Chronique de droit constitutionnel jurisprudentiel (1er semestre 2019)
La chronique de droit constitutionnel jurisprudentiel est ouverte à l’ensemble des décisions susceptibles d’intéresser le droit constitutionnel dans sa dimension contentieuse considérée de la manière la plus large. La présente chronique est divisée en quatre parties correspondant aux thèmes principaux du droit constitutionnel contemporain qui intègre aussi bien les questions institutionnelles que les problèmes de hiérarchie des normes et la place des droits et libertés.
La chronique présentée ci-dessous couvre le premier semestre de l’année 2019.
I – Les institutions constitutionnelles
A – Les pouvoirs politiques : le pouvoir exécutif (…)
B – Les pouvoirs politiques : le Parlement et la procédure législative
1 – Les validations législatives
Saisi par la société défenderesse d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions du premier alinéa, du paragraphe II, de l’article L. 452-3-1 du Code de l’énergie, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017, le Conseil constitutionnel a, par sa décision n° 2019-776 QPC en date du 19 avril 2019, été amené à faire application de sa jurisprudence en matière de validation législative.
Le juge constitutionnel a d’abord rappelé son considérant de principe en matière de validation législative, reposant sur l’article 16 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 ainsi que sur les cinq exigences jurisprudentielles fixées par lui dans ses décisions nos 80-119 DC du 22 juillet 1980, Loi portant validation d’actes administratifs1, et 2006-544 DC du 14 décembre 2006, Loi de financement de la sécurité sociale pour 20072, à savoir : l’existence d’un motif impérieux d’intérêt général justifiant l’atteinte aux droits des parties qui résulte de la validation, le respect du principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère, le respect des décisions de justice passées en force de chose jugée, l’absence de méconnaissance d’aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle sauf à ce que le motif impérieux d’intérêt général visé par la validation soit lui-même de valeur constitutionnelle, la portée strictement définie de la validation. La formulation actuelle a été fixée par la décision n° 2013-366 QPC du 14 février 2014, SELARL PJA, ès qualités de liquidateur de la société Maflow France (§ 4)3.
Examinant les dispositions contestées, le Conseil constitutionnel a relevé qu’« en validant les conventions relatives à l’accès aux réseaux conclues entre les gestionnaires de réseaux de distribution et les fournisseurs d’électricité pour le compte des gestionnaires de réseaux, les dispositions contestées ont pour objet de mettre un terme ou de prévenir les litiges indemnitaires engagés ou susceptibles de l’être, sur le fondement de la décision du Conseil d’État du 13 juillet 2016 », lequel « a jugé que les stipulations des contrats conclus entre le gestionnaire de réseau et les fournisseurs d’électricité ne doivent pas laisser à la charge de ces derniers les coûts supportés par eux pour le compte du gestionnaire de réseau » (§ 5 et 6).
Pour déclarer conformes à la constitution les dispositions contestées, le Conseil constitutionnel a confronté ces dispositions aux critères de constitutionnalité requis en l’espèce pour les lois de validation.
Ainsi, il a d’abord constaté que le législateur a strictement limité la portée de la validation en adéquation avec l’objectif poursuivi (§ 7).
Puis il a relevé que le législateur a entendu prévenir les conséquences financières pour les gestionnaires de réseaux et, indirectement, les consommateurs, susceptibles de résulter du remboursement des frais de gestion de clientèle mis à la charge des fournisseurs d’électricité (§ 8). Il en a déduit qu’« eu égard aux conséquences financières susceptibles de résulter des litiges visés par la validation et à leur répercussion sur le coût de l’électricité acquitté par l’ensemble des consommateurs, l’atteinte portée par les dispositions contestées aux droits des fournisseurs d’électricité ayant conclu les conventions validées est justifiée par un motif impérieux d’intérêt général » (§ 11).
Ensuite, il a constaté que « le législateur a expressément réservé les décisions de justice passées en force de chose jugée » et « que, compte tenu de l’objectif d’intérêt général poursuivi, les conventions validées ne méconnaissent pas les principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques, le droit de propriété, la liberté d’entreprendre ni aucune autre exigence constitutionnelle » (§ 12).
En conséquence, le Conseil constitutionnel a écarté le grief tiré de la méconnaissance de l’article 16 de la déclaration de 1789 (§ 13).
Le Conseil a, par un dernier paragraphe, écarté la méconnaissance des autres principes invoqués par la société requérante (§ 14).
CR
2 – Le contrôle de la procédure législative
Dans sa décision n° 2019-782 DC du 6 juin 2019, Résolution renforçant les capacités de contrôle de l’application des lois, le Conseil constitutionnel avait à connaître d’une résolution du Sénat visant à étendre le contrôle de ce dernier en matière d’application des lois4. La résolution prévoit qu’un rapporteur soit chargé de « suivre l’application de la loi après sa promulgation » (§ 1) afin de lui donner un « droit de suite » et d’inscrire dans le règlement une « mission d’évaluation des lois promulguées »5. Dans le même but, elle précise que les commissions permanentes « contribuent à l’élaboration du bilan annuel de l’application des lois » (§ 2).
L’article 24 de la constitution prévoit à cet égard que le Parlement « contrôle l’action du gouvernement ». En 2009, le Conseil s’était prononcé sur l’institution, par une résolution de l’Assemblée nationale, d’un « comité permanent d’évaluation et de contrôle des politiques publiques »6. Il avait accepté en principe l’institution d’un tel comité dès lors que ses missions « consistent en un simple rôle d’information contribuant à permettre à l’Assemblée nationale d’exercer son contrôle sur la politique du gouvernement et d’évaluer les politiques publiques, dans les conditions prévues par la constitution »7.
En l’espèce, le Conseil considère ces nouvelles dispositions conformes à la constitution car, d’une part, « la mission de suivi ainsi définie revêt un caractère temporaire » et, d’autre part, elle « se limite à un simple rôle d’information contribuant à permettre au Sénat d’exercer son contrôle sur l’action du gouvernement dans les conditions prévues par la constitution » (§ 3).
MB
3 – La compétence et le domaine de la loi (…)
C – Le pouvoir juridictionnel
La justice de demain dans le contentieux d’aujourd’hui (à propos de Cons. const., 21 mars 2019, n° 2019-778 DC, Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ; Cons. const., 21 mars 2019, n° 2019-779 DC, Loi organique relative au renforcement de l’organisation des juridictions). Les décisions rendues par le Conseil constitutionnel à propos des lois ordinaires et organiques de programmation pour la justice sont des décisions novatrices. Le Conseil y prend le contre-pied de ses derrières jurisprudences rendues au sujet de l’état d’urgence et à propos des lois sécuritaires en tous genres qui se démultiplient et où les impératifs constitutionnels de la justice avaient pu apparaître clairement dévalorisés. Dans les deux espèces commentées, le Conseil constitutionnel fait le choix heureux d’insérer enfin la justice et les poursuites pénales dans un cadre constitutionnel « ordinaire » afin d’encadrer par la constitution tout recours à une justice plus moderne, efficace et rapide qui risquerait de faire primer la logique de management sur celle du respect des libertés. Le Conseil a également consacré un nouveau principe constitutionnel. Enfin, ces deux décisions sont également intéressantes quant à ce qu’elles nous apprennent du procès constitutionnel.
Un retour au droit « ordinaire » de la justice
La robotisation, la célérité et la bonne administration de la justice n’auront donc pas, à l’avenir, raison des impératifs constitutionnels de respect des droits et libertés individuels. Mais à y regarder de plus près, le Conseil constitutionnel reste toutefois un garant ultime. C’est en effet une exigence de présence de l’autorité judiciaire que le Conseil garantit par la formulation de l’article 66 de la constitution, mais quant à l’intégrité de cette présence, il n’opère pas de contrôle plus approfondi. C’est une jurisprudence plutôt libérale donc, puisque le juge constitutionnel ne vérifie que l’extinction de cette garantie de l’autorité judiciaire par l’atteinte que pourrait apporter un autre droit et ne propose pas un contrôle de proportionnalité de l’atteinte qui protégerait particulièrement la prérogative judiciaire. Ainsi, le Conseil estime qu’il n’y a pas d’atteinte à la constitution à propos de la fin de la présence systématique du procureur pour les cas de garde à vue de plus de 48 heures, alors que cet élément aurait pourtant pu être considéré comme un élément de garantie de la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la constitution qui conduit à imposer la présence, le contrôle de l’autorité judiciaire, sur chaque mesure attentatoire aux libertés individuelles.
En revanche, le Conseil constitutionnel censure la mise de côté du magistrat du siège au profit des caisses d’allocations familiales rappelant le rôle de gardien des libertés personnelles et du domicile que le juge judiciaire joue depuis l’Habeas Corpus. Il apparaît intéressant de lire que le Conseil est capable de censurer la diminution de la prérogative judiciaire dans le cadre d’affaires mettant en cause des informations personnelles, alors que depuis 2015, l’avancée perpétuelle des lois sécuritaires au profit d’une exigence (administrative) de maintien de l’ordre a réduit le rôle du juge judiciaire à peau de chagrin au profit d’une poussée exorbitante des recours auprès du juge administratif. Le visage du contentieux des libertés est celui d’une urgence perpétuelle ramenée à une publicisation des droits individuels qui font craindre à une primauté de l’ordre sur celui des libertés personnelles. Le Conseil renoue ici avec une jurisprudence européanisante puisqu’il considère qu’il manque aux caisses d’allocations familiales les garanties d’indépendance et d’impartialité associées à la fonction de juger ; rappel insidieux de l’article 6, paragraphe 1, francisé sous la bannière de l’article 16 de la déclaration de 1789.
Trop souvent, le souci de ramener le contentieux pénal à un contentieux « d’importance » conduit le législateur à estimer qu’en dessous d’un certain montant, les atteintes aux libertés individuelles méritent d’être tempérées par le souci de célérité. En d’autres termes, le législateur pense teinter d’administrativité tout « petit » délit, toute infraction d’un montant qu’il estimerait trop peu important. Les éléments de négociation de la peine, de contractualisation vont en ce sens, la suppression de tribunaux de proximité également. Ces réformes récentes installent les prérogatives judiciaires sur une pente périlleuse. L’article 47, VI, de la loi prévoyait que le procureur n’aurait plus à donner son autorisation pour certaines réquisitions formulées directement par des agents de police judiciaire à un organisme public ou à une personne, si l’exécution de ces réquisitions était inférieure à un certain montant. Le Conseil, rappelant la protection de la vie privée (Décl. 1789, art. 2) et surtout les prérogatives de l’autorité judiciaire pour leur garantie, a censuré la disposition, renouant avec la conception judiciaire de garantie des libertés.
Quant à la garantie de l’existence du juge, le Conseil a également permis de consacrer plus largement le principe de collégialité. La loi déférée prévoyait que les délits énoncés à l’article 398-1 du Code de procédure pénale peuvent être jugés par le tribunal correctionnel statuant à juge unique, lorsqu’ils sont punis d’une peine inférieure ou égale à 5 ans d’emprisonnement et que le jugement attaqué en appel pourrait l’être par la chambre des appels correctionnels statuant également à juge unique. Le Conseil a rappelé qu’il n’avait pas consacré de principe de collégialité mais a estimé, en l’espèce, que la possibilité pour l’intéressé de ne demander un jugement collégial qu’au stade de l’acte d’appel (dans un délai de 10 jours) était trop restrictive, ce qui redonne un peu de lustre au principe de collégialité en matière pénale en le rattachant notamment à l’article 16 de la déclaration de 1789.
Toujours dans ce cadre de la garantie des libertés par l’autorité judiciaire, le Conseil a heureusement fait la distinction entre les décisions de conformité qu’il a pu rendre à propos de techniques spéciales d’enquête en matière de lutte contre le terrorisme ou dans le cadre contrarié de l’état d’urgence, et le contrôle des libertés en période normale. Les techniques spéciales d’enquête trop intrusives de la loi déférée ont ainsi été censurées dans le cadre de la loi pour méconnaissance de l’inviolabilité du domicile, rappel indirect de l’article 66 de la constitution et de la protection par l’autorité judiciaire des libertés individuelles.
La publicité des débats : nouvel impératif constitutionnel
La décision est marquante notamment parce qu’elle crée un nouveau droit fondamental : le droit à la publicité des décisions de justice. On peut faire le parallèle entre cette jurisprudence et celle relative à la motivation des décisions des cours d’assises8. En effet, le juge se montre de plus en plus sensible à ce que le procès pénal soit inséré dans le « droit au procès équitable » et dans un souci de communicabilité de la décision. C’est ainsi que, dans la décision commentée, le principe de publicité des audiences juridictionnelles a été consacré. Le Conseil constitutionnel avait auparavant limité ce principe à la seule matière pénale privative de liberté (prenant appui sur les articles 6, 8, 9 et 16 de la déclaration de 1789)9 et l’a ensuite étendu à toute la matière pénale10 ; le législateur pouvant toujours déroger au principe de publicité lorsque des circonstances particulières le nécessitent.
La décision du 21 mars 2019 étend désormais ce droit à la publicité à l’ensemble des juridictions, ce qui sonne comme un rappel de l’article 6 de la convention européenne des droits de l’Homme (convention EDH). Le fondement choisi pour ce nouveau droit est celui des articles 6 et 16 de la déclaration de 1789 qui est également le fondement de l’intelligibilité de la loi, ce qui met à nouveau l’accent sur l’impératif de clarté et d’accessibilité du droit par le justiciable – et le citoyen en règle générale.
Ce fondement nouveau est un véritable choix de la part du juge constitutionnel car ce principe de publicité n’était pas auparavant dépourvu de valeur. Principe général du droit11 consacré par la loi en contentieux administratif et judiciaire12, ce principe, comme l’y incitait la motivation de la saisine, aurait pu être consacré comme principe fondamental des lois de la République (PFRLR). Mais c’est oublier un élément de la « doctrine » du Conseil quant à cette création de normes jurisprudentielles ; le juge ne s’y adonne que lorsqu’il estime qu’aucun fondement textuel ne peut être mobilisé (il essaie même le plus souvent de rattacher le principe à une norme écrite). C’est la doctrine que la haute institution s’est fixée depuis 1988. C’est pourquoi, en l’espèce, à en croire les commentaires, le Conseil a préféré se rattacher aux articles 6 et 16 de la déclaration (égalité devant la loi et garantie des droits), ce qui n’est pas particulièrement pertinent. C’est simplement le rattachement de l’article 16 au droit à un procès équitable dans sa mouture française qui permet de déduire logiquement ce principe de publicité du débat aux normes précédentes. Le PFRLR aurait pu être plus circonstancié mais sans fondement écrit ; plus facile à remettre en cause. De plus, la formulation nuancée du principe par le Conseil permettra au législateur de pouvoir déroger à ce principe de publicité pour un motif d’intérêt général ou le respect d’autres exigences constitutionnelles. La jurisprudence du Conseil se trouve donc être en parfaite conformité avec le droit européen des droits de l’Homme, même si une censure n’a pas été nécessaire en l’espèce.
Cette publicité a néanmoins des limites et le Conseil a heureusement joué le rôle de frein aux avancées technologiques en matière de justice lorsqu’elles se jouent au détriment des droits et libertés. Ainsi, l’extension de la vidéo-audience a été stoppée par le Conseil qui a considéré que ces moyens de communication ne pouvaient être ouverts que dans le cadre de salles spécialement aménagées dans les locaux du ministère de la Justice et que sans ces garanties légales, le droit au procès et à la défense était méconnu. Le Conseil ne consacre donc pas de possibilité générale de recourir à la vidéo-audience mais s’adapte aux circonstances du procès.
Toujours à propos de la publicité, le Conseil a eu, de plus, à se prononcer sur la publication des données de justice et sur la problématique plus large de l’open data. L’article 33 de la loi déférée posait le principe de la mise à la disposition du public des décisions de justice, à titre gratuit sous forme électronique, et consacrait donc officiellement l’open data des décisions de justice. L’exception prévue par la loi était toutefois contestée par les requérants puisque l’identité des magistrats et des membres du greffe ne pouvait être utilisée afin de prédire leur pratique, ce que les requérants contestaient puisque cela bloque tout développement de la justice prédictive au mépris du principe d’égalité des justiciables (argument contestable) et du procès équitable. Le Conseil a heureusement accepté cette circonscription par la loi de l’open data, ce qui laisse entendre que la justice ne peut pas s’automatiser sans limites.
Concernant encore cet accès aux décisions de justice, le Conseil a opéré une interprétation intéressante des griefs des requérants contre l’article 33 de la loi déférée qui permettait aux tiers de se faire délivrer copie des décisions de justice par les juridictions, sous réserve d’une possible anonymisation, s’il était considéré qu’une atteinte à la sécurité ou à la vie privée de la personne pouvait être en cause. Les requérants considéraient que ce pouvoir d’anonymisation accordé au greffe méconnaissait le droit au procès équitable, dont découlerait « l’accès au droit » et « l’accès au juge », l’égalité devant la loi et devant la justice ainsi que les libertés d’opinion, d’expression et de communication. Le Conseil constitutionnel a en réalité ramené l’intégralité de ces griefs à un seul : l’article 16 de la déclaration de 1789, confirmant que cet article est réellement celui qui englobe tout le droit au procès équitable. De cette manière, le Conseil constitutionnel étend également la garantie des droits que l’article 16 proclame à l’intégralité des droits du procès. L’on comprend au détour des commentaires aux cahiers que le juge constitutionnel a également profité de ce fondement pour éviter de se prononcer sur le droit d’accès au juge qui fait partie du catalogue de l’article 6 de la convention européenne des droits de l’Homme mais qui n’a pas trouvé son pareil dans le catalogue français.
Un contentieux constitutionnel extraordinaire
Face à cette loi inédite, le Conseil constitutionnel a déployé un contrôle de constitutionnalité d’une ampleur exceptionnelle.
La loi était sans doute l’une des plus longues à laquelle le Conseil constitutionnel avait été confronté, ce qui l’a conduit à rendre la décision la plus longue de son histoire (395 paragraphes tenant sur 93 pages). À cela s’ajoutait également un contexte de saisine tout à fait exceptionnel : quatre saisines distinctes émanant de parlementaires de tous bords, ce qui semble tout à fait dommageable. En éparpillant en différents documents différents arguments de constitutionnalité, la saisine perd de son unité et de son sens et contraint le travail du juge d’une manière inadéquate. Dans le peu de temps qui lui est imparti, la liberté du juge de confronter la loi aux impératifs constitutionnels se trouve contrainte par de nouveaux arguments qui arrivent alors que l’examen est déjà commencé. Cette somme d’arguments de constitutionnalité a néanmoins eu le mérite d’aiguiller l’examen du juge, tout en bridant quelque peu son pouvoir de soulever d’office qu’il semble définitivement avoir réservé aux jurisprudences relatives aux cavaliers législatifs, comme en l’espèce. Il reste que la forme peut parfois cacher des problèmes de fond et l’on ne saurait reprocher au Conseil d’avoir, en l’espèce, privilégié un contrôle « réaliste » de la constitutionnalité pour ne pas priver de futures questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) de prospérer à l’avenir.
D’abord, à propos du contrôle de la composition pénale, le Conseil constitutionnel a soulevé d’office un grief tiré de l’atteinte à l’égalité devant la justice. On peut regretter que le Conseil constitutionnel considère qu’aucune atteinte n’est portée à la constitution alors que la loi retire au magistrat du siège la possibilité d’homologuer les compositions pénales (pour les délits punis d’une peine d’emprisonnement inférieure ou égale à 3 ans et une amende n’excédant pas 3 000 €) : même logique consistant à retirer à la justice toute compétence pour des délits considérés comme mineurs sous un certain seuil. Pourtant, le Conseil constitutionnel, après avoir vérifié la conformité à l’article 16 de la déclaration de 1789 et à son article 6, soulevé d’office, a considéré que les exigences de la bonne administration de la justice étaient susceptibles de donner un fondement à cette modification législative. Le Conseil précise qu’il n’existe ainsi pas de différence de traitement dès lors que l’amende est faible et le délit moins grave ; curieuse conception de l’égalité !
Autre élément du contrôle de constitutionnalité original mené par le juge, ce dernier a renoué avec une pratique qu’il avait rejetée depuis 1993 (comme l’énoncent les commentaires, « contrairement à sa pratique habituelle ») : il a décidé de ne pas accorder de déclarations de conformité dans le dispositif à des dispositions qu’il a pourtant examinées dans les motifs, mais sans y accorder d’examen spécial. Ce faisant, le Conseil admet une forme de constat d’impuissance : face à une loi de cette longueur, le principe de réalité lui impose une certaine humilité ; l’intégralité des dispositions n’a pas pu être correctement examinée par lui.
À propos des mesures relatives aux majeurs protégés (la loi supprimait le contrôle du juge sur certains de leurs actes de gestion de bien), le Conseil va plus loin en dénonçant finalement la piètre motivation de la saisine (qui contestait l’atteinte à la dignité des personnes et à la liberté individuelle que pouvaient causer les dispositions) qui le conduit à considérer qu’un rejet des griefs est différent d’une déclaration de conformité13. Il nous paraît tout à fait justifié que le Conseil constitutionnel profite de la QPC pour ne pas vider de contentieux une disposition susceptible d’attenter aux droits fondamentaux14.
ACB
D – Le pouvoir financier (…)
E – Les collectivités décentralisées
Le Conseil constitutionnel a été amené à examiner d’une part la loi organique portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française, laquelle a été prise sur le fondement de l’article 74 de la constitution, et pour laquelle il a été saisi par le Premier ministre en application de l’article 61, alinéa premier, de la constitution, et d’autre part, la loi portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française, pour laquelle il a été également saisi par le Premier ministre, celui-ci ne formulant aucun grief. Le Conseil constitutionnel a rendu deux brèves décisions, tranchant des points de procédure et de fond.
Dans sa décision n° 2019-783 DC15, le Conseil constitutionnel a d’abord vérifié que le projet de loi dont la loi organique est issue a été adopté dans le respect des consultations et avis exigés et, s’agissant d’une loi organique, conformément aux dispositions de l’article 46 de la constitution (§ 1). Ce contrôle est devenu classique16.
Sur le contenu du projet de loi organique déféré, le Conseil constitutionnel a déclassé, comme ne relevant pas de la loi organique, plusieurs dispositions : il a jugé que ne relèvent ni d’une des matières que l’article 74 de la constitution, relatif au statut des collectivités d’outre-mer a placées dans le champ de la loi organique, ni d’une matière qui en serait indissociable de l’article 1er relatif à la reconnaissance par la République de la mise à contribution de la Polynésie française pour la construction de la capacité de dissuasion nucléaire et la défense de la Nation, ainsi que le troisième alinéa de cet article 10, relatif à l’emploi, par la Polynésie française, d’avocats en qualité de salariés. Cette décision s’inscrit dans la suite de sa décision n° 2004-490 DC du 12 février 2004, Loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française17 (§ 2, 3, 6 et art. 2).
Dès lors que ces dispositions ont une valeur législative du fait du déclassement, ni l’article 61 ni l’article 46 de la constitution n’imposent au Conseil constitutionnel de les déclarer conformes à la constitution avant leur promulgation, c’est pourquoi le Conseil constitutionnel n’a pas examiné la constitutionnalité des dispositions de l’article 1er ni celles de l’article 10, alinéa 3, du projet de loi organique déférée18, le paragraphe balai s’entendant comme ne valant que pour les dispositions organiques du texte déféré.
Après avoir rappelé les dispositions de l’article 74, alinéa 4, de la constitution, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la constitution l’article 10, alinéa 2, du projet de loi organique déféré, cet article ayant pour objet de transférer à la Polynésie française la compétence pour réglementer les conditions particulières d’exercice de la profession d’avocat pour l’assistance et la représentation en justice des bénéficiaires de l’aide juridictionnelle en matière foncière. En effet, le juge constitutionnel a jugé en ce sens au motif que « dans la mesure où celles-ci relèvent de l’organisation de la justice, matière que la constitution réserve à la compétence de l’État, elles ne peuvent faire l’objet d’un tel transfert. Dès lors, cet alinéa est contraire au quatrième alinéa de l’article 74 de la constitution » (§ 5). Cette décision s’inscrit dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière de partage de compétences sur le fondement de l’article 74, alinéa 4, de la constitution.
Le Conseil constitutionnel a déclaré les autres dispositions de cette loi organique conformes à la constitution, notamment l’article 15 qui étend la compétence de la Polynésie française en matière d’exploration et d’exploitation des ressources naturelles biologiques et non biologiques, à la réglementation et à l’exercice des droits de conservation et de gestion des mêmes ressources, ainsi qu’en matière de fixation des emplois laissés à la décision du gouvernement de la Polynésie française, ce qui permet aux lois du pays d’ajouter d’autres emplois ou fonctions (§ 7, 8, 9 et 10).
Sur l’étendue de ces deux extensions de compétences, le Conseil constitutionnel a toutefois prononcé deux limites. Concernant l’extension de compétences de la Polynésie française à l’égard des ressources naturelles biologiques et non biologiques, le Conseil constitutionnel a considéré qu’« il résulte toutefois de la combinaison de ces dispositions avec celles de l’article 27 de la loi organique [du 27 février 2004] que, dans la mesure où cette compétence doit s’exercer dans le respect des sujétions imposées par la défense nationale, elle ne saurait s’étendre aux terres rares qui seraient reconnues comme des matières premières stratégiques » (§ 7 in fine). Concernant l’extension de compétence en matière d’emplois laissés à la décision du gouvernement de la Polynésie française, le Conseil constitutionnel a précisé que « le législateur organique a nécessairement entendu ne permettre d’ajouter aux emplois énumérés à l’article 93 que des emplois supérieurs dont les titulaires sont étroitement associés à la mise en œuvre de la politique du gouvernement de la Polynésie française ».
Enfin, concernant les dispositions organiques de la loi déférée procédant par renvoi à des dispositions législatives ordinaires, le lecteur attentif peut constater que le Conseil constitutionnel n’a pas relevé explicitement « la cristallisation » opérée par ces renvois. Dès lors, il revient au juge ordinaire, chargé d’appliquer ces dispositions organiques, de tenir compte de cette cristallisation, y compris en l’absence de mention explicite en ce sens par le Conseil constitutionnel19.
