Retour sur la langue utilisée par l’auteur d’un testament olographe

Publié le 08/10/2021
Testament, lettre
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N’est point valable un testament olographe rédigé par le testateur dans une langue qu’il ne maîtrise pas.

Cass. 1re civ., 9 juin 2021, no 19-21770, FS–P

« Le rite de la parole est au testament authentique ce qu’est le rite de l’écriture au testament olographe »1. Dans notre affaire2, L. G., de nationalité allemande, est décédé en 2003 en France, où il résidait depuis 1999, après son divorce d’avec Mme E. A., laissant pour lui succéder ses enfants, H., J. et X. A. (les consorts A.), en l’état d’un testament olographe daté du 25 mars 2002 instituant sa sœur, Mme P., légataire universelle. Celle-ci a assigné les consorts A. en délivrance du legs et en ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage du régime matrimonial des ex-époux et de la succession. La cour d’appel constate que les conditions de forme du testament olographe sont réunies si bien qu’elle valide le testament olographe. La Cour de cassation censure les juges du fond au visa de l’article 970 du Code civil en considérant qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que L. G. avait rédigé le testament dans une langue qu’il ne comprenait pas, de sorte que l’acte ne pouvait être considéré comme l’expression de sa volonté, la cour d’appel a violé le texte susvisé. Le formalisme classique du testament olographe doit être respecté (I) en dépit de l’indifférence de la langue utilisée par le testateur (II).

I – Le respect du formalisme classique du testament olographe

Le Code civil napoléonien. Selon l’article 970 du Code civil, le testament olographe ne sera point valable s’il n’est écrit en entier (B) daté et signé de la main du testateur : il n’est assujetti à aucune autre forme (A).

A – Datation du testament olographe

L’animus testandi. La ratio legis de l’article 970 du Code civil repose sur l’idée selon laquelle « la date du testament permet de vérifier la capacité de son auteur au moment de la rédaction ; au surplus (…) la date sert également à déterminer si, à la date portée sur le testament, son auteur avait l’animus testandi »3. C’est pourquoi l’intention libérale est soit l’animus donandi en matière de donations soit l’animus testandi lorsque l’on se trouve en présence d’une libéralité testamentaire4. En principe, l’appréciation de cette condition ne pose pas de difficultés particulières car Mme P. produit deux écrits portant la date du 25 mars 2002 : l’un en langue française déposé au rang des minutes de M. M. le 2 juillet 2003, selon lequel M. G. institue Mme P. comme légataire universelle et en cas de présence d’héritiers réservataires, il lui lègue la quotité disponible de ses biens. Il est constant que cet acte a été écrit, daté et signé de la main de M. G. l’autre en langue allemande intitulé « traduction du testament » selon lequel il désigne comme exécuteur testamentaire général sa sœur et bien qu’elle ne soit pas une héritière directe, lui lègue son patrimoine disponible.

Théorie des éléments intrinsèques et extrinsèques permettant la reconstitution de la date du testament olographe. Au vrai, l’interprétation de la datation du testament olographe est faite dans l’intérêt supérieur du testateur si bien que la jurisprudence procède à une analyse souple de l’article 970 du Code civil5 comme le précise un arrêt fort ancien rendu par la Cour de cassation le 27 avril 1971 qui rejette le pourvoi en précisant que « les faits et circonstances qui lui sont extrinsèques peuvent, dans la mesure où ils corroborent les éléments intrinsèques dans lesquels doit avoir son principe et sa racine la preuve de la date d’un testament olographe, servir à établir cette date ou à la compléter ; que la cour d’appel, après avoir constaté que le testateur s’était trompé de bonne foi en inscrivant la date, a retenu que le seul élément erroné en était celui du jour, le mois d’avril ne comportant que 30 jours ; qu’elle a pu, dès lors, décider que la date certaine du testament était le 30 avril 1966, en énonçant qu’il n’est pas contesté qu’à cette date, le testateur se trouvait à Dakar, qu’il résulte d’une attestation produite que ledit testateur avait, de son vivant, fait part à un tiers de ce qu’il avait rédigé un testament en faveur de son épouse précisant que ce testament était déposé à son bureau, à Dakar, dans les locaux de la société dont il était l’agent général ; qu’il ressort d’une attestation du directeur de la société que le 30 avril 1966, le testateur lui a remis une enveloppe cachetée avec la recommandation de la déposer dans le coffre-fort de la société et de la remettre à son épouse en cas d’accident, lesdits éléments de preuve se trouvant dans le testament ou y ayant leur source »6. Cette jurisprudence a été confirmée depuis à maintes reprises comme l’illustre un arrêt du 10 mai 2007 qui considère « qu’en dépit de son absence de date, un testament olographe n’encourt pas la nullité dès lors que des éléments intrinsèques à l’acte, corroborés par des éléments extrinsèques, établissent qu’il a été rédigé au cours d’une période déterminée et qu’il n’est pas démontré qu’au cours de cette période, le testateur ait été frappé d’une incapacité de tester ou ait rédigé un testament révocatoire ou incompatible »7.

