Chronique de droit constitutionnel jurisprudentiel (Second semestre 2019)

Publié le 02/08/2021
Chronique
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La chronique de droit constitutionnel jurisprudentiel est ouverte à l’ensemble des décisions susceptibles d’intéresser le droit constitutionnel dans sa dimension contentieuse considérée de la manière la plus large. C’est ainsi que le contentieux électoral est intégré dans la présente chronique qui est divisée en quatre parties correspondant aux thèmes principaux du droit constitutionnel contemporain qui intègre aussi bien les questions institutionnelles que les problèmes de hiérarchie des normes et la place des droits et libertés.

La chronique présentée ci-dessous couvre le second semestre de l’année 2019.

I – Les normes de références

A – Les textes constitutionnels

Décision n° 2019-809 QPC du 11 octobre 2019, Union nationale des étudiants en droit, gestion, AES, sciences économiques, politiques et sociales et autres (UNEDESEP). Le Conseil constitutionnel a été saisi le 25 juillet 2019 par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du troisième alinéa de l’article 48 de la loi n° 51-598 du 24 mai 1951 de finances pour l’exercice 1951. Cette disposition donne compétence au ministre concerné et au ministre du Budget pour fixer un certain nombre de « droits », dont ceux d’inscription de scolarité, d’examen, de concours et de diplôme dans les établissements de l’État (al. 3).

Sur le fondement de cette loi, le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation et le ministre de l’Action et des Comptes publics et la ministre des Outre-mer ont, par l’arrêté du 19 avril 2019, fixé les droits d’inscription dans les établissements publics d’enseignement supérieur relevant du ministre chargé de l’Enseignement supérieur à compter de l’année universitaire 2019-2020 et relevant de manière significative ces droits pour les étudiants extracommunautaires. Cette hausse ne concernait pas les étudiants déjà présents dans l’enseignement supérieur français et les ressortissants de l’Union européenne, de l’Espace économique européen, d’Andorre, de la Suisse ou d’un État ayant conclu un accord international avec la France le prévoyant. Cet arrêté a été contesté devant le Conseil d’État par diverses associations et ce dernier a renvoyé au Conseil constitutionnel la QPC dirigée contre le troisième alinéa de l’article 48 de la loi de finances n° 51-598 du 24 mai 1951.

Les requérantes soutenaient que ces dispositions méconnaissaient le treizième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 et faisaient en particulier valoir que le principe de gratuité de l’enseignement public, qui en découlait selon elles faisait obstacle à la perception de droits d’inscription pour l’accès à l’enseignement supérieur, dépassant l’objet même de l’arrêté qui est de prévoir des tarifs différenciés selon l’origine des étudiants.

Cette décision clôt provisoirement un débat qui a perturbé le monde universitaire pendant plusieurs mois et elle considère que l’exigence constitutionnelle de gratuité s’applique à l’enseignement supérieur public mais qu’elle ne fait pas obstacle, pour ce degré d’enseignement, à ce que des droits d’inscription modiques soient perçus en tenant compte, le cas échéant, des capacités financières des étudiants.

I. L’alinéa 13 du préambule consacre le principe constitutionnel de gratuité de l’enseignement supérieur

Dans sa décision de renvoi du 24 juillet 2019, le Conseil d’État avait considéré que le moyen tiré de ce que les dispositions de la loi de 1951 méconnaissaient les droits constitutionnellement protégés par le treizième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 présentait un caractère sérieux, mais sans se prononcer spécifiquement sur le principe de gratuité.

L’alinéa 13 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 prévoit que : « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État ». De manière inédite, le Conseil a jugé dans la décision n° 809 QPC qu’« il résulte de la combinaison de ces dispositions que l’exigence constitutionnelle de gratuité s’applique à l’enseignement supérieur public » (§ 6). La combinaison évoquée par le Conseil n’a, en réalité, rien d’évident, même si le commentaire de la décision écrit que le Conseil constitutionnel « s’est appuyé sur les deux phrases du treizième alinéa », suggérant que cette double référence allait de soi. La mention de l’adulte peut en effet constituer un élément en faveur de cette reconnaissance, au motif que l’enseignement supérieur disposerait d’une sorte de vocation naturelle – du fait de l’âge des étudiants – à s’adresser à des adultes. Parallèlement, la référence à la formation professionnelle et à la culture peut signifier que ce troisième degré d’enseignement, évidemment chargé de l’instruction, mais pas plus ni moins que les deux premiers a, en outre, une vocation particulière pour assurer la satisfaction de ces missions d’intérêt général, alors même qu’elles relèvent aussi d’autres institutions ou d’autres services publics que celui de l’enseignement. La seconde phrase de cet alinéa pouvait suffire en faisant référence à « tous les degrés », sous-entendu aussi à l’enseignement supérieur, et en affirmant que cet enseignement devait être gratuit.

Cette décision n’était néanmoins pas la première utilisation de l’alinéa 13 du préambule pris dans son ensemble, qui reconnaissait une valeur constitutionnelle et accordait une portée normative à plusieurs exigences en découlant1. Le Conseil constitutionnel avait jugé que « l’affirmation par le même préambule de la Constitution de 1946 que « l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État ne saurait exclure l’existence de l’enseignement privé, non plus que l’octroi d’une aide de l’État à cet enseignement dans des conditions définies par la loi »2. L’alinéa 13 n’est cependant cité que de manière incomplète et ne met l’accent que sur le seul principe d’égalité3.

Dans le contentieux QPC, le Conseil a également admis, en ne se fondant de manière expresse que sur la première phrase de l’alinéa 13, que la « mise en œuvre d’une politique garantissant l’accès de tous à la formation professionnelle constitue une exigence constitutionnelle figurant ainsi au nombre des droits et libertés garantis par la Constitution »4.

Si ces décisions ne sont relatives qu’à l’égalité dans l’accès à l’instruction, la gratuité n’apparaît de manière explicite dans la jurisprudence constitutionnelle que dans deux décisions. Dans celle n° 99-414 DC du 8 juillet 1999, le Conseil avait fait utilisation de la deuxième phrase du treizième alinéa du préambule de 1946 qui ne « saurait exclure l’existence de l’enseignement privé, non plus que l’octroi d’une aide de l’État à cet enseignement dans les conditions définies par la loi »5.

L’alinéa 13 pose surtout un principe d’organisation de l’enseignement, conçu, en outre, comme un devoir de l’État et peut ne pas être considéré comme fondant un droit ou une liberté. Ce devoir est alors transformé en un droit, s’agissant de la gratuité, tandis que le caractère laïque de l’enseignement pourrait plutôt s’apparenter à une liberté. Par un renversement des perspectives, de cette obligation naît alors un véritable droit, dont les titulaires pourront et devront être précisés à l’avenir. Là encore, le Conseil ne s’étend pas sur cette reconnaissance. C’est le commentaire de la décision par le Conseil lui-même qui signale parmi les conséquences de la décision que le Conseil « admet implicitement que l’exigence de gratuité et celle d’égal accès à l’instruction constituent, au même titre que le principe d’égal accès à la formation professionnelle, des droits et libertés au sens des dispositions de l’article 61-1 de la Constitution, qui sont donc susceptibles d’être invoqués dans le cadre de la procédure de QPC ».

La décision n° 809 QPC étend le principe de gratuité à l’enseignement supérieur, alors même que ce degré d’enseignement connaît, depuis longtemps, une non-gratuité modique.

II. Des droits d’inscription modiques ne sont pas contraires à l’alinéa 13 du préambule de 1946

Le principe de gratuité de l’enseignement public est posé, en droit positif, dans deux articles du Code de l’éducation, le premier pour l’enseignement maternel et élémentaire (C. éduc., art. L. 132-1) et le second pour l’enseignement du second degré.

Il n’existe pas d’équivalent pour l’enseignement supérieur et, bien au contraire, l’article L. 719-4 du même code, qui est relatif aux moyens nécessaires à l’accomplissement de leurs missions, dispose que « les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (…) reçoivent des droits d’inscription versés par les étudiants et les auditeurs ». Le principe de la non-gratuité de ce degré d’enseignement est donc prévu par la loi, en dehors de toutes obligations constitutionnelles. Cette disposition n’empêche pas qu’il existe, en réalité, une quasi-gratuité de l’enseignement supérieur en France, aussi bien pour les étudiants étrangers en France que pour les étudiants français.

Afin de ne pas ignorer cette réalité législative, la décision 809 QPC affirme que « l’exigence de gratuité déduite de l’alinéa 13 ne fait pas obstacle, pour ce degré d’enseignement, à ce que des droits d’inscription modiques soient perçus en tenant compte, le cas échéant, des capacités financières des étudiants » (§ 6). De cette motivation tout en nuances, il ressort que les dispositions contestées sont bien conformes aux exigences constitutionnelles, car elles se limitent, en définitive, à prévoir que le pouvoir réglementaire fixe les montants annuels des droits perçus par les établissements publics d’enseignement supérieur et acquittés par les étudiants.

Au-delà des réactions contraires et attendues, sous-tendues par des présupposés politiques, la décision n° 809 QPC peut susciter trois niveaux de commentaires.

Le premier intéresse l’autorité normative compétente pour fixer les droits d’inscription universitaires. Le Conseil se contente de constater que les dispositions contestées n’ont d’autre contenu que de donner compétence à des autorités administratives, en l’occurrence deux ministres, pour fixer le montant de ces droits. Les textes législatifs contestés étant très sommaires et ne posant aucune règle de fond, il n’était guère possible, pour le Conseil constitutionnel, de dire autre chose que d’affirmer que la loi pouvait attribuer une telle compétence. En reconnaissant que la loi pouvait donner compétence à ces autorités, le Conseil déplace le débat sur le terrain du juge administratif à qui il appartiendra de contrôler les montants « dans le respect des exigences de gratuité de l’enseignement supérieur public et d’égal accès à l’instruction » (§ 7 de la décision). Faute d’abrogation de la loi par la décision du Conseil constitutionnel, le Conseil d’État devra, très prochainement, se prononcer sur la légalité, en réalité la constitutionnalité, de l’arrêté compris dans le programme gouvernemental désigné sous le nom de « Bienvenue en France », au regard de cette exigence de gratuité désormais fixée par le Conseil constitutionnel.

Il devra apprécier ensuite, et c’est le deuxième niveau de commentaire, à quoi correspondent des droits d’inscription modiques tels que les autorise la décision n° 809 QPC. C’est évidemment la question centrale et le deuxième niveau de réponse. Certes, les montants de ces droits sont faibles, au regard du coût réel de l’enseignement supérieur, dans la majeure partie des établissements d’enseignement supérieur.

La fixation de droits différents du fait de l’origine géographique (en réalité politique et économique) des étudiants devrait alors tenir compte du revenu minimum ou moyen de ces pays pour vérifier ce qui est « modique » pour les familles des étudiants, et ce qui ne l’est pas.

Le Conseil constitutionnel a donc affirmé que le principe de gratuité n’est pas absolu, au moins pour l’enseignement supérieur, dans une formulation laconique. La lettre de l’alinéa 13 peut néanmoins signifier que le principe de gratuité s’applique à l’ensemble des degrés d’enseignement et sans pouvoir faire de distinction, y compris pour le supérieur, de même que l’interprétation qui en est faite par le Conseil pourrait suggérer, en sens inverse, que la perception de droits d’inscription modiques trouverait à s’appliquer à tous les degrés de l’enseignement, y compris à l’enseignement supérieur, l’alinéa 13 ne prévoyant pas de différence de principe.

Les termes clairs des articles L. 132-1 et L. 132-2 précités du Code de l’éducation prévoyant la gratuité des deux premiers degrés d’enseignement seraient combattus par une règle constitutionnelle possédant une valeur supérieure aux énoncés du code de l’éducation. Le syndicat UNEF ne s’y est pas trompé : puisque le principe est celui de la gratuité, la décision n° 809 QPC interdit toute hausse des droits d’inscription pour les étudiants français.

En troisième lieu, le débat constitutionnel n’a pas été porté sur le terrain de l’égalité, alors que l’alinéa 13 fait bien référence à l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction et dont le Conseil a déjà eu à reconnaître la pleine valeur constitutionnelle de cette facette du principe d’égalité (v. supra). La différenciation des droits d’inscription est susceptible de remettre en cause ce principe. Néanmoins, s’agissant des étudiants extracommunautaires, la différence de situation est susceptible d’être de nature à justifier des différenciations de droits d’inscription afin de les faire contribuer à participer financièrement à la formation reçue.

Cette problématique ne figure pas dans la décision n° 809 QPC qui, tout en voulant affirmer un principe nouveau, n’a réglé que très provisoirement des questions fort nombreuses tout en laissant au juge administratif le soin de trancher, y compris au cas par cas. La question du financement de l’enseignement supérieur place la France dans une situation très particulière par rapport à de nombreux pays concurrents en matière d’accueil d’étudiants étrangers, mais aussi français.

Dans la décision n° 2019-789 QPC du 14 juin 2019, Mme Hanen S., qui n’a pas été mentionnée dans la chronique précédente, le Conseil a été saisi des articles L. 114-19, L. 114-20 et L. 114-21 du Code de la sécurité sociale, relatifs au droit de communication d’un certain nombre de documents aux organismes de sécurité sociale et à la sanction en cas de refus de déférer à une demande de les communiquer. Parmi les griefs, figuraient le droit au respect de la vie privée protégé par les articles 2 et 4 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, et la méconnaissance de sa propre compétence par le législateur dans des conditions qui affecteraient le droit au respect de la vie privée (sur ces questions, v. rubriques correspondantes).

Le Conseil considère que par ces dispositions le législateur a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude en matière de protection sociale (§ 10) nouvel OVC qui se situe en parallèle de celui de lutte contre la fraude fiscale, sans que le Conseil juge bon de préciser d’où cet objectif de valeur constitutionnelle tire son fondement et quels sont ses contours. De manière encore plus surprenante, le commentaire de la décision sur le site du Conseil constitutionnel passe presque sous silence cette découverte d’un objectif nouveau, comme si ce dernier relevait de l’évidence. Il se contente de noter que « le droit de communication vise à lutter contre la fraude en matière de protection sociale. Pour la première fois, le Conseil constitutionnel a caractérisé cet objectif comme un objectif de valeur constitutionnelle (§ 7 et 10), à l’égal de ce qu’il avait déjà fait pour la lutte contre la fraude fiscale ». Ce dernier avait été dégagé de manière très implicite dès la décision n° 86-209 DC du 3 juillet 1986, Loi de finances rectificative pour 1986 (cons. 33), puis de manière expresse dans la décision n° 2013-684 DC du 29 décembre 2013, Loi de finances rectificative pour 2013 (cons. 10), et dans le cadre des QPC dans la décision n° 2010-16 QPC du 23 juillet 2010, M. Philippe E. (cons. 6) et la décision n° 2016-554 QPC du 22 juillet 2016, M. Gilbert B., lui adjoignant la lutte contre l’évasion fiscale (cons. 6). S’agissant de celui « découvert » dans la décision n° 789 QPC, il n’est pas interdit de penser que cet objectif acquérant valeur constitutionnelle n’est pas, en réalité, issu de la loi elle-même et d’autres textes de valeur législative, tout autant que de dispositions constitutionnelles proprement dites.

Ce droit de communication ne peut être utilisé que pour le contrôle de la sincérité et de l’exactitude des déclarations souscrites ou de l’authenticité des pièces produites en vue de l’attribution et du paiement des prestations servies par les organismes de sécurité sociale, pour l’exercice des missions de contrôle des cotisants aux régimes obligatoires de sécurité sociale et de lutte contre le travail dissimulé et pour le recouvrement de prestations versées indûment à des tiers (§ 11).

Cet objectif, comme les autres OVC, doit être concilié avec d’autres normes de valeur constitutionnelle afin de déterminer s’il ne conduit pas à des atteintes excessives ou disproportionnées à des droits ou à des libertés. En même temps, il contribue à limiter des droits et libertés. Compte tenu des diverses garanties offertes par la législation applicable, droit de communication non assorti d’un pouvoir de sanction, et ouvert aux seuls agents des organismes de sécurité sociale, lesquels sont soumis, dans l’utilisation de ces données, au secret professionnel, communication des données bancaires permettant d’avoir connaissance des revenus, des dépenses et de la situation familiale de la personne objet de l’investigation et présentant un lien direct avec l’évaluation de la situation de l’intéressé au regard du droit à prestation ou de l’obligation de cotisation, les atteintes à la vie privée ne sont alors pas excessives et la conciliation entre le respect de la vie privée et l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude en matière de protection sociale n’est pas déséquilibrée.

La vie privée est aussi au centre de la décision n° 2019-797 QPC du 26 juillet 2019, Unicef France et autres, à propos de la création d’un fichier des ressortissants étrangers se déclarant mineurs non accompagnés, dans laquelle de nombreuses observations en intervention ont été produites. Les requérants invoquaient la méconnaissance du droit au respect de la vie privée et de l’exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, dont découlerait une atteinte à la présomption de minorité. Le Conseil déduit en effet cette exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant des dixième et onzième alinéas du préambule de la Constitution de 1946 qui disposent : « la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » (al. 10) et « elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs » (al. 11). Cette exigence impose que les mineurs présents sur le territoire national bénéficient de la protection légale attachée à leur âge (§ 3 de la décision). Il s’ensuit que les règles relatives à la détermination de l’âge d’un individu doivent être entourées des garanties nécessaires afin que des personnes mineures ne soient pas indûment considérées comme majeures. Ces garanties particulières devraient pouvoir aussi être revendiquées par les « mères » et les « vieux travailleurs », qui sont mis sur le même plan que les enfants par l’alinéa 11, et qui doivent être protégées de manière spécifique du fait de leurs caractéristiques propres. Ces droits-créances ne sont pas directement assimilés à des droits et des libertés. Dans la décision n° 797 QPC, le Conseil utilise l’expression neutre « d’exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant », sans autre précision quant à la qualification de cette exigence ce qui évite au Conseil constitutionnel de faire rentrer cette « norme » dans une catégorie préexistante, que ce soit celle de principes ou celle d’objectifs (§ 7 et 8).

Dans sa décision (§ 5), le Conseil préfère d’ailleurs mettre en balance l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière qui participe de la sauvegarde de l’ordre public, objectif de valeur constitutionnelle, et le droit au respect de la vie privée, les deux termes de la conciliation étant identifiés constitutionnellement et reconnus depuis longtemps6. Il considère néanmoins que le législateur a, en adoptant les dispositions contestées, entendu mettre en œuvre l’exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant et poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre l’immigration irrégulière, ce qui présuppose que les deux exigences ont été prises en compte et conciliées de manière satisfaisante (§ 8). De manière plus conclusive, le Conseil juge qu’« en adoptant les dispositions contestées, le législateur a opéré entre la sauvegarde de l’ordre public et le droit au respect de la vie privée une conciliation qui n’est pas disproportionnée » (§ 11), laissant alors de côté, la « protection de l’intérêt supérieur de l’enfant », cette dernière venant en quelque sorte s’ajouter aux normes de référence.