Dans le cadre de la décision n° 2019-784 DC du 27 juin 2019, Loi portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française, sur le plan de sa saisine, le Conseil constitutionnel a relevé que le Premier ministre n’invoque aucun grief particulier à l’encontre de la loi soumise à son examen (§ 1). Il s’agit ainsi ici ce qu’on appelle une « saisine blanche ». Le Conseil constitutionnel a statué ainsi conformément à sa jurisprudence définie par la décision n° 2011-630 DC du 26 mai 2011, Loi relative à l’organisation du championnat d’Europe de football de l’UEFA en 2016. En effet, en pareille situation, le Conseil constitutionnel se limite à un examen de la régularité de la procédure d’adoption de la loi déférée et des motifs d’inconstitutionnalité éventuels ressortant des travaux parlementaires ou qu’il y aurait lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d’office.
Le Conseil constitutionnel a d’abord vérifié, s’agissant d’une loi ordinaire relative à une collectivité d’outre-mer, que « le projet dont cette loi est issue a, dans les conditions prévues à l’article 9 de la loi organique du 27 février 2004, fait l’objet d’une consultation de l’assemblée de la Polynésie française avant que le Conseil d’État ne rende son avis » (§ 1).
Ensuite, il a jugé contraire à la constitution l’article 1er du texte déféré, ayant pour objet d’instituer, à compter de 2020, un prélèvement sur les recettes de l’État au bénéfice de la Polynésie française, et devant se substituer à la dotation globale d’autonomie (DGA) pour la Polynésie française.
En effet, après avoir rappelé les dispositions du dernier alinéa de l’article 6 de la loi organique du 1er août 2001 consacrant le mécanisme de prélèvement sur recettes, le Conseil constitutionnel a considéré que « si l’institution d’un prélèvement sur les recettes de l’État ne relève pas de la compétence exclusive des lois de finances et si la fixation du montant exact d’un tel prélèvement peut être renvoyée à une loi de finances, il résulte des dispositions organiques précitées que les dispositions créant un tel prélèvement doivent définir sa destination de façon précise ». Il a ajouté que « s’il est loisible à la loi ordinaire ou à la loi de finances de prévoir un prélèvement sur les recettes de l’État au bénéfice de la Polynésie française, en l’espèce, en se bornant à prévoir qu’un tel prélèvement est destiné “à couvrir les charges liées, pour cette collectivité d’outre-mer, aux déséquilibres d’ordre économique provoqués par l’arrêt des activités du centre d’expérimentation du Pacifique”, sans indications suffisantes quant aux critères de détermination de ces charges, le législateur a méconnu l’article 6 de la loi organique du 1er août 2001 » (§ 3 à 5).
Le Conseil constitutionnel a ici fait application de la réserve d’interprétation qu’il avait formulée dans sa décision n° 2001-448 DC du 25 juillet 2001, Loi organique relative aux lois de finances (cons. 18 à 20), exigeant que doivent être « précisément et limitativement définis les bénéficiaires et l’objet des prélèvements sur recettes de l’État ».
Enfin, le Conseil constitutionnel a écarté plusieurs dispositions du texte déféré comme adoptées selon une procédure contraire à la constitution : il s’agit de l’article 6 relatif à la compétence des communes en matière de crématoriums, des articles 10, 11, 12, 13 et 14 relatifs au droit successoral applicable en Polynésie française, de l’article 15 relatif aux conditions d’exploitation en Polynésie française d’un aérodrome relevant de la compétence de l’État et de l’article 16 relatif à l’exemption d’application en Polynésie française de la dépénalisation du stationnement payant.
Le Conseil constitutionnel a fait ici application de la jurisprudence en matière de « cavaliers législatifs » : il a rappelé l’article 45, alinéa premier in fine, de la constitution et constaté qu’« introduites en première lecture, les dispositions des articles 6, 10, 11, 12, 13, 14, 15 et 16 ne présentent pas de lien, même indirect, avec celles qui figuraient dans le projet de loi déposé sur le bureau du Sénat ni avec celles qui figuraient dans le projet de loi organique portant modification du statut d’autonomie de la Polynésie française déposé sur le bureau du Sénat et examiné concomitamment à ce premier projet de loi » (§ 6 à 11).
Il a toutefois complété sa jurisprudence en précisant que lorsqu’une loi organique et une loi ordinaire sont adoptées parallèlement, des dispositions du texte ordinaire peuvent ne pas être jugées comme cavaliers, et cela malgré leur absence de lien avec les dispositions du projet ou de la proposition de loi ordinaire, dès lors qu’elles présentent un lien, au moins indirect, avec les dispositions du projet ou de la proposition de loi organique. Le Conseil constitutionnel avait déjà admis un premier infléchissement en matière de « cavaliers organiques » relatifs à des collectivités d’outre-mer dans sa décision n° 2017-753 DC du 8 septembre 2017, Loi organique pour la confiance dans la vie politique (§ 69, 71 et 73).
Il est à noter que le paragraphe final s’inscrit dans la jurisprudence constitutionnelle habituelle en matière de saisines blanches (§ 12).
CR
F – Droits électoraux, contentieux des élections et des référendums
Non bis in idem en matière électorale : jamais deux fois la même jurisprudence ? (à propos Cons. const., 17 mai 2019, n° 2019-783 QPC, M. Nicolas S.). Le principe non bis in idem ne prospère toujours pas en droit constitutionnel français et le Conseil constitutionnel a, dans la décision n° 2019-783 QPC, fermé une porte à sa diffusion en droit électoral.
L’affaire portait un nom connu, M. Nicolas S., du nom d’un ancien président de la Ve République. Candidat à sa réélection, le candidat avait déjà subi les foudres du Conseil constitutionnel qui avait confirmé la décision de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP)20 de rejeter ses comptes de campagne pour dépassement du plafond de dépense. En l’espèce, Nicolas Sarkozy se trouvait impliqué dans les suites judiciaires de cette affaire. Après réformation de son compte de campagne, le constat du dépassement du plafond des dépenses autorisées avait eu pour conséquences, devant la CNCCFP, non seulement de faire perdre au candidat le bénéfice du remboursement forfaitaire par l’État de ses dépenses électorales, mais l’avait obligé à restituer l’avance forfaitaire de 153 000 € dont il avait bénéficié et l’avait enfin contraint à verser au Trésor public la somme de 363 615 € correspondant au montant total de son dépassement du plafond. C’est à la suite de cette affaire devant la CNCCFP et le Conseil constitutionnel – en une forme de contrôle de cassation de la décision de la commission – en mars 2014, qu’une enquête préliminaire avait été ouverte à propos d’une des surfacturations en lien avec cette campagne présidentielle. Peu après, cette procédure a été suivie de l’ouverture d’une information judiciaire pour faux, usage de faux, abus de confiance et tentative d’escroquerie et enfin financement illégal de campagne électorale, sur le fondement de l’article L. 113-1 du Code électoral, par réquisitoire supplétif qui conduisit à l’affaire en question.
Renvoyé en correctionnel pour ce dernier chef de poursuite, Nicolas Sarkozy21 forma un pourvoi en cassation au soutien duquel il avait déposé une QPC intéressant un nouveau volet du non bis in idem. Le Conseil constitutionnel ne s’était pas encore penché sur le volet du non-cumul des poursuites entre les infractions électorales et pénales. Un doublon d’infractions est en effet directement prévu dans la législation entre les articles L. 113-1, I, 3°, du Code électoral et l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962 relative à l’élection présidentielle. Le candidat à l’élection présidentielle peut en effet se trouver poursuivi en correctionnelle, en plus d’une poursuite électorale devant la CNCCFP. La chambre criminelle de la Cour de cassation jugea la question sérieuse (Cass. crim., 19 févr. 2019, n° 18-86428) au point de choisir de la transmettre au Conseil constitutionnel. L’occasion était donnée à la haute instance de confirmer sa jurisprudence nuancée relative au cumul des poursuites sous un nouveau jour.
Une jurisprudence nuancée
Le considérant de principe du Conseil constitutionnel, rappelé en l’espèce, est désormais « rôdé » : qu’il s’agisse entre autres du délit d’initié, de la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) ou de la fraude fiscale, la quasi-intégralité des infractions doublonnées entre sanctions administratives (au sens large : fiscales, disciplinaires, administratives, financières, etc.) et pénales ont été passées au crible de la jurisprudence relative à la nécessité des peines. Le Conseil constitutionnel se refuse toujours à consacrer un principe constitutionnel de non bis in idem à part entière pour la simple et bonne raison que constitutionnaliser ce principe le rendrait absolu, ce qui n’est pas même possible pour son application à la seule matière pénale. Le cumul des poursuites, possible, doit donc être conditionné par d’autres principes constitutionnels que sont : la nécessité et la proportionnalité des peines toutes deux tirées de l’article 8 de la déclaration de 1789.
Poursuivant depuis 1989 une jurisprudence souple quant au cumul des poursuites – là où le cumul des infractions a tout de suite été conditionné – le Conseil s’est trouvé, en 201422, face au déferlement de la jurisprudence européenne dont la matière pénale ne connaît aucune limite. La Cour considérait depuis 2014 que deux poursuites ne pouvaient se cumuler si elles relevaient de la matière punitive, pour les mêmes faits, ce qui aurait pu avoir de lourds effets en France. Depuis une décision de 201523, le Conseil constitutionnel a donc conditionné les poursuites pénales et administratives à quatre critères : les poursuites ne doivent pas conduire aux mêmes sanctions, prononcées par les mêmes juridictions, au sein de corps de règles similaires, pour les mêmes intérêts sociaux. Ces nuances ont, tôt, été jugées trop nombreuses et le Conseil, dans la décision commentée, par exemple, les a ramenées à une formulation plus ramassée : « le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l’objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature différente en application de corps de règles distincts ». C’est le critère des « mêmes intérêts sociaux » qui a été rapidement mis de côté, puisque plus difficile à utiliser en pratique, même s’il a réservé des surprises en l’espèce.
La modularité de la jurisprudence ne s’arrête pas là.
Le Conseil constitutionnel a, depuis 2015, distingué un nouveau type de cumul des poursuites dites « complémentaires » ou s’insérant dans une même chaîne contentieuse. C’est la jurisprudence qu’il a dégagée en matière de fraude fiscale24. Dans ce cas, les poursuites sont conditionnées par une certaine graduation entre elles, elles sont réservées aux « cas les plus graves » et doivent s’enchaîner dans une certaine limite de temps pour former un schéma procédural cohérent. Cette jurisprudence dégagée par le Conseil constitutionnel a, depuis, été confirmée par la Cour européenne des droits de l’Homme qui qualifie ces cas de « procédures mixtes »25.
Ici, la question importante à trancher n’était donc pas celle du cumul de poursuites mixtes mais bien du conditionnement de poursuites de nature identique pouvant mener à des sanctions de même nature.
Un cumul des poursuites conditionné
En l’espèce, les mêmes faits étaient assurément poursuivis, mais il restait encore plusieurs éléments que le Conseil a combinés ici dans un contrôle qu’il qualifie de « classique » du respect du principe non bis in idem (commentaire aux cahiers), sachant que si l’une des seules conditions n’est pas respectée du bis ou de l’idem, le principe de nécessité des peines ne se trouve pas violé.
Dans l’espèce, le critère utile pour le Conseil constitutionnel a été celui des « mêmes intérêts sociaux protégés ». Il s’agissait en effet de question primordiale ici : pourquoi punir deux fois au pénal26 et devant les juges de l’élection27 un même candidat à l’élection ?
Le Conseil constitutionnel a considéré que le critère tenant à la protection d’intérêts sociaux distincts était bien satisfait. Le Conseil a estimé « indépendante » la poursuite menée par la CNCCFP de celle du juge pénal. En effet, le contentieux sanctionné par la CNCCFP et le Conseil constitutionnel est objectif, il vise au bon déroulement de l’élection et particulièrement de la campagne. Il s’agit d’une protection de l’élection dans le cadre d’un contentieux que l’on pourrait qualifier de « politique », le contentieux électoral. Il s’agit donc d’une reconnaissance, par le Conseil, de l’indépendance disciplinaire du « contentieux électoral » de tout autre contentieux, alors qu’il est souvent apparenté à un contentieux pénal ou constitutionnel. Ce contentieux électoral est donc exercé dans l’intérêt du bon déroulement de l’élection et ne fonctionne pas suivant les mêmes standards que d’autres ; égalité, liberté, accès à la compétition sont donc garantis. À l’inverse, le contentieux pénal est différent dans sa finalité, puisque le législateur de 1990 qui souhaite voir sanctionner le comportement électoral du candidat poursuit une finalité individuelle, réprime pénalement l’élément intentionnel de fraude à la législation électorale.
Les éléments de qualification juridique étaient pourtant loin d’être évidents. L’élément moral du délit de dépassement du plafond des dépenses électorales n’a pas été défini par le législateur et autant avouer qu’il n’en existe pas nécessairement. C’est un agissement qui est puni, nullement une intention, et l’élément psychologique de l’auteur de l’acte n’est ici nullement pertinent (même si tout agissement nécessite une intention d’agir). Puisqu’il s’agit bien du même candidat pour le même dépassement du montant de la campagne.
Ce qui était innovant, en l’espèce, c’est le recours explicite au critère des « intérêts sociaux protégés » pour établir la différence entre les deux dispositifs. Comme on l’a précisé, ce critère est assurément le moins évident et a tout juste été utilisé par sous-entendu, demi-teinte et de manière contournée par le Conseil28. Il est, dans cette espèce, mis en lumière en tant que tel, notamment parce que les doubles poursuites apparaissaient, ici, relativement difficiles à distinguer. L’utilisation est constructive puisque la finalité pénale du délit de dépassement de plafond est bien liée à une méconduite électorale. Il n’est donc pas certain que ce ne soit pas une même finalité sociale qui soit visée par les deux infractions.
C’est pourquoi le Conseil s’est rattaché à un autre critère : celui de la différence de nature des sanctions. La sanction de la CNCCFP est de nature financière (égale au montant dépassé), là où la peine peut être une peine d’emprisonnement à l’occasion du délit pénal. Cette « dimension infâmante » de la prison a suffi à emporter la conviction du Conseil sur la différence de nature entre les deux sanctions.
À trop vouloir entrer dans la nuance, la jurisprudence sur le non bis in idem perd en clarté. Si la seule distinction entre les deux poursuites concerne la différence de nature entre les sanctions, l’une pour méconnaissance objective de la législation électorale, et l’autre « plus infâmante » de prison, c’est bien « la gravité » du manquement qui est la justification du cumul des deux poursuites. Et l’on se retrouve alors dans le cadre de poursuites « en séries », complémentaires. Pourtant, le Conseil avait pris soin d’éviter ce fondement des poursuites complémentaires notamment parce que les deux poursuites ne se correspondaient pas nécessairement dans le temps.
Cette jurisprudence Nicolas S. laisse le sentiment qu’en matière de cumul des poursuites, le Conseil constitutionnel cherchera à faire jouer le critère qui lui permettra de sauver le cumul des poursuites sans chercher plus en avant la justification. Il faudrait toutefois plus de rigueur dans le raisonnement du Conseil s’il continue à jouer le rôle de pionnier de la jurisprudence relative à la « sauvegarde » des systèmes de double poursuite nationaux. Il en va de la conformité du droit national à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui, rappelons-le, ne tient qu’à un fil.
ACB
II – Le procès constitutionnel
Un nouveau contentieux devant le Conseil constitutionnel (à propos de Cons. const., 9 mai 2019, n° 2019-1 RIP). La décision n° 2019-1 RIP est la deuxième conséquence, pour le Conseil constitutionnel, de la révision du 23 juillet 2008 qui a modifié l’article 11 pour y introduire une procédure de référendum d’initiative partagée ou RIP. La loi organique n° 2013-1114 du 6 décembre 2013 portant application de l’article 11 de la constitution, et prévue dans son alinéa 4, avait pour objet de déterminer les conditions de la présentation de la proposition de loi et celles dans lesquelles le Conseil constitutionnel doit contrôler le respect des dispositions fixées dans cet article 11. Elle a modifié l’ordonnance organique n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel en y ajoutant un nouveau chapitre VI bis (art. 45-1 à 45-6) mais une partie de son contenu n’a pas été insérée dans le texte relatif au Conseil constitutionnel, le législateur organique estimant que ces dispositions n’étaient pas « relatives au Conseil constitutionnel ».
La révision constitutionnelle de 2008 visait à reconnaître des droits nouveaux pour les citoyens par la possibilité qui leur était donnée de proposer des textes soumis à référendum. En réalité, l’alinéa 3 de l’article 11 prévoit que l’initiative d’une proposition de loi référendaire appartient à un cinquième des parlementaires. Cette initiative doit être soutenue, si elle veut prospérer, par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. C’est en cela que le référendum est bien d’initiative partagée.
Au stade parlementaire de l’initiative de la proposition, le Conseil constitutionnel doit vérifier le respect des conditions prévues à l’article 11 dans une phase précontentieuse par le biais d’un contrôle préventif. En ce sens, il s’agit d’une forme nouvelle de contrôle a priori et non de l’une des modalités du contrôle des opérations référendaires prévu à l’article 60 de la constitution qui n’est d’ailleurs pas visé dans la décision du 9 mai 2019. Il s’agit aussi d’un nouveau cas de contrôle obligatoire par le Conseil constitutionnel prévu à l’alinéa premier de l’article 61, modifié en 2008 dans ce sens, et d’une nouvelle catégorie de décisions. Le Conseil intervient dans le cours d’une procédure d’édiction d’actes afin d’empêcher ou d’autoriser une procédure législative de suivre son cours. Cette décision obéit aux conditions d’un véritable contentieux devant satisfaire des exigences d’un débat contradictoire, même si la notion de parties est encore plus délicate à déterminer dans le cas des décisions RIP que dans celui des décisions DC (déclaration de conformité). Sur le plan formel, elle s’apparente aux décisions relevant sans conteste du contentieux constitutionnel, qu’elles soient DC ou QPC.
Selon l’article 45-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958, il doit vérifier que la proposition de loi est présentée par au moins un cinquième des membres du Parlement, que son objet respecte les conditions posées aux troisième et sixième alinéas de l’article 11 de la constitution, et qu’aucune disposition de la proposition de loi n’est contraire à la constitution. S’est ajoutée, dans le cas d’espèce, une question non directement prévue dans le texte, celle du moment de l’initiative.
I. – La régularité de l’initiative référendaire
L’article 45-2 de l’ordonnance organique ne prévoit qu’un contrôle de la régularité des conditions de l’initiative de la proposition de loi référendaire. Les circonstances politiques entourant le dépôt de cette dernière en 2019 ont conduit les observateurs à commenter le respect d’une autre condition posée par l’article 11 de la constitution.
A. – La vérification du nombre requis de parlementaires
Le Conseil doit tout d’abord vérifier que la proposition de loi est présentée par au moins un cinquième des membres du Parlement, ce cinquième étant calculé sur le nombre des sièges effectivement pourvus à la date d’enregistrement de la saisine par le Conseil constitutionnel, arrondi au chiffre immédiatement supérieur en cas de fraction (art. 45-2 de l’ordonnance modifiée du 7 novembre 1958). En l’espèce, ce sont 248 parlementaires appartenant à différentes familles politiques qui ont signé ce texte. La liste des auteurs de la proposition figure en tête de ce texte, dans un ordre alphabétique mêlant les députés et les sénateurs, sans distinguer la qualité des uns et des autres, l’énumération des noms étant suivie de la mention « députés et sénateurs ». Dans sa décision, le Conseil se contente de constater que « la proposition de loi a été présentée par au moins un cinquième des membres du Parlement à la date d’enregistrement de la saisine du Conseil constitutionnel ». Le Conseil se limite à vérifier que les signataires sont bien membres du Parlement, sous-entendu français, car l’article 11, comme le reste de la constitution, ne renvoie qu’au seul Parlement français, à l’exclusion de tout autre Parlement et donc aussi de celle des représentants au Parlement européen selon la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 qui est relative à leur élection.
Le Conseil a été saisi par le président de l’Assemblée nationale le 10 avril 2019, car l’article 1er de la loi organique du 6 décembre 2013 dispose que la proposition peut être déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale ou du Sénat en vue de sa transmission au Conseil constitutionnel par le président de l’assemblée saisie. C’est le choix des parlementaires qui détermine cette dernière et donc l’autorité de transmission, puisque ceux-ci peuvent être des députés et des sénateurs. Rien n’interdit d’ailleurs que cette proposition n’émane que de députés ou seulement de sénateurs. C’est ainsi que cette disposition a été interprétée par le Conseil dans la décision n° 2013-681 DC du 5 décembre 2013 relative à la loi organique en affirmant que cet article « permet à des membres d’une assemblée, en s’associant, le cas échéant, avec des membres de l’autre assemblée, de signer et déposer de telles propositions de loi sur le bureau de l’assemblée qu’ils choisissent » (cons. 7).
S’agissant de l’ordre de l’examen possible de la proposition de loi par les deux assemblées, après que le texte a recueilli le soutien du dixième des électeurs inscrits, l’article 9 de la loi organique du 6 décembre 2013 ne fait référence qu’à la première assemblée saisie, sans accorder une priorité à l’une des deux chambres du Parlement.
B. – La rencontre entre une décision RIP et une décision D
La rencontre dans le temps entre la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises et la proposition de loi référendaire a donné lieu à un débat dans lequel les arguments politiques se sont joints aux considérations juridiques. L’alinéa 3 de l’article 11 prévoit en effet que l’initiative de la proposition de loi « ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an ».
La proposition de loi a été conçue et perçue comme un moyen, politique et juridique, de s’opposer à un projet de loi, faute de pouvoir s’y opposer au sein des assemblées. Le Conseil dispose, après le dépôt d’une telle proposition de loi référendaire, d’un délai de 1 mois pour statuer selon l’article 45-2 de l’ordonnance organique. Pour tenter d’empêcher la promulgation de la loi adoptée le 11 avril 2019, les opposants ont également saisi le Conseil dans le cadre du contrôle a priori le 16 avril, soit après le dépôt de la proposition de loi référendaire le 9 avril, afin de s’opposer à l’autorisation du transfert au secteur privé de la majorité du capital de la société Aéroports de Paris (ADP).
Par la décision n° 2019-781 DC du 16 mai 2019 relative à cette loi, le Conseil a validé le principe et les diverses modalités de la privatisation (cons. 38 à 87 de la décision, voir la rubrique « Droits sociaux » de la présente chronique) et la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises n’a été publiée au Journal officiel que le 23 mai 2019, soit deux semaines après la décision n° 2019-1-RIP.
Le dépôt de la proposition de loi référendaire n’est limité que de deux manières dans l’article 11. D’une part, il ne peut intervenir moins d’un an après la promulgation d’une loi sur le même sujet et, d’autre part, aucune nouvelle proposition de référendum portant sur le même sujet ne peut être présentée avant l’expiration d’un délai de 2 ans suivant la date du scrutin lorsque la proposition de loi n’est pas adoptée par le peuple français. Seule la première de ces limites était concernée en l’espèce. Une proposition de loi déposée quelques jours avant la promulgation de la loi contre laquelle elle se dresse peut alors apparaître comme une manœuvre, ou un contre-feu, dirigée contre la loi sur le point d’être adoptée et avant même une saisine préalable du Conseil constitutionnel. Ce dernier n’a pas voulu entrer dans ces considérations stratégiques et a jugé que la lettre de la constitution était respectée. Selon certains observateurs, le Conseil aurait pu néanmoins attendre de rendre publique sa décision DC avant de se prononcer sur la vérification des conditions de dépôt de la proposition de loi dans sa décision RIP. On remarque que, pour les deux décisions, le Conseil a utilisé scrupuleusement le délai de 1 mois qui lui est donné, tant dans la constitution (art. 61, al. 3) que dans l’article 45-2 de l’ordonnance organique précitée. Rien ne lui interdisait alors de statuer sans attendre l’expiration de ce délai de 1 mois pour rendre publique sa décision DC et permettre la promulgation de la loi, ce qui aurait rendu irrégulier le dépôt de la proposition de loi référendaire. Peut-être aurait-il été accusé de répondre à une manœuvre politique par une décision tout aussi empreinte d’arrière-pensées politiques, ce qu’il a voulu éviter ? En sens inverse, le Conseil aurait pu aussi soutenir que la loi était en cours de promulgation et que lui-même en avait été saisi, cette saisine suspendant ladite promulgation selon les termes de l’article 61, alinéa 4, de la constitution, ce qui devait le contraindre à ne pas rendre publique sa décision. Il s’est contenté de constater que « par ailleurs, à la date d’enregistrement de la saisine, elle n’avait pas pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an. Et aucune proposition de loi portant sur le même sujet n’avait été soumise au référendum depuis deux ans ». Formellement, les conditions étaient respectées et le Conseil a procédé à une lecture stricte des textes. L’esprit de l’article 11 a, peut-être été, quant à lui, méconnu. En même temps, la décision n° 2019-1 RIP n’a pas voulu empêcher le recours à un possible référendum dans un contexte d’une plus grande prise en compte de la démocratie semi-directe.
La vérification des conditions de dépôt de la proposition par le Conseil dans la décision du 9 mai a eu un effet immédiat, dénoncé par certains ministres, celui d’empêcher la privatisation d’ADP, ce qui était l’objectif des oppositions politiques.
II. – Le contrôle obligatoire de la proposition de loi référendaire
La proposition de loi référendaire fait l’objet d’un contrôle préalable et original de constitutionnalité avant même sa possible adoption.
A. – Le contrôle de l’objet de la proposition de loi
L’article 11 dresse une liste des domaines dans lesquels il peut y avoir une loi référendaire dans son alinéa 1er auquel renvoie l’alinéa 3. La proposition visée dans la décision n° 2019-1 RIP ne pouvait rentrer que dans la deuxième catégorie, la référence au service public dans le titre même de la proposition « visant à affirmer le caractère de service public national à l’exploitation des aérodromes » allant dans ce sens.
La loi organique du 6 décembre 2013 oblige, à l’article 45-2 de l’ordonnance organique, le Conseil constitutionnel à distinguer le contrôle de l’objet de la proposition de loi et celui du respect de la Constitution. L’article 1er du dispositif de la décision du 9 mai 2019 prend soin de préciser que « la proposition de loi visant à affirmer le caractère de service public national de l’exploitation des aérodromes de Paris est conforme aux conditions fixées par l’article 11 de la constitution et par l’article 45-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ». Cette disposition n’est pas inutile, tant l’article 11 de la constitution révisée en 2008 ne paraissait pas imposer un tel contrôle de la constitutionnalité de la proposition de loi et ne semblait envisager que le respect de la condition relative à l’objet de la proposition.
