fondement de cette disposition (…) se trouve sans doute dans l’idée de justice distributive, mais peut-être aussi commutative »6.
5. Au cas d’espèce, les juges d’appel font droit à la demande du légataire et le décharge de ce passif en jugeant « (..) par motifs propres et adoptés, que le légataire n’a pas été informé de la créance revendiquée par la banque avant son acceptation pure et simple de la succession et que son consentement a été entaché d’une erreur substantielle sans laquelle il n’aurait pas accepté la succession, laquelle s’est révélée déficitaire (…) ». Pour autant, selon le pourvoi, la Crcam de Normandie « ne rapporte pas la preuve, comme [elle] l’affirme, qu’[elle] avait fourni tout document utile pour que les ayants droit de M. X puissent prendre leur décision d’acceptation de la succession en toute connaissance de cause », « que M. X n’a (…) pas été officiellement informé de l’existence de la dette de 368 865,63 € avec intérêts et primes au titre d’un cautionnement ni du nantissement sur matériel et outillage pour la somme de 53 170,82 € au principal qui ne figuraient pas sur le décompte établi par Me Y sur la base duquel il a consenti à la succession ».
B – Le cautionnement à l’épreuve du droit des successions
6. Avant la loi du 23 juin 20067, la Cour de cassation avait déjà jugé en faveur de la Crcam en considérant qu’« attendu qu’au soutien de sa décision, la cour d’appel, après avoir relevé que la réclamation de la CRCAM était consécutive au non-paiement, par les débiteurs principaux, des échéances dont ils étaient redevables à compter du 15 mars 1987, date postérieure à celle du décès de Louis Pesquet, a estimé que “la dette”, à charge des époux Philippe et Véronique Pesquet, était “née postérieurement au décès” de cette caution et que, dès lors, les héritiers de celle-ci ne pouvaient en être déclarés tenus ; Attendu qu’en statuant ainsi, alors que la dette des époux Philippe et Véronique Pesquet avait déjà pris naissance avant le décès de la caution, même si elle n’était pas encore exigible à cette date, la cour d’appel a violé, par fausse application, les textes susvisés ; Par ces motifs, casse et annule (…) »8.
7. En pareille hypothèse, on avait déjà constaté que l’article 786, alinéa 2, du Code civil avait consacré une règle favorable à la caution9. Les évolutions récentes se rapportant à ce qui est communément appelé le « cautionnement » que la pratique notariale connaît bien avaient suscité une question posée au garde des Sceaux dans les termes suivants : « Elle lui demande si elle envisage la création d’un fichier national des cautions afin de remédier à ce risque et, par conséquent, de diminuer les nombreux litiges qui encombrent les tribunaux »10. La réponse du garde des Sceaux, ministre de la Justice présente une synthèse intéressante de la jurisprudence récente en estimant : « En effet, si l’article 2294 du Code civil prévoit que “les engagements des cautions passent à leurs héritiers si l’engagement était tel que la caution y fût obligée”, une jurisprudence constante de la Cour de cassation limite la portée de cette règle, en décidant que l’obligation de couverture qui pèse sur la caution prend fin au jour du décès, de sorte que les héritiers d’une caution ne peuvent être tenus que des dettes du bénéficiaire nées postérieurement au décès de leur auteur11. Par ailleurs, la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités a introduit des dispositions dans le Code civil de nature à préserver les héritiers de l’ignorance qu’ils peuvent avoir de l’ensemble des dettes contractées par le défunt. D’une part, les héritiers sommés de prendre parti à l’égard de la succession, qui disposent du laps de temps nécessaire pour faire inventaire, peuvent, le cas échéant, déclarer accepter la succession à concurrence de l’actif net, limitant de cette façon la poursuite des créanciers successoraux aux biens héréditaires recueillis et mettant à l’abri leur patrimoine personnel (C. civ., art. 791). D’autre part, l’héritier acceptant purement et simplement la succession “peut demander à être déchargé, en tout ou partie, de son obligation à une dette successorale qu’il avait des motifs légitimes d’ignorer au moment de l’acceptation, lorsque l’acquittement de cette dette aurait pour effet d’obérer gravement son patrimoine personnel” (C. civ., art. 786) »12.