La décision n° 2019-810 QPC du 25 octobre 2019, Société Air France, permet au Conseil constitutionnel de faire utilisation de l’article 12 de la déclaration des droits7. Il était reproché au 2° de l’article L. 625-5 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile de permettre qu’un transporteur aérien soit sanctionné pour avoir débarqué sur le territoire français un étranger démuni de documents de voyage ou de visa, même lorsqu’il a procédé au contrôle de ces documents à l’embarquement et que l’irrégularité qui les affecte n’a pas été détectée par les services compétents de l’État lors de leur délivrance. Ces dispositions auraient ainsi pour effet de déléguer au transporteur, en violation de l’article 12 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, l’accomplissement d’opérations de contrôle incombant aux seules autorités publiques.

L’article 12 de la déclaration de 1789 dispose que : « La garantie des droits de l’Homme et du citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ». Le Conseil a reconnu l’invocabilité de cette disposition dans le cadre des QPC dans la décision n° 2017-637 QPC du 16 juin 2017, Association nationale des supporteurs, à propos du refus d’accès à une enceinte sportive, alors même que le texte de l’article 12 n’est pas formulé comme un droit ou une liberté et qu’il faudrait le considérer comme un « droit à la garantie des droits nécessitant une force publique » selon l’expression des commentateurs du Code constitutionnel8. Il déduit aussi de la disposition constitutionnelle une interdiction de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générale inhérentes à l’exercice de la « force publique » nécessaire à la garantie des droits (§ 4). Dans la décision n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018, le Conseil a examiné la disposition prévoyant la possibilité pour les agents de la force publique de se faire assister, pour la mise en œuvre des palpations de sécurité et des inspections et fouilles de bagages, par des agents agréés exerçant une activité privée de sécurité, ce qui associait des personnes privées à l’exercice de missions de surveillance générale de la voie publique. C’est sous la réserve que ces personnes ne peuvent toutefois qu’assister les agents de police judiciaire et sont placées « sous l’autorité d’un officier de police judiciaire » et qu’il appartient aux autorités publiques de prendre les dispositions afin de s’assurer que soit continûment garantie l’effectivité du contrôle exercé sur ces personnes par les officiers de police judiciaire que ces dispositions ne méconnaissent pas les exigences découlant de l’article 12 de la déclaration de 17899.

Si la décision n° 810 QPC reprend alors la même formulation (§ 11) et si le Conseil juge que le législateur, en instaurant cette obligation de contrôler, au moment de l’embarquement, les documents requis, n’a pas entendu associer les transporteurs aériens au contrôle de la régularité de ces documents effectué par les agents de l’État en vue de leur délivrance et lors de l’entrée de l’étranger sur le territoire national, il n’a pas eu besoin de formuler une telle réserve. Par conséquent, le grief tiré de la méconnaissance des exigences résultant de l’article 12 de la déclaration de 1789 doit être écarté. Les autres griefs ayant été aussi écartés, les dispositions du 2° de l’article L. 625-5 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ont été déclarées conformes à la Constitution.

M. V.

B – Les rapports de système

Les rapports de système n’évoluent pas, mais les jurisprudences pour les alimenter foisonnent.

Dans la décision n° 2019-810 QPC du 25 octobre 2019, Société Air France, le Conseil était placé devant un conflit d’origine de la loi10. La loi transposait-elle directement et inconditionnellement la directive du 28 juin 2001 ? Le contrôle appelé par le texte méritait alors d’être limité à l’erreur de transposition manifeste et à la violation d’un principe tiré de l’identité constitutionnelle de la France11. À moins de considérer que la loi était inspirée par la convention de Schengen, c’est-à-dire du droit originaire de l’Union européenne ? Le contrôle de constitutionnalité, totalement déconnecté de toute référence conventionnelle, aurait pu alors être plein et entier. La limite était ténue puisque le texte pouvait largement se réclamer des deux origines. S’ajoutait à cela la tentation de l’essor jurisprudentiel ; en effet, le Conseil n’a de cesse de revisiter la question de la marge nationale d’appréciation dans son contrôle des directives en étendant le raisonnement aux traités conclus par l’Union européenne au titre de ses compétences propres, ou encore aux règlements européens qui peuvent tous deux, d’une certaine manière, être transposés avec plus ou moins de liberté en droit national, depuis la décision n° 2018-765 DC. Dans la décision d’espèce, le Conseil constitutionnel a adapté la formulation de sa jurisprudence traditionnelle dans le cadre du contrôle de QPC, pour la première fois (§ 7). Il a considéré que les articles critiqués assuraient la transposition de la directive, ce qui devait appeler de sa part un contrôle restreint en appliquant la jurisprudence Économie numérique. Et pourtant, les différentes évolutions rappelées antérieurement ont donné des ailes au juge constitutionnel qui s’autorise désormais à faire évoluer cette jurisprudence en fonction de la marge que laisse au législateur national l’acte dérivé du droit de l’Union européenne. Cette marge est donc le maître mot de la jurisprudence puisque le Conseil estime, dans la décision, pouvoir opérer un contrôle entier de la loi de transposition d’une directive dont les dispositions, même inconditionnelles et précises, accordent au législateur une marge d’appréciation discrétionnaire. Le commentaire sur le site internet l’atteste : « Ce faisant, il s’est pour la première fois expressément reconnu compétent pour contrôler, au regard de l’ensemble des exigences constitutionnelles, les dispositions de la loi de transposition qui interviennent dans le champ de la marge de manœuvre expressément reconnue par le droit dérivé au législateur national ».

Le Conseil constitutionnel s’inspire librement du contentieux administratif – en utilisant, certes dans le commentaire, la référence dangereuse au pouvoir « discrétionnaire » du législateur – mais de manière inversée : plus le législateur est libre, plus le juge contrôlera profondément son action. Ce faisant, le juge constitutionnel utilise également le droit de l’Union européenne à la lettre ; la marge nationale d’interprétation est la clé de l’articulation des systèmes. La Constitution est la norme suprême de cette fenêtre ouverte par le droit de l’Union où le législateur, libre de l’impératif de transposition, peut choisir d’adapter, de durcir et de faire évoluer le droit de l’Union pour le particulariser.

Dans le cadre de la décision n° 2019-818 QPC du 6 décembre 2019, Mme Saisda C., le Conseil constitutionnel a réitéré cette jurisprudence en considérant qu’il lui appartenait d’exercer un contrôle entier sur les dispositions de l’article L. 213-2 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dès lors que cet article ne « se borne pas » à tirer les conséquences du règlement européen du 9 mars 2016. La marge d’appréciation nationale a donc, de nouveau, appelé le contrôle du juge constitutionnel.

Dans le cadre de la décision n° 2019-813 QPC du 15 novembre 2019, M. Calogero G., le Conseil constitutionnel a confirmé les contours de sa jurisprudence relative aux discriminations à rebours. Ce vocable indélicat désigne une situation de droit dans laquelle se trouverait un citoyen (le plus souvent contribuable, pour les cas présentés devant le Conseil) traité moins bien par le droit national que par le droit de l’Union, faisant de sa situation de « national de l’État » la cause d’une discrimination, à rebours de ce que le droit de l’Union aurait plutôt escompté. La jurisprudence la plus « retentissante » du juge constitutionnel sur la question est sûrement la série Metro Holding, par laquelle le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur le statut des sociétés intégrées à un groupe, suivant qu’elles sont soumises au régime français de l’intégration ou au régime intra-communautaire de la directive Mère-fille12. Le Conseil a considéré que le traitement moins favorable de l’intégration n’était pas justifié par l’objectif initial de la loi nationale, ni d’ailleurs par l’objectif européen modifié. Depuis lors, ledit contrôle a été repris et perfectionné par le Conseil constitutionnel13. Le cœur du contrôle réside dans l’examen, par le Conseil, à la fois de l’objectif initial (national) de la loi et de l’objectif modifié (européen) pour vérifier si les deux sont en correspondance. Si une divergence existe entre les deux, c’est soit que le droit national va plus loin que le droit de l’UE, ce qui ne pose pas de problème particulier de constitutionnalité (mais risque d’en poser au droit de l’Union !), soit que le droit national va moins loin sans motif d’intérêt général particulier, et la discrimination sera alors considérée comme n’étant pas en correspondance avec l’objectif poursuivi et déclarée non-conforme à la Constitution. Le Conseil considère également que l’objectif initial peut avoir évolué avec le nouveau et rester ainsi en conformité tant avec le droit de l’Union qu’avec le droit constitutionnel.

En l’espèce, le Conseil d’État dans sa décision de renvoi, avait interprété l’objectif initial à la lumière du droit de l’Union européenne en confirmant l’existence d’une discrimination entre les associés de sociétés étrangères, selon qu’elles sont établies dans un État membre de l’Union ou un État tiers. D’après le droit de l’Union européenne, l’objectif de la législation était d’assurer « la neutralité fiscale des opérations d’apport partiel d’actif effectuées à des fins de restructuration économique en dehors de toute volonté de fraude ou d’évasion fiscales, dans le respect du droit de l’Union européenne ». Le nouvel objet de la loi intègre donc simplement « le respect du droit de l’Union » mais ne fait pas perdre au dispositif initial son sens. Le commentaire précise ainsi qu’« avant d’examiner si la différence de traitement instaurée était bien en rapport avec l’objet de la loi ainsi “européanisé”, le Conseil a procédé à un contrôle de l’absence de dénaturation de l’objet initial de la loi ». Il n’y avait en l’espèce aucune dénaturation inconstitutionnelle de l’objet initial, ce qui signe une profonde intégration du droit de l’Union européenne jusque dans l’appréciation de la constitutionnalité du droit national.

A.-C. B.

II – Le procès constitutionnel

A – Les acteurs et les actes devant le Conseil constitutionnel

Dans le cadre de la décision n° 2019-790 QPC du 14 juin 2019, Société ENR Grenelle Habitat et autres, (non répertoriée dans la chronique précédente), le Conseil constitutionnel a apporté une utile précision sur le cadre du litige lorsqu’un cumul de poursuites est contesté au regard du principe constitutionnel de nécessité des peines. Ce « feuilleton » du non bis in idem constitutionnel, commencé en 2015 à la suite de retentissants arrêts de la CEDH, a amené plusieurs requérants jusqu’au Conseil constitutionnel afin qu’il nettoie l’ordre juridique de cumuls de poursuites inconstitutionnels. En l’occurrence, il était question des articles L. 132-2 et L. 522-1 du Code de la consommation. Néanmoins, le Conseil a rappelé que, pour sanctionner un cumul de poursuites, encore faut-il que deux poursuites de deux natures différentes soient clairement identifiées par le requérant – ou du moins identifiables dans son argumentaire au vu des éléments législatifs et constitutionnels utilisés (§ 5). Le requérant critiquait en l’occurrence un délit de pratiques commerciales trompeuses clairement identifié dans les articles du Code de la consommation mais qui n’était pas secondé par une deuxième poursuite administrative ; la requête avait ainsi confondu le fait que les agents administratifs de la DGCCRF puissent poursuivre le manquement pénal, avec une double poursuite. Le Conseil constitutionnel entend donc clairement « fermer le prétoire » en permettant que soient recevables les seules requêtes suffisamment précises identifiant clairement deux poursuites inconstitutionnelles, ce qui conduit à ce qu’« en l’absence de désignation par les requérants de l’autre disposition législative entraînant le cumul dénoncé », il n’y ait pas lieu de statuer sur la question renvoyée (§ 9). Cette information, de peu d’intérêt doctrinal mais importante en pratique, est doublée par une leçon de contentieux constitutionnel rappelée dans le commentaire. En effet, dans ce cadre, il est rappelé que le Conseil constitutionnel ne substitue pas son appréciation à celle des juges de transmission, ni en ce qui concerne le caractère applicable au litige, ni à propos du caractère sérieux. À mi-chemin entre une vérité de La Palisse et un rappel à l’ordre à l’intention des juges de la transmission, le Conseil constitutionnel précise qu’en déclarant une disposition inconstitutionnelle, il révèle certes le caractère sérieux de la question posée, mais que l’inverse n’est pas vrai ; ajoutant que la même démarche anime les juges de transmission. Ce qui n’est pas transmis est non sérieux, mais pas pour autant conforme à la Constitution, sous peine de transformer l’office des juges de transmission en juges de la constitutionnalité. Quant aux dispositions applicables au litige, le Conseil en précise la version sans se pencher sur « de manière générale, les conditions de renvoi de la question » ; il donne également une limite lorsque les conditions de transmission le placent « dans l’impossibilité de remplir son office », comme en l’espèce. Si presque toute une loi peut être transmise au Conseil, encore faut-il que chaque disposition soit nommément critiquée constitutionnellement pour appeler le contrôle du juge14.

Le contentieux constitutionnel peut être tout à fait expéditif. Dans le cadre des deux décisions nos 2019-792 DC du 28 novembre 2019, loi organique visant à clarifier diverses dispositions du droit électoral et 2019-793 DC du 28 novembre 2019, Loi visant à clarifier diverses dispositions du droit électoral, le Conseil constitutionnel a jugé de la conformité à la Constitution des dispositions ordinaires et organiques de la législation relative aux prochaines élections. Le Conseil, fidèle à sa doctrine, a fait savoir qu’il n’entendait pas « complètement » juger la constitutionnalité de dispositions qui n’étaient pas critiquées par les requérants. Pour le contrôle organique, il en rappelle la correcte procédure d’adoption avant de détailler rapidement l’objet de chaque disposition, ajoutant qu’elles ne sont pas contraires à la Constitution sans plus de motivation. Pour les dispositions de la loi ordinaire, « le Premier ministre n’invoque aucun grief particulier à son encontre », ce qui conduit à un contrôle limité à la conformité de la procédure législative et au recours à un motif « particulier » d’inconstitutionnalité qui « ressorte des travaux parlementaires », ce qui démontre bien qu’en l’absence de saisine, les questions soulevées d’office sont animées par la recherche d’une inconstitutionnalité manifeste ou grave15. Le Conseil constitutionnel n’a donc pas « spécialement “examiné” d’office des dispositions de la loi déférée ».

La décision de rectification « R » n° 2019-811R QPC du 28 novembre 2019, Mme Fairouz H. et a.16, rejetée comme beaucoup d’entre elles, a eu un apport certain, en ce que le Conseil constitutionnel n’a pas considéré comme pouvant constituer une « rectification », la demande de saisine de la Cour de justice de l’UE en contentieux préjudiciel. Cette conclusion n’est donc pas « isolée » du contentieux en général et cette question n’est pas un moyen autonome. La procédure doit nécessairement être liée à la QPC au fond, sans pouvoir être « actionnée » isolément. Le Conseil l’interprète ici comme une remise en cause de la décision qui n’appelle aucunement une « rectification matérielle ».

Une importante précision a été apportée par le Conseil constitutionnel à propos de la « version législative » des dispositions renvoyées. L’article 61-1 de la Constitution mentionne qu’une « disposition législative » peut être portée en QPC, ce qui fait appel à une précision nette des contours de ce qui est renvoyé, même si les juridictions de transmission ont tôt interprété ces dispositions comme pouvant être multiples. Depuis lors, le Conseil n’a eu de cesse depuis 2010 de restreindre l’objet de la transmission, pour éviter tout contrôle de constitutionnalité bis de la loi, à une virgule, un tableau annexé, etc. La décision précitée n° 2019-813 QPC du 15 novembre 2019, M. Calogero G., vient ici préciser que si une disposition législative est insérée dans un code ou dans une loi, cette disposition, si toutefois elle est une unité infra-catégorielle dudit article, c’est-à-dire un alinéa, une ligne, une phrase, voire un mot de cet article, c’est la dernière version législative dudit article et non pas de la disposition attaquée qui sera prise en compte en QPC. En d’autres termes, en fonction de la date du litige, il convient de préciser quelle est la dernière loi ayant modifié l’article (de la loi ou du code) contenant l’alinéa, la ligne, la virgule ou le tableau, qui est contesté en QPC, y compris si cette modification législative n’a pas affecté directement la rédaction de la disposition directement contestée (le mot, la phrase, etc.). Cette « jurisprudence par article » est justifiée par le Conseil dans un souci « de clarté et de simplicité », et « de simplicité et de sécurité juridique ». Il ne nous semble pas certain que la simplicité y gagne beaucoup, mais le Conseil entendait éviter qu’autant de QPC soient possibles pour tous les « états » législatifs qu’aurait pu connaître une disposition contenue dans un article risquant d’avoir à se prononcer en série sur toutes les modifications de cette unité. « Son contrôle se focalise ainsi sur un état du droit plus facilement identifiable », même s’il est fort à craindre que des QPC pointillistes continuent d’affluer devant le Conseil, comme le démontre la QPC rendue juste à la suite de cette décision n° 813 QPC17.

B – La procédure devant le Conseil constitutionnel

« De l’impossibilité de solliciter des gouvernants un souffle de démocratie directe », (décision n° 2019-1-1 RIP du 10 septembre 2019, M. Paul Cassia, et décision n° 2019-1-2 RIP du 15 octobre 2019, M. Christian Sautter et a.). La procédure de RIP est neuve dans le droit constitutionnel national (v. chronique 2019-1) et donc source de nouveaux contentieux. Celui ouvert par la décision n° 1-1 RIP du 10 septembre 2019 appelle à une réflexion étendue sur la démocratie représentative et ses limites.

Un bref rappel de la procédure de RIP mérite d’être opéré.

Née de la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, la procédure du référendum d’initiative minoritaire – que le Conseil constitutionnel a préféré qualifier de référendum d’initiative partagée (d’où le surnom mortuaire de RIP) – est le fruit d’un désir politique de réhabilitation de la participation citoyenne en démocratie. Cette procédure mixte devait permettre au référendum de ne plus être uniquement actionné par les autorités politiques mais par une frange de parlementaires soutenus par le peuple. D’aucuns avaient pu être déçus par l’idée que cette procédure ne soit pas inversée voire complètement citoyenne, à la manière d’un référendum abrogatif italien, et les esprits s’étaient quelque peu apaisés. Il fallut attendre cinq ans le vote de la loi organique n° 2013-1114 du 6 décembre 2013, pour que la procédure soit complètement applicable.

La physionomie de la procédure était définie en trois temps. 1/ Un premier temps de la procédure est consacré à la recherche d’un nombre de parlementaires (1/5e) suffisant pour solliciter le recueil de signatures citoyennes (au nombre d’1/10e de la population inscrite sur liste électorale) à propos d’une question dont l’objet ne doit pas porter sur l’abrogation d’une loi votée et promulguée depuis moins d’1 an, et doit être compris dans la liste de l’article 11 de la Constitution. À ce stade, le texte proposé est une proposition de loi au sens de l’article 39 de la Constitution qui est soumise au contrôle de constitutionnalité (en réalité de conformité à l’article 11 de la Constitution) obligatoire du Conseil constitutionnel. 2/ Dans le deuxième temps : une phase de « recueil » des soutiens commence. Mais avant toute chose, cette phase doit être rendue possible par l’inexistence d’un débat parlementaire engagé par les deux assemblées qui ne doivent pas inscrire ledit texte à l’ordre du jour, ce qui aurait pour effet de lancer une procédure législative « classique », ôtant au référendum tout caractère référendaire ! Paradoxe de ce référendum pétitionnello-parlementaire, il peut être tué dans l’œuf par le parlement, créant une lutte inégale entre démocratie représentative et démocratie directe. Dans cette phase de recueil, les citoyens doivent être en mesure de signer la pétition (en se posant la seule question suivante : suis-je favorable ou non à l’adoption de la proposition de loi ?). 3/ Enfin, la proposition de loi (dans un délai de 6 mois après l’ouverture du recueil des signatures), sera soumise au référendum « classique » de l’article 11 de la Constitution par le président de la République si elle a recueilli le seuil de signatures nécessaire ; elle sera en revanche « caduque », si elle n’obtient pas le nombre requis de soutiens.