Dans la loi organique du 6 décembre 2013, a été ainsi introduit un contrôle, en amont, de la future loi référendaire à défaut d’un contrôle en aval, le Conseil se refusant à contrôler une loi adoptée par référendum, aussi bien a priori29 qu’a posteriori30.
B. – Le contrôle de constitutionnalité préalable
Le contrôle par rapport à la constitution mentionné dans l’article 45-2 de l’ordonnance organique signifie qu’il doit être effectué par rapport à l’ensemble de la constitution. Ce contrôle préalable des conditions du respect à la constitution peut signifier que le Conseil donne en quelque sorte un brevet de constitutionnalité à l’éventuelle loi. Le Conseil a dû alors se prononcer sur le respect de l’alinéa 9 du préambule de 1946 selon lequel « tout bien, toute entreprise dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ». Il en ressort que le juge constitutionnel doit tout d’abord vérifier, afin de censurer éventuellement une mesure de privatisation, que l’entreprise en question possède ou non le caractère de service public national ou celui d’un monopole de fait découlant d’exigences constitutionnelles, selon une jurisprudence inaugurée par la décision n° 86-207 DC du 26 juin 1986, Loi autorisant le gouvernement à prendre diverses mesures d’ordre économique et social (cons. 50 et s.).
Dans un second temps, le Conseil constitutionnel doit apprécier si la loi a pu ériger certaines activités en services publics nationaux, alors même que ces activités ne relèvent pas d’une nécessité de valeur constitutionnelle. Il y a ainsi des services publics en soi, et d’autres par la volonté du législateur. Dans cette seconde hypothèse, le Conseil peut vérifier si le législateur ne s’est pas trompé dans son appréciation, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans la décision n° 2019-781 DC précitée (v. commentaire ci-dessous). Si cette disposition laisse au législateur l’appréciation de l’opportunité des transferts du secteur public au secteur privé, « elle ne saurait le dispenser, dans l’exercice de sa compétence, du respect des principes et des règles de valeur constitutionnelle qui s’imposent à tous les organes de l’État » (cons. 42). Dans le cas d’ADP, l’aménagement, l’exploitation et le développement des aérodromes de Paris-Charles-de-Gaulle, Paris-Orly et Paris-Le Bourget ne constituent pas un service public national dont la nécessité découlerait de principes ou de règles de valeur constitutionnelle, et ADP n’a jamais été qualifié par la loi de service public national (cons. 49 et 50). La société Aéroports de Paris ne peut pas non plus être regardée comme une entreprise dont l’exploitation constitue un monopole de fait au sens du neuvième alinéa du préambule de la constitution de 1946, car elle est concurrencée par d’autres aérodromes d’intérêt national ou international et par d’autres modes de transport substituables comme la route ou le transport ferroviaire (cons. 45 et 46). Elle ne peut donc être considérée comme un service public constitutionnel. En second lieu, la proposition de loi, qui a pour objet d’ériger ces activités en service public national, ne comporte pas par elle-même d’erreur manifeste d’appréciation au regard du neuvième alinéa du préambule de la constitution de 1946 et n’est pas, pour cette raison, contraire à la constitution.
La suite de la procédure permettant l’adoption de cette proposition de loi référendaire est soumise à la deuxième partie de l’initiative, à savoir la collecte des signatures d’au moins 4 717 396 électeurs inscrits sur les listes électorales, selon le chiffre précis établi par le Conseil dans la décision n° 2019-1 RIP, à l’article 3 du dispositif. Celui-ci prévoit aussi que, jusqu’à l’intervention de la décision par laquelle le Conseil constitutionnel constatera si la proposition de loi a recueilli le soutien du nombre des électeurs, l’examen de la proposition de loi par le Parlement est suspendu. Cette période de collecte, qui s’est ouverte le 13 juin 2019 et s’est achevée le 12 mars 2020, a donné lieu à deux décisions : nos 2019-1-1 RIP du 10 septembre 2019 et 2019-1-2 RIP du 15 octobre 2019 qui relèveront de la prochaine chronique.
MV
A – Les acteurs et les actes devant le Conseil constitutionnel
À propos des actes susceptibles de contrôle en « QPC », le Conseil constitutionnel a rappelé que les dispositions législatives « telles qu’interprétées » par les juridictions suprêmes des deux ordres pouvaient appeler le contrôle du Conseil.
Ainsi en a-t-il été de l’article L. 322-5 du Code de la sécurité sociale dont l’interprétation retenue par la Cour de cassation a été contrôlée par le Conseil. Une différence de traitement entre les entreprises réalisant des prestations de transport assis professionnalisé au moyen d’une flotte mixte et les entreprises disposant d’une flotte uniquement composée de véhicules sanitaires légers ou de taxis résultait de l’interprétation de la disposition par la Cour de cassation. En effet, seule une catégorie d’entreprise bénéficiait d’un tarif plus avantageux. Le Conseil a considéré que l’objectif de l’équilibre de l’assurance maladie, bien qu’il soit de valeur constitutionnelle, n’était pas un motif d’intérêt général suffisant pour justifier cette discrimination, s’inscrivant donc en faux contre l’interprétation de la Cour de cassation31.
Toujours sur la question du contrôle des interprétations, le Conseil a eu affaire aux réticences de la Cour de cassation dans une affaire plus originale. Était en cause la constitutionnalité de l’article 394 du Code de procédure pénale, tel qu’interprété par la Cour de cassation notamment eu égard au risque d’atteinte au droit au recours effectif et à l’égalité devant la justice (art. 6 et 16 de la déclaration de 1789). En effet, il résultait de l’interprétation de la Cour de cassation32 qu’aucun droit d’appel de l’ordonnance de placement sous contrôle judiciaire prononcée par le juge des libertés et de la détention n’était réservé au prévenu ; la Cour ayant considéré que seul le ministère public disposait d’un monopole des poursuites. L’originalité tenait à ce que la Cour de cassation, au moment de transmettre ou non la question au Conseil constitutionnel, se trouvait en face d’un problème de constitutionnalité lié à sa propre interprétation. Transmettre et reconnaître une erreur ou ne pas transmettre au risque d’autovalider sa jurisprudence, là était la question. La Cour de cassation, dans l’arrêt de transmission, n’a choisi ni l’un ni l’autre. Elle a jugé la question « non dépourvue de sérieux », tout en jugeant qu’il n’y avait pas lieu de considérer qu’il existait un risque d’atteinte auxdits droits fondamentaux33. Il s’agit là d’une pirouette intéressante quant à la motivation de la juridiction de transmission. Ce terme « non dépourvue de sérieux » est le qualificatif retenu par l’article 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel mais à propos de la décision que doivent rendre les juges a quo avant de transmettre aux juridictions suprêmes de leur ordre. La Cour de cassation étant censée transmettre au Conseil constitutionnel uniquement les questions jugées sérieuses. La réticence de la Cour de cassation à renvoyer au Conseil le soin de vérifier la constitutionnalité de sa propre jurisprudence s’illustrait dans cette espèce de façon tout à fait topique ; le Conseil en a fait peu de cas dans sa décision34.
Le Conseil constitutionnel a innové dans sa conception de la notion d’applicabilité au litige d’une disposition de loi. S’il s’agit là d’un revirement, il s’inscrit néanmoins dans une ligne directrice de la jurisprudence tout à fait constante et qui consiste à restreindre les dispositions susceptibles de contrôle. Il s’agissait, dans les espèces concernées, de déterminer les dispositions contestées au sein de groupes de dispositions auxquelles renverrait un article de code, par exemple. Ainsi dans la décision n° 2019-783 QPC35, le Conseil s’en est remis au 3°, de l’article L. 113-1 du Code électoral plutôt qu’à l’énumération article par article à laquelle renvoyait l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962.
C’est ainsi la disposition précisément en cause, plutôt qu’un ensemble de dispositions auxquelles le législateur avait globalement renvoyé. L’objectif de cet affinement extrême est d’éviter que le Conseil ne fasse un contrôle de constitutionnalité objectif de la législation alors qu’il ne s’agit pas de la disposition précisément en cause dans le litige. Il n’y a pas de procès fait à la loi dans le procès de « QPC », mais un litige de constitutionnalité profondément subjectif, ce que le Conseil tend à rappeler par cette jurisprudence nouvelle.
Dans les deux espèces concernées, le Conseil n’a pas pour autant fléchi quant à sa position concernant les « dispositions en combinaisons ». Il continue à se refuser à contrôler la constitutionnalité de dispositions de lois combinées, alors pourtant que cela semblerait plus « juste » au sens de l’applicabilité au litige. Le Conseil s’astreint en effet à une frappe précise quant aux dispositions invoquées mais refuse de contrôler la constitutionnalité de dispositions combinées (qui sont pourtant légion dans nombre de contentieux, fraude fiscale, etc.) de manière à ne pas permettre un accès illimité au prétoire ; résultat somme toute paradoxal.
À propos de cette restriction perpétuelle de l’objet du litige, on est en droit de s’interroger sur le curseur que le juge se fixe. Cette restriction pouvait paraître louable durant les premières années du contentieux de la QPC, la logique d’éviter un contentieux bis de la loi étant tout à fait en accord avec la conception même de la procédure. Mais au fil de 10 ans de procédure, les restrictions d’objet (à des virgules, des alinéas) nous semblent aller trop loin, au point de faire retomber la charge d’assurer le « service après-vente » par le jeu de la chose déjà jugée par les juges suprêmes36. La décision n° 2019-771 QPC laisse justement songeur en restreignant l’objet du litige à la dernière ligne du tableau figurant au sixième alinéa de l’article L. 132-16 du Code minier (à savoir les mots « Égale ou supérieure à 1 500 / 8 % »)37.
B – La procédure devant le Conseil constitutionnel (…)
C – Les techniques contentieuses (…)
D – L’autorité et les effets des décisions du Conseil constitutionnel
La décision n° 2019-764 QPC38 nous rappelle l’extrême ouverture de la QPC par rapport à la chose jugée en contentieux a priori. D’après l’article 23-2 de l’ordonnance organique du 7 novembre 1958, pour qu’une précédente décision de constitutionnalité bloque une future QPC, il est non seulement nécessaire que la disposition ait été examinée par le Conseil constitutionnel dans une précédente décision, mais il faut qu’elle l’ait été « spécialement » et que cet examen « spécial » se soit fait tant « dans les motifs que dans le dispositif » de la précédente décision de constitutionnalité ; sans l’une de ces conditions, l’examen en QPC restera possible. Mais, comme c’était le cas des dispositions du i, du 1°, de l’article 65 du Code des douanes (dans sa version de 2004), même lorsqu’une disposition a déjà été spécialement examinée dans les motifs et le dispositif d’une précédente décision, le Conseil peut encore estimer qu’un changement de circonstances de droit ou de fait justifie un nouvel examen. Et – nouvelle extrême ouverture – ce changement de circonstances peut être dû à un changement de jurisprudence (du Conseil constitutionnel lui-même39, mais pas seulement, Cour EDH, Cour de cassation40, etc.) ; c’est ce que nous rappelle la décision n° 2018-764 QPC. En l’occurrence, le changement de jurisprudence du Conseil constitutionnel concernant le droit au respect de la vie privée dans sa décision du 5 août 2016 (à propos d’un droit de communication de données de connexion) a constitué un changement de circonstances justifiant le réexamen de la disposition. La garantie de la constitutionnalité est donc tout à fait complète par le jeu des deux procédures de contrôle.
Dans le même sens, la décision n° 2019-769 QPC41 démontre que les requérants maîtrisent largement les subtilités de ce changement de circonstances par changement de jurisprudence. Dans une décision du 22 avril 2016, le Conseil avait assorti d’une réserve d’interprétation la constitutionnalité de la soumission des plus-values de cessions de valeurs mobilières à titre onéreux au barème progressif de l’impôt sur le revenu des personnes physiques. Cette réserve précisait que cette soumission ne devait pas priver les plus-values placées en report avant la date d’application d’un coefficient d’érosion monétaire. La société requérante se prévalait également d’une autre décision du 29 décembre 2013 par laquelle le Conseil avait précisé qu’une imposition au barème de l’impôt sur le revenu des plus-values de cession de terrains à bâtir, sans prise en compte de l’érosion, méconnaissait l’exigence de prise en compte des facultés contributives fixée par l’article 13 de la déclaration de 1789. Ces deux décisions ont été considérées par la Cour de cassation comme des changements de circonstances de droit justifiant le réexamen de la disposition pourtant déjà spécialement examinée42. La jurisprudence plus favorable à la prise en compte de coefficients d’érosion monétaire était en effet susceptible d’influencer la prise de décision du Conseil constitutionnel. Mais au jeu des jurisprudences antérieures, le Premier ministre n’était pas pris au dépourvu ; il se prévalait d’une décision du 29 décembre 2014 par laquelle le Conseil avait refusé d’étendre l’exigence de prise en compte de l’érosion monétaire à la détermination de la valeur de biens ruraux. Était donc avant tout en cause l’interprétation de la plus pertinente des décisions précédentes, la décision du 22 avril 201643 et la réserve d’interprétation dont elle était assortie, pour connaître l’étendue de cette prise en compte du coefficient d’érosion monétaire. Si l’on ajoute à ce changement de jurisprudence le fait que le Conseil considère comme un changement de circonstances le simple doute interprétatif que peut faire naître une réserve d’interprétation d’une précédente décision44 (soit dit en passant : Dieu que le jeu des interprétations ouvre grand le prétoire du Conseil !), le changement de circonstances semblait, en l’espèce, acquis. Sans surprise donc, le Conseil constitutionnel a déduit de ladite décision de 2016 l’existence d’un changement de jurisprudence constitutif d’un changement des circonstances de droit, justifiant le réexamen des dispositions contestées.
Enfin, dans la décision n° 2019-783 QPC45, le Conseil constitutionnel a utilisé le changement de sa propre jurisprudence relativement au principe de nécessité des peines comme changement de circonstances de droit justifiant le réexamen d’une disposition tirée de la loi organique relative à l’élection présidentielle46. Les commentaires aux cahiers faisaient état du fait que ni les parties ni le gouvernement n’avaient tenu compte du précédent examen obligatoire mené par le Conseil sur cette législation, se focalisant sur l’interprétation que ferait le Conseil du non bis in idem au cas présent. Le changement de circonstances risquait donc fort d’être utilisé de manière axiologique ici47 ; la nécessité de se prononcer ayant été avérée avant que le juge n’ait à rechercher le changement de circonstances et non l’inverse, comme la logique pourrait pourtant le commander.
Quant à l’abrogation avec effet différé, le Conseil continue d’allonger la liste des intérêts publics pouvant justifier ce report. À la manière de la jurisprudence AC pour le juge administratif, ce report n’a donc plus rien d’exceptionnel pour le juge constitutionnel qui se confronte, après le contrôle de constitutionnalité, à la lourde tâche de la détermination exacte de la déstabilisation juridique que peut causer sa décision.
C’est ainsi que la sauvegarde de l’ordre public, le respect de la vie privée, l’objectif de recherche des auteurs d’infraction (l’abrogation immédiate aurait conduit à une obtention par toute partie de la notification de l’intégralité des rapports d’expertise)48 et la garantie de l’information des jurés de l’étendue des pouvoirs de la cour d’assises quant au choix de la peine prononcée (que l’abrogation aurait privé d’effet)49 ont appelé une abrogation avec effet différé de la part du Conseil constitutionnel sans réserve transitoire. S’agissant, dans la décision n° 2019-765 QPC précitée, d’une abrogation pour inconstitutionnalité liée à une méconnaissance du principe d’égalité, le Conseil s’est refusé à proposer une législation transitoire – prudence dont il ne fait pas toujours montre pourtant – puisque dans ce cas particulier, la censure de l’inégalité le conduit à proposer le régime juridique nouveau et ainsi à fixer directement l’intérêt général.
En revanche, dans la décision n° 2019-773 QPC50, le Conseil constitutionnel – après avoir différé l’abrogation de l’article 800-2 du Code de procédure pénale dont l’immédiateté aurait eu pour effet de supprimer à la personne poursuivie et la personne civilement responsable tout droit de se voir accorder des frais irrépétibles (en cas de non-lieu, relaxe ou acquittement) – a eu recours à une législation transitoire. D’après le juge, l’article doit être interprété comme permettant à la juridiction pénale prononçant une condamnation ou une décision de renvoi devant une juridiction de jugement, d’accorder à la personne citée comme civilement responsable, mais mise hors de cause, une indemnité. Le Conseil ne fixe pas le périmètre de cette obligation mais modifie bien le visage de la procédure pénale de manière transitoire sans que l’on comprenne nécessairement la raison qui l’anime (l’état du droit n’aurait-il pas pu rester en l’état en l’attente de la législation nouvelle ?). Le Conseil a également différé les effets de l’abrogation pour ne pas priver les prévenus (qui attendent leur comparution devant la juridiction de jugement après que l’instruction est achevée) d’un droit au rapprochement familial. Il a choisi de proposer une réserve transitoire pour faire cesser l’inconstitutionnalité dès la publication de la décision, de juger que les avis défavorables pris par les magistrats judiciaires sur la base de la disposition inconstitutionnelle pourraient être contestés devant le président de la chambre de l’instruction. Cette réserve est particulièrement constructive puisqu’elle ouvre un recours possible avant l’expiration du délai de l’effet différé51.
De même, dans l’affaire n° 2019-786 QPC52, alors que l’abrogation immédiate de la disposition aurait conduit à supprimer tout délai de distance pour les citations directes en application de la loi du 29 juillet 1881, le Conseil a choisi de différer l’abrogation en ajoutant une réserve transitoire, pour qu’à compter de la lecture de la décision, les citations délivrées soient forcément soumises aux délais de distance. Le Conseil donne ici une véritable application positive de la législation applicable durant la période transitoire. Aussi, cette déstabilisation créée par le Conseil est tout de suite tempérée par l’inapplication de ladite réserve aux instances en cours – qui pourrait avoir pour effet de modifier les règles de procédures applicables dans des procès en cours. L’usage de la réserve transitoire mériterait de rester parcimonieux et devrait souffrir d’un véritable régime juridique.
Certaines abrogations à effet immédiat ont pu être prononcées sans grande innovation : ainsi, pour la règlementation des prix en Nouvelle-Calédonie53, les sanctions pour les personnels pénitentiaires sans respect du contradictoire et des garanties disciplinaires54 ou encore pour les dispositions de la loi relative à l’égalité et la citoyenneté, jugées contraires au droit au recours, mais abrogées depuis une loi du 23 novembre 2018 – l’abrogation ayant été assortie d’une applicabilité de l’inconstitutionnalité à toutes les affaires non déjà jugées55.
ACB
III – Les normes de références
A – Les sources matérielles
1 – Les textes constitutionnels
Le principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR) selon lequel l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l’âge, comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées, ont été constamment reconnues par les lois de la République depuis le début du XXe siècle. Toutefois, ce PFRLR n’interdit pas, y compris dans la rédaction originelle de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, que soient prononcées à leur égard des mesures telles que le placement, la surveillance, la retenue ou, pour les mineurs de plus de 13 ans, la détention (§ 3).
Dégagé depuis la décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002, Loi d’orientation et de programmation pour la justice, il trouve ses fondements dans la loi du 12 avril 1906 modifiant les articles 66 et 67 du Code pénal, l’article 340 du Code d’instruction criminelle et fixant la majorité pénale à l’âge de 18 ans, la loi du 22 juillet 1912 et, enfin, l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 précitée. Il fait depuis cette date l’objet d’une application constante et le PFRLR a été invoqué pour critiquer des dispositions qui renforcent la sévérité ou la célérité de la justice des mineurs56.
Les garanties offertes par l’article 61-1 du Code de procédure pénale, relatif à l’audition libre de personnes à l’égard desquelles il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elles ont commis ou tenté de commettre une infraction, et précisément rappelées par la décision n° 2019-762 QPC ne suffisent pas, néanmoins, à rendre effective l’application du PFRLR, car l’audition libre se déroule selon les modalités générales prévues par cet article lorsque la personne entendue est mineure et ce, quel que soit son âge. Or les garanties précitées ne suffisent pas à assurer que le mineur consente de façon éclairée à l’audition libre ni à éviter qu’il opère des choix contraires à ses intérêts.
En conséquence, le législateur a contrevenu au PFRLR en matière de justice des mineurs et l’article 61-1 a été abrogé par la décision n° 2019-762 QPC. Parallèlement, l’article 61-1 a été modifié par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (JO, 24 mars 2019, art. 55) et il est désormais rédigé de cette manière : « Sans préjudice des garanties spécifiques applicables aux mineurs, la personne à l’égard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction ne peut être entendue librement sur ces faits qu’après avoir été informée ». Même si le régime de l’audition libre d’un mineur est modifié par la loi de programmation de la justice, le législateur devra en tout état de cause intervenir à nouveau s’il souhaite encadrer l’audition libre des majeurs.
Le Conseil constitutionnel est assez souvent amené à refuser de reconnaître l’existence d’un nouveau PFRLR. Tel est le cas dans la décision n° 2019-785 QPC du 24 mai 2019, M. Mario S., à propos du point de départ du délai de prescription de l’action publique en matière criminelle inscrit à l’article 7 du Code de procédure pénale. Le requérant invoquait la méconnaissance d’un nouveau principe fondamental reconnu par les lois de la République qui imposerait au législateur de prévoir un délai de prescription de l’action publique pour les infractions « dont la nature n’est pas d’être imprescriptible ». Le Conseil a considéré que, si, dans leur très grande majorité, les textes pris en matière de procédure pénale dans la législation républicaine intervenue avant l’entrée en vigueur de la constitution de 1946 comportent des dispositions relatives à la prescription de l’action publique en matière criminelle, la prescription a été écartée, deux fois au moins, par les lois du 9 mars 1928 portant révision du Code de justice militaire pour l’armée de terre et du 13 janvier 1938 portant révision du Code de justice militaire pour l’armée de mer qui punissaient certains crimes. Dès lors, le principe invoqué ne saurait être regardé comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République, alors même que l’Argentine, d’où était originaire M. Mario S., réclamait son extradition en raison des poursuites engagées contre lui pour des faits qualifiés en droit argentin d’imposition de tortures, privation illégale de liberté aggravée et crimes contre l’humanité commis en 1976, ce qui avait peu de rapport avec l’objet des deux lois ayant interrompu la « tradition législative ». La continuité de la législation républicaine est une des conditions de la reconnaissance d’un PFRLF et une seule exception, c’est-à-dire, une rupture dans le continuum est de nature à empêcher que soit consacré un tel principe. Les conditions de reconnaissance d’un PFRLR ont été posées par la décision n° 88-244 DC du 20 juillet 1988, Loi portant amnistie (cons. 11 et 12), complétée quant au champ d’application des PFRLR par la décision n° 2013-669 du 17 mai 2013, Loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe : « que, si la législation républicaine antérieure à1946 et les lois postérieures ont, jusqu’à la loi déférée, regardé le mariage comme l’union d’un homme et d’une femme, cette règle qui n’intéresse ni les droits et libertés fondamentaux, ni la souveraineté nationale, ni l’organisation des pouvoirs publics, ne peut constituer un principe fondamental reconnu par les lois de la République au sens du premier alinéa du préambule de 1946 » (cons. 21).
MV
2 – Les rapports de systèmes
Le Conseil constitutionnel n’a toujours pas posé de questions à la Cour européenne des droits de l’Homme en utilisant la procédure du protocole n° 16 de la convention, censé permettre un dialogue poussé entre les deux institutions. Il semblerait même que ce moyen, lorsqu’il est présenté par les requérants, soit traité avec peu d’intérêt par le Conseil constitutionnel qui n’y consacre qu’une motivation lapidaire – le juge nous apprend « qu’il n’y a pas lieu » de poser de question préjudicielle, sans pour autant se justifier sur le fond. L’espèce était pourtant intéressante57. Les agents assermentés du service municipal du logement disposent de lourds pouvoirs d’investigation – proches de ceux de l’administration fiscale – encore renforcés par des lois récentes. Ils peuvent contrôler, par des visites domiciliaires relativement peu conviviales, l’application de la loi et notamment l’usage conforme aux critères légaux des locaux destinés à l’habitation (absence de location saisonnière, correspondance à l’affectation et autres dispositions du Code de la construction et de l’habitation…). Pour l’exemple qui nous intéresse, le propriétaire qui sous-louerait son bien est soumis à l’amende civile et le maire peut apporter la preuve de cette sous-location grâce aux pouvoirs d’investigation des agents (agents qui peuvent, bien sûr, agir sans la présence du propriétaire). Les violations du droit de propriété, du respect des prérogatives de l’autorité judiciaire, du droit au respect de la vie privée, de l’interdiction de s’auto-incriminer (associé à la présomption d’innocence de l’article 9 de la déclaration de 1789) étaient invoquées non sans force. Le relais de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme était utile à propos du droit au respect des biens, garanti par l’article 1 du protocole n° 1 de la convention qui a déjà conduit nos juges français à reconnaître les espérances légitimes des contribuables58, et donc à se repositionner quant aux prérogatives de l’administration fiscale. C’est également du fait de la jurisprudence de la Cour, relativement à l’article 6 de la convention, que la France a reconsidéré son droit des visites domiciliaires fiscales – à la suite d’une condamnation marquante59 – notamment pour mieux prendre en compte le droit au recours des justiciables. On l’aura compris, la jurisprudence de la Cour était donc pertinente sur la question et avait déjà, dans le passé, influencé suffisamment le Conseil pour qu’un dialogue ait pu être envisagé. Pourtant, d’un revers de main, le Conseil constitutionnel a estimé qu’aucun motif ne justifiait une saisine de la Cour européenne que les commentaires justifient… en se référant à la précédente décision rejetant cette saisine de la Cour ! La procédure préjudicielle risque donc bien d’être aussi exceptionnelle que la procédure de question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (qui n’a connu qu’une seule application), ce que l’on peut certes justifier par la contrainte procédurale du délai du contrôle de constitutionnalité, même si les jurisprudences européennes et constitutionnelles mériteraient sûrement d’aller plus souvent de concert.