B – Le testament olographe entièrement écrit à la main par le testateur

Rép. min. n° 73270 : JOAN Q, 3 mai 2016. À propos de l’exigence légale d’une rédaction entièrement manuscrite du testament olographe, une réponse ministérielle a apporté les précisions suivantes : « Si le testament olographe est un acte privé, à la différence du testament authentique qui est un acte public, il n’est pas un acte sous-seing privé ordinaire. L’article 970 du Code civil soumet sa rédaction à des conditions plus rigoureuses que celles du droit commun, en exigeant qu’il soit rédigé, daté et signé de la main même de son auteur, à peine de nullité. L’exigence légale d’une rédaction entièrement manuscrite répond à un triple objectif : limiter les falsifications, prévenir le risque d’erreurs dans la rédaction et garantir une réflexion approfondie de la part du testateur. Le législateur a en effet entendu assurer une protection accrue s’agissant d’un acte de disposition à titre gratuit, destiné à prendre effet à la mort du disposant. Il s’ensuit que le testament olographe ne saurait être considéré comme valable s’il n’est pas possible d’avoir la certitude qu’il a été écrit par le testateur, ce qui conduit la jurisprudence à exclure l’utilisation de procédés techniques ou informatiques. Les juges font néanmoins preuve d’une certaine souplesse au regard de cette exigence, en admettant que le testateur, s’il est affaibli, puisse valablement rédiger le testament avec l’assistance matérielle d’un tiers ou, s’il est illettré, recopier un modèle préparé par un tiers, à condition qu’il comprenne le sens des signes qu’il trace. Par ailleurs, à côté du testament olographe, nécessairement écrit de la main du testateur, et du testament authentique, impliquant le recours à un notaire, la loi offre la possibilité du testament mystique, qui peut être rédigé par le testateur ou un tiers, à la main ou par un procédé mécanique, et qui doit ensuite être présenté clos, cacheté et scellé au notaire et à deux témoins ou être clos, cacheté et scellé en leur présence. Au vu de l’ensemble de ces considérations, il n’est pas envisagé d’assouplir l’exigence d’une écriture manuscrite, s’agissant du testament olographe »8.

Le rituel de l’écriture du testament olographe. Comme le souligne M. Nicod, « le testament olographe est un acte solennel, c’est-à-dire soumis à peine de nullité à l’accomplissement d’un rite d’écriture »9. Il résulte, en effet, de l’article 1001 du Code civil que les formalités auxquelles les divers testaments sont assujettis par les dispositions de la présente section et de la précédente doivent être observées à peine de nullité. L’écriture formelle du testateur va se caractériser par plusieurs éléments : l’apparence, le style, la calligraphie, la forme des lettres et des chiffres, la forme, le style, la ponctuation, l’accentuation, l’orthographe10.

II – L’olographie manuscrite est respectée quelle que soit la langue

Testament olographe et authentique. On sait qu’en principe, la liberté de confection du testament est sans limite tant et si bien que peu important la langue utilisée par le testateur à condition qu’elle soit comprise par son auteur (A). Pour autant, on sait qu’un testament authentique peut être reçu par un notaire en ayant recours aux services d’un interprète assermenté (B).

A – Nécessité d’écrire un testament dans une langue que l’auteur maîtrise

La langue du testament olographe est indifférente quant à la validité de la libéralité. D’une manière certaine en droit interne, toute espèce de langue est admise, comme la langue française, locale, étrangère, morte ou vivante11. Il est de jurisprudence constante que l’auteur doit maîtriser parfaitement la langue qu’il utilise. C’est ainsi que malgré sa rédaction en langue anglaise, doit être qualifiée de testament olographe et non de mandat général d’administration ou de donation non acceptée la déclaration écrite dans laquelle le défunt a clairement manifesté sa volonté quant à la dévolution de ses biens12. Peu important que le testateur ait écrit son testament dans une langue qu’il n’utilise pas habituellement13. En l’espèce, l’arrêt constate que cet acte rédigé en français, selon lequel L. G. institue Mme P. légataire universelle et précise qu’en cas de présence d’héritiers réservataires, il lui lègue la quotité disponible de ses biens, est écrit, daté et signé de la main du testateur. Il relève qu’un autre écrit rédigé en allemand, intitulé « traduction du testament » et daté du même jour, indique que L. G. désigne sa sœur comme exécuteur testamentaire général et lui lègue son patrimoine disponible, même si celle-ci n’est pas une héritière directe. Toujours en l’espèce, il était souligné que la cour d’appel a elle-même relevé que M. G. ne parlait pas la langue française et que le document rédigé en langue allemande, seule parlée par le testateur, n’était pas de sa main ; qu’en décidant de donner malgré tout effet au testament recopié en langue française, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l’article 970 du Code civil.