Manquait encore en 2019 à cette procédure un peu de vivant qu’allait lui apporter le vote de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises dite Pacte qui suscita auprès d’1/5e des parlementaires, sénateurs comme députés de plusieurs groupes d’une opposition composite, comme une envie d’autre chose. Ces derniers décidèrent de rédiger une proposition de loi, ouvrant la phase de « pétition », portant sur la (non) nécessité de privatiser l’entreprise Aéroport de Paris, au mépris de l’alinéa 9 du préambule de la Constitution de 1946 relatif aux services publics constitutionnels. La proposition de loi, ayant été déclarée conforme à la Constitution, permit le passage à la phase 2. La courtoisie parlementaire conduisit à ce que le texte de cette proposition ne soit pas discuté au Parlement mais soumis directement à pétition. C’est alors que devait s’organiser cette phase inédite du recueil des soutiens, mettant en lumière le rôle du Conseil constitutionnel. Dès les premiers jours, se démenant en communiqué de presse, sites dédiés, etc., le juge constitutionnel agissant comme juge de la transparence permit l’accès aux informations relatives à cette procédure et s’enquit de vérifier quotidiennement le nombre de soutiens à la proposition. Le Conseil ouvrit même, comme la loi organique de 2013 le prévoit, son prétoire à toute contestation dont la première ne tarda pas de tomber, sur l’initiative du professeur Paul Cassia.

Ce recours qui ne trouva pas son juge (I) fut l’occasion manquée rêvée pour réfléchir au rôle du Conseil comme au sens de notre démocratie représentative (II).

I. Un recours sans objet

A. Une fausse « réclamation »

La loi organique de 2013 modifiant l’ordonnance organique du 7 novembre 1958 relative au Conseil constitutionnel, assimile à des « réclamations » les recours portés devant le Conseil au sujet du déroulement de la phase de recueil des soutiens à la proposition de RIP. Le vocabulaire est révélateur ; il s’agit ni plus ni moins d’assimiler ces actions à des requêtes électorales. Mais cette assimilation ne concerne pas seulement les recours puisqu’il apparaît que le législateur organique (interprétant le constituant dans un sens incertain) a complètement calqué cette phase de recueil des soutiens à une période électorale. Placée sous l’égide du ministère de l’Intérieur, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, la phase de recueil des soutiens suscite les mêmes interrogations, les mêmes compétences qu’une phase électorale. Ce sucré-salé constitutionnel affecte également la campagne référendaire de l’article 11 mais, en matière de RIP, aucune référence à une campagne ne vient même asseoir ce parallèle avec une période pré-électorale.

La saisine de Paul Cassia se résumait en quelques mots : appartient-il au Conseil constitutionnel de publier régulièrement le recueil des soutiens ? Cette requête fut très vite secondée par une autre, la décision n° 1-2 RIP, dont l’objet – et le sort – étaient proches : le Conseil ne pouvait-il pas, à la manière du CSA, organiser une campagne référendaire de RIP digne de ce nom ?

On note donc que le parallèle avec une campagne électorale est entier et même attendu de la part des requérants. Pourtant, il apparaît impropre. Alors que le Conseil peut aller jusqu’à prononcer l’annulation et la réformation de la phase de recueil des soutiens – nouvelle assimilation au contentieux des élections parlementaires – une inégalité procédurale constitutionnelle se fait jour. Pourquoi donc une proposition de loi parlementaire soumise à soutien par le RIP, pourrait se voir arrêtée net dans sa progression, là où la proposition de loi parlementaire ordinaire pourrait aller jusqu’à son terme ? Quel « incident » procédural pourrait être de nature à fausser la « sincérité » des opérations de recueil, à l’identique d’une opération électorale ?

Le législateur a avancé à tâtons ; le Conseil constitutionnel s’est perdu.

B. Un vrai « recours »

En l’occurrence, la requête de Paul Cassia ne correspondait à aucun objet identifié par la loi organique. En effet, les requêtes doivent plutôt porter sur des erreurs matérielles par exemple le nom d’un électeur qui n’a pas signé, ou l’inverse, ce qui n’était pas le cas de la requête de Paul Cassia. Ce dernier entendait obliger le Conseil constitutionnel à une action positive, ce qui revient à agir en référé mesures-utiles et liberté pour obliger une administration à prendre des mesures positives de garantie d’une liberté18, mais cette fois-ci pour obliger le juge lui-même. En d’autres termes, le requérant entendait solliciter du Conseil qu’il crée, de son propre office, de nouvelles voies de droit, ce que fait régulièrement le juge administratif, mais qui n’est pas du goût du juge constitutionnel.

Le Conseil était placé devant une impasse. S’il déclarait la requête recevable, les réclamations ne pouvaient plus être considérées comme telles car il s’agissait plutôt d’injonctions adressées à une autorité pour les adresser à une autre. Le Conseil se serait mué en un juge de la bonne attitude du ministère de l’Intérieur en matière de RIP. Jolie sur le principe, l’hypothèse méritait toutefois de rester d’école – par respect pour l’office d’attribution du juge constitutionnel.

S’il déclarait la requête irrecevable, le Conseil constitutionnel risquait de « minimiser » l’importance d’une meilleure communication sur le RIP.

Il nous semble pourtant que c’est la deuxième hypothèse qui aurait dû être choisie. Considérant que la loi organique limite les recours à des erreurs de prise en compte de signature, la question de savoir comment mériteraient d’être recueillies les signatures ou autres, n’a pas à être reçue devant un juge mi-électoral-mi-constitutionnel qui ne s’occupe que de contrôler la validité matérielle des opérations.

Et pourtant, en l’espèce, le Conseil constitutionnel est resté à mi-chemin : il a déclaré la requête recevable, mais sans objet. Cette recevabilité n’est pas sans conséquences. Le Conseil a ainsi permis que soit contestée devant lui la campagne de RIP proprement dite.

Le juge constitutionnel est ainsi devenu le juge du ministre de l’Intérieur et de la validité de ses actions. Il ne nous semble nullement heureux qu’une telle voie de droit soit ouverte qui ne correspond ni à l’office d’un juge constitutionnel, ni encore moins à celle d’un juge électoral.

La prudence n’a pas ici été de mise et l’on ne peut que le regretter.

II. Une voie sans issue

A. Le Conseil constitutionnel omni-compétent

Bien que longue de quelques lignes, la décision est riche d’enseignements. Le Conseil constitutionnel apporte une réponse instructive au requérant : nul besoin d’imposer au ministre d’organiser la publicité du recueil des soutiens puisque le Conseil l’a déjà fait ! Non-lieu, donc, à statuer sur ladite requête.

Mais l’on touche ici à un élément-clé. Le Conseil utilise sa « politique de communication », au contentieux, comme argument de fond, pouvant fonder la solution et conduire au rejet d’une requête recevable. C’est, à notre sens, la première fois qu’un élément de « politique de communication » entre dans les données décisionnelles du Conseil constitutionnel.

Où s’arrêtera cet usage ? Les communiqués de presse, les commentaires aux cahiers du Conseil, les propos tenus dans les médias extérieurs, les questions posées durant les plaidoiries de QPC… pourraient-ils alimenter le sens des décisions du Conseil ?

Cette fenêtre ouverte par le Conseil constitutionnel pourrait bien se retourner contre lui. Si l’argument est utilisé par le juge, on comprend mal pourquoi il ne pourrait pas être utilisé par les parties et le Conseil verrait alors des contentieux s’engager sur ses propres dires. En droit administratif, les recommandations ou communiqués des administrations ne sont saisissables par le requérant qu’à partir du moment où ils modifient l’état du droit19 ou s’ils sont « de nature à produire des effets notables, ou (ont) pour objet d’influer de manière significative sur les comportements des personnes ».

Il nous semble donc tout à fait abusif que le Conseil constitutionnel puisse se référer à sa politique de communication (site internet, application mobile, rapport public), bien extérieure à toute donnée contentieuse.

Le droit n’est pas fait tout entier de communication et la réciproque est vraie.

B. Le référendum perdu

Dans ces décisions RIP-1-1 et RIP-2, les requérants attendaient du Conseil constitutionnel une chose impossible : que cette première procédure de RIP fasse date et qu’elle fasse revivre la démocratie directe.

L’on ne peut qu’être déçu – d’un point de vue de philosophie politique – qu’aucune procédure n’existe pour faire appel aux gouvernants afin de solliciter d’eux plus de contradictoire, plus de campagne, plus de démocratie. Lointain appel au recall américain, au référendum abrogatif italien, le souhait de Paul Cassia est dans l’air du temps. Peu après que certains mouvements de « gilets jaunes » aient revendiqué plus de démocratie directe, un RIC plutôt qu’un RIP, le même constat s’impose : il n’existe pas dans le droit constitutionnel de la Ve République de procédure permettant à un particulier, ou à plusieurs, dans la démocratie représentative d’intervenir pour donner un avis, pour « aérer », selon le vocable choisi par le président de la République, un peu la politique par une fenêtre citoyenne.

On peut le regretter ou s’en féliciter, mais on ne saurait s’y opposer.

Triste affaire donc que la n° 1-1 puisqu’elle nous démontre non seulement qu’il est impossible d’instiller plus de démocratie directe dans la démocratie représentative (tant pis pour l’article 3 de la Constitution de 1958), mais également que la procédure de RIP, première du nom, était vouée à ne pas connaître d’avenir. Elle n’a pas su solliciter d’engouement et ce n’est peut-être même pas la faute du Conseil constitutionnel.

La décision n° 2019-2, AUTR, du 24 octobre 2019 appelle presque les mêmes observations ; qu’elle émane d’un parlementaire ou d’un professeur d’université, l’idée est identique : peut-on solliciter du Conseil constitutionnel qu’il crée de toutes pièces de nouvelles voies de droit lorsqu’elles semblent manquer ? Le Conseil répond par la négative, soucieux du respect de la compétence d’attribution (considérant de principe d’autolimitation que le Conseil utilise depuis la jurisprudence IVG de 1975). Le député Jean Lassalle ne pourra donc pas, à l’avenir, contester devant le juge constitutionnel le décompte des temps de parole effectués dans l’hémicycle parlementaire, ce qui pose toutefois la question du juge de l’application du règlement des assemblées et partant, la question même de la valeur de ce règlement. Il peut apparaître inégal de traiter préférentiellement un candidat à une élection régionale (qui peut contester devant le tribunal administratif le traitement de son temps de parole télévisé) plutôt qu’un parlementaire (qui ne peut pas se plaindre du temps de parole qui lui est accordé). La question mérite sûrement d’être méditée plus sereinement.

C – Les techniques contentieuses (…)

D – L’autorité et les effets des décisions du Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel peut utilement se prononcer sur la constitutionnalité de dispositions non encore en vigueur, abrogées ou modifiées. Mais dans cette hypothèse, la question de la chose jugée est bien plus délicate à déterminer. Ces cas sont utilement qualifiés, par les commentaires, de violations « analytiques » puisqu’ayant une forme d’effet platonique. Dans ce cadre, le Conseil n’a pas à se prononcer sur la modulation dans le temps pour l’avenir de l’abrogation. Néanmoins, une question reste en suspens, celle de l’application aux instances en cours des dispositions abrogées pour le présent et le passé. C’est bien le cas dans la décision n° 2019-798 QPC du 26 juillet 2019, M. Windy B., mais le Conseil a encore affiné les conséquences de sa décision en choisissant de distinguer entre les instances ayant ou non déjà donné lieu à sanction par l’AFLD ; et en leur sein, le Conseil a encore distingué entre les poursuites ayant été initiées avant la réforme de l’agence (datant de l’ordonnance du 11 juillet 2018) dont les dispositions transitoires garantissaient suffisamment les droits constitutionnels (§ 14), contrairement à l’état du droit antérieur (v. rubrique « Droits processuels »). Ici, la déclaration d’inconstitutionnalité a été déclarée invocable dans toutes les affaires n’ayant pas donné lieu à sanction encore en instance auprès de l’AFLD. On note avec quelle finesse l’application dans le temps de l’abrogation est étudiée par le Conseil. La décision n° 2019-802 QPC du 20 septembre 2019, M. Abdelnour B., va dans le même sens20. Le Conseil constitutionnel avait déclaré inconstitutionnel le recours à la visio-conférence en matière criminelle à l’issue d’une détention provisoire qui, pouvant avoir lieu après plus d’une année, privait de présentation physique l’intéressé pendant une durée excessive susceptible d’atteindre les droits de la défense (§ 13). Toutefois, alors que la loi de programmation pour la justice de 2019-2022 avait modifié les équilibres, le Conseil aurait pu appliquer les effets de cette censure aux situations en cours. Mais cette remise en cause de mesures adoptées sous l’empire des précédentes dispositions, aurait, selon la décision, méconnu l’OVC de sauvegarde de l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions, remettant en cause la stabilité de la justice.

Dans le cadre de la décision n° 2019-799/800 QPC du 6 septembre 2019, Mme Alaitz A. et a., le Conseil constitutionnel a rappelé qu’il ne lui appartient pas « d’indiquer les modifications qui doivent être retenues pour qu’il soit remédié à l’inconstitutionnalité constatée », ce qu’il semble bon de rappeler au vu de l’audace du juge constitutionnel sur la question21. En l’espèce, le Conseil constitutionnel a déclaré inconstitutionnel le très complexe aménagement de peine pour les condamnés étrangers dans le cas d’une condamnation à perpétuité. Il a soumis la disposition au contrôle restreint de la proportionnalité de la peine ; contrôle moins fréquent que celui de la nécessité et qui a le danger d’amener le Conseil sur le terrain glissant de la juste « proportion » de la réponse pénale à apporter à un comportement dangereux pour l’ordre social. Le Conseil a exercé un contrôle de constitutionnalité en analysant la réclusion criminelle à perpétuité (dans le cas où l’étranger serait soumis à une mesure d’interdiction ou d’éloignement du territoire) comme une perpétuité réelle incompressible. Le commentaire indique qu’une telle posture vise essentiellement à aligner la jurisprudence du Conseil sur celle de la CEDH, la Cour étant sensible à ce que cette condamnation soit régulièrement réexaminée par les juges. La déclaration assez audacieuse d’inconstitutionnalité de l’article 730-2-1 du Code de procédure pénale a été aménagée avec nuance quant à ses effets dans le temps. Une abrogation immédiate aurait eu pour effet de dispenser les condamnés d’accomplir des mesures probatoires avant de pouvoir bénéficier d’une libération conditionnelle. La date d’abrogation a donc été reportée, assortie de ce rappel utile : le Conseil n’entend pas se substituer au législateur et refuse d’établir une réserve transitoire quand il s’y hasarde pourtant si souvent.

Une autre abrogation avec effet différé a été prononcée par le Conseil dans le cadre de la décision n° 2019-805 QPC du 27 septembre 2019, Union de défense active des forains et a., à propos du pouvoir des maires de communes non-membres d’un EPCI et de leur faculté d’interdire le stationnement des résidences mobiles sur les terrains réservés aux gens du voyage dont ils sont propriétaires en méconnaissance du droit de propriété ; l’abrogation aurait eu pour effet de rendre ces dispositions plus largement applicables. Dans la décision n° 2019-815 QPC du 29 novembre 2019, Mme Carole L., le Conseil aurait été conduit à supprimer toute possibilité de révocation du sursis dont sont assorties les peines disciplinaires de suspension ; le juge constitutionnel a assorti cet effet différé d’une applicabilité de la déclaration d’inconstitutionnalité aux procédures en cours22.

A.-C. B.

III – Les institutions constitutionnelles

A – Démocratie et expressions de la souveraineté

« Élections européennes et représentativité. Quand le contentieux électoral rejoint le contentieux constitutionnel » (Cons. const., 25 oct. 2019, n° 2019-811 QPC, Mme Fairouz et a.). C’est à l’occasion du contentieux électoral né des élections des représentants au Parlement européen, ci-après désignées sous l’appellation d’élections européennes, qui se sont déroulées les 25 et 26 mai 2019, que la QPC qui fait l’objet de cette décision a été posée. Le contentieux étant porté directement devant le Conseil d’État en vertu de l’article 25 de la même loi, « les contestations de l’élection des représentants au Parlement européen sont portées devant le Conseil d’État », c’est directement devant lui que la QPC a été posée par divers électeurs en application de l’article 23-5 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958.

Les électeurs requérants contestaient la constitutionnalité de plusieurs articles de la loi du 7 juillet 1977 relative à l’élection des représentants au Parlement européen23 et l’article unique de la loi du 22 mai 2019 relative à l’entrée en fonction des représentants au Parlement européen, élus en France aux élections de 2019.

Cette requête a été suivie de celle d’autres électeurs et du parti animaliste qui n’ont saisi le Conseil d’État que d’une QPC dirigée contre le seul article 3 de la loi de 1977 qui n’avait pas été soumise au contrôle a priori au moment de sa promulgation. Après avoir fait le choix du scrutin de liste à la représentation proportionnelle, sans panachage ni vote préférentiel, l’article 3 dispose que « les sièges sont répartis entre les listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne. (…) ».

« Les sièges sont attribués aux candidats d’après l’ordre de présentation sur chaque liste ». Les élections européennes se déroulaient, depuis la loi n° 2003-327 du 11 avril 2003 relative à l’élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen, dans le cadre de grandes circonscriptions regroupant plusieurs régions ou collectivités, sauf le cas de l’Île-de-France formant une circonscription à elle seule avec les Français établis à l’étranger. L’alinéa 1er de l’article 3 était ainsi rédigé : « L’élection a lieu, par circonscription, au scrutin de liste à la représentation proportionnelle, sans panachage ni vote préférentiel »24.

La loi n° 2018-509 du 25 juin 2018 relative à l’élection des représentants au Parlement européen, qui est une loi ordinaire, au même titre que la loi du 7 juillet 1977, avait été soumise au Conseil constitutionnel qui, dans une décision n° 2018-766 DC du 21 juin 2018, l’avait validée mais n’avait statué que sur la question de sa normativité sans traiter de la question de la représentativité (JO, 26 juin 2018). La loi de 2018 s’est contentée de modifier l’article 3 en supprimant les mots « par circonscription » et elle a posé le principe, déjà présent en 1977, selon lequel « La République française forme une circonscription unique ».

Le Conseil d’État, dans sa décision de renvoi au Conseil constitutionnel du 31 juillet 2019, a estimé, pour juger sérieuse cette QPC, que l’institution d’un seuil de 5 % des suffrages exprimés pour qu’une liste soit admise à la répartition des sièges au Parlement européen était susceptible de porter atteinte au principe d’expression pluraliste des opinions et de participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la nation, garanti par le troisième alinéa de l’article 4 de la Constitution, et au principe d’égalité devant le suffrage découlant de son article 3.