ACB
B – Les droits et libertés
Décision n° 2018-768 QPC en date du 21 mars 2019, M. Adama S. Dans la décision n° 2018-768 QPC, le Conseil constitutionnel a précisé les conditions dans lesquelles pouvaient être réalisés des examens radiologiques osseux aux fins de déterminer la minorité d’une personne.
Le recours aux tests osseux pour déterminer l’âge de mineurs étrangers isolés est pratiqué depuis plusieurs décennies, mais il a fait l’objet de nombreuses contestations. Il est justifié par la nécessité de déterminer si un individu est majeur, en l’absence de documents d’identité considérés comme fiables. La détermination de la majorité permet de décider le statut juridique auquel un individu est soumis, notamment s’agissant de l’accès à l’aide sociale à l’enfance, de poursuites pénales ou de procédures d’expulsion s’il s’agit d’un étranger en situation irrégulière. Cette situation se présente particulièrement dans le cadre de parcours migratoires où soit les documents d’identité ont été détruits, soit ils ne sont pas considérés comme valables par les autorités administratives ou judiciaires. Le recours à l’expertise médico-légale s’est d’abord développé hors de tout cadre légal explicite. La fiabilité de ces tests a été remise en cause à de nombreuses reprises par des institutions médicales, ce qui a conduit plusieurs institutions administratives et juridictionnelles à conseiller de ne pas y recourir.
À l’occasion de l’adoption de la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant, la commission des affaires sociales a, par voie d’amendement, inséré un article en vue d’interdire le recours aux données radiologiques de maturité osseuse pour déterminer l’âge d’un mineur étranger60. Après amendement du gouvernement, le texte ne prévoit plus l’interdiction du recours à ces tests, mais simplement leur encadrement. La secrétaire d’État, Laurence Rossignol, proposait simplement de « limiter au maximum le recours aux examens radiologiques osseux destinés à estimer l’âge de la personne concernée »61, mais non plus de les interdire. Le texte finalement adopté modifie l’article 388 du Code civil et encadre le recours aux tests osseux pour déterminer la minorité d’une personne. Il soumet le recours à ces examens à quatre conditions : l’absence de documents d’identité valables, l’invraisemblance de l’âge allégué, l’accord de l’intéressé et l’autorisation de l’autorité judiciaire ; il prévoit également que le doute profite à l’intéressé et que la marge d’erreur doit être indiquée dans les conclusions de l’expert.
La constitutionnalité de ces dispositions a été contestée par la voie d’une QPC transmise par la Cour de cassation, le 21 décembre 2018. Les requérants et les multiples intervenants estimaient que les dispositions en cause méconnaissaient l’exigence de protection de l’intérêt de l’enfant, le droit à la protection de la santé, le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine et le droit au respect de la vie privée. Ils faisaient également valoir qu’elles étaient entachées d’incompétence négative dans des conditions portant atteinte au principe d’égalité devant la loi (§ 2).
Le Conseil constitutionnel devait donc se prononcer sur la constitutionnalité du recours à de tels tests pour déterminer la majorité d’un jeune. En particulier, il devait d’abord décider si par principe le recours à de tels examens pouvait être conforme à l’exigence de protection de l’intérêt de l’enfant, notamment compte tenu de leur absence de fiabilité. Ensuite, s’il acceptait le recours à de tels tests, il devait apprécier si le législateur avait encadré le recours à ces examens de garanties suffisantes pour assurer le respect des exigences de protection de l’intérêt de l’enfant, de protection de la santé et de sauvegarde de la dignité humaine.
Le Conseil a pour la première fois reconnu explicitement la valeur constitutionnelle de l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, mais cette reconnaissance semble relativement vaine (I). En l’état actuel de sa jurisprudence, le Conseil n’exerce pas de réel contrôle sur la constitutionnalité du recours à des examens médicaux sur des enfants (II).
I – La reconnaissance vaine de l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant
Le Conseil consacre expressément la valeur constitutionnelle de la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, mais il en donne une conception restrictive (A). Il décide en conséquence de valider le recours à un examen médico-légal peu fiable (B).
A – La consécration constitutionnelle d’une conception restrictive de l’intérêt supérieur de l’enfant
Dans cette décision, le Conseil constitutionnel donne une nouvelle formulation au principe de protection de l’intérêt de l’enfant et il lui reconnaît expressément une valeur constitutionnelle indépendante du droit à une vie familiale normale.
Le Conseil a d’abord, en 1997, refusé de reconnaître que « le devoir de la collectivité de protéger la cellule familiale et d’apporter, dans l’intérêt de l’enfant, un soutien matériel aux familles, en particulier aux familles nombreuses » serait un principe fondamental reconnu par les lois de la République62. Puis, en 2013, il a déduit, du dixième alinéa du préambule de la constitution de 1946, une « exigence de conformité de l’adoption à l’intérêt de l’enfant »63. Cet alinéa dispose que « la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ». Enfin, en 2016, il a reconnu plus clairement une exigence de protection de l’enfant, dans le cadre du droit à une vie familiale normale qui est lui-même fondé sur le dixième alinéa du préambule de 194664. Ce rattachement de la protection de l’intérêt de l’enfant au droit à une vie familiale normale a été confirmé en 2018. Alors que les requérants faisaient valoir que « les dixième et onzième alinéas du préambule de la constitution de 1946 protége[nt] “l’intérêt de l’enfant” »65, le Conseil s’est uniquement fondé, pour rendre sa décision, sur « le droit de mener une vie familiale normale résult[ant] du dixième alinéa du préambule » de 194666. Il a, à cette occasion, évoqué la nécessité de prendre en compte « l’intérêt supérieur de l’enfant » dans le cadre de la rétention administrative67, mais la protection constitutionnelle de l’intérêt supérieur de l’enfant n’était pas expressément formulée.
Dans la présente décision, il fait évoluer sa jurisprudence, en consacrant, indépendamment du droit à une vie familiale normale, l’exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant. Il fonde cette dernière non seulement sur le dixième alinéa du préambule de 1946, mais également sur son onzième alinéa qui dispose que la Nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs » (§ 5).
Cette exigence est également formulée en de nouveaux termes puisque le Conseil aligne sa terminologie sur celle du droit international et du droit européen. La convention internationale relative aux droits de l’enfant (CIDE), signée à New York le 20 novembre 1989, dispose que « dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale » (art. 3, § 1). La Cour de cassation68 et le Conseil d’État69 ont d’ailleurs reconnu l’effet direct de cette disposition en droit interne. De même, la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne dispose que « dans tous les actes relatifs aux enfants, qu’ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale » (art. 24, al. 2). En se fondant sur l’article 8 de la convention EDH qui reconnaît le droit à une vie privée et familiale, la Cour EDH a également souligné « qu’il existe actuellement un large consensus – y compris en droit international – autour de l’idée que dans toutes les décisions concernant des enfants, leur intérêt supérieur doit primer »70. Le Conseil constitutionnel a donc décidé de consacrer « une exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant » (§ 6). Comme le souligne le commentaire autorisé, le Conseil reprend « ainsi une expression usuellement utilisée en droit international » (p. 19).
Néanmoins, ce nouveau fondement, cette consécration indépendante et cette nouvelle formulation ne devraient pas constituer un changement de droit puisque le commentaire autorisé précise : « Cette harmonisation ne modifie toutefois pas la portée de l’exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt de l’enfant dès lors que (…) le Conseil a toujours entendu conférer à l’exigence constitutionnelle une portée analogue à celle pouvant être déduite de la notion d’“intérêt supérieur” » (p. 19).
Si le commentaire autorisé précise que le Conseil entend s’aligner sur les standards internationaux et européens, il semble toutefois qu’il livre une interprétation assez restrictive de l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant.
En premier lieu, le Conseil ne reconnaît pas de caractère primordial à cette exigence. Le droit international et le droit européen font de l’intérêt supérieur de l’enfant une considération primordiale. Ni cette terminologie ni cette idée ne sont reprises par le Conseil. Il a par exemple déclaré constitutionnel le placement en rétention d’enfants71, c’est-à-dire le maintien d’enfants, sans condition d’âge, dans des lieux de privation de liberté. Moins d’un mois avant que le Conseil ne rende la décision commentée, la France a été condamnée pour violation de l’article 3 de la convention EDH pour sa défaillance dans la prise en charge d’un mineur sur la bande de Calais72. Dans cette décision, la Cour EDH a à nouveau rappelé qu’« il convient de garder à l’esprit que la situation d’extrême vulnérabilité de l’enfant est déterminante et prédomine sur la qualité d’étranger en séjour illégal »73. Le Conseil ne semble pas retenir une telle conception de l’intérêt supérieur de l’enfant.
En second lieu, le Conseil a une appréciation assez restrictive de ce qui constitue l’intérêt supérieur de l’enfant. Pour lui, cette exigence implique uniquement que « les règles relatives à la détermination de l’âge d’un individu doivent être entourées des garanties nécessaires afin que des personnes mineures ne soient pas indûment considérées comme majeures » (§ 6). Contrairement à d’autres instances, il ne prend absolument pas en compte les effets psychologiques que pourrait avoir, sur un enfant, le fait d’être soumis à de telles investigations. À cet égard, le Parlement européen a, le 12 septembre 2013, adopté une résolution sur la situation des mineurs non accompagnés dans l’Union européenne (n° 2012/2263(INI)) dans laquelle il « déplore le caractère inadapté et invasif des techniques médicales utilisées pour la détermination de l’âge dans certains États membres, parce qu’elles peuvent occasionner des traumatismes et parce que certaines de ces méthodes, basées sur l’âge osseux ou sur la minéralisation dentaire, restent controversées et présentent de grandes marges d’erreur » (§ 15). Le comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé avait également souligné que « la soumission à des investigations radiologiques et à un regard clinique peut apparaître comme porteuse d’une certaine violence (…) et peut blesser la dignité des enfants adolescents soumis à un tel regard médical sans comprendre leur finalité, dans une structure hospitalière apparentée alors à une structure policière ». Il soulignait également qu’« il importe de veiller à ce que ces conditions soient les moins traumatisantes possibles pour des enfants, éprouvés déjà pour certains, par des événements personnels ou familiaux pénibles, et qui, sans information adaptée à leur état, peuvent être inutilement choqués »74. Le Conseil constitutionnel n’a toutefois pas décidé de prendre en compte dans l’intérêt supérieur de l’enfant les effets psychologiques délétères que peut avoir sur des enfants le fait de les traiter comme des accusés dans un cadre médico-légal.
La conception que le Conseil a de l’intérêt supérieur de l’enfant explique en partie qu’il ait déclaré constitutionnel le recours à une expertise médico-légale peu fiable.
B. – La constitutionnalité du recours à un examen médico-légal peu fiable
Dans cette décision, le Conseil admet le recours aux tests osseux, tant dans son principe que dans ses modalités, et ce alors même que ces tests ne sont pas considérés comme fiables.
Alors que certaines instances telles que le Défenseur des droits75 estiment qu’il faut, par principe, exclure le recours aux examens osseux, le Conseil a considéré qu’ils sont possibles sous réserve d’être entourés de garanties suffisantes.
Pour le Conseil, quatre éléments concourent à assurer la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, tel qu’il l’a défini : l’intervention de l’autorité judiciaire pour autoriser de tels tests (§ 8), le caractère subsidiaire du recours à ces examens (§ 9), la nécessité de recueillir le consentement éclairé de l’intéressé (§ 10) et la prise en compte de la marge d’erreur (§ 11). Il estime en conséquence « que, compte tenu des garanties entourant le recours aux examens radiologiques osseux à des fins de détermination de l’âge, le législateur n’a pas méconnu l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant découlant des dixième et onzième alinéas du préambule de la constitution de 1946 » (§ 13).
Une telle appréciation peut sembler surprenante étant donné que le Conseil lui-même relève qu’« il est établi que les résultats de ce type d’examen peuvent comporter une marge d’erreur significative » (§ 7). Toutefois, il ne semble pas avoir suivi l’avis de plusieurs institutions médicales qui considèrent non seulement que ces examens peuvent être entachés d’une importante marge d’erreur, mais qu’ils ne sont pas fiables76. Contrairement à ce que laisse entendre le commentaire autorisé qui affirme que « l’ensemble des avis et recommandations s’accorde sur le fait que les tests osseux présentent, autour de l’âge de 18 ans, une marge d’erreur de 18 à 24 mois » (p. 11), il n’y a pas de consensus sur l’étendue de cette marge d’erreur. Certaines études font état d’une marge d’erreur avoisinant les 3 ans77. Le problème n’est donc pas simplement l’existence d’une marge d’erreur importante, mais l’impossibilité de se fier à ces examens. Ainsi, rien ne garantit que des tests, même ceux mentionnant une telle marge d’erreur, soient fiables en l’état de connaissances scientifiques.
Cette difficulté est renforcée par l’inexistence d’un protocole uniformisé sur l’ensemble du territoire. Ainsi, différents tests, avec différents degrés de fiabilité, peuvent être pratiqués. De même, aucune compétence ou formation spécifique n’est requise pour procéder à la lecture des examens osseux. L’académie de médecine recommandait une « double lecture des âges osseux, dont une au moins obligatoirement par un spécialiste de radio ou endocrino-pédiatrique »78. La loi n’apporte aucune précision en la matière. Le Parlement européen estime par exemple que les pratiques de détermination de l’âge « devraient consister en un examen pluridisciplinaire et portant sur plusieurs critères, effectué par des praticiens et des experts indépendants et qualifiés, et réalisé d’une manière scientifique, sûre et équitable, adaptée aux enfants et différenciée en fonction de leur sexe, les filles devant bénéficier d’égards particuliers »79. En outre, les conditions de recueillement du consentement de l’intéressé ne font pas non plus l’objet d’une uniformisation. Le consentement éclairé du mineur nécessite en principe l’accord de l’autorité parentale, mais en son absence, la loi n’exige ni le consentement d’un représentant légal, ni celui d’un avocat. En l’espèce, le Conseil estime néanmoins que les conditions posées sont suffisantes pour assurer la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant (§ 8 à 11), que la loi est suffisamment précise et que le législateur n’a pas méconnu sa compétence (§ 19).
Par ailleurs, une des principales difficultés liées au recours aux tests osseux tient à leur apparence médicale et scientifique qui donne l’illusion d’un résultat fiable et objectif permettant à ceux chargés de prendre des décisions concernant les jeunes isolés de s’appuyer sur cette apparence de scientificité. Cela conduit à ce que les autorités chargées de déterminer la majorité des personnes y aient recours quasiment systématiquement. Ce recours excessif aux examens osseux avait motivé l’adoption de l’amendement à l’origine des dispositions en cause interdisant le recours à ces tests. Dès 2005, le comité consultatif national d’éthique avait ainsi relevé que « le discernement de la justice ne peut se réfugier derrière une expertise médicale dont on a vu l’imprécision »80. En 2016, le comité des droits de l’enfant auprès du haut-commissariat aux droits de l’Homme des Nations unies avait également déploré la « dépendance excessive vis-à-vis des tests osseux pour déterminer l’âge des enfants et les cas dans lesquels le consentement de l’enfant n’a, dans la pratique, pas été demandé »81. Le Défenseur des droits a également souligné que « le recours aux examens radiologiques osseux n’est ni exceptionnel ni subsidiaire, mais devient la norme et est quasi systématique »82.
Ces problèmes, qui relèvent de la mise en œuvre de la loi, n’entrent pas en compte dans l’appréciation du Conseil constitutionnel. Il exerce un contrôle abstrait et renvoie aux autorités administratives et judiciaires la mise en œuvre des garanties constitutionnelles. Ce renvoi est fréquent en matière de police administrative et judiciaire et de droit des étrangers83.
Le Conseil apporte ainsi des précisions s’agissant de l’interprétation des dispositions en cause qui doivent ensuite être mises en œuvre par les autorités administratives et judiciaires. Il souligne d’abord qu’il appartient à l’autorité judiciaire de s’assurer du respect du caractère subsidiaire de cet examen (§ 9). Il relève ensuite que le résultat de l’examen osseux (§ 11), comme le refus de s’y soumettre (§ 10), ne peuvent, à eux seuls, fonder la décision de l’autorité judiciaire. Celle-ci doit donc prendre « en compte les autres éléments ayant pu être recueillis » (§ 11). Il affirme enfin que « si les conclusions des examens radiologiques sont en contradiction avec les autres éléments d’appréciation susvisés et que le doute persiste au vu de l’ensemble des éléments recueillis, ce doute doit profiter à la qualité de mineur de l’intéressé » (§ 11). L’ensemble de ces précautions lui semblent suffisantes pour garantir l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant.
Étant donnée l’interprétation restrictive que le Conseil donne de l’intérêt supérieur de l’enfant, sa reconnaissance semble relativement vaine. Il n’exerce pas non plus de réel contrôle sur la constitutionnalité du recours à des examens médicaux sur des enfants.
II. – L’absence de réel contrôle du recours à des examens médicaux sur des enfants
Le Conseil exerce un contrôle restreint en manière de droit à la santé (A) et retient une conception restrictive de l’atteinte à la dignité de la personne humaine (B), ce qui le conduit à ne pas exercer de réel contrôle sur le recours à des examens médicaux sur des enfants.
A. – Le contrôle restreint du Conseil constitutionnel en matière de droit à la santé
Depuis 2004, le Conseil fonde sur le onzième alinéa du préambule de 1946 une exigence constitutionnelle de protection de la santé84. Depuis 2010, il reconnaît également expressément un « droit à la protection de la santé » fondé sur cette même disposition85. En matière de droit à la santé, le Conseil exerce un simple contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation et non un contrôle normal86.
En l’espèce, il estime qu’il ne lui appartient pas « de substituer son appréciation à celle du législateur sur les conséquences sur la santé de la réalisation d’un examen radiologique osseux, dès lors que cette appréciation n’est pas, en l’état des connaissances, manifestement inadéquate » (§ 14). Cette formulation est empruntée à une décision récente dans laquelle le Conseil a considéré qu’il ne pouvait substituer son appréciation à celle du législateur « sur les conséquences sanitaires pour les personnes prostituées des dispositions contestées, dès lors que cette appréciation n’est pas, en l’état des connaissances, manifestement inadéquate »87. Elle a depuis été reprise dans plusieurs décisions relatives à la protection de l’environnement88 et au droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé89.
S’agissant des examens osseux, le Conseil considère que cette appréciation n’est pas manifestement inadéquate, d’une part, en raison des conditions qui sont posées pour y avoir recours et, d’autre part, car un examen radiologique osseux ne pourrait être ordonné qu’en « tenant compte d’un avis médical qui le déconseillerait à raison des risques particuliers qu’il pourrait présenter pour la personne concernée » (§ 15). Cette précision n’exige pas néanmoins que cet avis médical soit contraignant, mais simplement qu’il soit pris en compte. En outre, et contrairement à ce recommandaient plusieurs institutions90, rien n’est prévu pour s’assurer que l’examen radiologique ne soit pas pratiqué sur une personne en état de grossesse.
Ce contrôle minimal en matière de droit à la santé est associé à une conception restrictive de la notion d’atteinte à la dignité de la personne humaine.
B. – Une conception restrictive de la notion d’atteinte à la dignité de la personne humaine
Depuis 1994, le Conseil reconnaît la valeur constitutionnelle du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine91. Le Conseil rappelle donc que « la sauvegarde de la dignité de la personne contre toute forme d’asservissement et de dégradation » est un droit et un principe constitutionnels92 (§ 17). Il estime que, s’agissant des examens osseux, il n’y a pas d’atteinte à la dignité de la personne humaine possible car l’intéressé a consenti aux examens et ceux-ci « n’impliquent aucune intervention corporelle interne et ne comportent aucun procédé douloureux, intrusif ou attentatoire à la dignité des personnes ». Le Conseil en déduit alors que les griefs tirés de l’atteinte au principe du respect de la dignité de la personne humaine et à l’inviolabilité du corps humain « manquent en fait » (§ 18).
Pour le Conseil, le recueil du consentement, bien que les conditions de recueil de ce consentement ne soient pas clairement déterminées, constituerait une garantie du respect de la dignité. La suite de son raisonnement est pour le moins déroutante s’agissant de la définition de la notion de dignité. Il relève, d’une part, qu’il ne peut y avoir d’atteinte à la dignité car le procédé n’est ni douloureux, ni intrusif. Il semble donc ici retenir une conception essentiellement corporelle de l’atteinte à la dignité. D’autre part, il livre un raisonnement proprement circulaire puisqu’il estime que les examens osseux ne sont pas attentatoires à la dignité humaine car « ils ne comportent aucun procédé (…) attentatoire à la dignité des personnes ». Dans des cas similaires, le seul critère du Conseil semble être de savoir si l’examen nécessite une intervention corporelle. En 2003, il avait estimé que manquait en fait le moyen tiré de l’atteinte à l’inviolabilité du corps humain pour « un prélèvement n’impliquant aucune intervention corporelle interne », qui ne comporte « donc aucun procédé douloureux, intrusif ou attentatoire à la dignité des intéressés »93. En 2010, il avait suivi le même raisonnement pour des fichiers d’empreintes génétiques94. Le Conseil constitutionnel retient donc une conception restrictive de la notion de dignité de la personne humaine qui ne prend pas réellement en compte l’aspect psychologique dans l’appréciation de telles atteintes. L’inviolabilité du corps humain et la sauvegarde de la dignité semblent alors se rejoindre puisque le critère de l’atteinte à la dignité tient au caractère corporel ou non de l’intervention.
La situation de détresse ou de vulnérabilité des enfants ne paraît pas être un élément pertinent dans l’appréciation de l’atteinte à la dignité de la personne humaine, ce qui creuse encore la distance entre la jurisprudence constitutionnelle et les jurisprudences européennes comme celles de la Cour de Strasbourg.
Si le Conseil veut aligner sa jurisprudence sur celle des cours européennes, il ne semble pas en mesure d’offrir les mêmes garanties aux personnes les plus vulnérables et en particulier aux enfants. En premier lieu, cela est dû à l’appréciation qu’il retient des principes qu’il consacre : une conception le plus souvent minimale et restrictive. En second lieu, il est freiné par la nature et l’étendue de son contrôle. Se limitant à l’appréciation abstraite de la constitutionnalité des textes, il ne protège pas contre leur détournement ou le recours excessif à des procédés qui devrait rester exceptionnel. De plus, il s’interdit d’exercer un contrôle complet dans les matières qu’il considère les plus sensibles limitant la portée réelle des principes qu’il reconnaît.
MB
1 – Les libertés
a – Sécurité et libertés
La loi « anticasseurs » passée au crible du contrôle de proportionnalité (à propos de Cons. const., 4 avr. 2019, n° 2019-780 DC, Loi visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations). Le développement des phénomènes de radicalisation en marge des manifestations conduites par le mouvement autoproclamé des « gilets jaunes » a abouti à l’adoption d’une loi destinée, selon son intitulé, à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations. Dans une décision rendue le 4 avril 2019, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la constitutionnalité des dispositions les plus emblématiques du texte en ayant recours à la technique du contrôle de proportionnalité.
Initialement présenté par des sénateurs de l’opposition, ce texte semblait avoir vocation à connaître le sort réservé à la plupart des propositions de loi qui n’émanent pas de la majorité, à savoir ne jamais faire l’objet d’une inscription à l’ordre du jour. Toutefois, la multiplication des débordements lors de récentes manifestations a conduit la majorité à apporter son soutien à l’examen de cette proposition de loi. La loi finalement adoptée relève incontestablement de la catégorie des textes de circonstance, adoptés en réponse à une situation inattendue et non afin de mettre en œuvre le programme politique d’une majorité. Elle se compose de 10 articles qui attribuent à l’autorité administrative, à l’autorité judiciaire et aux forces de l’ordre de nouveaux moyens pour prévenir et réprimer les atteintes à l’ordre public lors des manifestations sur la voie publique.
Dans les conditions prévues par l’alinéa 2, de l’article 61, de la constitution, la loi a été déférée au Conseil constitutionnel par le nombre requis de députés et sénateurs mais aussi, suivant une pratique déjà suivie avec la loi sur le renseignement du 24 juillet 2015, par le président de la République. En premier lieu, la constitutionnalité externe de la loi était contestée par les députés. Selon eux, la procédure d’élaboration du texte s’était déroulée dans des conditions qui portaient atteinte à l’exigence de clarté et de sincérité du débat parlementaire. Ils déploraient, en particulier, le dépôt tardif d’amendements par le gouvernement, l’absence d’étude d’impact et de publicité de l’avis du Conseil d’État rendu sur un amendement. En second lieu, sur le fond, les députés et sénateurs estimaient que quatre dispositions portaient atteinte à la liberté de manifester et au principe de légalité criminelle.
Le Conseil constitutionnel a répondu à l’ensemble des griefs soulevés par les requérants, en s’abstenant de relever d’office d’autres moyens. Avec brièveté, il a d’abord exclu toute violation de la procédure d’élaboration de la loi en ne relevant aucune méconnaissance des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire, qu’il rattache désormais à l’article 6 de la déclaration de 1789 et à l’article 3 de la constitution. Les moyens tirés de la violation de la liberté de manifester et du principe de légalité criminelle ont davantage retenu l’attention du Conseil constitutionnel. Aux termes d’une analyse plus substantielle, il a censuré l’article 3 relatif aux interdictions administratives de manifester, tandis que les trois autres dispositions contestées ont été déclarées conformes à la constitution.
Une nouvelle fois, le Conseil constitutionnel a dû apprécier la pertinence de l’équilibre recherché par le législateur entre la protection des droits et libertés garantis par la constitution et l’impératif de maintien de l’ordre public et de recherche des auteurs d’infraction en endossant son rôle d’« agent de la circulation législative ». À l’issue du test de proportionnalité exercé pour chacun des articles soumis à son contrôle, il a censuré une disposition emblématique qui renforçait les pouvoirs de police à la disposition de l’autorité administrative (I), tandis que l’ensemble du volet pénal de la réforme a été déclaré conforme à la constitution (II).
I. – Feu rouge pour le volet préventif de la réforme
L’interdiction administrative de manifester, inscrite à l’article 3 de la loi soumise au Conseil constitutionnel, est la disposition qui a le plus retenu l’attention des médias lors de son examen. Sans grande surprise, elle a été jugée contraire à la liberté de manifester (A), à la suite d’un raisonnement particulièrement pédagogique (B).