Illustration jurisprudentielle. Ainsi, une jurisprudence bien établie admet que le testament olographe est invalidé lorsqu’il a été écrit dans une langue que le testateur ne pas paraît pas suffisamment maîtriser14 « en raison des éléments incohérents et contradictoires qu’il contient, il y a lieu de déclarer nul un testament olographe rédigé par un homme d’affaires avisé en hébreu, sans traduction en français préalable à la signature. En effet, le français était la langue usuelle du testateur depuis 50 ans et sa connaissance de la langue hébraïque moderne et juridique insuffisante pour rédiger un testament »15.

En droit international privé : la langue est une condition de forme du testament. L’arrêt rapporté soulève en outre une question en droit international privé. On enseigne, en effet, en droit international privé que « le testament sera également valable s’il répond aux formes de la loi interne d’un lieu dans lequel le testateur avait son domicile soit au moment où il a disposé, soit au moment de son décès »16. Ainsi, une personne de nationalité anglaise domiciliée en France pourra établir un testament olographe en langue anglaise17.

B – Consignation des dernières volontés par testament public

Avant la réforme du 16 février 2015. Au cas d’espèce, le testateur aurait dû faire consigner ses dernières volontés par testament public18. Auparavant les notaires instrumentaient selon deux techniques. Selon une première technique validée par la jurisprudence, le notaire qui instrumentait un testament authentique devait se fonder sur une circulaire du ministre de la Justice en date du 4 thermidor an XII (23 juillet 1804) qui décidait qu’un « testament est valable, rédigé en français, par un notaire, encore qu’il était dicté par le testateur en langue étrangère »19. En pratique, il était prescrit aux notaires « de faire immédiatement une traduction des termes de la dictée et d’écrire le texte en français, puis de faire figurer à mi-marge une version dans la langue utilisée par le testateur lors de la dictée, ce second texte servant de contrôle au premier auquel cependant s’attache l’authenticité »20. En vertu d’une seconde méthode, l’obligation d’utiliser la langue française ne s’impose dans sa rigueur que pour la partie du testament qui est l’œuvre personnelle du notaire rédacteur21.

Depuis la réforme du 16 février 2015. On sait que le notaire joue un rôle considérable en matière testamentaire et donc dans le formalisme attaché au testament authentique. Pour parvenir à leurs fins, les notaires ont fait au cours du 101e congrès de notaires de France plusieurs propositions tendant notamment à autoriser le notaire à recevoir un testament authentique en langue étrangère non seulement dans l’hypothèse où le notaire connaît la langue, mais aussi en ayant recours à un traducteur assermenté pourvu qu’il soit présent lors de la dictée22. Le législateur a entendu et écouté les notaires en prévoyant à l’article 972 du Code civil issu de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 le recours à un traducteur assermenté pour la réception d’un testament public23.

Conclusion. Une conclusion qui s’impose ne serait-elle pas de citer Georges Steiner qui relève que « Shakespeare emploie plus de 20 000 mots ; Racine à peine plus de 2 000. La différence est ontologique. Elle traduit deux sens et deux sentiments du monde diamétralement opposés. Celui de Shakespeare est prodigue, ouvert et fluide comme le cours de la vie elle-même ; l’autre vise l’essence à travers l’abstraction »24.