Tel n’a pas été le cas des critiques concernant les articles 22 à 25 de la loi de 1977, soupçonnés de porter atteinte aux principes d’indépendance et d’impartialité des juridictions parce que le président de la commission chargée de proclamer les résultats et les élus est un membre du Conseil d’État (art. 22) et que c’est cette juridiction qui est amené à connaître des contestations des élections européennes (art. 25). Pour écarter le caractère sérieux de ce grief, le Conseil d’État a rappelé la règle générale de procédure, applicable même sans texte, selon laquelle un membre d’une juridiction administrative ne peut pas participer au jugement d’un recours dirigé contre une décision administrative ou juridictionnelle dont il est l’auteur ou qui a été prise par une juridiction ou un organisme collégial dont il était membre et aux délibérations desquelles il a pris part (cons. 7).

De même, a été écartée la QPC dirigée contre l’article unique de la loi n° 2019-487 du 22 mai 2019 relative à l’entrée en fonction des représentants au Parlement européen élus en France aux élections de 2019 qui n’a pas été soumise au contrôle préalable du Conseil (JO, 23 mai 2019). Cet article unique est relatif à la répartition des sièges supplémentaires auxquels la France « aura droit » au sein du Parlement européen à compter de la date du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne. C’est la commission prévue à l’article 22 précité de la loi de 1977 qui doit désigner, en application des modalités prévues à l’article 3 de la même loi, les candidats élus en 2019 auxquels seront attribués les 5 sièges supplémentaires, ce qui correspond à la différence entre le nombre de sièges attribués à la France quand le Royaume-Uni est membre de l’Union (soit 74) et celui lorsque le Royaume-Uni ne sera plus membre (soit 79). Ainsi, sont répartis, d’une part, 79 sièges selon la règle de la plus forte moyenne énoncée à l’article 3 de la loi du 7 juillet 1977 et, d’autre part, 74 sièges selon la même règle. Ces élus ne sont pas sur un siège éjectable mais sur un siège en attente. Le Conseil d’État a jugé que ces dispositions ne confèrent pas à la commission nationale de recensement général des votes un pouvoir discrétionnaire de désignation des candidats appelés à occuper ces 5 sièges mais qu’elles fixent les règles dont la mise en œuvre conduit à cette désignation, sans avoir besoin de renvoyer cette question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

Seules donc les QPC relatives à l’article 3 de la loi de 1977 ont été renvoyées au Conseil constitutionnel mais elles ont été jointes par le Conseil d’État car mettant en cause les mêmes dispositions législatives. Le Conseil constitutionnel a estimé, quant à lui, que la question prioritaire de constitutionnalité ne portait que sur les mots « ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés » figurant à la première phrase du deuxième alinéa de l’article 3 de la loi du 7 juillet 1977. Dans sa décision du 25 octobre 2019, le Conseil a néanmoins considéré que cet article 3 était conforme à la Constitution et a rejeté les deux QPC.

La violation invoquée des principes d’égalité et de pluralisme posait la question de l’application de ces règles constitutionnelles aux élections européennes.

I. L’absence d’atteinte aux principes d’égalité devant le suffrage et de pluralisme des courants d’idées et d’opinions

La décision n° 829 QPC est l’occasion de rappeler que le contentieux électoral peut être l’occasion de soulever des QPC car il est susceptible de mobiliser des droits et des libertés aussi importantes que le principe d’égalité ou la liberté d’expression. À l’occasion de la première QPC posée dans le cadre d’un contentieux électoral, le Conseil constitutionnel a admis que le principe du pluralisme était au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit au sens de l’article 61-125. Cette jurisprudence a été confirmée, s’agissant de la publication des noms et de la qualité des citoyens élus habilités à présenter un candidat à l’élection présidentielle26. Sur le fondement du principe du pluralisme, le Conseil a jugé que le scrutin majoritaire à deux tours pour l’élection des députés, qui tend à favoriser la constitution d’une majorité stable et cohérente à l’Assemblée nationale, n’affecte pas l’égalité entre électeurs ou candidats dans une mesure disproportionnée »27.

Le principe du pluralisme des courants d’idées et d’opinions en matière politique a, dans un premier temps, été dégagé de façon prétorienne par le Conseil constitutionnel dans la décision n° 89-271 DC du 11 janvier 1990, qui qualifie cette exigence de « fondement de la démocratie »28. Le principe de pluralisme laisse cependant une marge d’appréciation importante au législateur, notamment en matière de modes de scrutin, pour lesquels, « s’il est loisible au législateur, lorsqu’il fixe des règles électorales, d’arrêter des modalités tendant à favoriser la constitution d’une majorité stable et cohérente, toute règle qui, au regard de cet objectif, affecterait l’égalité entre électeurs ou candidats dans une mesure disproportionnée méconnaîtrait le principe du pluralisme des courants d’idées et d’opinions, lequel est un fondement de la démocratie »29.

Ce n’est que par la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 que le principe du pluralisme a été consacré au troisième alinéa de l’article 4 de la Constitution selon lequel « la loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation ».

Le principe d’égalité devant le suffrage, quant à lui, est rattaché au troisième alinéa de l’article 3 de la Constitution, selon lequel « le suffrage (…) est toujours universel, égal et secret », et à l’article 6 de la déclaration de 1789, relatif à l’égalité devant la loi30. Ce principe d’égalité ne s’applique que pour les élections qui se rapportent à l’exercice de droits politiques ou à la désignation de juges31.

Le principe d’égalité s’applique aux électeurs s’agissant du découpage des circonscriptions électorales, afin de permettre le caractère équilibré de la représentation politique32 mais aussi aux candidats pour lesquels la loi doit veiller à assurer leur égalité de traitement pendant la campagne électorale33. Les deux principes de pluralisme et d’égalité sont souvent invoqués et examinés ensemble, notamment à propos du principe d’égalité devant le suffrage. Dans la décision n° 2003-468 DC du 3 avril 2003, le Conseil a considéré, s’agissant de l’élection des conseillers régionaux, que le législateur peut « introduire des mesures tendant à inciter au regroupement des listes en présence, en vue notamment de favoriser la constitution d’une majorité stable et cohérente » et que « le seuil de 5 % des suffrages exprimés au premier tour pour avoir la possibilité de fusionner avec une autre liste au second tour, seuil déjà retenu par d’autres dispositions du Code électoral lorsqu’il s’agit d’assurer la conciliation entre représentation proportionnelle et constitution d’une majorité stable et cohérente, ne porte atteinte par lui-même ni au pluralisme des courants d’idées et d’opinions, ni à l’égalité devant le suffrage, ni à la liberté des partis politiques »34. Dans le même sens et à propos des règles régissant la communication audiovisuelle durant la campagne des élections législatives, le Conseil a fait référence à la fois à l’article 3 de la Constitution et l’article 6 de la déclaration de 1789, relatifs à l’égalité devant le suffrage, et l’article 4 de la Constitution, relatif au principe de pluralisme des courants d’idées et opinions35.

Dans la décision n° 811 QPC, le Conseil a rappelé de manière habituelle qu’il ne disposait pas d’un pouvoir d’appréciation de même nature que celui du Parlement et qu’il se contentait de vérifier l’adéquation entre les buts poursuivis et les modalités retenues (§ 11), pour juger qu’« en fixant à 5 % des suffrages exprimés le seuil d’accès à la répartition des sièges au Parlement européen, le législateur a retenu des modalités qui n’affectent pas l’égalité devant le suffrage dans une mesure disproportionnée et qui ne portent pas une atteinte excessive au pluralisme des courants d’idées et d’opinions » (§ 12) ce qui ne surprend pas ; compte tenu de sa jurisprudence antérieure rappelée ci-dessus. Il restait à déterminer si ces principes ont vocation à s’appliquer aussi aux élections au Parlement européen.

II. L’application des principes constitutionnels à l’élection au Parlement européen

Parmi les requérants, certains demandaient au Conseil constitutionnel de transmettre à la Cour de justice de l’Union européenne des questions préjudicielles en appréciation de validité de plusieurs décisions du Conseil de l’Union européenne applicables aux élections européennes de 2019. Si le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de transmettre, d’office, une question préjudicielle lorsque la solution de la QPC posée en dépendait36, il a jugé, dans la décision n° 811 QPC, que la validité des décisions du Conseil de l’Union européenne était sans effet sur l’appréciation de la conformité des dispositions contestées aux droits et libertés et a rejeté leurs conclusions (§ 4).

Au-delà de cette question, les requérants contestaient le seuil de 5 % des suffrages exprimés conditionnant l’accès à la répartition des sièges lors de l’élection, en France, des représentants au Parlement européen car, du fait de la nature particulière des élections européennes, ce seuil n’aurait aucune justification. L’objectif de dégager une majorité stable et cohérente ne serait pas pertinent, dès lors que le nombre de députés européens élus en France ne permettrait pas, à lui seul, la formation d’une majorité au sein du Parlement européen. En outre, ces mêmes députés étant des représentants des citoyens de l’Union européenne résidant en France, et non des représentants de la nation française, l’objectif de lutte contre l’éparpillement de la représentation nationale serait dépourvu de pertinence.

Pour répondre à ce grief, le Conseil a fait référence à l’article 88-1 de la Constitution qui pose le principe de la participation de la France à l’Union européenne : « La République participe à l’Union européenne constituée d’États qui ont choisi librement d’exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l’Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, tels qu’ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 ». Il est vrai cependant que le Parlement européen occupe dans la jurisprudence constitutionnelle une place particulière par rapport aux institutions nationales et les élections européennes n’ont été que rarement confrontées aux principes constitutionnels rappelés ci-dessus.

Bien au contraire, le Conseil constitutionnel a eu tendance à traiter à part le Parlement européen comme dans la première décision relative à ce sujet : « Considérant que la souveraineté qui est définie à l’article 3 de la Constitution de la République française, tant dans son fondement que dans son exercice, ne peut être que nationale et que seuls peuvent être regardés comme participant à l’exercice de cette souveraineté les représentants du peuple français élus dans le cadre des institutions de la République »37. Cette position a été réaffirmée dans le cadre de l’Union européenne après la signature du traité de Maastricht : pour le Conseil, le Parlement « ne constitue pas une assemblée souveraine dotée d’une compétence générale et qui aurait vocation à concourir à l’exercice de la souveraineté nationale ; (…) le Parlement européen appartient à un ordre juridique propre qui, bien que se trouvant intégré au système juridique des différents États membres des Communautés, n’appartient pas à l’ordre institutionnel de la République française ». Ce constat permettait ne pas avoir besoin de réviser la Constitution pour ratifier en 1992 les stipulations relatives aux élections européennes donnant à tout citoyen de l’Union résidant dans un État membre dont il n’est pas ressortissant le droit de vote et d’éligibilité aux élections européennes dans cet État38. Dans sa décision relative au traité de Lisbonne enfin, le Conseil a relevé qu’en fixant à l’article 88-1 de la Constitution les conditions dans lesquelles la République française participe à l’Union européenne, le constituant avait « consacré l’existence d’un ordre juridique communautaire intégré à l’ordre juridique interne et distinct de l’ordre juridique international » et a rappelé que le Parlement européen « n’est pas l’émanation de la souveraineté nationale »39. Depuis l’ouverture des élections européennes à des citoyens qui ne sont pas des nationaux français, les députés européens élus en France ne sont plus nécessairement des nationaux français et il n’est plus possible de soutenir qu’ils représentent le peuple français au Parlement européen.

En revanche et par comparaison, l’élargissement aux citoyens européens du droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales prévu dans le traité de 1992 a nécessité une révision constitutionnelle introduisant l’article 88-3 de la Constitution40.

Malgré la spécificité des élections européennes, si le Conseil a bien rappelé, dans la décision n° 811 QPC, l’existence et les fondements constitutionnels des deux principes du pluralisme et d’égalité devant le suffrage, il a précisé que « le principe d’égalité devant le suffrage, qui s’applique aux élections à des mandats et fonctions politiques, est applicable à l’élection des représentants au Parlement européen » (§ 6) et que le pluralisme est un fondement de la démocratie (§ 7). Ainsi, même si le Parlement européen ne participe pas à l’expression de la souveraineté au sens de l’article 3 de la Constitution, il doit être régi par des principes démocratiques et constitutionnels. Le seuil de 5 % pour participer à la répartition des sièges au Parlement européen permet alors de favoriser la représentation au Parlement européen des principaux courants d’idées et d’opinions exprimés en France et ainsi de renforcer leur influence en son sein. Il présente aussi l’intérêt, particulièrement important au regard de la recherche toujours cruciale en France du poids des élus « français » au sein du Parlement européen, de contribuer à l’émergence et à la consolidation de groupes politiques européens de dimension significative et d’éviter une fragmentation de la représentation qui nuirait au bon fonctionnement du Parlement européen, alors même que la réalisation d’un tel objectif ne peut dépendre de l’action d’un seul État membre (§ 10). L’attitude de certains groupes politiques et de certains élus « en » France après les élections européennes de mai 2019 a montré que ces objectifs louables n’étaient pas toujours atteints.

M. V.

Le Conseil constitutionnel juge électoral peut effectuer un contrôle de conventionalité de la législation applicable à l’élection contestée devant lui, même si dans le cadre de la décision commentée, le Conseil s’est refusé à le faire (au regard de la convention EDH), tout en acceptant la recevabilité. C’est l’un des apports – par confirmation – de la décision n° 2019-173 PDR du 11 juillet 2019, Recours du parti « Les Républicains » contre la décision de la CNCCFP du 21 décembre 2017 relative au compte de campagne de M. Emmanuel Macron, qui nous apprend également qu’il n’est pas possible de contester le financement de la campagne présidentielle en tant que tiers. En effet, le Conseil rappelle que la loi relative au financement de la campagne présidentielle réserve au seul candidat la possibilité de contester devant le Conseil « en plein contentieux », la décision préalable de la CNCCFP. Équilibre contentieux bien paradoxal qu’avait déjà acté la cour administrative d’appel de Paris41 rappelant le carcan du texte de l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962 qui ne confie le jugement des comptes qu’au soin du législateur organique qui en a confié la garantie à la CNCCFP. Il fallut attendre 2007 pour que soit contestable devant le Conseil constitutionnel la décision par le seul candidat. Le juge administratif s’était déclaré incompétent pour établir tout contrôle de constitutionnalité de cet article du Code électoral dont le fondement est indirectement organique voire constitutionnel. Le juge électoral a, lui, rejeté d’en opérer un contrôle de conventionalité. On peut se demander si la voie n’est pas ouverte à une QPC sur la question même si un nouveau problème pourrait surgir : le fondement constitutionnel de la loi du 6 novembre 1962 (Constitution, art. 6) qui pourrait bloquer le contrôle du Conseil. Appel est donc lancé au législateur organique…

A.-C. B.

B – Les pouvoirs politiques

1 – Le pouvoir exécutif

Deux décisions du 25 juillet 2019 sont relatives au contrôle des nominations effectuées par le président de la République en application de l’alinéa 5 de l’article 13 de la Constitution ajouté par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Ce texte précise qu’« une loi organique détermine les emplois ou fonctions, autres que ceux mentionnés au troisième alinéa, pour lesquels, en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation, le pouvoir de nomination du président de la République s’exerce après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée ». L’ajout d’une nouvelle fonction ou d’un nouvel emploi soumis à cette obligation de contrôle oblige le législateur organique à intervenir pour compléter la liste de ces emplois et fonctions qui figurent dans un tableau annexé à la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution. Il oblige aussi le Conseil constitutionnel à intervenir pour contrôler le respect des exigences constitutionnelles à chaque intervention du législateur organique. La loi organique n° 2019-790 du 26 juillet 2019 intéresse la nomination du directeur général de l’Agence nationale de la cohésion des territoires 42, tandis que la loi organique n° 2019-789 du 26 juillet 2019 a modifié la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution pour remplacer « l’Agence française pour la biodiversité » par l’« Office français de la biodiversité » et les mots : « la présidence du conseil d’administration » par les mots : « direction générale »43. Dans les deux cas et pour ces deux fonctions, le Conseil se contente de constater que l’un et l’autre de ces ajouts sont conformes à la Constitution « eu égard à son importance pour la vie économique et sociale de la Nation », pour le directeur général de l’Agence nationale de la cohésion des territoires, et pour le directeur général de l’Office français de la biodiversité créé par la loi portant création de l’Office français de la biodiversité. La référence à la garantie des droits et libertés n’était pas vraiment adaptée pour ces deux emplois, à la différence de l’objet de la décision n° 2020-797 DC du 26 mars 2020, loi organique modifiant la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution et relative à la nomination à différentes fonctions dont celle de président de la commission d’accès aux documents administratifs « eu égard à leur importance pour la garantie des droits et libertés ou pour la vie économique et sociale de la Nation » (§ 6).

M. V.

2 – Le Parlement

a – Les règlements des assemblées et le droit parlementaire

Dans deux décisions nos 2019-785 DC du 4 juillet 2019 et 2019-786 DC du 11 juillet 2019, le Conseil s’est prononcé sur deux résolutions des assemblées parlementaires : une résolution modifiant le règlement intérieur de l’Assemblée nationale et une résolution clarifiant et actualisant le règlement du Sénat. Il a d’abord rappelé les principes généraux guidant le contrôle a priori des règlements des assemblées : il contrôle la conformité des règlements parlementaires à l’égard tant des normes de valeur constitutionnelle, notamment les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire, que des lois organiques et des mesures législatives prises pour l’application de la Constitution (§ 2-3). Les modifications introduites par les présentes résolutions sont variées. Elles concernent la fixation de l’ordre du jour, l’encadrement du temps de parole, les conditions des rappels au règlement, l’appréciation de la recevabilité des propositions de loi et des amendements, l’avis que donnent les commissions parlementaires sur certaines nominations, la déontologie parlementaire, la procédure de législation en commission, la composition de la commission mixte paritaire et l’exercice du droit de pétition.

S’agissant des dispositions relatives à la fixation de l’ordre du jour, le Conseil a validé les modifications apportées au règlement de l’Assemblée. L’article 48, 1° du règlement de l’Assemblée est modifié pour prévoir qu’à l’ouverture de la session puis, au plus tard le 1er mars suivant, ou après la formation du gouvernement, le gouvernement informe la conférence des présidents des affaires dont il prévoit de demander l’inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée et de la période envisagée pour leur discussion. Le Conseil a déclaré conformes à la Constitution ces dispositions en soulignant que les informations susceptibles d’être ainsi données par le gouvernement, n’ayant qu’un caractère indicatif, ne sauraient lier ce dernier dans la fixation de l’ordre du jour (§ 6).