A. – Une censure attendue
En amont de sa transmission au Conseil constitutionnel, la constitutionnalité de l’interdiction administrative de manifester avait été questionnée lors des débats parlementaires. Selon une jurisprudence traditionnelle, le Conseil exerce en effet un contrôle rigoureux des dispositions portant atteinte à des droits et libertés garantis par la constitution. Dans la mesure où la liberté de manifester relève de la liberté d’expression collective des idées et des opinions rattachées à l’article 11 de la déclaration de 1789, le Conseil estime que son « exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés » (§ 8). Par conséquent, il soumet les lois qui y portent atteinte au test de proportionnalité qu’il a introduit dans sa décision Rétention de sûreté de 200895. Le constat établi en préalable à l’exercice du contrôle de proportionnalité ne faisait guère planer de doute sur l’inconstitutionnalité de la mesure. Le Conseil avait pris soin de relever, en effet, que l’article contesté conférait à l’Administration « le pouvoir de priver une personne de son droit d’expression collective des idées et des opinions » (§ 22). À l’issue de ce contrôle, il a effectivement considéré que l’interdiction administrative de manifester adoptée par le législateur portait au droit d’expression collective des opinions une atteinte qui n’était pas adaptée, nécessaire et proportionnée (§ 26). La destinée de cette disposition n’était pourtant pas écrite à l’avance, et sans doute le législateur aurait-il pu, en étant plus précis dans sa rédaction, adopter un dispositif plus respectueux de la liberté de manifester. C’est ce qui ressort de l’analyse de l’argumentaire développé par le Conseil constitutionnel à l’appui de sa censure.
B. – Une censure pédagogique
Il est souvent reproché au juge, qu’il soit judiciaire, administratif ou constitutionnel, de ne pas suffisamment motiver ses décisions. En l’occurrence, le Conseil a entendu décomposer clairement les trois étapes traditionnelles du contrôle de proportionnalité qu’il a exercé. Trois éléments ont plus précisément motivé sa censure : « [l]a portée de l’interdiction contestée, [l]es motifs susceptibles de la justifier et [l]es conditions de sa contestation » (§ 26). La pédagogie dont a entendu faire preuve le Conseil peut être interprétée comme la volonté d’accompagner cette censure sèche d’une sorte de vade-mecum à l’attention du législateur dans l’hypothèse où celui-ci entendrait adopter une nouvelle version de cet article dont l’objet serait similaire. Dans cette perspective, la disposition nouvelle devrait préciser, notamment, que l’action violente ou les agissements commis à l’occasion de manifestations doivent nécessairement présenter « un lien avec les atteintes graves à l’intégrité physique ou les dommages importants aux biens » survenus lors de ces attroupements (§ 23). Au-delà de la pédagogie déployée par le Conseil, le message adressé au législateur est assez clair. En dehors des régimes d’exception comme l’état d’urgence, les mesures de police administrative destinées à prévenir les atteintes à l’ordre public doivent être strictement proportionnées afin de ne pas être jugées contraires à la constitution.
La rigueur dont a fait preuve le Conseil constitutionnel semble avoir été moindre en présence des dispositions législatives relatives aux mesures susceptibles d’être prises par ou sous le contrôle de l’autorité judiciaire.
II. – Feu vert sur le volet répressif de la réforme
Le Conseil constitutionnel a rejeté tous les moyens soulevés par les députés et sénateurs relevant du volet pénal de la loi en validant les nouvelles compétences attribuées aux forces de l’ordre et à l’autorité judiciaire (A) ainsi qu’une nouvelle infraction pénale (B).
A. – Des nouvelles compétences conformes à la constitution
Afin de compléter la panoplie des moyens juridiques susceptibles d’être mis en œuvre en vue de rechercher les auteurs d’infractions à l’occasion de manifestations sur la voie publique, le législateur a adopté deux nouveaux dispositifs. D’une part, un article habilitant les forces de l’ordre à procéder à l’inspection visuelle et à la fouille de bagages ainsi qu’à visiter des véhicules aux abords et sur les lieux d’une manifestation. D’autre part, un article ajoutant une nouvelle restriction susceptible d’être prononcée par le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention à l’encontre d’une personne placée sous contrôle judiciaire, c’est-à-dire une personne qui, dans le cadre de sa mise en examen, voit sa liberté restreinte afin qu’il soit possible de surveiller son comportement. Parmi les obligations susceptibles d’être imposées à la personne mise en examen en guise d’alternative au placement en détention provisoire, est ajoutée l’interdiction de manifester. Dans les deux cas, le Conseil constitutionnel n’a pas décelé d’inconstitutionnalité. Il a considéré que le législateur n’avait pas « porté au droit d’expression collective des idées et des opinions une atteinte qui ne serait pas nécessaire, adaptée et proportionnée » (§ 16 et 39). Enfin, s’agissant de l’interdiction judiciaire de manifester, suivant une méthode comparable à celle appliquée notamment lors du contrôle de dispositions de la loi relative à l’état d’urgence96, il a indiqué qu’il reviendrait au juge du fond d’exercer son propre contrôle de proportionnalité. Il devra, en effet, « proportionner l’interdiction de manifester (…) aux exigences justifiant le placement sous contrôle judiciaire » (§ 37). Le test de proportionnalité utilisé par le Conseil dans le cadre de ces deux contrôles a également été mis en œuvre afin d’apprécier la constitutionnalité d’un nouvel article inséré dans le Code pénal.
B. – Une nouvelle infraction conforme à la constitution
Le législateur a créé un délit de dissimulation de tout ou partie du visage sans motif légitime au sein ou aux abords d’une manifestation sur la voie publique. Ce n’est pas la première fois que le Conseil constitutionnel était saisi d’une disposition législative incriminant l’occultation du visage. Dans la décision n° 2010-613 DC, il avait ainsi déclaré conforme à la constitution la loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public. Toutefois, à l’époque, il s’était abstenu d’apprécier la proportionnalité du dispositif. Dans la présente décision, le Conseil a mis en œuvre le triple test de proportionnalité en considération de l’article 8 de la déclaration de 1789, à l’issue duquel « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». Si la loi a été déclarée conforme à la constitution, la méthode par laquelle le Conseil est parvenu à cette conclusion retient l’attention. En effet, ce dernier a pris soin d’apporter des précisions bienvenues, s’agissant en particulier des éléments constitutifs de l’infraction. Ainsi a-t-il indiqué, par exemple, que la dissimulation volontaire d’une partie du visage consistait pour une personne à vouloir « empêcher son identification [,] par l’occultation de certaines parties de son visage » (§ 29). De telles précisions constituent-elles, cependant, d’authentiques réserves d’interprétation ? Dans la mesure où elles ne sont pas expressément présentées comme telles dans le dispositif de la décision, il est possible de répondre par la négative. Pour autant, la jurisprudence judiciaire révèle que le juge du fond a tendance à faire siennes les interprétations formulées par le Conseil constitutionnel, et ce, même quand elles ne sont pas explicitement présentées comme d’authentiques « réserves d’interprétation ».
En tant que gardien du point de passage entre l’adoption de la loi et son entrée en application, le Conseil constitutionnel a donc rappelé qu’en matière d’atteintes à des droits et libertés de premier rang, le législateur n’est souverain que dans le strict respect de la constitution. La marge de manœuvre dont dispose le Conseil concernant les conditions d’exercice de son contrôle de proportionnalité met en lumière, quant à elle, la finesse de la contribution qu’il apporte à l’œuvre législative.
BLC
b – Liberté individuelle, respect de la vie privée, principe de responsabilité
Selon une jurisprudence traditionnelle, le respect de la vie privée constitue l’une des composantes du principe de liberté, protégé par les articles 2 et 4 de la déclaration de 178997. Dans trois décisions récentes, le Conseil a eu l’occasion d’expliciter le niveau de protection offert par ce droit.
Dans la décision n° 2018-761 QPC du 1er février 2019, les articles 611-1 et 225-12-1 du Code pénal, relatifs à la prohibition de la prostitution et pénalisant notamment les clients de prostitué(e)s, n’ont pas été jugés contraires au droit au respect de la vie privée (§ 19). Le Conseil a estimé, en effet, que « le législateur a assuré une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de prévention des infractions et la sauvegarde de la dignité de la personne humaine et, d’autre part, la liberté personnelle » (§ 13), dont relève le droit au respect de la vie privée.
À l’inverse, dans la décision n° 2018-764 QPC du 15 février 2019, une disposition du Code des douanes prévoyant les conditions dans lesquelles certains agents des douanes peuvent exiger la communication de données de connexion a été jugée contraire au droit au respect de la vie privée. Après avoir relevé que la survenance d’un changement de circonstances justifiait un réexamen de cette disposition (§ 5), le Conseil a considéré que le législateur n’avait pas introduit dans son texte de garanties propres à assurer une conciliation équilibrée entre le droit au respect à la vie privée et la recherche des auteurs d’infractions (§ 8).
Enfin, la méconnaissance du droit au respect de la vie privée a également été invoquée dans la décision n° 2019-772 QPC du 5 avril 2019 à l’encontre de deux articles du Code de la construction et de l’habitation qui habilitaient certains agents assermentés à visiter des locaux à usage d’habitation sans l’accord de leur occupant98. Donnant raison aux requérants, le Conseil a estimé que, en l’absence de mécanisme d’autorisation préalable délivrée par le juge, ces dispositions méconnaissaient le principe d’inviolabilité du domicile, qui découle du droit au respect de la vie privée (§ 10).
c – Liberté d’expression, liberté de conscience (…)
d – Liberté d’entreprendre, liberté contractuelle
Bien que la liberté contractuelle et la liberté d’entreprendre ne bénéficient pas d’un fondement constitutionnel explicite, le Conseil constitutionnel considère traditionnellement que leur protection est assurée par l’article 4 de la déclaration de 178999. Dans la décision n° 2019-774 QPC du 12 avril 2019, il a plus précisément apprécié la conformité à la liberté d’entreprendre de plusieurs dispositions relevant du Code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie. Parmi les nombreux griefs soulevés par les requérants et les intervenants, figurait l’inconstitutionnalité des dispositions permettant de fixer les prix de certains produits et services. Le Conseil n’a pas accueilli ces moyens. En raison de l’objectif d’intérêt général de protection des consommateurs et de la durée limitée d’application du mécanisme, il a estimé que le législateur n’avait pas porté une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre (§ 32).
BLC
2 – Le droit de propriété (…)
3 – Le principe d’égalité
a – Principe d’égalité devant la loi
La jurisprudence en matière d’égalité devant la loi est classiquement fondée sur l’article 6 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 qui reconnaît que « la loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Il en découle que « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ».
À propos de l’article 697-1 du Code de procédure pénale qui réserve aux juridictions spécialisées en matière militaire prévues à l’article 697 du même code la compétence pour connaître des crimes et délits commis par les militaires dans l’exercice du service, notamment dans leurs missions de maintien de l’ordre, le Conseil considère, dans la décision n° 2018-756 QPC du 17 janvier 2019, que si ces dispositions instituent bien une différence de traitement entre les parties civiles selon que l’auteur de l’infraction commise dans l’exercice d’une mission de maintien de l’ordre présente la qualité de militaire ou celle de membre de la police nationale, elle n’en est pas pour autant injustifiée.
En effet, les articles 6 et 16 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 autorisent le législateur à prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent. Néanmoins, ces différences doivent assurer aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect des principes d’indépendance et d’impartialité des juridictions. Tel est le cas des règles d’organisation et de composition des juridictions spécialisées prévues par l’article 697 du Code de procédure pénale en matière militaire qui présentent, pour les justiciables, des garanties égales à celles des juridictions pénales de droit commun.
Les particularités de l’état militaire justifient, au nom de l’objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice, de prévoir la spécialisation des formations juridictionnelles chargées de connaître des infractions de droit commun commises par les militaires dans l’exercice de leur service, afin de favoriser une meilleure appréhension de ces particularités. Pour les infractions commises dans ce cadre, en particulier et en l’espèce, le service du maintien de l’ordre, les militaires de la gendarmerie ne sont pas placés dans la même situation que les membres de la police nationale. Ils restent soumis dans leur activité de maintien de l’ordre aux règles spéciales qui régissent leur statut. Ainsi, en se fondant sur les particularités de l’état militaire des gendarmes pour prévoir la compétence des juridictions spécialisées en matière militaire, le législateur n’a pas instauré de différence injustifiée entre les justiciables.
La méconnaissance du principe d’égalité devant la loi est également écartée dans la décision n° 2019-792 QPC du 21 juin 2019, à propos de la question du dépassement d’honoraires dans le cadre de l’activité libérale des praticiens des établissements publics de santé. Ces derniers qui interviennent en dehors du cadre du service public hospitalier sont autorisés à pratiquer un dépassement d’honoraires alors que les praticiens qui interviennent dans le cadre du service public hospitalier sont tenus, quant à eux, à l’absence de facturation de tels dépassements. Cette différence trouve notamment sa justification dans le fait que lorsque les praticiens des établissements publics de santé exercent une activité libérale au sein de leur établissement, ils n’interviennent pas dans le cadre du service public hospitalier. À cet égard, et dans tous les cas, la loi veille à garantir l’information des patients et la neutralité de leur orientation entre activité libérale et activité publique (CSP, art. L. 6154-2, § II).
L’exercice par les praticiens statutaires à temps plein des établissements publics de santé d’une activité libérale vise à offrir, uniquement à titre accessoire, un complément de rémunération et de retraite à ces derniers. Ils se trouvent dans une situation différente de celle des médecins libéraux employés par un établissement de santé privé qui assure le service public hospitalier. Contrairement aux premiers, ces derniers, n’ont pas nécessairement vocation à y consacrer l’intégralité de leur carrière et ne sont pas tenus d’exercer à plein temps leur activité au sein de cet établissement. Ils peuvent donc exercer, dans des proportions que la loi les laisse libres de déterminer, d’autres activités médicales, non soumises à l’interdiction de dépassements d’honoraires. La différence de situation explique la différence de traitement entre les établissements publics de santé et les établissements de santé privés.
La possibilité de pratiquer des dépassements d’honoraires par les praticiens des établissements publics de santé qui exercent une activité libérale au sein de leur établissement contribue fortement à l’attractivité des carrières hospitalières publiques et à la qualité des établissements publics de santé. De ce fait, la différence de traitement instituée est en rapport direct avec l’objet de la loi.
Il en va différemment, selon la décision n° 2018-757 QPC du 25 janvier 2019, de la prise en charge par l’assurance maladie des frais de transport des assurés sociaux ou de leurs ayants-droit obligés de se déplacer pour recevoir des soins, subir des examens médicaux ou se soumettre à un contrôle. Si le transport assis professionnalisé peut être effectué en véhicule sanitaire léger ou en taxi, le niveau de prise en charge est déterminé à partir du tarif conventionné applicable. S’agissant des véhicules sanitaires légers, le tarif est défini par la convention nationale prévue par l’article L. 322-5-2 du Code de la sécurité sociale. S’agissant des taxis, le tarif est déterminé par la convention conclue entre l’entreprise et la caisse primaire d’assurance maladie, sur le fondement du second alinéa de l’article L. 322-5 du même code.
Il était reproché à ces dispositions de prévoir que la prise en charge, par l’assurance maladie, des prestations de transport assis professionnalisé réalisées en taxi par une entreprise disposant d’une flotte mixte composée de véhicules sanitaires légers et de taxis soit limitée au tarif conventionné applicable aux véhicules sanitaires légers, lorsque le tarif conventionné applicable aux taxis est supérieur, alors que ces mêmes prestations effectuées par les entreprises disposant seulement de taxis sont, quant à elles, prises en charge sur la base du tarif conventionné applicable à ce mode de transport, même s’il est supérieur au tarif conventionné applicable aux véhicules sanitaires légers.
Le Conseil considère qu’une entreprise qui dispose d’une flotte mixte et qui, pour une prestation donnée, n’est en mesure de proposer qu’un type de véhicules en raison de l’indisponibilité de l’autre type de véhicules, n’est pas placée, au regard de l’objet de la loi, dans une situation différente d’une entreprise qui dispose d’un seul type de véhicules. La différence de traitement n’est nullement justifiée. Elle ne l’est pas davantage par l’objectif d’intérêt général de maîtrise des dépenses liées à la prise en charge par l’assurance maladie des frais de transport des assurés sociaux qui était poursuivi par le législateur en adoptant ces dispositions.
La méconnaissance du principe d’égalité est également reconnue, dans la décision n° 2018-765 QPC du 15 février 2019, à l’encontre des deux premiers alinéas de l’article 167 du Code de procédure pénale qui instituent une différence de traitement injustifiée entre les parties assistées d’un avocat et les autres en ce qu’ils réservent uniquement aux avocats la possibilité de demander au juge d’instruction la copie intégrale du rapport d’expertise pénale par lettre recommandée. S’en trouve lésé le droit des parties non assistées par un avocat d’avoir connaissance de l’intégralité de ce rapport d’expertise afin de leur permettre de présenter des observations ou formuler une demande de complément d’expertise ou de contre-expertise.
La différence dans l’accès au rapport d’expertise résultant des dispositions contestées n’est pas, en l’espèce, limitée aux cas où elle serait justifiée par la protection du respect de la vie privée, la sauvegarde de l’ordre public ou l’objectif de recherche des auteurs d’infractions. Dès lors, le principe d’égalité devant la justice s’en trouve méconnu.
En ce qui concerne les frais irrépétibles devant les juridictions pénales, le Conseil considère, dans la décision n° 2019-773 QPC du 5 avril 2019, que les dispositions du premier alinéa de l’article 800-2 du Code de procédure pénale portent atteinte à l’équilibre du droit des parties dans le procès pénal. Elles instituent une différence de traitement injustifiée selon qu’elles permettent à la juridiction de jugement prononçant une décision de relaxe ou d’acquittement d’accorder à la personne poursuivie pénalement ou civilement responsable une indemnité, supportée par l’État ou la partie civile, au titre des frais non payés par l’État et exposés par cette personne pour sa défense, tandis que, lorsque la personne poursuivie a été condamnée, ni ces dispositions ni aucune autre ne permettent à la personne citée comme civilement responsable d’obtenir devant la juridiction pénale le remboursement de tels frais, alors même qu’elle a été mise hors de cause.
Le principe d’égalité devant la justice est aussi mis en cause, aux termes de la décision n° 2019-786 QPC du 24 mai 2019, par l’article 54 de la loi du 29 juillet 1881, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance du 13 septembre 1945 en tant qu’il introduit une distinction injustifiée entre les victimes d’infractions de presse selon le lieu de résidence de la personne poursuivie.
La poursuite des délits et contraventions commis par voie de presse peut être exercée par la partie lésée au moyen d’une citation directe. Dans ce cas, l’article 54 précité prévoit que le délai entre la délivrance de la citation et la comparution devant la juridiction de jugement doit être de 20 jours, augmenté d’un délai de distance. Ce délai de distance est d’un jour par 50 kilomètres, entre le lieu de résidence de la personne poursuivie et celui du tribunal devant lequel elle est citée à comparaître. Il répond à la volonté du législateur de garantir à la partie poursuivie un temps nécessaire à son déplacement vers le lieu où elle est citée à comparaître. En soi, la prise en compte, par l’instauration d’un délai spécifique, de la distance séparant le lieu de résidence de la personne poursuivie du lieu où elle est citée à comparaître n’est pas contraire au principe d’égalité devant la justice. Toutefois, le Conseil considère qu’en raison de l’étendue du territoire de la République, les modalités de détermination de ce délai sont susceptibles de conduire à des délais de distance très différents. Compte tenu des moyens actuels de transport, ces différences dépassent manifestement ce qui serait nécessaire pour prendre en compte les contraintes de déplacement, et ce quelle que soit la distance séparant le lieu de résidence du prévenu de celui de sa comparution. Dès lors, les dispositions contestées procèdent à une distinction injustifiée entre les justiciables.
b – Principe d’égalité devant la loi fiscale et les charges publiques – Droits et libertés en matière fiscale
Les articles 6 et 13 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 desquels le principe d’égalité devant les charges publiques tire sa substance, autorise la loi à déroger à l’égalité pour des raisons d’intérêt général. Il faut toutefois que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit et qu’elle repose sur des critères objectifs et rationnels.
Au cours de la période concernée, aucune des décisions rendues par le Conseil n’a abouti à une déclaration d’inconstitutionnalité.
Ainsi, dans la décision n° 2018-755 QPC du 15 janvier 2019, ont été déclarées conforme au principe d’égalité devant les charges publiques les dispositions de l’article 979 du Code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 2017 qui soumet l’impôt sur la fortune immobilière à un plafonnement en fonction des revenus du contribuable.
La précision apportée par le Conseil sur la nature de l’impôt sur la fortune immobilière qui n’est pas un impôt figurant au nombre des impositions sur le revenu, modifie la perception selon laquelle doivent être prises en compte les plus-values réalisées aux termes des dispositions de l’article 979 du Code général des impôts. Ces dispositions n’ont pas pour objet de déterminer les conditions d’imposition des plus-values, mais les modalités selon lesquelles ces plus-values sont prises en compte dans les revenus en fonction desquels est plafonné l’impôt sur la fortune immobilière. Le fait que les dispositions contestées incluent dans ces revenus les plus-values réalisées par le contribuable, sans prendre en compte l’érosion monétaire entre la date d’acquisition des biens ou droits et celle de leur cession, ne méconnaît pas l’exigence de prise en compte des facultés contributives résultant de l’article 13 de la déclaration de 1789, dès lors que l’objectif poursuivi par le législateur en instituant cet impôt est de frapper la capacité contributive que confère la détention d’un ensemble de biens et de droits immobiliers.
Ce même raisonnement est repris par le Conseil dans la décision n° 2019-769 QPC du 22 mars 2019 à propos du calcul du plafonnement de l’impôt de solidarité sur la fortune. Le Conseil réexamine, en l’espèce, suite à un changement de circonstances, les dispositions de l’article 885 V bis du Code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2012, qui soumet l’impôt de solidarité sur la fortune à un plafonnement en fonction des revenus du contribuable, là où dans sa décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, il avait déjà jugé conformes à la constitution, dans les motifs et le dispositif de cette décision, les dispositions de cet article. Il écarte, là aussi, toute violation du principe d’égalité devant les charges publiques au même titre qu’il a pu le faire dans la décision n° 2018-755 QPC du 15 janvier 2019.
Le Conseil considère, dans la décision n° 2018-767 QPC du 22 février 2019, que l’exigence de notification aux organismes de recouvrement prévue par les dispositions de l’article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale a pour objet de permettre une évaluation du montant de la perte de recettes pour la sécurité sociale résultant de l’exonération de cotisations sociales. De ce fait, en subordonnant le bénéfice de l’exonération à une formalité de notification, le législateur s’est fondé sur un critère objectif et rationnel en fonction des buts poursuivis, comme l’exige le respect du principe d’égalité devant les charges publiques.
Par ailleurs, la circonstance selon laquelle l’employeur qui n’a pas rempli l’obligation de notification est tenu d’acquitter la totalité des cotisations sociales, y compris pour leur part salariale, n’entraîne pas de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques. Compte tenu du taux des cotisations salariales, cette rupture n’est pas avérée.
Est également écartée, dans la décision n° 2019-771 QPC du 29 mars 2019, toute méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques par la soumission des titulaires de concessions de mines d’hydrocarbures liquides à une redevance progressive assise sur la production annuelle d’huile brute. Aux termes de l’article L. 132-16 du Code minier, cette production est imposée au taux de 8 % pour sa part de production égale ou supérieure à 1 500 tonnes. L’objet d’un tel barème est de mettre fin à la fiscalité incitative dont bénéficiaient les titulaires de concessions de mines d’hydrocarbures liquides depuis la loi du 30 décembre 1980. Il a été institué en vue de frapper la capacité contributive des titulaires de concessions de ces mines et repose sur des critères objectifs et rationnels dès lors que la loi fait porter la redevance sur la production annuelle d’huile brute.
Par ailleurs, le taux de 8 % d’imposition établi par l’article L. 132-16 du Code minier ne fait pas peser sur les titulaires de concessions de mines d’hydrocarbures liquides une charge excessive au regard de leurs facultés contributives et ne présente pas un caractère confiscatoire, d’autant qu’il est déjà appliqué à une part de la production extraite de puits mis en service avant 1980.
Ensuite, la nature respective de la taxe tréfoncière qui ne constitue pas une imposition de toute nature mais la contrepartie versée par le titulaire de la concession au propriétaire du terrain qu’il exploite et de la taxe sur l’exploration d’hydrocarbures prévue par l’article 1590 du Code général des impôts qui porte quant à elle sur les permis de recherche d’hydrocarbures, rend inopérant le grief tiré du caractère confiscatoire qui résulterait de leur cumul avec la redevance progressive des mines.
Enfin, ne peut non plus être reconnu comme ayant un caractère confiscatoire, le cumul de la redevance progressive des mines avec les redevances communale et départementale des mines prévues par les articles 1519 et 1587 du Code général des impôts, compte tenu de leur assiette, taux et tarifs respectifs.
À propos des conditions de report d’imposition d’une plus-value réalisée dans le cadre d’un apport de titres à une société contrôlée par l’apporteur telles qu’elles sont définies par l’article 150-0 B ter du Code général des impôts, le Conseil considère, dans la décision n° 2019-775 QPC du 12 avril 2019, que le législateur n’a pas méconnu l’exigence de prise en compte des capacités contributives. Le dispositif mis en place est bien fondé sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l’objet de la loi, et ne méconnaît en rien le principe d’égalité devant les charges publiques.
Il a pour objet, dans le cadre du mécanisme de report d’imposition ainsi prévu par l’article 150-0 B ter du Code général des impôts, de favoriser les restructurations d’entreprises susceptibles d’intervenir par échanges de titres, en évitant que le contribuable soit contraint de vendre une partie des titres qu’il a reçus lors de l’échange pour acquitter la plus-value qu’il a réalisée, à cette occasion, sur les titres apportés. Afin de maintenir le bénéfice du report d’imposition, en cas de donation, le législateur a transféré la charge d’imposition du donateur au donataire.
La plus-value réalisée à l’occasion de l’échange est constatée et déclarée par le contribuable et placée en report d’imposition. Au moment de la donation des titres reçus en échange de l’apport, le donataire mentionne, dans la proportion des titres transmis, le montant de la plus-value en report dans la déclaration de revenus. Ainsi, lorsqu’il accepte la donation, le donataire a une connaissance exacte du montant et des modalités de l’imposition des plus-values placées en report qui grève les titres qu’il reçoit.