Notes de bas de pages

  • 1.
    M. Grimaldi et C. Vernières, « Les modifications du droit des successions par la loi du 16 février 2015 », Defrénois 15 mars 2015, n° 118z9, p. 250.
  • 2.
    A. Tanile, « La langue d’un testament olographe doit être maîtrisée par son auteur », Dalloz actualité, 24 juin 2021. A. Philippot, « Invalidité d’un testament olographe rédigé dans une langue incomprise par le testateur », JCP N 2021, act. 619. « Testament olographe : de l’intérêt de comprendre la langue de Molière », Documentation expresse, n° 2021-12, 23 juin 2021 ; E. de Loth, « Nullité du testament olographe rédigé dans une langue que le testateur ne comprend pas », La Quotidienne, 2 juill. 2021.
  • 3.
    B. Magois et D. Montoux, V° Testament – Testament olographe, JCl. Notarial Formulaire, fasc. 40, n° 52.
  • 4.
    J.-G. Mahinga, « L’intention libérale dans les libéralités successorales », LPA 4 mai 2012, p. 12.
  • 5.
    M. H., « Reconstitution de la date d’un testament olographe », Dalloz étudiants actualité, 25 mars 2014.
  • 6.
    Cass. 1re civ., 27 avr. 1971, n° 70-10283 : F.-X. Testu, « Successions et libéralités », JCP G 1993, doctr. 3713.
  • 7.
    Cass. 1re civ., 10 mai 2007, n° 05-14366 : G. Chabot, « Le testament olographe non daté, mais rédigé dans une période déterminée, échappe à la nullité », JCP N 2014, 1188.
  • 8.
    Rép. min. Justice, M. Christian Jacob, à la question écrite n° 73270, 3 févr. 2015 : JCP N 2016, n° 21, act. 685. Donations et successions – Testaments – Testament olographe. Réglementation ; B. Magois et D. Montoux, V° Testament – Testament olographe, JCl. Notarial Formulaire, fasc. 40, n° 5.
  • 9.
    M. Nicod, « Restrictions à l’usage de la photocopie du testament disparu », Dr. famille 2018, comm. 103. M. Grimaldi et C. Vernières, « Les modifications du droit des successions par la loi du 16 février 2015 », Defrénois 15 mars 2015, n° 118z9, p. 250.
  • 10.
    L’expertise graphologique d’un testament : https://lext.so/wd90qz.
  • 11.
    B. Magois et D. Montoux, V° Testament – Testament olographe, JCl. Notarial Formulaire, fasc. 40, n° 7.
  • 12.
    CA Douai, ch. réunies, 20 janv. 1992 : Juris-Data n° 1992-040081 – CA Paris, 2e ch. B, 16 sept. 1994 : Juris-Data n° 1994-023216, cité par B. Magois et D. Montoux, V° Testament – Testament olographe, JCl. Notarial Formulaire, fasc. 40, n° 7.
  • 13.
    B. Magois et D. Montoux, V° Testament – Testament olographe, JCl. Notarial Formulaire, fasc. 40, n° 7.
  • 14.
    A.-M. Leroyer et S. Mazeaud-Leveneur, V° Donations et testaments – Testament olographe – Écriture, JCl. Civil Code, fasc. 10, n  27, art. 970.
  • 15.
    CA Paris, 2e ch., sect. B, 21 juin 1989 : Juris-Data n° 1989-023426, cité par A.-M. Leroyer et S. Mazeaud-Leveneur, V° Donations et testaments – Testament olographe – Écriture, JCl. Civil Code, fasc. 10, n  27, art. 970.
  • 16.
    G. A. L. Droz et M. Revillard, V° Libéralités – Problèmes communs – Testaments, JCl. Civil Code, fasc. 10, n° 54, art. 893 à 1100.
  • 17.
    M. van Seggelen et B. Basseville, « Testament et mobilité en Europe », LPA 14 avr. 2005, p. 37.
  • 18.
    E. de Loth, « Nullité du testament olographe rédigé dans une langue que le testateur ne comprend pas », La Quotidienne, 2 juill. 2021.
  • 19.
    E. Clerc, Formulaire raisonné ou Manuel théorique et pratique du notariat, 1849, Paris, Au Bureau de l’encyclopédie du Notariat, p. 49.
  • 20.
    M. van Seggelen et B. Basseville, « Testament et mobilité en Europe », LPA 14 avr. 2005, p. 37.
  • 21.
    M. van Seggelen et B. Basseville, « Testament et mobilité en Europe », LPA 14 avr. 2005, p. 37.
  • 22.
    P. Callé, V° Acte notarié – Acte notarié établi en France (droit international privé), JCl. Notarial Formulaire, fasc. 300, n° 27.
  • 23.
    P. Callé, V° Acte notarié – Acte notarié établi en France (droit international privé), JCl. Notarial Formulaire, fasc. 300, n° 27.
  • 24.
    G. Steiner, Errata, 1998, Gallimard, rééd. 2000, Folio, p. 63, cité par C. Nourissat, « Les familles sans frontières en Europe : mythe ou réalité ? », JCP N 2005, n° 1314.
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