Plusieurs dispositions sont venues apporter des limitations et encadrements du temps de parole. La résolution de l’Assemblée prévoit que, pour la discussion générale, la conférence des présidents attribue à chaque groupe, en fonction des textes, un temps de parole soit de 5 minutes soit de 10 minutes et, dans ce second cas, les groupes peuvent désigner deux orateurs. Elle réduit de 5 à 2 minutes le temps de parole consacré aux explications de vote personnelles qui peuvent être présentées par les députés à l’issue du vote du dernier article d’un texte discuté selon la procédure de temps législatif programmé. Enfin, elle limite à 2 minutes et un orateur par groupe et un député n’appartenant à aucun groupe les interventions sur les articles en discussion. La résolution du Sénat, pour sa part, limite à 2 minutes et demie, sauf exception, la durée des interventions d’un sénateur en séance publique. Tous ces encadrements et limitations ont été validés par le Conseil sous réserve que leur mise en œuvre ne conduise pas à ce que soient privées d’effet les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire44. Cela s’inscrit dans sa jurisprudence constante en la matière45. Le Conseil a émis la même réserve s’agissant des dispositions du règlement de l’Assemblée prévoyant que, lorsque plusieurs membres d’un même groupe présentent des amendements identiques, la parole est donnée à un seul orateur de ce groupe désigné par son président ou son délégué46. Après avoir relevé que cette limitation ne s’applique qu’aux amendements identiques dans leur objet, déposés par des auteurs appartenant au même groupe politique (§ 31), il a également enjoint au président de séance de ne recourir à cette limitation que pour prévenir les usages abusifs, par les députés d’un même groupe, des prises de parole sur les amendements identiques dont ils sont les auteurs (§ 33). Enfin, le règlement de l’Assemblée a été modifié pour réduire le temps dont disposent les signataires d’une motion de rejet préalable dont l’objet est de faire reconnaître que le texte proposé est contraire à une ou plusieurs dispositions constitutionnelles ou de faire décider qu’il n’y a pas lieu à délibérer, cette durée pouvant même être fixée à 5 minutes dans le cas où l’Assemblée nationale statue définitivement sur un texte (§ 20-21). Le Conseil a relevé que ces dispositions préservent la possibilité effective de contester la conformité à la Constitution des dispositions d’un texte car elles ne portent que sur la durée des interventions. Il a toutefois à nouveau émis une réserve pour souligner que la limitation à 5 minutes lors de la lecture définitive ne saurait être mise en œuvre de telle manière qu’elle prive d’effet les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire (§ 22-23).

La résolution de l’Assemblée a modifié les règles relatives aux rappels au règlement. Elle a introduit trois nouvelles dispositions : tout rappel au règlement doit être fondé sur un article de celui-ci ; le président de séance peut retirer la parole à un intervenant si un précédent rappel au règlement avait le même objet ; il peut aussi refuser les prises de parole lorsque plusieurs rappels au règlement émanent de députés d’un même groupe et ont manifestement pour objet de remettre en question l’ordre du jour (§ 12). Il a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution sous réserve que leur mise en œuvre ne prive pas les députés de toute possibilité d’invoquer les dispositions du règlement afin de demander l’application de dispositions constitutionnelles (§ 13). Il reprend ici une jurisprudence établie47.

En ce qui concerne l’appréciation de la recevabilité des propositions de loi et des amendements, en premier lieu, l’Assemblée et le Sénat ont adopté des modifications s’agissant de l’irrecevabilité de l’article 41 de la Constitution. D’après cet article, l’irrecevabilité tirée de ce qu’une proposition ou un amendement n’est pas du domaine de la loi ou est contraire à une délégation accordée en vertu de l’article 38 peut être opposée à tout moment par le président de l’Assemblée nationale. L’Assemblée a modifié son règlement pour prévoir que le président de la commission saisie au fond adresse au président de l’Assemblée nationale une liste des propositions ou des amendements relevant de ces cas d’irrecevabilité48. Le Sénat a également modifié son règlement pour adopter des dispositions similaires49. Le Conseil a d’abord rappelé qu’au sein de chacune des assemblées, la faculté d’opposer l’irrecevabilité fondée sur cet article constitue une prérogative personnelle de leur président50. La liste ainsi fournie n’a en conséquence qu’une valeur indicative ; elle ne lie pas le président qui reste libre d’apprécier la nécessité d’opposer l’irrecevabilité et n’est pas limité dans l’exercice de cette prérogative qu’il peut mettre en œuvre de sa propre initiative51. En second lieu, le Sénat a modifié les conditions dans lesquelles sont, par exception, recevables, après la première lecture, des amendements sans relation directe avec une disposition restant en discussion52. Il s’agit donc de l’application des exceptions à la règle de l’entonnoir. En principe, les adjonctions ou modifications qui peuvent être apportées après la première lecture par les membres du Parlement et par le gouvernement doivent être en relation directe avec une disposition restant en discussion. Toutefois, cette règle ne s’applique pas aux amendements destinés à assurer le respect de la Constitution, à opérer une coordination avec des textes en cours d’examen ou à corriger une erreur matérielle53. La résolution sénatoriale précisait quatre nouvelles exceptions à la règle de l’entonnoir : tirer les conséquences nécessaires d’une décision du Conseil constitutionnel prononçant l’abrogation avec effet différé d’une disposition législative, effectuer une coordination avec un texte promulgué depuis le début de l’examen du texte en discussion, corriger une erreur matérielle dans un autre texte en cours d’examen et corriger une erreur matérielle dans un texte promulgué depuis le début de l’examen du texte en discussion. Seule la deuxième de ces exceptions a été déclarée conforme à la Constitution. Le Conseil a estimé que le Sénat ne pouvait ajouter d’exceptions à celles qui étaient prévues dans la Constitution. D’une part, il a considéré que l’exception relative à la nécessité d’assurer le respect de la Constitution se limite aux amendements destinés à rendre conforme à la Constitution le texte en discussion ; le Sénat ne pouvait donc ajouter une exception pour les amendements ayant pour objet de tirer les conséquences nécessaires d’une décision du Conseil. D’autre part, il a estimé que l’exception relative à la correction d’erreurs matérielles ne concerne que la correction des erreurs que comporte le texte examiné ; ainsi le Sénat ne pouvait pas autoriser les amendements pour corriger une erreur matérielle dans un texte autre que celui examiné ou dans un texte promulgué depuis le début de l’examen du texte en discussion (§ 21-24). Le Conseil a en revanche validé l’exception à la règle de l’entonnoir pour les amendements visant à effectuer une coordination avec un texte promulgué depuis le début de l’examen du texte en discussion (§ 25).

Concernant l’avis que donnent les commissions parlementaires sur certaines nominations, la modification du règlement du Sénat prévoit qu’avant de donner son avis la commission auditionne la personnalité envisagée (§ 4). Le Conseil a déclaré cette modification conforme à la Constitution après avoir rappelé que lorsque l’avis de la commission est émis en application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, l’audition est publique, sous réserve de la préservation du secret professionnel ou du secret de la défense nationale (§ 5-6).

La modification du règlement de l’Assemblée introduit de nouvelles dispositions en matière de déontologie qui mettent en œuvre les dispositions de la loi pour la confiance dans la vie politique du 15 septembre 2017. La résolution prévoit qu’un registre des déports des députés en cas de conflit d’intérêts est tenu par le bureau et que, lorsqu’un député estime que l’exercice d’une fonction au sein de l’Assemblée nationale est susceptible de le placer en situation de conflit d’intérêts, il s’abstient de la solliciter ou de l’accepter. Le Conseil relève que ces dispositions sont conformes à la Constitution car elles n’ont ni pour objet ni pour effet de contraindre un député à ne pas participer aux travaux de l’Assemblée nationale (§ 15). Il reprend donc le raisonnement qu’il avait suivi à l’occasion de sa décision sur la loi pour la confiance dans la vie politique54. La résolution prévoit également que le déontologue dispose d’un pouvoir d’injonction lorsqu’il constate qu’un député emploie comme collaborateur un membre de sa famille d’une manière susceptible de constituer un manquement aux règles de déontologie. Elle prévoyait enfin qu’il peut rendre cette injonction publique (§ 16). Le Conseil a rappelé que le paragraphe IV de l’article 8 quater de l’ordonnance du 17 novembre 1958, créé par la loi pour la confiance dans la vie politique, prévoit que, lorsqu’il fait usage de son pouvoir d’injonction, le déontologue doit rendre celle-ci publique (§ 17). Il a donc censuré les dispositions du règlement qui en faisaient une simple faculté (§ 18).

La résolution de l’Assemblée introduit une procédure de législation en commission en application de l’article 16 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009. Le Conseil relève que, dans le cadre de cette procédure, par dérogation au douzième alinéa de l’article 86, les députés peuvent déposer une motion de rejet préalable en commission, ce qui préserve la possibilité effective de contester la conformité à la Constitution des dispositions d’un texte soumis à la procédure de législation en commission. Il a en conséquence déclaré l’ensemble de cette nouvelle procédure conforme à la Constitution (§ 36-40).

La résolution de l’Assemblée nationale modifie également les dispositions relatives à la commission mixte paritaire. Elle prévoit notamment que, sous réserve que le groupe disposant du plus grand nombre de sièges de titulaires conserve au moins un siège de suppléant, chaque groupe dispose d’au moins un siège de titulaire ou de suppléant au sein de la commission mixte paritaire (§ 42). Le Conseil a émis une réserve d’interprétation au sujet de ces dispositions. Il a énoncé un nouveau principe tiré de « l’économie de l’article 45 de la Constitution » d’après lequel « la réunion d’une commission mixte paritaire a pour objet de permettre l’élaboration d’un texte susceptible d’être adopté en termes identiques par les deux assemblées » (§ 43). En conséquence, les nouvelles dispositions ne doivent pas avoir pour effet de priver le groupe majoritaire du droit de revendiquer un nombre de titulaires dans la commission mixte paritaire représentatif de l’effectif de ce groupe au sein de l’Assemblée nationale (§ 44). Le Conseil estime que, si tel était le cas, la commission mixte paritaire risquerait de ne plus remplir sa fonction, car sa composition ne permettrait plus d’élaborer un texte susceptible d’être adopté par l’Assemblée.

Enfin, la résolution de l’Assemblée modifie les dispositions du règlement relatives à l’exercice du droit de pétition. Elle prévoit notamment qu’une commission permanente examinant une pétition peut imposer à un ministre d’être auditionné. Le Conseil estime que ces dispositions méconnaissent le principe de séparation des pouvoirs tel qu’il résulte de l’article 16 de la déclaration et de l’article 5 bis de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires (§ 47). En conséquence, l’audition parlementaire obligatoire d’un ministre ne peut être instaurée que par voie constitutionnelle et non législative. Il souligne également que les commissions examinant une pétition ont simplement un rôle d’information et que le rapport relatif à une pétition ne peut être inscrit à l’ordre du jour que dans le respect des règles relatives à la fixation de cet ordre du jour (§ 48-49). L’examen des pétitions doit donc s’opérer dans les conditions et les limites des fonctions que la Constitution confère à l’Assemblée pour contrôler l’action du gouvernement et évaluer les politiques publiques.

Dans la décision n° 2019-2, AUTR, du 24 octobre 2019, demande de M. Jean Lassalle et autres, le Conseil constitutionnel réaffirme qu’il ne dispose que d’une compétence d’attribution, et non d’une compétence générale55. En conséquence, il s’est déclaré incompétent pour contrôler la conformité à la Constitution de la décision de la conférence des présidents de l’Assemblée nationale relative à la répartition du temps de parole pour l’examen d’un projet de loi, car aucune disposition de la Constitution ni des lois organiques prises en application de celle-ci ne donne compétence au Conseil constitutionnel pour se prononcer sur cette demande (§ 2). Le Conseil ne peut donc pas être saisi pour statuer, au cours de la procédure parlementaire, sur le respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire par la conférence des présidents. Il pourra seulement se prononcer sur le respect de ces exigences à l’occasion de l’examen de la constitutionnalité de la loi sur le fondement de l’article 61 de la Constitution. Néanmoins, les députés non-inscrits n’ont que peu de chances de faire valoir leur revendication. D’une part, ces exigences sont relativement floues et n’ont pas à ce jour entraîné de censure de la part du Conseil. D’autre part, ils ne sont pas assez nombreux pour saisir à eux seuls le Conseil constitutionnel sur le fondement de l’article 61.

M. B.

b – Le domaine de la loi

Dans la décision n° 2019-789 QPC du 14 juin 2019, Mme Hanen S., qui n’a pas été mentionnée dans la chronique précédente56, le Conseil a été saisi de plusieurs articles du Code de la sécurité sociale relatifs au droit de communication des organismes de sécurité sociale. Le Conseil y a jugé que, en vertu de l’article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques. Il lui incombe d’assurer la conciliation entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude en matière de protection sociale et, d’autre part, l’exercice des droits et des libertés constitutionnellement garantis. Au nombre de ces derniers figure le droit au respect de la vie privée protégé par les articles 2 et 4 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 (§ 7).

M. V.

c – Les validations législatives (…)
d – La procédure législative

Commentaire : « Ponce Pilate au Conseil constitutionnel. Le contrôle de l’étude d’impact du projet de loi d’orientation des mobilités » (décision n° 2019-794 DC du 20 décembre 2019, loi d’orientation des mobilités). L’information n’a pas été évoquée dans le communiqué de presse, ni explicitée dans le commentaire officiel de la décision. Le 20 décembre 2019, le Conseil constitutionnel a considéré que l’éventuelle insuffisance de l’étude d’impact et son externalisation à un prestataire privé ne remettaient pas en cause la constitutionnalité de la loi d’orientation des mobilités. La décision confirme que le Conseil n’entend pas se préoccuper des conditions dans lesquelles le gouvernement élabore ses projets de textes, et ce, quitte à décevoir certaines attentes exprimées lors de l’adoption de l’obligation d’étude d’impact des projets de lois, au lendemain de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.

Selon l’exposé des motifs du projet de loi, dont la rédaction avait également été confiée à un prestataire privé, le gouvernement entendait réformer les politiques de mobilité sur le territoire français en favorisant de nouvelles formes de déplacement et en luttant contre les « zones blanches ». Les avancées proposées par ce texte devaient, en outre, se faire dans le respect de l’objectif de transition écologique. Par le biais de leur saisine, les députés et sénateurs ont entendu prolonger certaines discussions qui avaient animé l’examen du texte, tant du point de vue de son contenu que de ses conditions d’élaboration. S’agissant du fond, d’une part, ils contestaient notamment les dispositions prévoyant l’adoption de chartes liant les opérateurs de plate-forme aux prestataires de services de conduite. Ils déploraient, en particulier, leur absence de portée normative et l’impossibilité de requalifier cette relation en contrat de travail. D’autre part, les députés estimaient que les dispositions programmatiques de la loi, peu exigeantes en matière de lutte contre la pollution de l’air, privaient de garanties légales le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé protégé par l’article 1er de la charte de l’environnement. S’agissant de la procédure législative, les députés et sénateurs dénonçaient l’insuffisance de l’étude d’impact du projet de loi et l’externalisation de sa rédaction à un prestataire privé. Selon eux, cette externalisation méconnaissait l’article 39 de la Constitution et l’article 6 de la déclaration de 1789.

Reprenant à son compte une partie de l’argumentaire des requérants, le Conseil a censuré pour incompétence négative certaines dispositions de la loi relatives aux chartes encadrant les rapports entre les opérateurs de plate-forme et les personnes. S’il n’a pas censuré les dispositions programmatiques relatives à la lutte contre la pollution de l’air, de façon novatrice il a accepté d’examiner leur constitutionnalité au regard de l’article 1er de la charte de l’environnement. En outre, après avoir relevé ce moyen d’office, de façon également inédite le Conseil a censuré partiellement des dispositions qui habilitaient le gouvernement à généraliser par ordonnance des mécanismes qui n’avaient pas fait l’objet, au préalable, d’une évaluation ou d’une présentation des conditions dans lesquelles cette généralisation pourrait avoir lieu. Enfin, le Conseil a également censuré d’office plusieurs cavaliers législatifs en explicitant plus que d’ordinaire le raisonnement qu’il avait suivi.

Sans nier l’intérêt de l’argumentaire déployé par le Conseil constitutionnel lors du traitement de ces questions, il convient d’analyser plus en détails les éléments de la décision consacrés à l’étude d’impact du projet de loi. Ils confirment, en effet, la réticence avec laquelle le Conseil constitutionnel entend faire respecter les exigences qui pèsent sur le gouvernement en amont de l’examen du projet de loi par le Parlement. Que son interprétation tienne largement en échec l’objectif de rationalisation de la part gouvernementale du parlementarisme destiné à rénover la lecture traditionnelle du parlementarisme rationalisé en France, le Conseil constitutionnel semble s’en laver les mains. Dans la présente décision, le Conseil constitutionnel refuse d’examiner le contenu de l’étude d’impact en relevant la méconnaissance, en amont, de la règle du « parlementaire préalable » qu’il a dégagée de façon prétorienne (I). En outre, à l’issue d’une motivation pour le moins succincte, il a considéré qu’aucune disposition constitutionnelle ou organique n’interdisait de confier la rédaction de ce document à un prestataire privé (II).

I. L’absence d’examen du contenu de l’étude d’impact

Les rapports dénonçant la médiocrité des études d’impact accompagnant les projets de loi se sont multipliés depuis l’entrée en vigueur, le 15 avril 2009, de la loi organique prise pour application de l’article 39 de la Constitution. Peut-être parce que ses membres n’ont pas saisi d’emblée les enjeux qui s’attachaient à la production de ces études, le Conseil constitutionnel s’est gardé d’utiliser les ressources que lui offrait la réforme pour contrôler davantage la phase gouvernementale du processus législatif. Au contraire, il a allégé les contraintes pesant sur le gouvernement lors de la rédaction de ce document57 et a renforcé celles pesant sur les parlementaires qui souhaitaient en contester la pertinence58. Par ailleurs, dans le cadre des deux voies de recours où la qualité de ce document peut être contestée, le Conseil n’a jamais identifié d’études d’impact insuffisantes, alors que l’incomplétude de certaines d’entre elles ne faisait aucun doute59.

Dans la présente décision, le Conseil constitutionnel a écarté le moyen tiré de l’insuffisance de l’étude d’impact au motif implicite de son irrecevabilité. Il a considéré, en effet, que « la conférence des présidents du Sénat n’a[vait] été saisie d’aucune demande tendant à constater que les règles relatives aux études d’impact étaient méconnues » (§ 5). Ce faisant, le Conseil s’inscrit dans le prolongement d’une jurisprudence récente, selon laquelle il n’accepte d’examiner les moyens tirés de l’insuffisance de l’étude d’impact qu’à la condition qu’ils aient donné lieu, au préalable, à une demande de saisine de la conférence des présidents de la première assemblée saisie du projet de loi60. Il s’agit de la fameuse règle du « préalable parlementaire », qui durcit davantage encore les conditions dans lesquelles le non-respect de l’obligation d’étude d’impact peut être invoqué dans le cadre de l’article 61 de la Constitution.

La position retenue par le Conseil constitutionnel, confirmée par la décision commentée, s’explique sans doute par la volonté de privilégier la purge des inconstitutionnalités tirées de l’insuffisance de l’étude d’impact en amont de la procédure parlementaire. En effet, au stade de l’examen du texte dans le cadre de l’article 61 de la Constitution, une censure fondée sur la méconnaissance d’une exigence pesant sur la phase pré-parlementaire du processus législatif peut sembler bien tardive. Pour autant, outre le fait que cet argument n’a pas empêché le Conseil constitutionnel de recourir occasionnellement à ce type de censure61, avec une telle jurisprudence les parlementaires de la seconde assemblée saisie d’un projet de loi se voient systématiquement privés de la faculté d’invoquer l’insuffisance de l’étude d’impact dans le cadre du contrôle de constitutionnalité a priori.

En l’occurrence, le constat de la méconnaissance de cette condition de recevabilité a permis au Conseil de s’épargner l’analyse du contenu de l’étude d’impact, dont le Conseil d’État avait pourtant relevé les insuffisances. En revanche, le Conseil constitutionnel a accepté de se prononcer sur la conformité à la Constitution d’une nouvelle pratique expérimentée par le gouvernement, sur laquelle le Conseil d’État ne s’était curieusement pas prononcé lors de sa consultation : l’externalisation de la rédaction de l’étude d’impact à un prestataire privé.