Par ailleurs, il n’est mis fin au report de l’imposition de ces plus-values que lorsque le donataire cède les titres qui lui ont été donnés ou lorsque la société bénéficiaire, qu’il contrôle, cède les titres apportés. De plus, la plus-value placée en report d’imposition est définitivement exonérée lorsque le donataire cède les titres au-delà d’un délai de 18 mois. Il en est de même en cas de cession des titres apportés, par la société, au-delà d’un délai de 3 ans ou lorsque le produit de la cession fait l’objet d’un réinvestissement.
À propos de la déductibilité de l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune des dettes du redevable à l’égard de ses héritiers ou de personnes interposées, l’article 885 D du Code général des impôts prévoit que l’impôt de solidarité sur la fortune obéit aux mêmes règles que les droits de mutation par décès. Il résulte du renvoi qu’opère cet article au 2°, de l’article 773, du même code, que les dettes contractées par le redevable de l’impôt de solidarité sur la fortune à l’égard de ses héritiers ou de personnes interposées ne peuvent être déduites de l’assiette de cet impôt, sauf si la dette a fait l’objet d’un acte authentique ou d’un acte sous seing privé ayant une date certaine avant la date du fait générateur de l’impôt. Dans la décision n° 2019-782 QPC du 17 mai 2019, le Conseil reconnaît que les dispositions contestées instituent une différence de traitement entre les redevables de l’impôt de solidarité sur la fortune selon que la dette qu’ils ont contractée l’a été à l’égard d’un de leurs héritiers ou d’une personne interposée, d’une part, ou à l’égard d’un tiers, d’autre part.
Néanmoins, ces dispositions ont pour but de contrôler la sincérité de ces dettes et ainsi de réduire les risques de minoration de l’impôt de solidarité sur la fortune qui sont jugés plus élevés dans le premier cas compte tenu des liens unissant une personne et ses héritiers. L’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales dicte cette différence de traitement qui repose ainsi sur des critères objectifs et rationnels en rapport direct avec l’objet de la loi.
Par ailleurs, ces dispositions n’ont pas pour objet d’interdire à un redevable de l’impôt de solidarité sur la fortune qui souhaite déduire de son patrimoine la dette contractée auprès d’un héritier ou d’une personne interposée, d’en prouver l’existence et la sincérité. Elles ont seulement pour objet d’exiger à cette fin qu’elle ait fait l’objet d’un acte authentique ou d’un acte sous seing privé ayant date certaine. Dans l’hypothèse où cette formalité n’a pas été respectée et où l’héritier ou la personne interposée ayant consenti le prêt sont eux-mêmes redevables de l’impôt de solidarité sur la fortune, les dispositions contestées n’ont, en aucun cas, pour effet d’imposer deux fois une même personne sur un même patrimoine.
En conséquence, ces dispositions ne méconnaissent pas le principe d’égalité devant les charges publiques.
Le c du paragraphe I de l’article 182 B du Code général des impôts prévoit que donnent lieu à l’application d’une retenue à la source, lorsqu’elles sont payées par un débiteur qui exerce une activité en France à des personnes ou des sociétés, relevant de l’impôt sur le revenu ou de l’impôt sur les sociétés, qui n’ont pas dans ce pays d’installation professionnelle permanente, « les sommes payées en rémunération des prestations de toute nature fournies ou utilisées en France ».
La retenue à la source qu’instaure l’article 182 B du Code général des impôts, sous réserve des stipulations des conventions fiscales, vise à garantir le montant et le recouvrement de l’imposition due, à raison de leurs revenus de source française, par des personnes à l’égard desquelles l’administration fiscale française ne dispose pas du pouvoir de vérifier et de contrôler la réalité des charges déductibles qu’elles ont éventuellement engagées. Le Conseil reconnaît dans la décision n° 2019-784 QPC du 24 mai 2019 que ces dispositions instaurent une différence de traitement en imposant les personnes qui ne disposent pas d’installation professionnelle permanente en France sur les sommes qu’elles reçoivent en rémunération de leurs prestations fournies ou utilisées en France et en autorisant les personnes qui disposent en France d’une telle installation de déduire les charges engagées pour leur activité.
Toutefois, cette différence de traitement trouve sa justification dans l’objectif que se fixe l’article 182 B du Code général des impôts.
Dans la décision n° 2019-793 QPC du 28 juin 2019, est également écartée toute rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques à propos de l’article 158 du Code général des impôts qui fixe les règles de détermination des différentes catégories de revenus entrant dans la composition du revenu net global soumis à l’impôt sur le revenu. Était en cause la majoration de 25 % de l’assiette de l’impôt sur le revenu applicable à des revenus de capitaux mobiliers particuliers dans le but de soumettre à une imposition plus forte certains revenus de capitaux mobiliers distribués dans des conditions irrégulières ou occultes, afin de dissuader de telles opérations. Ce dispositif répond à l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Ainsi, en opérant une distinction selon que les revenus sont distribués à la suite d’une décision régulière des organes compétents de la société ou que les revenus distribués résultent de décisions occultes ou irrégulières et en soumettant seulement ces derniers à la majoration d’assiette contestée, le législateur a retenu des critères objectifs et rationnels au regard du but poursuivi sans qu’il n’en résulte aucune rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques entre les bénéficiaires de revenus de capitaux mobiliers soumis à cette majoration et les autres bénéficiaires de revenus de capitaux mobiliers.
Par ailleurs, le Conseil rappelle comment apprécier l’existence d’une charge excessive au regard des facultés contributives. Pour ce faire, il convient de prendre en compte l’ensemble des impositions portant sur le même revenu et acquittées par le même contribuable. En l’occurrence, pour les revenus de capitaux mobiliers visés par les dispositions contestées, il convient de cumuler l’impôt sur le revenu et la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, tous deux calculés en fonction d’une assiette majorée de 25 %, ainsi que les contributions sociales, puis de tenir compte de la déductibilité d’une fraction de la contribution sociale généralisée, prévue à l’article 154 quinquies du Code général des impôts. Il en résulte que, sous l’empire de l’article 158 dans sa rédaction résultant de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011, les revenus en cause étaient soumis à un taux marginal maximal d’imposition de 68,9 %. Sous l’empire du même article dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2013, ce taux s’établissait à 73,6 %.
Ces taux, qui ne s’appliquent qu’à de hauts niveaux de revenus imposables, portent sur des revenus de capitaux mobiliers dissimulés, non spontanément déclarés par le contribuable. Il ne résulte pas de ces taux une charge excessive au regard des facultés contributives des contribuables. Le respect du principe d’égalité devant les charges publiques est, de ce fait, garanti.
LB
4 – Les droits sociaux
Le contrôle des privatisations (à propos de Cons. const., 16 mai 2019, n° 2019-781 DC). Le Conseil constitutionnel a été saisi le 16 avril 2019 dans les conditions prévues par l’article 61, alinéa 2, de la constitution, de la loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises par des parlementaires des deux groupes Les Républicains de l’Assemblée nationale et du Sénat, ainsi que par des députés issus des groupes de gauche de l’Assemblée nationale et des sénateurs issus des groupes de gauche au Sénat.
La décision n° 2019-781 DC du 16 mai 2019, Loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, suscite l’intérêt à plusieurs titres : en raison des principes constitutionnels dont la méconnaissance est soulevée par les requérants et en raison de son objet-même, la privatisation très médiatisée de deux entreprises publiques françaises, à savoir Aéroports de Paris et la Française des jeux. Pour un commentaire plus large des dispositions relatives à Aéroports de Paris, il convient de se reporter aussi au commentaire de la décision n° 2019-1 RIP du 9 mai 2019, Proposition de loi visant à affirmer le caractère de service public national de l’exploitation des aérodromes de Paris.
I. – La mise en œuvre de dispositions constitutionnelles en matière sociale ou relatives aux entreprises
Le Conseil constitutionnel a rejeté les griefs invoqués par les requérants fondés notamment sur la violation du principe d’égalité, contre l’article 11 de la loi déférée modifiant les règles de décompte de l’effectif salarié d’une entreprise pour l’application d’obligations en matière sociale (A) et contre l’article 20 réduisant le champ de l’obligation de désignation d’un commissaire aux comptes à certaines sociétés dépassant des seuils de bilan, de chiffre d’affaires ou d’effectifs (B).
A. – Une application du huitième alinéa du préambule de la constitution de 1946 et du principe d’égalité en découlant
Concernant l’article 11 de la loi déférée modifiant les règles de décompte de l’effectif salarié d’une entreprise pour l’application de plusieurs obligations en matière sociale, les sénateurs requérants reprochaient au texte de loi adopté de porter atteinte au huitième alinéa du préambule de la constitution de 1946, et invoquaient la rupture d’égalité en découlant.
Le Conseil constitutionnel a écarté ce grief. Il a d’abord rappelé les dispositions de l’article 6 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789.
En premier lieu, constatant qu’aucune des dispositions en cause n’affecte les garanties relatives à la participation des travailleurs, par l’intermédiaire de leurs délégués, à la détermination collective des conditions de travail, il a jugé que dès lors le grief tiré de la méconnaissance du huitième alinéa du préambule de la constitution de 1946 devait être écarté (§ 7). Le Conseil a déjà eu l’occasion de statuer sur le principe de participation dans les décisions nos 93-328 DC du 16 décembre 1993, Loi quinquennale relative au travail, à l’emploi et à la formation professionnelle (cons. 2 à 6), ou 2007-555 DC du 16 août 2007, Loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat (cons. 6 à 9), en contrôle a priori, et, en contrôle a posteriori, dans la décision n° 2013-333 QPC du 26 juillet 2013, M. Philippe M. et a.
En second lieu, si les requérants dénoncent les stratégies de contournement qui peuvent résulter de l’asymétrie des règles applicables en matière de décompte des effectifs d’une entreprise pour l’application des seuils sociaux, l’éventualité d’un détournement de la loi ou d’un abus lors de son application, pour regrettables qu’ils soient, n’entache pas celle-ci d’inconstitutionnalité (§ 9). Cette décision rappelle d’autres décisions allant dans le même sens : n° 2013-669 DC du 17 mai 2013, Loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (cons. 30) ou n° 2018-707 QPC du 25 mai 2018, Époux P., à propos de l’absence de rétrocession, dans les délais légaux, de biens préemptés.
Concernant l’asymétrie des règles de prise en compte de franchissement de seuil, à la hausse ou à la baisse, le Conseil a relevé que l’entreprise, dont l’effectif salarié dépasse 5 années consécutives un certain seuil, est placée dans une situation différente de celle dont l’effectif salarié ne dépasse ce même seuil que 4 années consécutives avant d’y être inférieur la cinquième. Il a jugé que « la différence de traitement contestée, qui est ainsi fondée sur une différence de situation, est par ailleurs en rapport avec l’objet de la loi, qui est de favoriser la croissance des entreprises en atténuant certains effets de seuils » (§ 8 et 10). Le Conseil fait application de sa jurisprudence en la matière, fondée notamment sur la décision n° 79-107 DC du 12 juillet 1979, Loi relative à certains ouvrages reliant les voies nationales ou départementales (cons. 4), ou plus récemment sur les décisions nos 2004-496 DC du 10 juin 2004, Loi pour la confiance dans l’économie numérique (cons. 13) ou 2011-136 QPC du 17 juin 2011, Fédération nationale des associations tutélaires et a. (cons. 9).
B. – Le rejet de la méconnaissance du droit de propriété et du grief d’atteinte à la situation de certaines professions
Les sénateurs auteurs de la quatrième saisine ont soulevé plusieurs griefs à l’encontre de l’article 20 de la loi déférée, ayant notamment pour objet de réduire le champ de l’obligation de désignation d’un commissaire aux comptes à laquelle sont soumises certaines sociétés, en la limitant à celles dépassant certains seuils.
Le Conseil constitutionnel a d’abord rappelé les articles 34 de la constitution concernant notamment le régime de la propriété, et 2 et 17 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 mentionnant la propriété. À propos de l’article 16 de la déclaration relative à la garantie des droits, il a rappelé qu’il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions. Ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. En particulier, il ne saurait, sans motif d’intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises, ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations (§ 20).
Dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel a considéré que si le législateur a ainsi renvoyé au pouvoir réglementaire la détermination de la valeur des seuils fixant l’obligation pour les sociétés anonymes et les sociétés en commandite par actions de désigner un commissaire aux comptes, il en a, en revanche, précisé la nature et n’a donc pas méconnu sa compétence (§ 22).
Le Conseil a en outre jugé qu’en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu maintenir un niveau élevé de contrôle des sociétés, tout en prenant en compte la charge que ce contrôle représente pour elles. Au regard de cet objet, la différence de situation entre les entreprises dont le bilan, le chiffre d’affaires ou l’effectif salarié atteignent certains seuils et les autres est de nature à justifier la différence de traitement instaurée. Dès lors, il a rejeté le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité (§ 23).
Concernant la désignation d’un commissaire aux comptes, le Conseil constitutionnel a écarté deux autres griefs. Premièrement, il a relevé que la désignation ou non d’un commissaire aux comptes n’ayant pas de conséquence sur les conditions d’exercice de leur droit de propriété par les actionnaires de la société en cause ou par ses cocontractants, le grief tiré de la méconnaissance du droit de propriété doit être écarté (§ 24). Deuxièmement, le Conseil a considéré que la législation relative aux obligations de désignation d’un commissaire aux comptes, par certaines sociétés, n’ayant fait naître aucune situation légalement acquise, sa modification par les dispositions contestées, qui ne concerne pas, au demeurant, les mandats en cours, ne méconnaît pas les exigences de la garantie des droits (§ 25).
Antérieurement à la décision commentée, le Conseil constitutionnel avait été amené à statuer sur l’atteinte à la situation d’une profession : la suppression de la profession d’avoué dans sa décision n° 2010-624 DC du 20 janvier 2011, Loi portant réforme de la représentation devant les cours d’appel (cons. 13 et s.), ou sur la situation des notaires dans sa décision n° 2015-715 DC du 5 août 2015, Loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances (cons. 76 et s.), ou encore sur la situation de l’État, des collectivités territoriales et de leurs groupements, et des établissements publics économiques quant aux biens du domaine public dans la décision n° 2018-743 QPC du 26 octobre 2018, Sté Brimo de Laroussilhe (§ 3 et s.).
II. –La privatisation d’Aéroports de Paris : une déclaration de constitutionnalité suspendue pour cause de RIP
Les saisines ont soulevé trois griefs à l’encontre de la privatisation de l’entreprise Aéroports de Paris : la violation du neuvième alinéa du préambule de la constitution de 1946, l’atteinte à l’exigence constitutionnelle des deniers publics fondée sur l’article 14 de la déclaration de 1789 et la méconnaissance de l’étendue par le législateur de sa compétence telle que fixée par l’article 34 de la constitution, précisant que « si cette disposition laisse au législateur l’appréciation de l’opportunité des transferts du secteur public au secteur privé et la détermination des biens ou des entreprises sur lesquels ces transferts doivent porter, elle ne saurait le dispenser, dans l’exercice de sa compétence, du respect des principes et des règles de valeur constitutionnelle qui s’imposent à tous les organes de l’État » (§ 40 à 42).
Le Conseil constitutionnel a considéré que la société Aéroports de Paris n’a ni le caractère d’un monopole de fait ni d’un service public national (A), et a déclaré conformes à la constitution les dispositions encadrant la privatisation d’Aéroports de Paris (B). Toutefois, la loi n’a pas pour autant pu entrer en application compte tenu de la mise en œuvre – pour la première fois – de la procédure du référendum d’initiative partagée prévu à l’article 11 de la constitution (C).
A. – La société Aéroports de Paris ne constitue ni un monopole de fait ni un service public national au sens du neuvième alinéa du préambule de la constitution de 1946
Les parlementaires auteurs des quatre saisines invoquant la méconnaissance du neuvième alinéa du préambule de la constitution de 1946 pour s’opposer à la privatisation de l’entreprise publique Aéroports de Paris, le Conseil a d’abord recherché si ladite société est une entreprise dont l’exploitation constitue un monopole de fait au sens dudit neuvième aliéna.
Pour répondre à cette question, le Conseil a d’abord défini la notion de monopole de fait au sens du neuvième alinéa, considérant que cette notion « doit s’entendre compte tenu de l’ensemble du marché à l’intérieur duquel s’exercent les activités des entreprises ainsi que de la concurrence qu’elles affrontent sur ce marché de la part de l’ensemble des autres entreprises. On ne saurait prendre en compte les positions privilégiées que telle ou telle entreprise détient momentanément ou à l’égard d’une production qui ne représente qu’une partie de ses activités » (§ 43). Cette définition du monopole de fait avait déjà été formulée notamment dans la décision n° 2006-543 DC du 30 novembre 2006, Loi relative au secteur de l’énergie (cons. 21). Pour sa part, le Conseil d’État a retenu que ces entreprises ne peuvent avoir le caractère de fait ou d’un service public national que si elles exercent à l’échelon national100.
En l’espèce, le Conseil a considéré que la société Aéroports de Paris ne peut être regardée comme une entreprise dont l’exploitation constitue un monopole de fait au sens du neuvième alinéa du préambule de la constitution de 1946 dans la mesure où il existe sur le territoire français d’autres aérodromes d’intérêt national ou international, où Aéroports de Paris est en situation de concurrence croissante avec les principaux aéroports régionaux, y compris en matière de dessertes internationales, et en concurrence avec le transport par la route et le transport ferroviaire sur certains trajets (§ 44 à 47).
Ensuite, le Conseil constitutionnel s’est interrogé sur la qualification de la société Aéroports de Paris de service public national. Le Conseil a rappelé qu’il s’autorise à vérifier que le législateur n’a pas commis d’erreur dans son appréciation, précisant que si l’article 34 de la constitution « laisse au législateur l’appréciation de l’opportunité des transferts du secteur public au secteur privé et la détermination des biens ou des entreprises sur lesquels ces transferts doivent porter, elle ne saurait le dispenser, dans l’exercice de sa compétence, du respect des principes et des règles de valeur constitutionnelle qui s’imposent à tous les organes de l’État » (§ 42).
Le Conseil constitutionnel a aussi précisé la notion de service public national, indiquant que « si la nécessité de certains services publics nationaux découle de principes ou de règles de valeur constitutionnelle, la détermination des autres activités qui doivent être érigées en service public national est laissée à l’appréciation du législateur ou de l’autorité réglementaire selon les cas, en fixant leur organisation au niveau national » (§ 48).
Ainsi, la jurisprudence constitutionnelle montre que la création d’un service public du crédit ne procède d’aucune exigence constitutionnelle101 tandis que l’existence d’un service public national de l’électricité et du gaz est garantie par la participation majoritaire de l’État ou d’autres entreprises ou organismes appartenant au secteur public dans le capital des sociétés considérées102.
Dans l’espèce, le Conseil constitutionnel a relevé que l’aménagement, l’exploitation et le développement des aérodromes, dont ceux exploités par Aéroports de Paris, mentionnés à l’article L. 6323-2 du Code des transports, ne constituent pas un service public national dont la nécessité découlerait de principes ou de règles de valeur constitutionnelle. Il a noté en outre qu’aucune disposition législative ne qualifie Aéroports de Paris de service public national et que le législateur n’a pas jusqu’à présent entendu confier à la seule entreprise Aéroports de Paris l’exploitation du service public aéroportuaire à caractère national (§ 49 à 52).
Le Conseil a entendu rappeler qu’il ne lui appartient pas, dès lors qu’il ne dispose pas du même pouvoir d’appréciation que le Parlement, de déterminer si les objectifs économiques poursuivis par le législateur à travers la privatisation d’Aéroports de Paris, soit le développement de cette société, le financement d’un fonds dédié à l’innovation de rupture et la réduction de l’endettement de l’État, auraient pu être atteints par d’autres moyens (§ 53).
B. – Les dispositions encadrant la privatisation d’Aéroports de Paris sont conformes à la constitution
Concernant les dispositions encadrant la privatisation d’Aéroports de Paris, le Conseil, après avoir rappelé les modalités prévues par le législateur dans les dispositions déférées, a considéré que le grief tiré de l’incompétence négative du législateur doit être écarté, de même que celui tiré de la méconnaissance de l’exigence constitutionnelle du bon usage des deniers publics (§ 55 à 57).
Concernant les dispositions relatives à l’indemnisation d’Aéroports de Paris, le Conseil constitutionnel a d’abord rappelé les dispositions de l’article 13 de la déclaration de 1789 et précisé que « si l’article 13 de la déclaration de 1789 n’interdit pas de faire supporter, pour un motif d’intérêt général, à certaines catégories de personnes des charges particulières, il ne doit pas en résulter de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques. Le respect de ce principe ainsi que l’exigence de bon emploi des deniers publics ne seraient pas assurés si était allouée à des personnes privées une indemnisation excédant le montant de leur préjudice ». Après avoir présenté et examiné les modalités adoptées par le législateur, le Conseil constitutionnel en a conclu que le législateur, qui a précisément défini les conditions de détermination de la valeur des biens d’Aéroports de Paris, a retenu des critères permettant une évaluation objective et impartiale dans le respect des techniques appropriées et n’a pas prévu d’allouer à Aéroports de Paris une indemnisation excessive (§ 58 à 64). De même, il a jugé que les dispositions déférées sur ce point ne méconnaissaient pas davantage ni le principe d’égalité devant les charges publiques, ni l’exigence de bon usage des deniers publics, ni le droit de propriété, ni aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la constitution (§ 65).
Concernant les dispositions relatives à l’exploitation du service public aéroportuaire, s’agissant de l’usage des biens, immobiliers ou autres, attribués à Aéroports de Paris, le Conseil constitutionnel a considéré « qu’en assurant ainsi l’affectation au service public des biens nécessaires à son exécution, le législateur a garanti le respect des exigences constitutionnelles qui s’attachent à la continuité du service public. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de continuité du service public doit donc être écarté ».
S’agissant du contrôle de l’exécution des missions de service public d’Aéroports de Paris et des modifications des conditions d’exploitation du service public, le Conseil constitutionnel a relevé l’ensemble des garanties adoptées par le législateur dans la loi déférée, à savoir la possibilité pour l’État, dans l’intérêt du service public, de fixer les conditions dans lesquelles le service public aéroportuaire doit être assuré et celle d’imposer la réalisation d’investissements nécessaires au respect des obligations de service public d’Aéroports de Paris ; la possibilité pour le ministre chargé de l’aviation civile d’exiger qu’il soit mis fin à toute décision prise ou à tout contrat conclu par Aéroports de Paris en méconnaissance des dispositions du cahier ; la possibilité pour l’État de prononcer une sanction pécuniaire en cas de manquement d’Aéroports de Paris aux obligations édictées par le cahier des charges, et celle de mettre fin intégralement ou partiellement à la mission d’exploitation d’Aéroports de Paris dans plusieurs cas de manquement grave à ses obligations.
Le Conseil en a déduit que « ces différentes dispositions permettent à l’État, en fonction des circonstances et de la gravité des faits ou des manquements en cause, de prendre les mesures nécessaires à la continuité du service public aéroportuaire », et a dès lors écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe de continuité du service public (§ 73 à 77).
S’agissant des modalités de désignation des dirigeants d’Aéroports de Paris chargés de la sécurité, le Conseil constitutionnel a d’abord rappelé l’article 12 de la déclaration de 1789, précisant qu’il en résulte l’interdiction de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générale inhérentes à l’exercice de la « force publique » nécessaire à la garantie des droits (§ 78).
Le Conseil constitutionnel a considéré « qu’en prévoyant, au 8°, de l’article L. 6323-4 [du Code des transports] tel qu’issu de l’article 131 de la loi déférée, que le cahier des charges doit déterminer les modalités selon lesquelles les dirigeants d’Aéroports de Paris chargés notamment des principales fonctions opérationnelles relatives à la sûreté et à la sécurité sont agréés par l’État sur la base de critères objectifs relatifs à leur probité et à leur compétence, le législateur a entendu, compte tenu des compétences déjà attribuées par la loi aux exploitants d’aérodromes en matière de sécurité et de sûreté, s’assurer du bon exercice de ces compétences. Il n’en résulte aucune délégation de compétence ». Il a donc écarté le grief tiré de la méconnaissance de l’article 12 de la déclaration de 1789 (§ 79).
S’agissant des modalités d’exercice par Aéroports de Paris de ses missions en tenant compte des effets environnementaux de ses activités, le Conseil constitutionnel a rappelé les articles 1er et 2 de la charte de l’environnement, précisant que « le respect des droits et devoirs énoncés en termes généraux par ces articles s’impose non seulement aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leur domaine de compétence respectif mais également à l’ensemble des personnes. Il résulte de ces dispositions que chacun est tenu à une obligation de vigilance à l’égard des atteintes à l’environnement qui pourraient résulter de son activité ». Il a aussi rappelé l’article 6 de la même charte, précisant « qu’il appartient au législateur de déterminer, dans le respect du principe de conciliation posé par ces dispositions, les modalités de sa mise en œuvre ». Il a redit « qu’aux termes de l’article 34 de la constitution, la loi fixe les principes fondamentaux de la préservation de l’environnement ».
Le Conseil a relevé que les dispositions déférées « prévoient que le cahier des charges détermine les modalités selon lesquelles Aéroports de Paris exerce ses missions en tenant compte des effets environnementaux de ses activités. Ni ces dispositions ni aucune autre disposition légale ne dispensent Aéroports de Paris du respect des droits et devoirs énoncés par la charte de l’environnement, et notamment de l’obligation de vigilance à l’égard des atteintes à l’environnement qui pourraient résulter de son activité. Par ailleurs, comme toute société, Aéroports de Paris est soumise à la législation applicable en matière environnementale ».
Le Conseil a jugé qu’il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées, qui ne sont pas entachées d’incompétence négative, ne méconnaissent pas lesdites exigences constitutionnelles. Dès lors, les dispositions contestées sont déclarées conformes à la constitution (§ 84 et 85).
S’agissant du principe de libre administration des collectivités territoriales, le Conseil constitutionnel a rappelé que ce principe, « qui découle des articles 34 et 72 de la constitution, n’impose pas au législateur de prévoir la présence de représentants de collectivités territoriales au sein des organes dirigeants d’une société exploitant un service public qui lui est confié par l’État, y compris s’agissant des collectivités sur le territoire duquel s’exerce cette activité ou situées à proximité de celle-ci ».