8. À cet égard, il a été jugé que la clause contraire qui met à la charge des héritiers des dettes nées postérieurement au décès, est nulle en tant que pacte sur succession future13. Dans cette dernière espèce, la haute juridiction avait rejeté le pourvoi en considérant que : « Mais attendu, d’une part, que la cour d’appel a retenu à bon droit que, par application des dispositions de l’article 2017 du Code civil, les consorts Ecureux, en leur qualité d’héritiers de M. Marcel Ecureux, ne pouvaient être tenus des dettes de la société Martin et Cie nées postérieurement au décès de leur auteur ; Attendu, d’autre part, que toute clause contraire, ayant pour résultat de mettre à la charge des héritiers une obligation née après le décès de leur auteur et dont celui-ci n’était pas tenu de son vivant, aurait, constitué un pacte sur succession future prohibé ; que la cour d’appel n’avait donc pas à effectuer la recherche qu’il lui est reproché d’avoir omise ; D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches. Par ces motifs : Rejette le pourvoi »14.
II – La réduction de l’obligation au passif successoral
9. L’arrêt rendu par la haute juridiction souligne encore les conditions de l’action en décharge de dette successorale (A) sans pour autant en préciser ses effets à l’égard de l’obligation ultra vires (B).
A – À la recherche des notions de motifs légitimes et de patrimoine gravement obéré
10. L’innovation la plus remarquée de la loi du 23 juin 2006 est sans nul doute, l’introduction de la notion de motifs légitimes, préférée à celle de « justes raisons d’ignorer au moment de l’acceptation » à l’article 786, alinéa 2, du Code civil. Pour convaincre de son opportunité, la notion de motifs légitimes est plus large15 que ce qui figurait antérieurement à l’ancien article 783 du Code civil qui disposait que : « Le majeur ne peut attaquer l’acceptation expresse ou tacite qu’il a faite d’une succession, que dans le cas où cette acceptation aurait été la suite d’un dol pratiqué envers lui : il ne peut jamais réclamer sous prétexte de lésion, excepté seulement dans le cas où la succession se trouverait absorbée ou diminuée de plus de moitié, par la découverte d’un testament inconnu au moment de l’acceptation ».
11. Même si la jurisprudence ne s’est pas encore prononcée sur le contenu de la notion de « motifs légitimes » prévue à l’article 786, alinéa 2, du Code civil, il est permis de penser que celle-ci se présente comme une notion « à contenu variable » relevant de l’appréciation souveraine des juges du fond. En l’espèce, la Cour souligne que « l’héritier acceptant doit prouver qu’il avait des motifs légitimes d’ignorer, au moment de son acceptation, que l’acquittement du passif successoral dont il sollicite la décharge, aurait pour effet d’obérer gravement son patrimoine personnel ». Malgré cette disposition permettant à l’héritier de ne pas s’acquitter de la dette successorale, la notion de motifs légitimes reste difficile à envisager pour obtenir la décharge de dette successorale. Dans l’affaire annotée, les juges du fond avaient reconnu que le consentement du légataire a été entaché d’une erreur substantielle sans laquelle il n’aurait pas accepté la succession. Les hauts magistrats censurent l’appréciation des juges du fond.
12. Enfin il ne faut pas perdre de vue que l’héritier doit également démontrer que l’acquittement de cette dette aurait pour effet d’obérer gravement son patrimoine personnel. Dans ce cas c’est l’importance de la dette et non son existence qui est en cause. En l’espèce, la Cour de cassation censure les juges d’appel motifs pris que « sans constater qu’il ignorait, au moment où il a accepté la succession de Claude X, que l’apurement du passif successoral aurait pour effet d’obérer gravement son patrimoine personnel, la cour d’appel, qui se borne à relever que la succession de Claude X est déficitaire, a violé l’article 786 du Code civil ».