II. L’externalisation possible de la rédaction de l’étude d’impact

Le Conseil constitutionnel a été confronté à une situation nouvelle lors du contrôle de la loi d’orientation des mobilités. Le 11 janvier 2018, alors que le projet de loi était en cours d’élaboration au sein du gouvernement, le ministère de la Transition écologique a lancé un appel d’offres pour la passation d’un marché public ayant pour objet la rédaction de l’étude d’impact du texte (ainsi que son exposé des motifs). Cet appel a été remporté par le cabinet d’avocat Dentons. Les députés auteurs de la saisine, qui ont semblé partager l’émoi suscité par cette contractualisation inédite d’une partie de l’exercice de la fonction législative, ont estimé dans leur saisine que l’externalisation de l’étude d’impact et de l’exposé des motifs du projet de loi constituait « une délégation du pouvoir d’initiative des lois contraire à l’article 39 de la Constitution et à l’article 6 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 » (§ 2). Le Conseil constitutionnel a choisi de répondre brièvement à ce moyen en relevant que « [l]a circonstance qu’un prestataire privé a participé, sous la direction et le contrôle du Premier ministre, à la rédaction de son exposé des motifs et de son étude d’impact ne méconnaît pas l’article 39 de la Constitution ni aucune autre règle constitutionnelle ou organique » (§ 6).

La position retenue par le Conseil constitutionnel peut surprendre. D’abord pour des raisons de logique puisqu’elle semble contredire le refus qu’il avait exprimé, dans le paragraphe précédent (§ 5.), d’examiner un moyen tiré de la violation des exigences relatives à l’étude d’impact quand la conférence des présidents de la première n’a pas été saisie d’une demande en ce sens. Ensuite, sur le fond, la brièveté de l’argumentaire déployé par le Conseil déçoit, tant les questionnements suscités par l’externalisation d’une partie de la fonction législative étaient nombreux. Ainsi, par exemple, si aucune disposition constitutionnelle ou organique n’interdit expressément aux pouvoirs publics et à leur administration de déléguer certaines de leurs activités, le Conseil constitutionnel avait lui-même fixé certaines limites dans des décisions antérieures. Relèvent ainsi « des missions de souveraineté dont l’exercice n’appartient qu’à l’État » la surveillance des établissements pénitentiaires62 et des personnes retenues en centres de rétention63. D’un point de vue pratique, il est permis de douter de la pertinence du choix exprimé par le Conseil de rendre possible la dissociation de deux processus difficilement séparables : la réflexion technique sur les incidences d’un projet de loi et la réflexion politique sur le contenu de celui-ci. À n’en pas douter, les propos tenus par d’anciens membres du Conseil constitutionnel, admettant qu’ils ne comprenaient pas l’utilité de l’étude d’impact et qu’ils n’entendaient pas s’y intéresser à l’avenir, trouvent encore un écho dans les salles et les couloirs de la rue de Montpensier…

En définitive, le message délivré par le Conseil constitutionnel est clair. Il ne se considère pas véritablement comme le juge de l’étude d’impact et n’est pas disposé à contrôler, à travers ce document, le travail gouvernemental. La conception originelle du parlementarisme rationalisé à la française, dans laquelle le Conseil a principalement pour mission de protéger l’autonomie du gouvernement, a encore de beaux jours devant elle.

B.-L. C.

C – Le pouvoir juridictionnel

Dans le cas de la décision n° 2019-802 QPC du 20 septembre 2019, M. Abdelnour B.64, le Conseil constitutionnel avait été saisi du troisième alinéa de l’article 706-71 du Code de procédure pénale, qui fixe les conditions de recours à des moyens de télécommunication audiovisuelle applicables dans de nombreuses phases de la procédure pénale, notamment lors de l’audition ou de l’interrogatoire par un juge d’instruction d’une personne détenue, d’un débat contradictoire préalable au placement en détention provisoire d’une personne détenue pour une autre cause, et du débat contradictoire prévu pour la prolongation de la détention provisoire.

Parmi de nombreux griefs figurait celui de l’atteinte à l’indépendance de l’autorité judiciaire. Comme le Conseil a jugé que les dispositions contestées portaient une atteinte excessive aux droits de la défense, il les a déclarées contraires à la Constitution « sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres griefs » (§ 14). Il n’y avait néanmoins que très peu de chances que cette inconstitutionnalité éventuelle soit retenue.

La décision n° 2019-807 QPC du 4 octobre 2019, M. Lamin J. pose la question de la répartition des compétences juridictionnelles en matière de protection de la liberté individuelle65. Selon la requête, appuyée par une intervention de la CIMADE, les dispositions contestées, telles qu’elles sont interprétées par la Cour de cassation, priveraient le juge judiciaire de son rôle de gardien de la liberté individuelle en donnant compétence exclusive au juge administratif pour apprécier la légalité des décisions de maintien en rétention prises à la suite d’une demande d’asile formée par un étranger retenu. L’article 66 de la Constitution affirme que : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. – L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ». Ce rôle n’est pas conçu de manière absolue ni monolithique. Dans l’exercice de sa compétence, le législateur peut fixer des modalités d’intervention de l’autorité judiciaire différentes selon la nature et la portée des mesures affectant la liberté individuelle qu’il entend édicter (§ 5).

Le Conseil a profité de cette décision pour rappeler dans les mêmes termes (§ 6) sa jurisprudence constante en matière de partage des compétences juridictionnelles telles qu’elle a été posée dans la décision n° 86-224 DC du 23 janvier 1987, Loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence66. La décision s’inscrit dans la continuité de la décision n° 89-261 DC du 28 juillet 1989, à propos du contentieux né des arrêtés de reconduite à la frontière67. Le Conseil y avait jugé que « la compétence ainsi reconnue à l’autorité judiciaire pour contrôler une mesure de surveillance qui met en cause la liberté individuelle, s’exerce indépendamment du contrôle de la légalité des décisions administratives de refus d’accès au territoire national, de reconduite à la frontière ou d’expulsion »68.

Alors que les décisions administratives de placement et de maintien en rétention en vue de l’exécution d’une mesure d’éloignement peuvent faire l’objet d’un recours devant le président du tribunal administratif dans un délai de 48 heures, le juge judiciaire reste incompétent pour connaître, à l’occasion de son contrôle de la rétention administrative, de toute contestation portant sur la légalité de l’arrêté de maintien en rétention (§ 8). Ainsi, alors même qu’elle a pour effet de laisser perdurer une mesure privative de liberté, la décision par laquelle l’autorité administrative décide de maintenir en rétention un étranger au motif que sa demande d’asile a été présentée dans le seul but de faire échec à la mesure d’éloignement constitue une décision relative au séjour des étrangers. Or l’annulation ou la réformation d’une décision relative à une telle matière, prise dans l’exercice d’une prérogative de puissance publique par une autorité administrative, relève, en application du PFRLR, de la compétence de la juridiction administrative. Cette décision n° 897 QPC illustre la permanence de ce PFRLR qui n’est fondé que sur une certaine conception française de la séparation des pouvoirs et qui a voulu donner un fondement constitutionnel à la question de la compétence des deux ordres de juridiction.

Le juge judiciaire garde toute sa compétence au titre de son rôle de gardien de la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution, ce à quoi fait référence, sans le mentionner expressément la jurisprudence constante et rappelée dans la décision n° 807 QPC, à l’exception « des matières réservées par nature à l’autorité judiciaire », car ni le contrôle du juge des libertés et de la détention exercé sur la décision de placement en rétention ni sa compétence pour examiner la prolongation de la rétention n’est affecté et le juge judiciaire a la faculté d’interrompre à tout moment la prolongation du maintien en rétention, de sa propre initiative ou à la demande de l’étranger, lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifient et pour tout autre motif que celui tiré de l’illégalité des décisions relatives au séjour et à l’éloignement de l’étranger qui relèvent de la compétence du juge administratif. Tout ce qui a trait à la légalité d’un acte administratif ne peut relever que du juge administratif, au nom d’une réserve de compétence sanctuarisée par la jurisprudence Conseil de la concurrence. L’unification des règles de compétence juridictionnelle au sein de l’ordre juridictionnel principalement intéressé, telle qu’elle est formulée depuis 1987, si elle est toujours possible au nom de la simplification de l’accès aux juges pour les justiciables, n’est pas une obligation, comme le rappelle le Conseil dans cette décision n° 807 QPC (§ 11). Le respect de la compétence de chaque ordre juridictionnel est parfois plus important que la simplification.

M. V.

D – Les finances publiques de l’État

Les dispositions législatives –financières ou non financières – qui instituent un prélèvement sur les recettes de l’État doivent définir sa destination précise au risque d’être jugées inconstitutionnelles par le Conseil. Telle est la précision apportée par la décision n° 2019-784 DC du 27 juin 2019 et le sort réservé à l’article 1er de la loi portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française.

En créant, à compter de 2020, un prélèvement sur les recettes de l’État au bénéfice de la Polynésie française sans indications suffisantes quant aux critères de détermination de ces charges, le législateur a méconnu l’article 6 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances. La seule indication législative selon laquelle ce prélèvement est destiné « à couvrir les charges liées, pour cette collectivité d’outre-mer, aux déséquilibres d’ordre économique provoqués par l’arrêt des activités du centre d’expérimentation du Pacifique » relativement aux essais nucléaires français ne répond pas à l’obligation de détermination de sa destination, de son montant et de son évaluation de façon précise et distincte imposée par la loi du 1er août 2001.

Le Conseil précise dans la décision n° 2019-795 DC du 20 décembre 2019 relative à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 l’étendue des mesures réservées à cette catégorie de loi financière. Seules des lois de financement peuvent créer ou modifier des mesures de réduction ou d’exonération de cotisations de sécurité sociale non compensées aux régimes obligatoires de base de la sécurité sociale. Ainsi, si la décision de ne pas compenser aux régimes obligatoires de base de la sécurité sociale le coût d’une des mesures de réduction, d’exonération ou d’abattement revient exclusivement à la loi de financement de la sécurité sociale, de telles mesures peuvent, en revanche, quant à elles, figurer dans d’autres textes qu’une loi de financement de la sécurité sociale69.

De ce fait, une loi ordinaire peut prévoir l’exonération de cotisations sociales sur les heures supplémentaires et la création du taux intermédiaire de contribution sociale généralisée sur les revenus de remplacement. Seule l’absence de compensation à la sécurité sociale de ces mesures doit être prévue par la loi de financement de la sécurité sociale. Cette obligation est remplie par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 conformément au paragraphe IV de l’article LO. 111-3 du Code de la sécurité sociale, qui réserve aux lois de financement de la sécurité sociale la faculté de déroger à l’obligation de compensation prévue à l’article L. 131-7 du même code.

Par ailleurs, cette absence de compensation n’affecte pas l’équilibre financier de la sécurité sociale non seulement en raison du montant des pertes de recettes pour la sécurité sociale induites par les mesures envisagées mais aussi en raison de l’exigence constitutionnelle qui s’attache à l’équilibre financier de la sécurité sociale. Celle-ci n’impose pas que cet équilibre soit strictement réalisé pour chaque branche et pour chaque régime au cours de chaque exercice.

Le contenu de la loi de financement de la sécurité sociale est strictement défini70. Il ne peut être dénaturé par des dispositions qui ne présentent pas de lien direct avec les comptes de la sécurité sociale. Tant à l’initiative des députés, auteurs de la saisine, que du Conseil constitutionnel, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 a été épurée d’un certain nombre de dispositions qui n’y trouvaient pas leur place.

Ce sont ainsi, sur requête des députés, les dispositions de l’article 8 de la loi de financement de la sécurité sociale relatives aux contributions patronales d’assurance chômage qui ont été censurées. Ces dispositions sont étrangères au domaine de la loi de financement de la sécurité sociale. L’article 8 visait à neutraliser, à partir de 2021, dans le calcul des allégements généraux de cotisations et contributions sociales dues par les employeurs, l’effet du dispositif de « bonus-malus » qui conduit à moduler le taux de leurs contributions à l’assurance chômage en fonction, notamment, du nombre de contrats de travail de courte durée. Or les effets du dispositif de « bonus-malus » sur les recettes de la sécurité sociale sont trop indirects pour pouvoir relever du domaine de l’article LO. 111-3 du Code de la sécurité sociale, sans compter la nullité de son impact financier sur les régimes de sécurité sociale.

Sont aussi étrangères au domaine de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, comme l’a relevé le Conseil, certaines dispositions de la loi qui se bornaient uniquement à prévoir des moyens d’information des assurés sociaux ou des professionnels de santé. Il en allait ainsi du 4° du paragraphe I de l’article 21 qui visait à prévoir qu’un site internet doit présenter l’ensemble des instructions et circulaires relatives à la législation applicable en matière de cotisations et contributions sociales mises à disposition des cotisants ; des 12° et 13° du paragraphe II de l’article 42 de la loi qui visaient à créer un « Bulletin officiel des produits de santé » destiné à assurer, à la place du Journal officiel de la République française, la publication de certaines informations juridiques relatives au remboursement, à la prise en charge, aux prix, aux tarifs et à l’encadrement de la prescription et de la dispensation des médicaments, des dispositifs médicaux, des autres produits de santé et, le cas échéant, des prestations associées ; de l’article 73 de la loi qui prévoyait la création d’un site internet regroupant les places en crèches disponibles ainsi que les disponibilités d’accueil des assistants maternels.

Ont également été jugés comme cavaliers sociaux l’article 61 de la loi qui supprime l’obligation de production d’un certificat médical de non contre-indication pour l’obtention, par un mineur, d’une licence sportive en raison de l’absence d’une prise en charge par l’assurance de la délivrance d’un tel certificat ; l’article 63 de la loi qui autorise certains professionnels de santé déjà habilités à prescrire des substituts nicotiniques, à les délivrer eux-mêmes au patient ; et le paragraphe IV de l’article 85 de la loi qui prévoit une expérimentation de plate-formes départementales placées auprès des caisses primaires d’assurance maladie « afin de prévenir la désinsertion professionnelle ».

La loi de finances pour 2020 n’a pas échappé à la même vigilance du Conseil et a également été vidée de ses cavaliers financiers dans la décision n° 2019-796 DC du 27 décembre 2019. Ils concernent tant des dispositions initiales du projet de loi de finances et que des dispositions introduites en première lecture. Celles-ci ont été adoptées en méconnaissance de la règle de procédure relative au contenu des lois de finances, résultant des articles 34 et 47 de la Constitution et de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001. Ce sont ainsi 13 dispositions de la loi de finances qui ont été considérées comme constituant des cavaliers financiers et qui ont été déclarées inconstitutionnelles pour des motifs propres.

Le paragraphe VIII de l’article 21 qui instaurait des exonérations du paiement de l’indemnité compensatoire de défrichement et l’article 27 qui modifiait le régime de l’autorisation de défrichement étaient sans incidence sur les ressources de l’État qui affectent l’équilibre budgétaire.

Les dispositions de l’article 117 qui prévoyaient que l’administration chargée du recouvrement de la taxe sur les surfaces commerciales transmet certaines données relatives aux redevables de cette taxe à l’établissement public CCI France qui est ensuite chargé de les communiquer aux établissements publics du réseau des chambres de commerce et d’industrie n’étaient pas relatives aux modalités de recouvrement des impositions de toutes natures mais à l’exploitation de certaines données collectées à l’occasion de ce recouvrement.

L’article 151 qui instituait une nouvelle dérogation à la règle du secret professionnel en matière fiscale pour prévenir la détention d’un compte sur livret d’épargne populaire en méconnaissance des conditions de revenus n’était pas relatif à l’assiette d’une imposition de toutes natures mais avait seulement pour objet de simplifier, pour les établissements bancaires, la vérification du respect des conditions d’éligibilité à un livret d’épargne populaire.

Les dispositions de l’article 152 qui modifiaient le cadre budgétaire et comptable des caisses de crédit municipal et celles de l’article 183 qui permettaient à certaines personnes morales à statut particulier de confier à un organisme public ou privé l’encaissement de recettes ou le paiement de dépenses n’étaient relatives ni à la comptabilité de l’État ni au régime de responsabilité pécuniaire des agents des services publics.

Le paragraphe IV de l’article 201 prévoyant la publication par la commission des garanties et du crédit au commerce extérieur de la liste détaillée des opérations ayant bénéficié de certaines garanties publiques n’était pas relatif aux conditions d’octroi de la garantie de l’État. Il ne constituait pas non plus un dispositif d’information et de contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques.

Les 1° à 4° de l’article 221 qui prévoyaient la remise chaque année par le gouvernement d’un rapport au Parlement présentant les décisions adoptées et les actions entreprises par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale ainsi que les positions défendues par la France au sein de leurs instances dirigeantes ne comportaient aucune disposition susceptible d’améliorer l’information et le contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques.

Les dispositions de l’article 226 qui autorisaient les collectivités territoriales et leurs établissements publics à placer certains fonds en titres participatifs émis par des offices publics de l’habitat concernaient l’utilisation de fonds d’ores et déjà dispensés de l’obligation qui pèse sur les collectivités territoriales et leurs établissements publics de déposer toutes leurs disponibilités auprès de l’État.

L’article 227 qui supprimait, dans certains cas, l’obligation de paiement préalable à un recours contentieux contre une redevance de stationnement des véhicules n’affectait pas directement les dépenses budgétaires de l’année.

L’article 231 prévoyait que le produit de la taxe sur les nuisances sonores aériennes perçu par les exploitants d’aérodromes peut être affecté à des avances remboursables aux riverains qui souhaitent faire des travaux d’insonorisation et se bornait à modifier l’utilisation qui peut en tout état de cause être faite du produit de cette taxe. Il n’était pas relatif à l’assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toutes natures.

L’article 238 permettait de déroger jusqu’au 31 décembre 2020 à l’obligation de réaliser les opérations bancaires d’un majeur protégé au moyen d’un compte ouvert au nom de celui-ci et de continuer ces opérations depuis un compte du Trésor. Cette disposition n’affectait pas directement les dépenses budgétaires de l’année, tout comme l’article 277 de la loi de finances qui permettait aux établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel de recourir aux contrats et formes de sociétés publiques ou commerciales pour la gestion ou la valorisation des biens immobiliers qu’ils possèdent en pleine propriété.

Si le Conseil a déclaré d’office la non-conformité à la Constitution de l’ensemble de ces dispositions, il a, en revanche, rejeté la requête selon laquelle l’article 154 de la loi de finances pour 2020 ne relèverait pas du domaine de cette catégorie de loi. L’article 154 autorise, à titre expérimental et pour une durée de 3 ans, les administrations fiscale et douanière à collecter et à exploiter de manière automatisée les contenus accessibles publiquement sur les sites internet de certains opérateurs de plate-forme, aux fins de recherche de manquements et d’infractions en matière fiscale et douanière. La démarche du Conseil est dictée tant par l’article 34 de la Constitution selon lequel : « les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l’État dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique » que par le premier alinéa de son article 47 qui dispose que « le Parlement vote les projets de loi de finances dans les conditions prévues par une loi organique ». Mais ce sont surtout les dispositions du a du 7° du paragraphe II de l’article 34 de la loi organique du 1er août 2001 qui détermine le contenu de la loi de finances, qui ont motivé sa déclaration de conformité. Elles prévoient que la loi de finances de l’année peut, dans sa seconde partie, comporter « des dispositions relatives à l’assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toute nature qui n’affectent pas l’équilibre budgétaire ». Or l’article 154 de la loi vise, afin de lutter contre la fraude fiscale, à doter les administrations fiscale et douanière d’un nouveau dispositif de contrôle pour le recouvrement de l’impôt. Il a donc sa place dans une loi de finances.