Il en a déduit que « dès lors, en prévoyant la présence de représentants de collectivités territoriales uniquement au sein d’un comité des parties prenantes, distinct des organes de direction d’Aéroports de Paris, le législateur n’a pas méconnu le principe de libre administration des collectivités territoriales » (§ 86 et 87).
C. – Une loi cependant suspendue par l’effet du déclenchement du RIP (v. Cons. const., 9 mai 2019, n° 2019-1 RIP dans la présente chronique)
III. – La privatisation de la société la Française des jeux
La Française des jeux découle de la combinaison de plusieurs dispositions législatives et décrétales : article 136 de la loi du 31 mai 1933 portant fixation du budget général de l’exercice 1933, article 42 de la loi n° 84-1208 du 29 décembre 1984 portant loi de finances pour 1985, article 48 de la loi n° 94-1163 du 29 décembre 1994, décret n° 78-1067 du 9 novembre 1978 relatif à l’organisation et à l’exploitation des jeux de loterie autorisés par l’article 136 de la loi de 1933 précitée et de l’article 48 de la loi de 1994 précitée.
Le Conseil constitutionnel a été saisi de l’article 137 de la loi déférée, autorisant le transfert au secteur privé de la majorité du capital de la société la Française des jeux, les saisines invoquant la méconnaissance du neuvième alinéa du préambule de la constitution de 1946 (A) et une atteinte au droit à la protection de de la santé découlant du onzième alinéa du même préambule (B).
A. – La Française des jeux ne constitue pas un monopole de fait au sens du neuvième alinéa du préambule de la constitution de 1946
Le Conseil constitutionnel a jugé que, si les dispositions contestées confèrent à la Française des jeux des droits exclusifs pour les jeux de loterie commercialisés en réseau physique et en ligne ainsi que pour les jeux de paris sportifs proposés en réseau physique, ces droits exclusifs ne confèrent pas à la Française des jeux un monopole de fait au sein du secteur des jeux d’argent et de hasard qui comprend également les paris hippiques, les jeux de casino et les paris sportifs en ligne. Il a jugé en outre que si la Française des jeux propose, en concurrence avec d’autres opérateurs, des paris sportifs et des jeux de poker en ligne, ces activités, ajoutées à celles de ses droits exclusifs, ne lui confèrent pas non plus une place prépondérante de nature à constituer un monopole de fait au sein du secteur des jeux d’argent et de hasard. Il en a déduit que la Française des jeux ne peut être regardée comme une entreprise dont l’exploitation constitue un monopole de fait au sens du neuvième alinéa du préambule de la constitution de 1946 (§ 90 à 92).
Le Conseil constitutionnel a fixé la notion de monopole de fait dans sa décision n° 86-207 DC du 26 juin 1986, Loi autorisant le gouvernement à prendre diverses mesures d’ordre économique et social (cons. 55). Faisant application du neuvième alinéa du préambule de 1946, le Conseil constitutionnel avait déjà refusé la qualification de monopole de fait dans les décisions précitées : nos 87-232 du 7 janvier 1988 (cons. 29 à 32) et 2006-543 du 30 novembre 2006 (cons. 21 à 25).
B. – La privatisation de la Française des jeux ne constitue pas une atteinte au droit à la protection de la santé découlant du onzième alinéa du même préambule
Le Conseil constitutionnel a relevé que la privatisation de la Française des jeux ne saurait la faire échapper à la règlementation en matière de jeux d’argent et de hasard qui, en application de la loi n° 2010-416 du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, a pour objet de limiter et d’encadrer l’offre et la consommation des jeux et d’en contrôler l’exploitation afin, notamment, de prévenir le jeu excessif ou pathologique et de protéger les mineurs. Il a jugé qu’en adoptant les dispositions contestées, le législateur n’a pas privé de garanties légales les exigences prévues au onzième alinéa du préambule de 1946 (§ 93 et 94).
Ce raisonnement fait écho à plusieurs décisions du Conseil constitutionnel faisant application du onzième alinéa du préambule de 1946 : n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, Loi relative à l’interruption volontaire de grossesse (cons. 9), n° 90-283 DC du 8 janvier 1991, Loi relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme (cons. 8) ou encore la décision n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010, Melle Danielle S., à propos de l’hospitalisation sous contrainte (cons. 15).
IV. – La censure classique du non-respect de la procédure législative
Le Conseil constitutionnel a censuré comme irrégulièrement adoptées neuf dispositions pour défaut de lien direct ou indirect avec le projet de loi initial (A). Il a aussi validé des dispositions pour lesquelles les parlementaires ont été consultés au cours de la procédure législative (B).
A. – L’appréciation de l’existence d’un lien même indirect entre les dispositions introduites par amendement et le projet de loi initial : la censure des « cavaliers législatifs »
Le Conseil constitutionnel fait application des exigences de l’article 45, alinéa 2, de la constitution, selon lequel « sans préjudice de l’application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». Dès lors, il a jugé que plusieurs dispositions introduites en première lecture, ne présentant pas de lien, même indirect, avec celles qui figuraient dans le projet de loi déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale, ont été adoptées selon une procédure contraire à la constitution.
Suivant l’argumentation des premières saisines, le Conseil a retenu ce motif de procédure pour censurer les dispositions de l’article 17 modifiant les règles relatives à l’interdiction de mise à disposition de certains ustensiles en plastique à usage unique, et celles de l’article 18 modifiant les règles relatives à l’interdiction de production de certains produits pesticides, fongicides ou herbicides, et non sur le fond comme l’y invitaient les troisième et quatrième saisines en soulevant la méconnaissance de plusieurs dispositions de la charte de l’environnement (§ 12 à 15). Pour le même motif, le Conseil a censuré l’article 104 modifiant les règles de garanties des matières d’or, d’argent et de platine, des articles 181, 182 et 183 modifiant le régime des sociétés civiles de placement immobilier, et notamment les éléments qui peuvent constituer leur actif et des articles 213, 214 et 215 mettant fin aux tarifs règlementés de vente de gaz et d’électricité (§ 96 à 100).
Soulevant d’office le moyen tiré d’un défaut de lien avec le projet de loi initial au sens de l’article 45 de la constitution, le Conseil constitutionnel a en outre censuré 15 articles dont l’article 15 modifiant le régime de la garantie de l’État, gérée par la caisse française de développement industriel, en matière de construction navale, l’article 19 relatif aux conditions du travail en soirée dans les commerces de détail alimentaire, les articles 54 et 55 relatifs au droit de présentation des titulaires d’autorisations d’occupation temporaire de halle ou de marché, l’article 141 permettant à la commission de régulation de l’énergie d’accorder des dérogations aux conditions d’accès et à l’utilisation de certains réseaux et installations, l’article 146 qui permet aux gestionnaires de réseaux de transport de gaz de vendre des prestations de recherche et développement, l’article 170 visant à réglementer l’activité de normalisation, l’article 204 excluant les syndics de copropriété des obligations en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (§ 102 à 115)103.
Toutefois, et contrairement à l’argumentation des requérants, le Conseil a refusé de censurer comme cavalier législatif l’article 128 prévoyant une expérimentation en matière de bail à réhabilitation, en considérant que ces dispositions avaient un lien même indirect avec le projet de loi déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale en ce qu’il comportait notamment des dispositions relatives à la possibilité de développer des expérimentations innovantes (§ 101)104.
B. – La consultation des parlementaires au cours de la procédure législative quant à des dispositions issues d’un autre texte législatif
L’examen des travaux préparatoires de la loi déférée montre que, lors de la nouvelle lecture du projet de loi à l’Assemblée nationale, le gouvernement a permis aux députés de consulter une version provisoire, non encore transmise au Conseil d’État, d’un projet de cahier des charges susceptible d’être applicable à Aéroports de Paris, dont le texte déféré tend à autoriser la privatisation.
Après avoir rappelé les dispositions de l’article 6 de la déclaration de 1789 et de l’article 3, alinéa premier, de la constitution, le Conseil constitutionnel a jugé que « si les requérants critiquent les conditions dans lesquelles cette consultation a été organisée, en particulier le fait que certains députés n’auraient matériellement pas pu prendre connaissance de ce projet avant le vote des articles du projet de loi portant sur Aéroports de Paris, la communication de ce document de nature réglementaire ne constituait pas une obligation ». Il en a conclu que les conditions de cette consultation n’ont en tout état de cause pas altéré la clarté et la sincérité des débats à l’Assemblée nationale (§ 34 à 37).
CR
5 – Les principes du droit répressif
a – Principes de légalité, nécessité et individualisation des délits et des peines
Les décisions référencées dans cette rubrique consacrée aux principes du droit répressif sont souvent aussi celles rencontrées à propos de la protection des libertés et du principe d’égalité. Les lois à caractère répressif ou qui prévoient des incriminations ou des sanctions sont de nature à porter atteinte aux libertés diverses et aux principes protecteurs des personnes poursuivies, ce qui incite les auteurs de saisine à invoquer des griefs différents mais parfois proches sur le fond.
Application des principes du droit pénal aux sanctions ayant le caractère de punition
Les principes du droit répressif ne concernent pas seulement les sanctions prononcées par des juridictions répressives, ils sont aussi applicables aux sanctions prononcées par différentes autorités, notamment administratives. Le juge constitutionnel s’est bien gardé, jusqu’à présent, de donner une définition des sanctions ayant le caractère d’une punition et il se contente de déclarer au cas par cas, et parfois plus en affirmant qu’en démontrant, qu’une sanction a ou non le caractère d’une punition. Ainsi, dans la décision n° 2018-767 QPC du 22 février 2019, Sté ODDO BHF, si le Conseil rappelle sa position de principe selon laquelle « les principes énoncés par [l’article 8 de la déclaration de 1789] s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition » (§ 6), il juge que les dispositions du treizième alinéa de l’article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale instituent une exonération de cotisations sociales des actions attribuées gratuitement et n’édictent aucune peine ou sanction ayant le caractère de punition (§ 8). Elles se bornent à tirer les conséquences de la perte du bénéfice de l’exonération et elles visent à garantir le recouvrement des redressements de cotisations.
Le même principe d’application aux sanctions présentant le caractère de punition est rappelé dans la décision n° 2018-766 QPC du 22 février 2019, Mme Sylviane D. (§ 3), à propos de l’article 22 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 qui prévoit l’obligation pour le bailleur de restituer le dépôt de garantie, qui ne peut être supérieur à 1 mois de loyer en principal, au locataire dans un délai maximal de 2 mois à compter de la remise des clés par ce dernier. À défaut de restitution dans les délais prévus, le dépôt de garantie restant dû au locataire est majoré d’une somme égale à 10 % du loyer mensuel en principal, pour chaque période mensuelle commencée en retard. La requérante estimait être victime d’une sanction ayant le caractère d’une punition et considérait que cette mesure méconnaissait les principes de proportionnalité et d’individualisation des peines. Le Conseil a cependant jugé qu’il ne peut s’agir d’une sanction ayant le caractère d’une punition à laquelle s’appliquerait l’article 8 de la déclaration de 1789. Si le dépôt de garantie restant dû au locataire est majoré d’une somme égale à 10 % du loyer mensuel en principal, pour chaque période mensuelle commencée en retard, la majoration présente un caractère indemnitaire, car elle compense le préjudice résultant pour le locataire du défaut ou du retard de restitution du dépôt de garantie et elle favorise le règlement rapide des nombreux contentieux qui en découlent. Le législateur s’est fondé, en outre, sur un élément en lien avec l’ampleur du préjudice, dans la mesure où le montant du loyer mensuel est pris pour référence comme plafond du dépôt de garantie, et a pris en compte la durée de ce préjudice (§ 7). Le bailleur ne se voit ainsi pas infliger une sanction.
Principe de proportionnalité et d’individualisation des peines
L’article 8 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 énonce que « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Des adverbes « strictement et évidemment », le Conseil constitutionnel déduit un principe d’individualisation des peines. Ce dernier a été rappelé dans la décision n° 2019-770 QPC du 29 mars 2019, M. Chamsoudine C. Le Conseil rappelle qu’il ressort des articles 7, 8 et 9 de la déclaration de 1789 qu’il appartient au législateur, dans l’exercice de sa compétence, de fixer des règles de droit pénal et de procédure pénale de nature à exclure l’arbitraire dans la recherche des auteurs d’infractions, le jugement des personnes poursuivies ainsi que dans le prononcé et l’exécution des peines. Le principe d’individualisation des peines, qui découle de l’article 8 de cette déclaration, implique qu’une sanction pénale ne puisse être appliquée que si le juge l’a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce.
L’article 132-23 du Code pénal instaure, pour certaines infractions spécialement prévues par la loi, une période de sûreté attachée de plein droit à la condamnation à une peine d’emprisonnement ou de réclusion criminelle, non assortie du sursis, dont la durée est égale ou supérieure à 10 ans. Pendant toute la durée de la période de sûreté, la personne condamnée ne peut bénéficier d’une suspension ou d’un fractionnement de sa peine, d’un placement à l’extérieur, de permissions de sortir, d’une mesure de semi-liberté et d’une mesure de libération conditionnelle. Faute de prévoir la lecture aux jurés des dispositions de l’article 132-23 du Code pénal relatives à la période de sûreté, l’article 362 du Code de procédure pénale ne garantirait pas que ceux-ci soient mis à même de connaître la portée et les effets de la peine qu’ils décident d’infliger. Il en résulterait une méconnaissance du principe d’individualisation des peines (§ 3).
Comme la période de sûreté ne constitue pas une peine s’ajoutant à la peine principale, mais une mesure d’exécution de cette dernière présentant un lien étroit avec celle-ci, et si elle s’applique de plein droit, en vertu de l’article 132-23 du Code pénal lorsque les conditions légales en sont réunies, elle ne méconnaît pas le principe d’individualisation des peines105. Toutefois, lorsqu’une cour d’assises composée majoritairement de jurés, qui ne sont pas des magistrats professionnels, prononce une peine à laquelle s’attache une période de sûreté de plein droit, ni les dispositions contestées ni aucune autre ne prévoient que les jurés sont informés des conséquences de la peine prononcée sur la période de sûreté et de la possibilité de la moduler (§ 9). Le Conseil opère alors une distinction quant à la règle du prononcé de la peine en fonction des juridictions d’assises. Lorsqu’il s’agit de cours d’assises spéciales, ainsi dénommées parce que spécialement composées et compétentes pour statuer sur les crimes commis en matière de terrorisme et de trafic de stupéfiants en bande organisée, les magistrats professionnels qui les composent sont donc censés être informés des conséquences sur la période de sûreté de la peine et celle-ci est donc prononcée en toute connaissance de cause et avec le souci de l’individualisation de la peine. Selon le Conseil, tel ne pourrait pas être le cas pour les cours d’assises de droit commun, composées de 3 magistrats professionnels et d’un jury de 6 citoyens tirés au sort.
Des mêmes termes de cet article 8 de la déclaration découle aussi le principe de proportionnalité des peines, illustré par la décision n° 2019-789 QPC du 10 mai 2019, M. Hendrik A. et a. Le Conseil a adopté une jurisprudence, constante elle aussi, rappelant que si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d’appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s’assurer de l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue (§ 5). En punissant le manquement à l’obligation de déclarer certains transferts de capitaux financiers d’une amende proportionnelle au montant des sommes sur lesquelles a porté l’infraction ou sa tentative, le législateur a instauré une sanction dont la nature est liée à celle de l’infraction. D’autre part, en retenant un taux de 50 %, qui ne constitue qu’un taux maximal pouvant être modulé par le juge sur le fondement de l’article 369 du Code des douanes, le législateur a retenu une sanction qui n’est pas manifestement hors de proportion avec la gravité de l’infraction. La loi poursuit aussi l’objectif de lutte contre le blanchiment de capitaux, la fraude fiscale et les mouvements financiers portant sur des sommes d’origine frauduleuse, ce qui relève de l’objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales ainsi que celui de sauvegarde de l’ordre public (§ 8 et 9).
Dans la décision n° 2019-785 QPC, M. Mario S. précitée (cf. la rubrique de cette chronique consacrée aux textes constitutionnels), le Conseil rappelle qu’il résulte du principe de nécessité des peines, protégé par l’article 8 de la déclaration de 1789, et de la garantie des droits, proclamée par l’article 16 de la même déclaration, un principe selon lequel, en matière pénale, il appartient au législateur, afin de tenir compte des conséquences attachées à l’écoulement du temps, de fixer des règles relatives à la prescription de l’action publique qui ne soient pas manifestement inadaptées à la nature ou à la gravité des infractions (§ 7). En prévoyant que ces infractions ne peuvent commencer à se prescrire tant qu’elles sont en train de se commettre, les dispositions contestées de l’article 7 du Code de procédure pénale fixent des règles qui ne sont manifestement pas inadaptées à la nature de ces infractions. Il n’en résulte pas non plus une impossibilité pour une personne poursuivie pour une infraction continue de démontrer que cette infraction a pris fin, le juge pénal appréciant souverainement les éléments qui lui sont soumis afin de déterminer la date à laquelle l’infraction a cessé.
Présomption d’innocence et droits de la défense
L’article 9 de la déclaration des droits proclame que : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». Le Conseil constitutionnel en déduit un principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, ce qu’il rappelle dans la décision n° 2019-772 QPC du 5 avril 2019, M. Sing Kwon C. et a., à propos de la visite des locaux à usage d’habitation par des agents municipaux du service municipal du logement sans l’accord de l’occupant ou du gardien du local. À ce principe, s’ajoute celui tiré de l’article 16 qui garantit les droits de la défense et le droit à un procès équitable. La deuxième phrase du premier alinéa de l’article L. 651-7 du Code de la construction et de l’habitation reconnaît un droit à ces agents assermentés de recevoir toute déclaration et de se faire présenter par les propriétaires, locataires ou autres occupants toute pièce ou document établissant les conditions dans lesquelles les lieux sont occupés, et ne saurait, en elle-même, méconnaître les droits de la défense ni le droit à un procès équitable. De même, le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser ne fait pas obstacle à ce que l’Administration recueille les déclarations faites par une personne en l’absence de toute contrainte. C’est cette dernière qui aurait pu entraîner l’inconstitutionnalité de la disposition législative, ce qui n’est pas le cas.
Cumul de sanctions
Le juge constitutionnel a fixé des règles destinées à éviter que le cumul des sanctions administrative et pénale à raison des mêmes faits porte atteinte aux principes de nécessité et de proportionnalité des peines. Dans la décision n° 2019-790 QPC du 14 juin 2019, Sté ENR Grenelle Habitat et a., selon les requérants, l’article L. 522-1 du Code de la consommation permet à l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation de prononcer des amendes administratives pour sanctionner les pratiques commerciales trompeuses, qui sont, par ailleurs, réprimées pénalement par l’article L. 132-2 du même code. L’article 8 de la déclaration des droits ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l’objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature différente en application de corps de règles distincts (§ 5). Le contrôle de la conformité d’un cumul de poursuites à ce principe impose de déterminer les faits qui sont poursuivis et sanctionnés, les intérêts sociaux qui sont protégés par l’instauration des sanctions et la nature de ces dernières. Encore faut-il que les sanctions soient précisément identifiées et les dispositions législatives clairement énoncées. L’article L. 522-1 du Code de la consommation se bornant à donner compétence à l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation pour prononcer les amendes administratives sanctionnant les manquements aux dispositions mentionnées aux articles L. 511-5, L. 511-6 et L. 511-7 du même code, il n’a ni pour objet ni pour effet d’instituer une sanction administrative (§ 7). Le cumul des poursuites n’étant pas démontré, il n’y a pas lieu pour le Conseil constitutionnel de statuer sur la question prioritaire de constitutionnalité.
MV
b – Droits de la défense – sanctions ayant le caractère de punition (…)
6 – Les droits processuels
a – Le droit à un recours juridictionnel effectif, le droit à un procès équitable et le principe d’impartialité et d’indépendance des juridictions
Le Conseil constitutionnel reconnaît, sur le fondement de l’article 16 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, un droit constitutionnel à un recours juridictionnel effectif106. Ce droit peut donc être invoqué à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité107.
Dans la décision n° 2018-758/759/760 QPC du 31 janvier 2019, M. Suat A. et a. [Absence d’appel d’une décision de placement sous contrôle judiciaire ou assignation à résidence avec surveillance électronique dans le cadre d’une convocation par procès-verbal], le Conseil constitutionnel était saisi de la troisième phrase, du troisième alinéa, de l’article 394 du Code de procédure pénale. Cette disposition, telle qu’interprétée par la Cour de cassation108, ne permet pas au prévenu de faire appel de la décision du juge des libertés et de la détention de le placer sous contrôle judiciaire ou sous assignation à résidence avec surveillance électronique en attendant sa comparution devant le tribunal (§ 9). Le Conseil a fait une appréciation globale du respect du droit à un recours juridictionnel effectif. Il a d’abord relevé que le prévenu « peut, à tout moment, saisir le tribunal correctionnel d’une demande de mainlevée ou de modification de ces mesures » et « notamment faire valoir l’irrégularité de l’ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant ordonné la mesure ». Le tribunal statue ensuite dans les 10 jours de la réception de la demande. Cette décision est elle-même susceptible d’appel (§ 10). En conséquence, bien que le prévenu ne puisse directement faire appel de la décision du juge des libertés et de la détention, il « dispose d’autres moyens de procédure lui permettant de contester utilement et dans des délais appropriés les dispositions de cette ordonnance » (§ 11). Après avoir examiné les autres griefs, le Conseil a donc déclaré ces dispositions conformes à la constitution (§ 14).
Dans la décision n° 2018-763 QPC du 8 février 2019, Section française de l’observatoire international des prisons [Rapprochement familial des détenus prévenus attendant leur comparution devant la juridiction de jugement], le Conseil s’est prononcé sur la conformité à la constitution de l’article 34 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire. Ce dernier dispose que « les prévenus dont l’instruction est achevée et qui attendent leur comparution devant la juridiction de jugement peuvent bénéficier d’un rapprochement familial jusqu’à leur comparution devant la juridiction de jugement ». Cette décision est une décision administrative, susceptible de faire l’objet d’un recours devant le juge administratif. Néanmoins, d’après la jurisprudence constante du Conseil d’État109, cette décision est subordonnée à l’accord du magistrat judiciaire saisi du dossier. Ainsi, le juge administratif saisi d’un recours contre la décision ne peut « contrôler la régularité et le bien-fondé de l’avis défavorable du magistrat judiciaire qui en constitue, le cas échéant, le fondement » (§ 5). Le Conseil constitutionnel a estimé qu’étant donné qu’aucune autre voie de recours ne permet de contester cet avis, « il n’existe pas de recours juridictionnel effectif contre la décision administrative de refus de rapprochement familial lorsque celle-ci fait suite à l’avis défavorable du magistrat judiciaire » (§ 6). Il a donc considéré que la disposition était contraire à la constitution en ce qu’elle méconnaissait le droit à un recours juridictionnel effectif (§ 7-8).
Dans la décision n° 2019-777 QPC du 19 avril 2019, M. Bouchaïd S. [Caducité de la requête introductive d’instance en l’absence de production des pièces nécessaires au jugement], le Conseil était saisi de l’article L. 600-13 du Code de l’urbanisme, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté. Cette disposition prévoit que le juge administratif peut « déclarer caduque une requête en matière de contentieux de l’urbanisme lorsque son auteur n’a pas produit, dans un délai déterminé et sans motif légitime, les pièces nécessaires au jugement de l’affaire ». Le Conseil a estimé qu’une telle atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif était justifiée par la poursuite d’un objectif d’intérêt général : la limitation des recours dilatoires (§ 4). Il a néanmoins considéré que cette atteinte était disproportionnée. D’abord, la notion de « pièces nécessaires au jugement d’une affaire » a été jugée trop imprécise. Elle ne permettrait pas au requérant de savoir les pièces qu’il doit produire, alors même que, d’après les dispositions en cause, le juge n’est obligé « ni d’indiquer au requérant les pièces jugées manquantes ni même de lui préciser celles qu’il considère comme nécessaires au jugement de l’affaire » (§ 6). Ensuite, le requérant ne peut pas faire rapporter la déclaration de caducité par la seule production des pièces jugées manquantes et il « ne peut introduire une nouvelle instance que si le délai de recours n’est pas expiré » (§ 7). Le Conseil a estimé que de telles restrictions portaient une atteinte disproportionnée au droit à un recours juridictionnel effectif au regard de l’objectif d’intérêt général poursuivi. Il les a donc déclarées contraires à la constitution (§ 8).
Dans la décision n° 2019-787 QPC du 7 juin 2019, M. Taoufik B. [Absence de sursis à exécution du licenciement d’un salarié protégé], le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité à la constitution du premier alinéa de l’article L. 1232-6 du Code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social. D’après ces dispositions, un salarié protégé ne peut demander, devant le juge administratif, la suspension de la décision administrative autorisant son licenciement car ce recours se trouve privé d’objet dès l’envoi de la lettre de licenciement par l’employeur. Le Conseil constitutionnel a apprécié globalement la constitutionnalité de l’atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif. Il a d’abord relevé, d’une part, qu’une fois le licenciement notifié, le salarié protégé « ne peut plus obtenir la suspension, par le juge administratif, de l’exécution de la décision administrative ayant autorisé ce licenciement » et, d’autre part, qu’il ne peut pas non plus « obtenir le maintien de son contrat de travail auprès du juge judiciaire des référés » (§ 8). Le recours ouvert au salarié protégé contre la décision administrative autorisant son licenciement ne peut donc avoir de caractère suspensif. Le Conseil a d’abord relevé que « le caractère non suspensif d’une voie de recours ne méconnaît pas, en lui-même, le droit à un recours juridictionnel effectif » (§ 9). Ce principe est établi depuis longtemps dans sa jurisprudence110. Il a ensuite évalué si le recours dont dispose le salarié protégé lui permet de contester utilement la décision administrative autorisant son licenciement. Il a d’abord relevé que saisi du recours, le juge administratif pouvait en prononcer l’annulation (§ 10). Il a ensuite souligné que, si cette annulation est prononcée, le salarié protégé peut bénéficier « sur sa demande, d’une réintégration de plein droit dans son emploi ou dans un emploi équivalent » (§ 11). Il a relevé qu’il pouvait également être réintégré dans son mandat, ou à défaut bénéficier de la protection contre le licenciement pendant une durée de 6 mois, ou encore, s’il était délégué syndical, bien qu’il n’ait pas droit à la réintégration dans son mandat, il peut néanmoins être à nouveau désigné comme délégué syndical (§ 12). Enfin, il souligne que, sur le plan financier, il peut obtenir une « indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration » et, s’il n’a pas demandé cette réintégration, une indemnité qui « couvre la période écoulée entre le licenciement et les 2 mois suivant la notification de l’annulation de l’autorisation administrative de licenciement » (§ 13). En s’appuyant sur ces éléments, il a estimé que « le législateur a institué des garanties suffisantes visant à remédier aux conséquences, pour le salarié protégé, de l’exécution de l’autorisation administrative de licenciement » (§ 14). Il a effectué le même contrôle s’agissant des garanties permettant « de remédier aux conséquences, pour les institutions représentatives du personnel, de l’exécution de l’autorisation administrative de licenciement » (§ 15-16) et a estimé qu’elles étaient suffisantes. Il a donc considéré que le droit à un recours juridictionnel effectif n’était pas méconnu par les dispositions en cause (§ 17).