B – Atténuation à l’obligation ultra vires successionis
13. La doctrine majoritaire admet que l’héritier a le droit de solliciter une décharge judiciaire d’une dette successorale légitimement inconnue et ce en dépit de l’obligation ultra vires pesant sur lui16. Comme l’observe l’éminent professeur Michel Grimaldi : « Ainsi, l’obligation aux dettes ultra vires successionis (C. civ., art. 785) et l’institution de la saisine (C. civ., art. 724) s’expliquent par la préférence française pour un système de succession à la personne plutôt que pour un système de succession aux biens : c’est parce que l’héritier continue la personne du de cujus qu’il est tenu, comme l’était son auteur, sur tous ses biens présents et à venir, et qu’il peut, comme le pouvait son auteur, appréhender sans formalités l’ensemble de la succession et exercer les droits qui en dépendent »17. La théorie de la confusion des patrimoines trouve ainsi une atténuation remarquée18 qui sera sans conteste interprétée étroitement par la jurisprudence.
Notes de bas de pages
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1.
Louis D., « Précisions sur les conditions de la décharge de dette successorale », Dalloz actualité, 19 janv. 2017, p. 1 ; C.L.G. ; Dr. & patr. hebdo 16 janv. 2017, n° 1084, p.°3.
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2.
« Conditions propres à décharger l’héritier de son obligation à une dette successorale », Defrénois Flash 16 janv. 2017, n° 137p9, p. 1.
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3.
Rey-Debove J. et A. Rey, Le nouveau Petit Robert. Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, 2002, Le Robert, V° Équité. Le mot « équité » vient de la racine latine equus et aequitas, qui signifie équilibre.
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4.
V. en ce sens, Zaki S., « Définir l’équité », in Archives de philosophie du droit, t. 35, 1990, p. 89 et s. : L’équité renvoie à une « méthode casuistique, portée vers l’individualisation et la recherche de la solution la plus adaptée ».
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5.
Piedelièvre S., « Crédit et successions : la sécurité de l’héritier passe avant les droits des créanciers successoraux », Dr. & patr. 1er mars 2007, n° 157.
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6.
Brémond V., « Le nouveau régime du passif successoral », D. 2006, p. 2561.
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7.
Delmas Saint-Hilaire P., « Les ajustements techniques de la loi du 23 juin 2006 : entre modernisation, correction et interprétation », Dr. & patr. 1er mars 2007, n° 157.
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8.
Cass. 1re civ., 20 juill. 1994, n° 92-18916, P : JCP N 1995, II 652, note Leveneur L. ; Piedelièvre S., « Crédit et successions : la sécurité de l’héritier passe avant les droits des créanciers successoraux », art. préc.
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9.
Devèze J., Couret A., Parachkévova I., Poulain-Rehm T., Teller M. et Mauriès V., « Décès de la caution », Le Lamy Droit du Financement 2016, n° 4145.
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10.
Mme Aurillac Martine, QE : JO, 17 juill. 2007, p. 4892.
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11.
Cass. com., 13 janv. 1987 ; Cass. com., 29 juin 1982 ; Cass. 1re civ., 3 juin 1986 ; Cass. 1re civ., 20 juill. 1994 ; Cass. 1re civ., 6 nov. 2001.
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12.
Ministre de la Justice, garde des Sceaux, rép. min. : JO, 25 déc. 2007, p. 8253.
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13.
Devèze J., Couret A., Parachkévova I., Poulain-Rehm T., Teller M. et Mauriès V., « Décès de la caution », art. préc.
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14.
Cass. com., 13 janv. 1987, n° 84-14146.
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15.
Beignier B., Cabrillac R., Lécuyer H. et Desolneux M., « Action en décharge du passif », Le Lamy Droit des régimes matrimoniaux, Successions et Libéralités, n° 223-66.
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16.
Delmas Saint-Hilaire P., « Les ajustements techniques de la loi du 23 juin 2006 : entre modernisation, correction et interprétation », art. préc. ; Piedelièvre S., « Crédit et successions : la sécurité de l’héritier passe avant les droits des créanciers successoraux », art. préc.
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17.
Grimaldi M., « Brèves réflexions sur l’ordre public et la réserve héréditaire », Defrénois 30 août 2012, n° 40563, p. 755.
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18.
Pétroni-Maudière N., « Acceptation pure et simple de la succession : conditions de décharge d’une dette révélée postérieurement », LEFP févr. 2017, n° 100h1, p. 6.