Ces mêmes dispositions de la loi organique du 1er août 2001, ont permis, par ailleurs, de justifier l’autorisation accordée au gouvernement par l’article 184 de la loi de finances (paragraphe III) de prendre par voie d’ordonnance toutes mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour mettre en œuvre le recouvrement, prévu par le paragraphe I de ce même article, de certaines impositions et amendes par le service des impôts en lieu et place de celui des douanes, harmoniser les conditions dans lesquelles ces impositions et amendes sont liquidées, recouvrées, remboursées et contrôlées, améliorer la lisibilité des dispositions en cause et assurer le respect de la hiérarchie des normes. Ces mesures relèvent, en effet, de cette partie des dispositions de la loi organique. Elles sont étrangères au domaine réservé aux lois de finances par la Constitution et la loi organique du 1er août 2001. Ce faisant, elles ne tombent pas sous le coup des articles 38 et 47 de la Constitution qui interdisent d’insérer dans une loi de finances des dispositions habilitant le gouvernement à légiférer par ordonnance. Le paragraphe III de l’article 184 de la loi de finances est jugé conforme à la Constitution.

Ont été également considérées comme étrangères au contenu des lois de finances, les dispositions de l’article 217 de la loi de finances pour 2020 qui ont subi la censure du Conseil car adoptées en méconnaissance de la règle de procédure relative au contenu des lois de finances qui résulte des articles 34 et 47 de la Constitution et de la loi organique du 1er août 2001.

L’article 217 instaurait un prélèvement sur les droits de mutation à titre onéreux perçus par les départements de la région Île-de-France et la ville de Paris, au profit de l’établissement public Société du Grand Paris. Ce prélèvement sur recette ne constituait pas une imposition de toutes natures, portait sur une ressource fiscale des collectivités territoriales et il bénéficiait à un établissement public distinct de l’État. Dès lors, il ne concernait ni les ressources, ni les charges, ni la trésorerie, ni les emprunts, ni la dette, ni les garanties ou la comptabilité de l’État. Il n’avait pas trait à l’assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toutes natures affectées à des personnes morales autres que l’État. Il n’avait pas pour objet de répartir des dotations aux collectivités territoriales ou d’approuver des conventions financières. Il n’était pas relatif au régime de la responsabilité pécuniaire des agents des services publics ou à l’information et au contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques. C’est donc selon une procédure contraire à la Constitution que l’article 217 de la loi de finances avait été adopté.

Par ailleurs, le Conseil a validé les mesures issues de l’article 264 de la loi de finances qui modifient le régime du dispositif d’aide médicale de l’État en prévoyant que la prise en charge des soins d’un étranger majeur en situation irrégulière peut être subordonnée, pour certains frais, à un délai d’ancienneté de bénéfice de l’aide médicale de l’État. Cette prise en charge peut toutefois être accordée dans certains cas avant l’expiration de ce délai, avec l’accord préalable du service du contrôle médical. Ces mesures répondent aux objectifs de valeur constitutionnelle de bon usage des deniers publics et de lutte contre la fraude en matière de protection sociale. Il s’agit là d’éviter les usages abusifs de l’aide médicale de l’État par des étrangers dont le séjour aurait pour seul objet le bénéfice de cette aide. C’est pourquoi la loi institue une limitation de la prise en charge de soins dont le coût peut être élevé et qui n’apparaissent pas immédiatement nécessaires pour les intéressés.

L. B.

E – Les collectivités décentralisées (…)

IV – Les droits et les libertés

A – Les libertés

1 – Sécurité et libertés

Selon une jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel apprécie la conciliation opérée par le législateur entre les exigences de protection des atteintes à l’ordre public et l’exercice des libertés garanties par la Constitution. C’est dans cette optique qu’il a, dans la décision n° 2019-805 QPC du 27 septembre 2019, examiné l’atteinte portée à la liberté d’aller et venir d’une disposition introduite par une loi du 5 juillet 2000 dans sa rédaction issue de la loi du 7 novembre 2018 relative à l’accueil des gens du voyage et à la lutte contre les installations illicites. Aux termes de cette disposition, les établissements publics de coopération intercommunale et les communes étaient habilités à interdire le stationnement des résidences mobiles des gens du voyage et à solliciter auprès du préfet leur évacuation forcée. Après avoir relevé l’objectif d’accroissement des offres d’accueil des gens du voyage (§ 15) et les conditions dans lesquelles cette disposition pouvait être mise en œuvre (§ 12 à 14), le Conseil constitutionnel a considéré que le législateur n’avait pas opéré une conciliation manifestement déséquilibrée entre la nécessité de sauvegarder l’ordre public et les droits des tiers et la liberté d’aller et venir71.

2 – Liberté individuelle, respect de la vie privée, principe de responsabilité

Depuis 1999, le Conseil constitutionnel protège le droit au respect de la vie privée en se fondant sur l’article 2 de la déclaration de 178972. La disposition est souvent invoquée dans des contentieux où sont en cause des dispositions applicables aux étrangers. Dans la décision n° 2019-797 QPC du 26 juillet 2019, le Conseil a apprécié la conciliation opérée par le législateur entre l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière et le droit au respect de la vie privée lors de l’examen d’un dispositif instaurant un fichier des étrangers se déclarant mineurs73. L’analyse de ce texte, inséré à l’article L. 611-6-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile par la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, n’a pas abouti à une déclaration d’inconstitutionnalité. Le Conseil a notamment relevé, en effet, que les dispositions en cause n’avaient « ni pour objet ni pour effet de modifier les règles relatives à la détermination de l’âge d’un individu et aux protections attachées à la qualité de mineur » (§ 7) et que la conservation des données était limitée à la durée strictement nécessaire pour la prise en charge des mineurs (§ 10). La décision n° 2019-818 QPC du 6 décembre 2019, quant à elle, a donné l’occasion au Conseil constitutionnel de rappeler la portée limitée qu’il accorde aux articles 7, 9 et 16 de la déclaration de 1789 protégeant la liberté individuelle (v. rubrique « Normes de référence »). En l’espèce, étaient en cause deux dispositions du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile qui ne prévoyaient pas la possibilité pour un étranger d’être assisté par un avocat « lors des auditions organisées par l’Administration dans le cadre de l’instruction de sa demande d’entrée en France ou pendant son maintien en zone d’attente » (§ 11). Après avoir souligné que les auditions menées par l’Administration ne relevaient pas du champ de la procédure pénale mais de celui de la police administrative, le Conseil a estimé que le principe de liberté individuelle n’était pas applicable aux dispositions en cause (§ 12).

3 – Liberté d’expression, liberté de conscience

Suivant une jurisprudence désormais traditionnelle, le Conseil constitutionnel apporte une protection renforcée au principe de la liberté d’expression. À ce titre, il considère que les atteintes qui lui sont portées doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi par la loi. C’est dans cette perspective que, dans la décision n° 2019-817 QPC du 6 décembre 2019, le Conseil constitutionnel a contrôlé la conformité de l’article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse à l’article 11 de la déclaration de 1789. Aux termes de cette disposition, les personnes présentes à une audience se voyaient interdire l’emploi d’appareils photographiques ou d’enregistrement. Après avoir relevé que cette prohibition était notamment justifiée par l’objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice, il a considéré que les limites apportées à la liberté d’expression par cet article étaient nécessaires, adaptées et proportionnées à celui-ci.

4 – Liberté d’entreprendre, liberté contractuelle

Le Conseil constitutionnel rattache la liberté d’entreprendre à l’article 4 de la déclaration de 1789. Il considère que les atteintes portées à cette liberté, si elles peuvent être justifiées par la poursuite d’autres exigences constitutionnelles ou l’intérêt général, ne doivent pas être disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi. Cette jurisprudence traditionnelle a été appliquée dans la décision n° 2019-791 DC du 7 novembre 2019 relative à la loi relative à l’énergie et au climat. Selon les auteurs de la saisine, en prévoyant que la fixation de la quantité d’électricité nucléaire qu’Électricité de France (EDF) serait obligée de céder à d’autres fournisseurs d’électricité serait fixée par arrêté, la loi méconnaissait la liberté d’entreprendre. De son côté, le Conseil a certes relevé les garanties apportées par le législateur en vue de limiter les atteintes à la liberté d’entreprendre, comme la fixation d’un plafond du volume d’électricité qu’EDF serait tenue de céder. Toutefois, il a déploré que la loi n’ait pas prévu les modalités de fixation du prix de la vente. C’est la raison pour laquelle il a exprimé une réserve d’interprétation en prévoyant que le ministre devait arrêter ce prix en tenant compte des « conditions économiques de production d’électricité par les centrales nucléaires » (§ 11).

B.-L. C.

B – Le droit de propriété (…)

C – Le principe d’égalité

1 – Principe d’égalité devant la loi

La jurisprudence en matière d’égalité devant la loi est classiquement fondée sur l’article 6 de la DDHC qui reconnaît que « la loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Il en découle que « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ».

Tel est bien le cas du dispositif d’accompagnement financier des communes à raison de l’abaissement à 3 ans, au lieu de 6, de l’âge à partir duquel l’instruction est obligatoire que le Conseil valide dans la décision n° 2019-787 DC du 25 juillet 2019, Loi pour une école de la confiance.

La différence de traitement entre deux catégories de communes, celles qui finançaient des classes maternelles avant l’abaissement à 3 ans de l’âge de l’instruction obligatoire et les autres, est bien en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit. Elle permet ainsi de valider la limitation de l’accompagnement financier de l’État à la compensation des seules charges supplémentaires qui résultent de cette réforme et de n’en faire bénéficier que les communes qui ne finançaient pas déjà, de façon volontaire, des écoles maternelles.

Dans la décision n° 2019-803 QPC du 27 septembre 2019, Mme Fabienne V., c’est le principe d’égalité devant la justice qui est mis en avant dans le cadre de la mise en mouvement de l’action publique en cas d’infraction commise par un militaire lors d’une opération extérieure. Ce principe fait obstacle à ce que des règles de procédure différentes procèdent à des distinctions injustifiées ou n’assurent pas aux justiciables des garanties égales.

C’est donc au regard de cette double exigence – la prohibition des distinctions injustifiées (comme dans le cas du principe d’égalité devant la loi) et le respect des garanties égales aux justiciables – que le Conseil a tranché la question d’une rupture d’égalité devant la justice par l’attribution au procureur de la République d’un monopole de mise en mouvement de l’action publique à toutes les infractions, y compris criminelles, commises au cours d’une opération militaire à l’étranger. Cette dérogation au droit commun réserve ainsi au seul procureur de la République, la possibilité de mettre en mouvement l’action publique à l’encontre de faits commis dans l’accomplissement de sa mission par un militaire dans le cadre d’une opération mobilisant des capacités militaires à l’extérieur du territoire français là où les victimes de l’infraction commise par le militaire en sont dépourvues.

Pour autant, cette distinction n’emporte pas de discrimination injustifiée entre les victimes d’infractions commises par un militaire dans l’accomplissement de sa mission lors de telles opérations et les victimes des mêmes infractions commises en France par un militaire ou commises à l’étranger par un civil, dès lors que ce dispositif est dicté par la spécificité de ces opérations mais aussi par l’attribution d’une protection efficace des militaires contre une judiciarisation excessive de leur action.

Le principe d’égalité devant la justice a également été invoqué dans la décision n° 2019-804 QPC du 27 septembre 2019, Association française des entreprises privées, à propos de la dénonciation obligatoire par l’Administration au procureur de la République de certains faits de fraude fiscale. Aux termes du paragraphe I de l’article L. 228 du Livre des procédures fiscales en l’espèce contesté, l’Administration est tenue à cette obligation en ce qui concerne les faits qu’elle a examinés dans le cadre de son pouvoir de contrôle et qui l’ont conduite à appliquer, sur des droits d’un certain montant, une pénalité fiscale. Pour les autres faits, l’Administration ne peut déposer plainte que sur avis conforme de la commission des infractions fiscales.

L’objectif de ce dispositif vise à soumettre systématiquement au procureur de la République, aux fins de poursuites pénales, les faits de fraude fiscale les plus graves dont a connaissance l’Administration. La dénonciation obligatoire intervient lorsque deux critères sont réunis : les droits éludés sont supérieurs à 100 000 € et ils sont assortis de l’une des pénalités prévues dans les cas suivants : l’opposition à contrôle fiscal ; la découverte d’une activité occulte faisant suite à une omission déclarative ; l’abus de droit ou les manœuvres frauduleuses constatés au titre d’une insuffisance de déclaration ; la rectification à raison du défaut de déclaration d’avoirs financiers détenus à l’étranger ; la taxation forfaitaire à partir des éléments du train de vie en lien avec des trafics illicites ou, en cas de réitération, le défaut de déclaration dans les 30 jours suivant la réception d’une mise en demeure, le manquement délibéré ou l’abus de droit, dans l’hypothèse où le contribuable n’a pas eu l’initiative principale de cet abus ou n’en a pas été le principal bénéficiaire.

Ces critères de dénonciation obligatoire sont objectifs et rationnels. Ils sont en lien direct avec l’objectif poursuivi de lutte contre la fraude fiscale sans qu’ils n’instaurent de discrimination injustifiée entre les contribuables.

2 – Principe d’égalité devant la loi fiscale et les charges publiques, droits et libertés en matière fiscale

Les articles 6 et 13 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 desquels le principe d’égalité devant les charges publiques tire sa substance, autorise la loi à déroger à l’égalité pour des raisons d’intérêt général. Il faut toutefois que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit et qu’elle repose sur des critères objectifs et rationnels.

Dans la décision n° 2019-806 QPC du 4 octobre 2019, M. Gilbert A., c’est une conformité sous réserve au principe d’égalité devant la justice qui a été prononcée, à propos de l’institution de taux dérogatoires de cotisations sociales applicables aux assurés sociaux non fiscalement domiciliés en France.

Les dispositions de l’article L. 131-9 du Code de la sécurité sociale permettent au pouvoir réglementaire de prévoir des taux particuliers de cotisations d’assurance maladie, maternité, invalidité et décès applicables aux revenus d’activité et de remplacement des assurés d’un régime obligatoire de sécurité sociale français qui, ne remplissant pas les conditions de résidence fiscale définies à l’article L. 136-1 du Code de la sécurité sociale, ne sont pas assujettis à la contribution sociale généralisée sur ces mêmes revenus. Ces dispositions créent donc, au sein d’un même régime obligatoire, une différence de traitement entre les assurés sociaux selon qu’ils sont ou non résidents fiscaux en France. Elles sont toutefois dictées par un objectif d’intérêt général : éviter que les assurés sociaux qui ne sont pas des résidents fiscaux en France et qui, à ce titre, ne sont pas assujettis à la contribution sociale généralisée sur les revenus d’activité et de remplacement, puissent bénéficier de la baisse attendue des taux de cotisations sociales sans subir, en contrepartie, la hausse de la contribution sociale généralisée.

Néanmoins, le Conseil assujettit la constitutionnalité du dispositif à une réserve. En aucun cas le pouvoir réglementaire ne peut retenir des taux particuliers de cotisations sociales de nature à créer des ruptures caractérisées de l’égalité dans la participation des assurés sociaux au financement des régimes d’assurance maladie dont ils relèvent.

Dans la décision n° 2019-808 QPC du 11 octobre 2019, Société Total raffinage France, le Conseil s’est prononcé sur l’exclusion des carburants produits à partir d’huile de palme du régime favorable prévu dans le cadre de la taxe relative à l’incorporation de biocarburants. Cette taxe prévue à l’article 266 quindecies du Code des douanes vise à inciter les entreprises produisant ou important des carburants à y incorporer une quantité minimale de biocarburants dans le but de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre dans le monde.

Or en l’état des connaissances et des conditions mondiales d’exploitation de l’huile de palme, la culture de l’huile de palme présente un risque élevé, supérieur à celui présenté par la culture d’autres plantes oléagineuses, d’induire indirectement une hausse des émissions de gaz à effet de serre. Cela explique l’exclusion frappant les carburants produits à partir d’huile de palme, en conformité avec le principe d’égalité devant les charges publiques.

Ce principe est également respecté par les dispositions de l’article 150-0 D ter du Code général des impôts, dans ses rédactions applicables depuis le 1er janvier 2006. Le Conseil en décide ainsi dans la décision n° 2019-812 QPC du 15 novembre 2019, M. Sébastien M. et autre. Ces dispositions prévoient que les dirigeants de certaines sociétés peuvent bénéficier d’un abattement sur les gains retirés de la cession d’actions ou de parts de ces sociétés à la condition notamment de faire valoir leurs droits à la retraite dans les 2 années qui suivent la cession. En prévoyant un tel abattement, le législateur a entendu faciliter la transmission des entreprises françaises au moment du départ à la retraite de leurs dirigeants, lesquels ne sont pas dans la même situation que les autres cédants de titres. Dès lors, le législateur a institué une différence de traitement fondée sur une différence de situation en rapport avec l’objet de la loi sans créer d’imposition confiscatoire.

Dans la décision n° 2019-814 QPC du 22 novembre 2019, Société Prato Corbara, à propos des conditions d’octroi du crédit d’impôt au titre de certains investissements réalisés en Corse, le Conseil valide le dispositif de l’article 244 quater E qui fixe les conditions dans lesquelles les petites et moyennes entreprises peuvent bénéficier d’un crédit d’impôt au titre des investissements réalisés et exploités en Corse pour les besoins de certaines activités industrielle, commerciale, artisanale, libérale ou agricole. Le fait que ne soient éligibles à ce crédit d’impôt que les sociétés dont les associés ont intégralement libéré le capital social qu’ils ont souscrit n’emporte pas de rupture caractérisée d’égalité devant les charges publiques. En retenant une telle condition de libération intégrale pour bénéficier du crédit d’impôt, l’objectif est de réserver l’aide publique à l’investissement aux sociétés dont les associés ont versé, pour les financer, les apports qu’ils avaient souscrits et estimés nécessaires lors de la détermination du capital social. Les modalités retenues par la loi n’étant pas manifestement inappropriées à l’objectif visé, le principe d’égalité devant les charges publiques est respecté.

L’exigence de prise en compte des facultés contributives des redevables qui résulte de l’article 13 de la déclaration de 1789 a conduit, dans la décision n° 2019-795 DC du 20 décembre 201974 à reconnaître la conformité sous réserve de l’article 23 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 qui institue une contribution à la charge des entreprises exploitant certains produits de santé. Cette contribution qui vise à renforcer la maîtrise des dépenses de l’assurance maladie liées au remboursement de certains dispositifs médicaux utilisés par les établissements de santé, n’est due qu’en cas de dépassement d’un montant annuel fixé par la loi. Elle porte alors sur la seule part des dépenses remboursées excédant ce montant.