Dans la décision n° 2019-788 QPC du 7 juin 2019, Mme Lara A. [Absence de recours juridictionnel à l’encontre de la décision de placement d’animaux vivants prise par le procureur de la République], le Conseil a évalué la conformité à la constitution de l’absence de recours contre la décision du procureur de la République de placer un animal faisant l’objet d’une saisie judiciaire. Le Conseil a relevé que si le propriétaire de l’animal ne pouvait attaquer directement la décision de placement, il pouvait néanmoins demander la restitution de l’animal au juge d’instruction au cours d’une information judiciaire et au procureur de la République dans les autres cas, et contester le refus éventuellement opposé à sa demande dans le cadre d’un recours juridictionnel (§ 9 et 10). Il a donc estimé qu’étant donné que le « propriétaire en cause dispose d’un recours lui permettant d’obtenir qu’il soit mis fin à la mesure de placement », le droit à un recours juridictionnel effectif n’a pas été méconnu (§ 11).
Dans la décision n° 2019-791 QPC du 21 juin 2019, Section française de l’observatoire international des prisons [Autorisation de sortie sous escorte d’une personne détenue], le Conseil s’est prononcé sur la constitutionnalité de l’article 148-5 du Code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale, et de l’article 723-6 du Code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. Le premier article prévoit qu’une personne mise en examen, un prévenu ou un accusé peut obtenir de la juridiction d’instruction ou de jugement une autorisation de sortie sous escorte, à titre exceptionnel. Néanmoins, aucun recours n’est prévu en cas de refus d’une telle autorisation (§ 8). En 2016, le Conseil constitutionnel avait été saisi de dispositions similaires qui ne prévoyaient pas de recours contre le refus de délivrance des permis de visite et des autorisations de téléphoner au profit des personnes placées en détention provisoire. Il les avait alors censurées comme méconnaissant les exigences découlant de l’article 16111. En 2018, il avait censuré des dispositions ne prévoyant aucun recours contre la décision de l’autorité judiciaire interdisant aux personnes prévenues de correspondre par écrit avec toute personne de leur choix112. Suivant un raisonnement similaire, le Conseil a estimé qu’au « regard des conséquences qu’entraîne ce refus pour une personne placée en détention provisoire », les dispositions en cause méconnaissait les exigences de l’article 16 (§ 9). L’article 723-6 du Code de procédure pénale concerne la possibilité pour les personnes condamnées détenues de bénéficier d’une autorisation de sortie sous escorte, à titre exceptionnel. Une telle autorisation est accordée ou refusée par le juge d’application des peines et il peut être fait appel de cette décision devant le président de la chambre de l’application des peines. Le problème n’étant donc pas celui de l’absence de recours, mais celui de l’absence de délai imposé au juge pour statuer, ainsi que de l’absence de motivation. Le Conseil a d’abord relevé que le silence gardé par la juridiction valait rejet 2 mois après la demande ; ce refus pouvant lui-même être contesté devant le président de la chambre de l’application des peines, dans un délai de 2 mois (§ 11). Il a ensuite estimé qu’il n’y avait pas besoin de prévoir une prise en compte de l’urgence dans les dispositions législatives car « il appartient au juge de tenir compte de l’éventuelle urgence de la demande pour rendre une décision avant l’expiration du délai de 2 mois » (§ 12). Enfin, il a considéré que le droit au recours n’imposait pas que le législateur précise les motifs d’octroi ou de refus d’une autorisation de sortie sous escorte (§ 13). En conséquence, le Conseil a estimé que l’article 723-6 du Code de procédure pénale est conforme à la constitution.
La décision n° 2019-794 QPC du 28 juin 2019, Union syndicale des magistrats administratifs et a. [Demande en appréciation de la légalité externe d’une décision administrative non réglementaire], est relative à l’article 54 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance. Ces dispositions permettent au bénéficiaire ou à l’auteur d’une décision administrative non réglementaire de saisir le tribunal administratif pour qu’il en apprécie la légalité externe. Une fois cette légalité externe établie par le tribunal, « aucun moyen tiré de cette cause juridique ne peut plus être invoqué à son encontre, notamment par voie d’exception » (§ 5). Le Conseil relève ainsi que les requérants attaquant une « décision administrative non réglementaire définitive s’insérant dans une opération complexe » sont alors limités dans les moyens qu’ils peuvent invoquer pour contester cette décision (§ 6). Après avoir relevé que le législateur avait poursuivi un intérêt général en souhaitant « limiter l’incertitude juridique pesant sur certains projets de grande ampleur » (§ 7), le Conseil a souligné que cette procédure « ne peut porter que sur certaines décisions administratives non réglementaires » (§ 8). Il a également relevé que le requérant pouvait toujours « contester, par voie d’action ou d’exception, la légalité interne de cette décision, c’est-à-dire son bien-fondé » (§ 9) et qu’en raison de la publicité de la procédure d’appréciation de légalité externe, toute personne ayant un intérêt à agir peut être informée des conséquences éventuelles de cette demande sur les recours ultérieurs et intervenir à la procédure (§ 10). Enfin, le Conseil relève l’office particulier du juge saisi en appréciation de légalité externe. Ce dernier peut ainsi relever d’office tout motif de légalité externe, même si ce motif n’est pas d’ordre public. Le Conseil souligne en conséquence qu’il lui appartient, « dans l’exercice de ses pouvoirs généraux de direction de la procédure, d’ordonner toutes les mesures d’instruction qu’il estime nécessaires à la solution des questions qui lui sont soumises, et notamment de requérir des parties ainsi que, le cas échéant, de tiers, la communication des documents qui lui permettent d’établir sa conviction » (§ 11). Tous ces éléments ont conduit le Conseil a estimer que les dispositions en cause ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit à un recours juridictionnel effectif.
MB
b – Le principe de sécurité juridique (…)
Notes de bas de pages
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1.
Cons. const., 22 juill. 1980, n° 80-119 DC, Loi portant validation d’actes administratifs, cons. 6, 7 et 9.
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2.
Cons. const., 14 déc. 2006, n° 2006-544 DC, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, cons. 18 et 19.
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3.
Cons. const., 14 févr. 2014, n° 2013-366 QPC, SELARL PJA, ès qualités de liquidateur de la société Maflow France, cons. 3 : l’exigence d’un « intérêt général suffisant » ayant été remplacée par la référence à un « motif impérieux d’intérêt général ».
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4.
Voir aussi cette chronique « Les collectivités décentralisées » Cons. const., 27 juin 2019, n° 2019-783 DC, Loi organique portant modification du statut d’autonomie de la Polynésie française et décision Cons. const., 27 juin 2019, n° 2019-784 DC, Loi portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française.
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5.
Bonnecarrère P., Rapp. Sénat n° 448 (2018-2019), au nom de la commission des lois, 10 avr. 2019, p. 5.
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6.
Cons. const., 25 juin 2009, n° 2009-581 DC, Résolution tendant à modifier le règlement de l’Assemblée nationale, § 57-63.
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7.
Cons. const., 25 juin 2009, n° 2009-581 DC, Résolution tendant à modifier le règlement de l’Assemblée nationale, § 58.
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8.
Cons. const., 2 mars 2018, n° 2017-694 QPC, M. Ousmane K. et a. [Motivation de la peine dans les arrêts de cour d’assises].
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9.
Cons. const., 2 mars 2004, n° 2004-49 DC, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.
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10.
Cons. const., 21 juill. 2017, n° 2017-645 QPC, M. Gérard B. [Huis clos de droit à la demande de la victime partie civile pour le jugement de certains crimes].
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11.
CE, ass., 4 oct. 1974, Dame David.
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12.
CJA, art. L. 6 pour l’ordre administratif et articles 11-1 et 11-2 de la loi du 5 juillet 1972 pour la procédure civile.
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13.
V. les commentaires aux cahiers : « Confronté à un recours qui se limitait à évoquer des griefs et des arguments très généraux, adressés indistinctement à un ensemble de dispositions hétérogène et important quantitativement, le Conseil, attentif à préserver la recevabilité des éventuelles questions prioritaires de constitutionnalité que pourraient susciter de telles dispositions, s’est borné à examiner les griefs des requérants, sans pour autant, après les avoir écartés, vérifier la conformité de ces dispositions aux autres exigences constitutionnelles et donc sans se prononcer sur la constitutionnalité des articles ».
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14.
Le Conseil a adopté le même raisonnement concernant la suppression de la phase de conciliation dans la procédure de divorce (article 22 de la loi ordinaire), l’adaptation de la procédure administrative contentieuse et des pouvoirs du juge pour la protection du secret des affaires (article 41 de la loi ordinaire).
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15.
Cons. const., 27 juin 2019, n° 2019-783 DC, Loi organique portant modification du statut d’autonomie de la Polynésie française.
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16.
Cons. const., 12 févr. 2004, n° 2004-490 DC, Loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française, cons. 20.
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17.
Cons. const., 12 févr. 2004, n° 2004-490 DC, Loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française, cons. 10 à 12.
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18.
À l’article 3 de la décision présentée, seules les dispositions organiques sont déclarées conformes ou contraires à la Constitution.
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19.
Solution implicite découlant de la formulation de la décision présentée, v. Tables d’analyses des décisions du Conseil constitutionnel.
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20.
Cons. const., 4 juill. 2013, n° 2013-156 PDR.
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21.
Par une ordonnance du 3 février 2017 du juge d’instruction du tribunal de grande instance de Paris, confirmée par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris par un arrêt du 25 octobre 2018.
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22.
CEDH, 4 mars 2014, nos 18640/10, 18647/10, 18663/10, 18668/10 et 18698/10, Grande Stevens et a. c/ Italie.
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23.
Cons. const., 18 mars 2015, nos 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC.
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24.
Cons. const., 24 juin 2016, n° 2016-546 QPC, M. Jérôme C.
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25.
CEDH, 15 nov. 2016, nos 24130/11 et 29758/11, A et B c/ Norvège.
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26.
Le 3°, du § I, de l’article L. 113-1 du Code électoral punit le candidat à une élection ayant dépassé le plafond des dépenses électorales d’une amende de 3 750 € et d’une peine d’emprisonnement d’1 an pour méconnaissances des règles électorales.
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27.
Les deux premiers alinéas du paragraphe II, de l’article 3, de la loi du 6 novembre 1962 et l’article L. 52-11 du Code électoral, précisent que les candidats à l’élection présidentielle doivent respecter le plafond des dépenses électorales sous peine d’avoir à verser au Trésor le montant du dépassement.
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28.
Le conseil y a recouru une fois, pour reconnaître cette distinction d’intérêts sociaux de manière implicite à propos des poursuites disciplinaires et de sécurité sociale à l’encontre des professions médicales (Cons. const., 17 janv. 2013, n° 2012-289 QPC) et une seconde fois pour reconnaître qu’un seul objet social était poursuivi par les deux infractions de divulgation de fausses informations (Cons. const., 30 sept. 2016, n° 2016-572 QPC, M. Gilles M. et a., cumul des poursuites pénales pour le délit de diffusion de fausses informations avec des poursuites devant la commission des sanctions de l’AMF pour manquement à la bonne information du public).
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29.
Cons. const., 6 nov. 1962, n° 62-20 DC, Loi relative à l’élection du président de la République au suffrage universel direct, adoptée par le référendum du 28 octobre 1962 et Cons. const., 23 sept. 1992, n° 92-313 DC, Loi autorisant la ratification du traité sur l’Union européenne.
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30.
Cons. const., 25 avr. 2014, n° 2014-39 QPC, Province Sud de Nouvelle-Calédonie.
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31.
Cons. const., 25 janv. 2019, n° 2018-757 QPC, Sté Ambulances-taxis du Thoré [Prise en charge des frais de transport sanitaire].
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32.
Cass crim., 12 avr. 2016, n° 16-80738.
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33.
Cass. 2e civ., 25 oct. 2018, n° 18-15612.
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34.
Cons. const., 31 janv. 2019, n° 2018-758/759/760 QPC, M. Suat A. et a. [Absence d’appel d’une décision de placement sous contrôle judiciaire ou assignation à résidence avec surveillance électronique dans le cadre d’une convocation par procès-verbal].
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35.
V. égal. Cons. const., 17 mai 2019, n° 2019-782 QPC.
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36.
V. en ce sens la jurisprudence constante du Conseil d’État ; CE, 9e/10e ss-sect. réunies, 16 janv. 2015, n° 386031, Sté Métropole M6.
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37.
Cons. const., 29 mars 2019, n° 2019-771 QPC, Sté Vermilion REP [Barème de la redevance progressive de mines d’hydrocarbures liquides].
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38.
Cons. const., 15 févr. 2019, n° 2018-764 QPC, M. Paulo M. [Droit de communication aux agents des douanes des données de connexion].
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39.
Cons. const., 5 juill. 2013, n° 2013-331 QPC, Sté Numéricâble SAS et a.
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40.
Cons. const., 2 mars 2018, n° 2017-694 QPC, M. Ousmane K.et a.
-
41.
Cons. const., 22 mars 2019, n° 2019-769 QPC, Mme Ruth S. [Calcul du plafonnement de l’impôt de solidarité sur la fortune].
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42.
Cons. const., 29 déc. 2012, n° 2012-662 DC, le Conseil constitutionnel avait spécialement examiné l’article 885 V bis du Code général des impôts, dans sa rédaction rétablie par la loi n° 2012-159 du 29 décembre 2012. Il avait jugé conformes à la constitution, dans les motifs et le dispositif de cette décision, les dispositions de cet article.
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43.
Ajoutons que la décision avait d’ailleurs déjà été utilisée comme un changement de circonstances de droit dans une décision depuis lors (Cons. const., 7 juill. 2017, n° 2017-642 QPC).
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44.
Cons. const., 7 juill. 2017, n° 2017-642 QPC, M. Alain C.
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45.
Cons. const., 17 mai 2019, n° 2019-783 QPC, M. Nicolas S. [Cumul de poursuites et de sanctions en cas de dépassement du plafond de dépenses par un candidat à l’élection présidentielle].
-
46.
Le premier alinéa, de la première phrase, du sixième alinéa, du paragraphe II, de l’article 3, de la loi du 6 novembre 1962.
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47.
Cons. const., 5 avr. 2006, n° 2006-536 DC, il avait déclaré ces dispositions conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de cette décision.
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48.
Cons. const., 15 févr. 2019, n° 2018-765 QPC, M. Charles-Henri M. [Droit des parties non assistées par un avocat et accès au rapport d’expertise pénale].
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49.
Cons. const., 29 mars 2019, n° 2019-770 QPC, M. Chamsoudine C. [Lecture donnée aux jurés par le président de la cour d’assises avant le vote sur l’application de la peine].
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50.
Cons. const., 5 avr. 2019, n° 2019-773 QPC, Sté Uber B.V. et a. [Frais irrépétibles devant les juridictions pénales II].
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51.
Cons. const., 8 févr. 2019, n° 2018-763 QPC, Section française de l’observatoire international des prisons [Rapprochement familial des détenus prévenus attendant leur comparution devant la juridiction de jugement].
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52.
Cons. const., 24 mai 2019, n° 2019-786 QPC, Assoc. Sea Shepherd [Délai entre la citation et la comparution devant un tribunal correctionnel en matière d’infractions de presse].
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53.
Cons. const., 12 avr. 2019, n° 2019-774 QPC, Sté Magenta Discount et a. [Contrôle des prix et des marges en Nouvelle-Calédonie].
-
54.
Cons. const., 10 mai 2019, n° 2019-781 QPC, M. Grégory M. [Sanctions disciplinaires au sein de l’administration pénitentiaire].
-
55.
Cons. const., 19 avr. 2019, n° 2019-777 QPC, M. Bouchaïd S. [Caducité de la requête introductive d’instance en l’absence de production des pièces nécessaires au jugement].
-
56.
Pour un exemple, v. Cons. const., 16 nov. 2018, n° 2018-744 QPC, Mme Murielle B. à propos du régime de la garde à vue des mineurs avant la loi du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale, § 15 et 16.
-
57.
Cons. const., 5 avr. 2019, n° 2019-772 QPC, M. Sing Kwon C. et a. [Visite des locaux à usage d’habitation par des agents municipaux].
-
58.
CE, 9 mai 2012, n° 308996, Sté EPI ; Cons. const., 19 déc. 2013, n° 2013-682 DC.
-
59.
CEDH, 24 févr. 1994, n° 12547/86, Bendemoun c/ France.
-
60.
Mme Jeanine Dubié, « Mon amendement vise à écarter le recours aux tests osseux pour déterminer l’âge des mineurs étrangers isolés arrivant sur le sol français » Ass. nat., rapport n° 2744, 6 mai 2015.
-
61.
Débat Ass. nat., 12 mai 2015.
-
62.
Cons. const., 18 déc. 1997, n° 97-393 DC, Loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, cons. 29.
-
63.
Cons. const., 17 mai 2013, n° 2013-669 DC, Loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, cons. 53-54.
-
64.
Cons. const., 17 nov. 2016, n° 2016-739 DC, Loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, § 48-62.
-
65.
Cons. const., 6 sept. 2018, n° 2018-770 DC, Loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie.
-
66.
Cons. const., 6 sept. 2018, n° 2018-770 DC, § 55.
-
67.
Cons. const., 6 sept. 2018, n° 2018-770 DC, § 62.
-
68.
V., par ex., Cass. 1re civ., 18 mai 2005, nos 02-20613 et 02-16336 ; Cass. 1re civ., 14 juin 2005, n° 04-16942.
-
69.
CE, 22 sept. 1997, n° 161364.
-
70.
CE, 22 sept. 1997, n° 161364.
-
71.
Cons. const., 6 sept. 2018, n° 2018-770 DC, § 55-66.
-
72.
Cour EDH, 28 févr. 2019, n° 12267/16, Khan c/ France.
-
73.
Cour EDH, 28 févr. 2019, n° 12267/16, Khan c/ France, § 74.
-
74.
Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, 23 juin 2005, avis n° 88, sur les méthodes de détermination de l’âge à des fins juridiques.
-
75.
V., par ex., Défenseur des droits, 3 déc. 2018, n° 2018-296, Observations devant la Cour de cassation au soutien de la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité́ au Conseil constitutionnel, en application de l’article 33 de la loi n° 2011-333 du 29 mars 2011.
-
76.
V. par ex., haut conseil de la santé publique, 23 janv. 2014, avis relatif à l’évaluation de la minorité d’un jeune étranger isolé.
-
77.
Défenseur des droits, 3 déc. 2018, n° 2018-296, Observations devant la Cour de cassation au soutien de la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel, en application de l’article 33 de la loi n° 2011-333 du 29 mars 2011, § 9.
-
78.
Académie de médecine, 16 janv. 2007, rapport n° 07-01 sur la fiabilité des examens médicaux visant à déterminer l’âge à des fins judiciaires et la possibilité d’amélioration en la matière pour les mineurs étrangers isolés.
-
79.
Résolution du Parlement européen, 12 sept. 2013, n° 2012/2263(INI), sur la situation des mineurs non accompagnés dans l’Union européenne § 15.
-
80.
Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, 23 juin 2005, avis n° 88, sur les méthodes de détermination de l’âge à des fins juridiques.
-
81.
« Nations unies - Comité des droits de l’enfant Observations finales concernant le cinquième rapport périodique de la France », Journal du droit des jeunes 2016/4-5, n° 354-355, p. 88-101, § 73-76.
-
82.
Défenseur des droits, 3 déc. 2018, n° 2018-296, Observations devant la Cour de cassation au soutien de la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel, en application de l’article 33 de la loi n° 2011-333 du 29 mars 2011, § 26.
-
83.
Cons. const., 26 août 1986, n° 86-211 DC, Loi relative aux contrôles et vérifications d’identité, cons. 4 ; Cons. const., 5 août 1993, n° 93-323 DC, Loi relative aux contrôles et vérifications d’identité, cons. 10 ; Cons. const., 13 août 1993, n° 93-325 DC, Loi relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France, cons. 16 ; Cons. const., 26 nov. 2010, n° 2010-71 QPC, Mlle Danielle S. [Hospitalisation sans consentement], cons. 29 ; Cons. const., 8 oct. 2014, n° 2014-418 QPC, Sté SGI [Amende pour contribution à l’obtention, par un tiers, d’un avantage fiscal indu], cons. 10.
-
84.
Cons. const., 12 août 2004, n° 2004-504 DC, Loi relative à l’assurance maladie, cons. 4 et 5.
-
85.
Cons. const., 26 nov. 2010, n° 2010-71 QPC, Mlle Danielle S. [Hospitalisation sans consentement], cons. 15.
-
86.
V., par ex., Cons. const., 16 mai 2012, n° 2012-249 QPC, Sté Cryo-Save France [Prélèvement de cellules du sang de cordon ou placentaire ou de cellules du cordon ou du placenta], cons. 6-8 ; Cons. const., 16 mai 2012, n° 2012-248 QPC, M. Mathieu E. [Accès aux origines personnelles], cons. 8 ; Cons. const., 1er févr. 2019, n° 2018-761 QPC, Assoc. Médecins du monde et a. [Pénalisation des clients de personnes se livrant à la prostitution], § 16.
-
87.
Cons. const., 1er févr. 2019, n° 2018-761 QPC, Assoc. Médecins du monde et a. [Pénalisation des clients de personnes se livrant à la prostitution], § 16.
-
88.
Cons. const., 11 oct. 2019, n° 2019-808 QPC, Sté Total raffinage France [Soumission des biocarburants à base d’huile de palme à la taxe incitative relative à l’incorporation de biocarburants], § 8.
-
89.
Cons. const., 20 déc. 2019, n° 2019-794 DC, Loi d’orientation des mobilités, cons. 36 et 37.
-
90.
V., par ex., haut conseil de la santé publique, 23 janv. 2014, avis relatif à l’évaluation de la minorité d’un jeune étranger isolé, p. 5.
-
91.
Cons. const., 27 juill. 1994, n° 94-343/344 DC, Loi relative au respect du corps humain et loi relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal, cons. 18.
-
92.
V., par ex., Cons. const., 19 nov. 2009, n° 2009-593 DC, Loi pénitentiaire, cons. 3.
-
93.
Cons. const., 13 mars 2003, n° 2003-467 DC, Loi pour la sécurité intérieure, cons. 55.
-
94.
« Qu’en tout état de cause, le prélèvement n’implique aucune intervention corporelle interne ; qu’il ne comporte aucun procédé douloureux, intrusif ou attentatoire à la dignité des personnes » : Cons. const., 16 sept. 2010, n° 2010-25 QPC, M. Jean-Victor C. [Fichier empreintes génétiques], cons. 13.
-
95.
Cons. const., 21 févr. 2008, n° 2008-562 DC, Loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.
-
96.
Cons. const., 22 déc. 2015, n° 2015-527 QPC, M. Cédric D., § 12.
-
97.
Cons. const., 18 janv. 1995, n° 94-352 DC, cons. 3.
-
98.
V. supra III, A, 2), « Les rapports de systèmes ».
-
99.
Cons. const., 13 juin 2013, n° 2013-672 DC, cons. 6.
-
100.
CE, sect., 27 sept. 2006, n° 290716, Bayrou : Lebon, p. 404, avec les conclusions : refus en l’espèce de reconnaître ce caractère aux entreprises exploitant des réseaux autoroutiers.
-
101.
Cons. const., 7 janv. 1988, n° 87-232 DC, Loi relative à la mutualisation de la Caisse nationale de crédit agricole, cons. 29 et s.
-
102.
Cons. const., 5 août 2004, n° 2004-501 DC, Loi relative au service public de l’électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, cons. 14, et Cons. const., 30 nov. 2006, n° 2006-543 DC, Loi relative au secteur de l’énergie, cons. 14 et s.
-
103.
Pour une illustration antérieure : Cons. const., 8 déc. 2016, n° 2016-741 DC, Loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, § 123 à 135.
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104.
Pour une illustration allant dans le sens d’une déclaration de conformité : Cons. const., 17 nov. 2016, n° 2016-739 DC, Loi de modernisation de la Justice du XXIe siècle, § 98 et 99.
-
105.
V. Cons. const., 26 oct. 2018, n° 2018-742 QPC, M. Husamettin M., § 7 à 11, rappelée par le Conseil constitutionnel dans la décision n° 2019-770 QPC.
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106.
Implicitement : Cons. const., 21 janv. 1994, n° 93-335 DC, Loi portant diverses dispositions en matière d’urbanisme et de construction et, explicitement : Cons. const., 9 avr. 1996, n° 96-373 DC, Loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française, cons. 83.
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107.
Cons. const., 11 juin 2010, n° 2010-2 QPC.
-
108.
Cass. crim., 12 avr. 2016, n° 16-80738.
-
109.
CE, 5 déc. 2018, n° 424970.
-
110.
Cons. const., 2 déc. 2011, n° 2011-203 QPC, M. Wathik M. [Vente des biens saisis par l’administration douanière], cons. 10.
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111.
Cons. const., 24 mai 2016, n° 2016-543 QPC, Section française de l’observatoire international des prisons [Permis de visite et autorisation de téléphoner durant la détention provisoire], § 14.
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112.
Cons. const., 22 juin 2018, n° 2018-715 QPC, Section française de l’observatoire international des prisons [Restrictions des communications des personnes détenues], § 5-9.
Référence : AJU000c1