En application de la première phrase du premier alinéa de l’article L. 165-7 du Code de la sécurité sociale, les frais d’acquisition et de renouvellement des dispositifs médicaux concernés par les dispositions de l’article 23 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 sont remboursés par l’assurance maladie aux établissements de santé, dans la limite du tarif de responsabilité mentionné à l’article L. 165-2 du même code. En retenant ainsi un montant qui correspond en principe au prix acquitté par l’établissement de santé auprès de l’exploitant des dispositifs médicaux en cause, net des remises consenties par l’exploitant, le législateur s’est fondé sur un critère objectif et rationnel pour apprécier les facultés contributives des redevables.

Tel n’est pas le cas lorsque le montant de la facture payée par l’établissement de santé est inférieur au tarif de responsabilité. Comme le prévoit la seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 165-7 du Code de la sécurité sociale, le remboursement à cet établissement s’effectue alors « sur la base du montant de la facture majoré d’une partie de la différence entre ces deux éléments définie par arrêté conjoint des ministres chargés de la Santé et de la Sécurité sociale ». Il en résulte que, dans le cas où l’établissement a acquis des dispositifs médicaux à un prix inférieur au tarif de responsabilité, le montant que l’assurance maladie lui reverse est supérieur au prix perçu par l’exploitant de ces dispositifs médicaux. Cette majoration est donc sans lien avec les facultés contributives des redevables. Or le montant remboursé ne saurait, sans méconnaître l’exigence de prise en compte des facultés contributives induites par l’article 13 de la déclaration de 1789, être interprété comme incluant la majoration prévue à la seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 165-7 du Code de la sécurité sociale. Ce n’est que sous cette réserve que le principe d’égalité devant les charges publiques serait considéré comme respecté.

Le Conseil s’est également prononcé dans cette même décision, sur la dérogation apportée par le premier alinéa de l’article 81 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 à l’article L. 161-25 du Code de la sécurité sociale qui prévoit la revalorisation annuelle, suivant le niveau de l’inflation, du montant de certaines prestations et pensions servies par les régimes obligatoires de base de sécurité sociale. Il fixe cette revalorisation à 0,3 % pour l’année 2020 alors que le 1° du même article 81 maintient la revalorisation au niveau de l’inflation pour certaines pensions de vieillesse ou d’invalidité. Cette différence de traitement en matière de revalorisation des pensions servies par les régimes obligatoires n’est pas constitutive d’une rupture d’égalité devant les charges publiques, ni ne produit d’effet de seuil. Elle vise à assurer la maîtrise des dépenses sociales et à préserver le pouvoir d’achat de la majorité des retraités et des bénéficiaires de pensions d’invalidité.

Même si elle affecte, par ses conséquences, le caractère contributif des régimes d’assurance vieillesse et invalidité, cette mesure de revalorisation différentielle présente un caractère exceptionnel, au titre de la seule année 2020. Elle n’a pas vocation à être réitérée. Du fait de son caractère exceptionnel et limité, le dispositif de revalorisation différentielle repose bien sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l’objet de la loi. Il ne crée pas de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques.

Le principe d’égalité devant les charges publiques a largement été usité pour contester une série de dispositions de la loi de finances pour 2020. Dans l’ensemble des cas, le Conseil a rejeté ce grief. Il a ainsi considéré dans sa décision n° 2019-796 DC du 27 décembre 2019 qu’était conforme à ce principe, l’article 4 B du Code général des impôts qui prévoit que la domiciliation fiscale peut résulter de l’exercice à titre principal d’une activité professionnelle en France75. Le Conseil rappelle que pour assurer le respect du principe d’égalité devant les charges publiques, le législateur doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu’il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques.

Dans le cas de l’article 4 B du Code général des impôts, le caractère principal de l’activité s’apprécie au regard du temps effectif qui y est consacré ou de la part des revenus qu’elle génère. Ainsi, par rapport au temps nécessaire à l’exercice de fonctions de direction d’une entreprise et à la rémunération qui peut en découler, le législateur a pu prévoir que, sous réserve de l’établissement d’une preuve contraire, le dirigeant d’une entreprise dont le siège est situé en France et qui y réalise 250 millions de chiffre d’affaires annuel doit être considéré comme exerçant une activité professionnelle en France au sens de l’article 4 B. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques doit être écarté.

Il en va de même concernant l’article 15 de la loi de finances pour 2020 qui instaure une condition de ressources pour bénéficier du crédit d’impôt pour la transition énergétique prévu à l’article 200 quater du Code général des impôts destiné à financer des travaux et dépenses en faveur de la rénovation énergétique des logements.

En subordonnant à une condition de ressources le bénéfice du crédit d’impôt pour la transition énergétique alors que ce dernier a pour objet de favoriser les travaux et dépenses en faveur de la rénovation énergétique, le législateur n’a pas soumis ce crédit d’impôt à un critère sans lien avec l’objectif poursuivi. Il n’a pas ainsi méconnu les exigences de l’article 13 de la déclaration de 1789. D’une manière générale, l’octroi d’avantages fiscaux a pour but d’inciter les redevables à adopter des comportements conformes à des objectifs d’intérêt général en appliquant des critères objectifs et rationnels en fonction des buts recherchés. En l’espèce, l’objectif recherché est de diriger le subventionnement public des dépenses en faveur de la rénovation énergétique des logements vers les ménages les plus susceptibles de renoncer à de tels travaux pour des motifs financiers. Ainsi, il s’agit bien d’un critère objectif et rationnel en lien avec l’objectif poursuivi qui a conduit à soumettre le bénéfice du crédit d’impôt à une condition de ressources. L’attribution d’une prime ou d’un crédit d’impôt aux ménages les plus modestes qui réalisent certaines dépenses de rénovation énergétique de leur logement ne méconnaît donc pas le principe d’égalité devant les charges publiques.

L’article 18 de la loi de finances pour 2020 qui modifie l’article 231 ter du Code général des impôts est également conforme à ce principe. Il instaure une majoration de 20 % des tarifs de la taxe sur les locaux à usage de bureaux en Île-de-France applicables aux locaux situés dans certains arrondissements parisiens et communes. Il s’agit par-là de permettre le financement de nouvelles infrastructures de transport dans cette région dans un objectif de rendement budgétaire. Les arrondissements parisiens et les communes soumis à cette majoration se caractérisent par une particulière concentration, en leur sein, de locaux à usage de bureaux, une valeur locative moyenne élevée et un taux de vacance faible. Ce sont donc des critères objectifs et rationnels en lien avec l’objectif poursuivi qui ont fondé cette mesure de majoration dans le respect du principe d’égalité devant les charges publiques.

À propos de l’article 72 de la loi de finances pour 2020 qui augmente les taux et modifie l’affectation de la taxe de solidarité sur les billets d’avion, le Conseil ne retient aucune atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques.

Les paragraphes I et II de l’article 302 bis K du Code général des impôts instaurent une taxe de l’aviation civile assise sur le nombre de passagers transportés. Le paragraphe VI du même article, modifié par l’article 72 de la loi en cause, prévoit une contribution additionnelle, dénommée taxe de solidarité sur les billets d’avion, perçue par majoration de la taxe de l’aviation civile. Contrairement à ce qui était invoqué par la saisine, cette taxe qui a pour but de financer l’agence de financement des infrastructures de transport de France, afin de lutter contre les gaz à effet de serre par le développement du transport ferroviaire, n’a pas une finalité incitative. Elle poursuit un objectif de rendement budgétaire. Les critères de tarification retenus répondent à cet objectif. Le tarif de cette taxe est fixé en fonction du nombre de passagers transportés par la compagnie aérienne, des conditions économiques et commerciales du vol et de sa destination finale, au sein ou non de l’Union européenne, de l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse. Ce sont des critères objectifs et rationnels qui dictent la tarification de la taxe. Ils sont liés notamment au prix du billet d’avion acquitté par le voyageur transporté afin de caractériser la capacité contributive des entreprises de transport aérien assujetties.

Si au demeurant l’article 72 de la loi de finances (le 6 du même paragraphe VI de l’article 302 bis K ) a pu prévoir une réduction du tarif de la taxe au profit des vols effectués entre la Corse et la France continentale, au sein des départements ou collectivités d’outre-mer ou entre ces territoires et la France métropolitaine, ainsi que pour les vols soumis à une obligation de service public, cette différence de traitement est justifiée par l’intérêt général qui s’attache à préserver la facilité d’accès à certains territoires français pour lesquels, pour des raisons géographiques, le transport aérien est plus particulièrement adapté. Elle est en adéquation avec l’objet de la loi et en conformité avec le principe d’égalité devant les charges publiques.

Il n’y a pas non plus d’atteinte portée à ce principe par les paragraphes I à III de l’article 76 de la loi de finances pour 2020 dans le cadre de l’application du principe de compensation intégrale des transferts de compétence entre l’État et les collectivités territoriales qu’ils prévoient. Est concernée l’évaluation des montants de compensation financière prévus pour chaque région relativement à la reprise par l’État de la compétence effectuée en matière d’apprentissage. En effet, sur le fondement de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, à compter du 1er janvier 2020, l’essentiel des compétences obligatoires des régions en matière d’apprentissage a été repris par l’État. Les ressources compensatrices dont bénéficiaient à ce titre les régions sont donc supprimées. Toutefois, l’article 76 de la loi de finances pour 2020 maintient une part de ces financements au profit des régions qui avaient développé, à l’aide de ces financements, certaines actions en matière d’apprentissage ne se limitant pas au champ de la compétence obligatoire transférée, afin de leur permettre de les poursuivre.

La reprise par l’État de cette compétence fait l’objet d’une compensation financière dont l’évaluation des montants de compensation prévus pour chaque région est jugée comme fondée sur des critères objectifs et rationnels selon les exigences du principe d’égalité devant les charges publiques. Les montants des ressources supplémentaires et des reprises ont été évalués à partir des dépenses moyennes constatées pour chaque région, de 2013 à 2017 pour les dépenses d’investissement et de 2015 à 2017 pour les dépenses de fonctionnement. L’année 2017 est celle où a été annoncée la réforme de l’apprentissage qui a finalement été opérée par la loi du 5 septembre 2018 (art. 34). Ces montants rendent effectivement compte des dépenses existantes avant la réforme de l’apprentissage. Ils répondent au but que s’est assigné le législateur.

Le Conseil valide le dispositif issu du paragraphe I de l’article 145 de la loi de finances pour 2020 qui institue une taxe forfaitaire de 10 € due par tout employeur pour chaque contrat à durée déterminée dit d’usage. L’objectif est de lutter contre la précarité salariale en incitant ainsi les employeurs à limiter le recours aux contrats conclus pour de courtes durées. En retenant un montant forfaitaire de 10 € par contrat, qui conduit à faire peser la taxe plus lourdement sur les employeurs qui concluent successivement de nombreux contrats de très courte durée, le Conseil considère que le législateur s’est fondé sur un critère objectif et rationnel en rapport avec l’objet de la loi.

Il rejette le grief fait à la loi de finances de rompre le principe d’égalité devant les charges publiques en soumettant à cette taxe l’ensemble des contrats à durée déterminée d’usage, quelle qu’en soit la durée, alors que l’objectif du législateur aurait été de réduire le recours abusif aux seuls « contrats de travail de très courte durée ».

C’est à cette même conclusion que parvient le Conseil à propos des modalités d’évaluation de la mise en œuvre d’une révision des valeurs locatives des locaux d’habitation en 2026 que prévoit l’article 146 de la loi de finances pour 2020. Dans ce cadre, il modifie les règles d’évaluation de la valeur locative des locaux d’habitation qui présentent des caractéristiques exceptionnelles. Le premier alinéa du 1 du C du paragraphe II de cet article dispose ainsi que cette valeur est déterminée par voie d’appréciation directe en appliquant un taux de 8 % à la valeur vénale de la propriété. Selon son second alinéa, « à défaut », cette valeur est déterminée en ajoutant à la valeur vénale du terrain la valeur de reconstruction de la propriété. L’application à cette valeur vénale d’un taux de 8 %, n’impose pas une charge fiscale beaucoup plus importante aux propriétaires de locaux exceptionnels comparativement à la moyenne des rendements locatifs observés généralement pour des locaux d’habitation ordinaires. Le principe d’égalité devant les charges publiques n’en est donc pas affecté. Néanmoins, le Conseil rappelle ici l’absence d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement. Il n’est donc pas en mesure de rechercher si les objectifs que s’est assignés le législateur auraient pu être atteints par d’autres voies. La décision du législateur de fixer le rendement locatif brut de ces locaux à 8 % de leur valeur vénale est susceptible de corrections. En effet, en application du paragraphe VII de l’article 146 de la loi de finances pour 2020, le gouvernement doit transmettre au Parlement au plus tard le 1er septembre 2024 un rapport qui examine notamment les effets de cette méthode d’évaluation de la valeur locative des locaux exceptionnels et qui propose, le cas échéant, des évolutions.

Les dispositions de l’article 164 de la loi de finances pour 2020 sont conformes au principe d’égalité devant les charges publiques. Elles prévoient qu’à titre expérimental, dans la région Bretagne, le préfet peut, par dérogation à l’article 199 novovicies du Code général des impôts, déterminer, pour les logements situés dans des communes ou parties de communes qu’il délimite, les plafonds de loyer et de ressources du locataire rendant éligible à la réduction d’impôt prévue par cet article 199 novovicies.

La circonstance que le préfet ne puisse se fonder, pour déterminer ces plafonds, sur le revenu fiscal individuel de chacun des habitants des zones en cause, qui est couvert par le secret fiscal, est sans incidence sur le respect effectif du principe d’égalité devant les charges publiques. Pour procéder à cette détermination, le préfet dispose d’informations statistiques générales sur le marché locatif local et sur les besoins de la population dans ces communes ou parties de communes.

L’article 200 de la loi de finances pour 2020 qui instaure des règles dérogatoires de revalorisation de certaines prestations sociales pour 2020 ne méconnaît pas non plus le principe d’égalité devant les charges publiques. Son paragraphe I prévoit que le montant des plafonds de ressources mensuelles ouvrant droit à la réduction de loyer de solidarité n’est pas indexé sur l’évolution en moyenne annuelle de l’indice des prix à la consommation des ménages hors tabac constatée en 2018. Ses paragraphes II, III et IV fixent à 0,3 % la revalorisation des paramètres de calcul des aides personnelles au logement, du montant de l’allocation aux adultes handicapés ainsi que du montant forfaitaire de la prime d’activité et du montant maximal de sa bonification principale.

Le fait que d’autres prestations sociales comme le revenu de solidarité active ou l’allocation de solidarité spécifique soient revalorisées au niveau de l’inflation n’a pas lieu d’affecter le respect du principe d’égalité devant les charges publiques car leurs titulaires ne sont pas placés dans la même situation que ceux des prestations affectées par les dérogations en cause.

L. B.

D – Les droits sociaux

« Vers un nouveau contrat social entre agents et employeurs publics ? » (Décision n° 2019-790 DC du 1er août 2019, loi de transformation de la fonction publique). La loi de transformation de la fonction publique est présentée comme un nouveau contrat social entre agents et employeurs publics. Elle porte sur l’ensemble de la fonction publique, que celle-ci soit d’État, territoriale ou hospitalière et opère une profonde simplification du cadre de gestion des agents publics. Elle apporte de nouvelles souplesses aux élus et encadrants pour améliorer la qualité et l’efficacité des services publics dans les territoires. Elle améliore les droits sociaux des agents publics, dans le sens d’une plus grande équité entre les agents de la fonction publique et ceux du secteur privé. Elle conforte le cadre déontologique applicable aux agents publics et promeut la transformation de la haute fonction publique et son exemplarité, notamment en termes de rémunération. Elle renforce l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, et favorise l’insertion professionnelle et les parcours professionnels des personnes en situation de handicap.

Et pourtant, malgré ces avancées sociales revendiquées, cette loi a fait l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel avant promulgation dans le cadre du contrôle de constitutionnalité a priori de l’article 61 de la Constitution par plus de 60 députés. Au terme d’une décision de 67 paragraphes, le Conseil constitutionnel a déclaré ce projet de loi de 95 articles conforme à la Constitution.

Le présent commentaire portera sur les quatre critiques portées par les auteurs de la saisine : la réforme des instances du dialogue social dans la fonction publique (I), l’élargissement des possibilités de recruter des agents contractuels (II), l’indépendance des enseignants-chercheurs (III) et la réforme du droit de grève dans les services publics locaux (IV).

En outre, le Conseil constitutionnel a validé le dispositif spécifique de détachement d’office de fonctionnaires dans le cadre d’un transfert de missions de service public auprès d’un organisme privé ou d’un organisme public chargé d’une mission industrielle et commerciale. Après avoir rappelé que le principe de la liberté contractuelle découle de l’article 4 de la déclaration de 1789 (§ 60), le Conseil constitutionnel a jugé que ces modalités ne portent pas une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle76.

I. Sur la réforme des instances du dialogue social dans les trois fonctions publiques

Le huitième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 comprend la participation à la détermination des conditions de travail, d’une part, et, d’autre part, la gestion des entreprises. Faisant application de ces dispositions, le Conseil constitutionnel a vérifié que ces dispositions constitutionnelles n’étaient pas méconnues par la réforme de la consultation de la commission administrative paritaire (A) ni par la réforme des comités sociaux (B).

A. L’absence de consultation de la commission administrative paritaire sur certaines décisions individuelles : la non-méconnaissance du principe de participation des travailleurs de l’alinéa 8 du préambule de 1946

S’agissant des décisions individuelles soumises à l’examen des commissions administratives paritaires, les dispositions contestées prévoient celles listées par la loi et le règlement, notamment celles relatives à la mise en disponibilité, à l’appréciation de la valeur professionnelle, à la discipline et au licenciement pour insuffisance professionnelle, ou encore celles sur la titularisation des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers. Ces dispositions prévoient en outre la suppression de l’avis de la commission administrative paritaire pour diverses décisions individuelles, notamment sur l’établissement de la liste d’aptitude pour la promotion interne et l’avancement de grade pour l’ensemble des fonctionnaires.

Les auteurs de la saisine reprochaient à ces dispositions de priver de garanties légales le principe de participation.

Pour trancher la question, le Conseil constitutionnel a rappelé les dispositions constitutionnelles du huitième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et de l’article 34 de la Constitution. Puis opérant la conciliation de ces deux dispositions, il a énoncé qu’« ainsi, c’est au législateur qu’il revient de déterminer, dans le respect du principe énoncé au huitième alinéa du préambule, les conditions et garanties de sa mise en œuvre. Toutefois, le principe de participation concerne la détermination collective des conditions de travail. Or les dispositions contestées se bornent à limiter à certaines décisions individuelles relatives aux fonctionnaires l’examen des commissions administratives paritaires ». Il en déduit que « dès lors, les griefs tirés de l’incompétence négative et de l’atteinte aux exigences du huitième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 doivent être écartés » (§ 8 à 10).

Ce n’est pas la première fois que le Conseil constitutionnel fait application du principe de participation des travailleurs du huitième alinéa du préambule de 1946. Il y a recouru pour la première fois dans sa décision n° 77-79 DC du 5 juillet 1977, Loi portant diverses dispositions en faveur de l’emploi des jeunes et complétant la loi n° 75-574 du 4 juillet 1975 tendant à la généralisation de la sécurité sociale (cons. 3). Il a fait une application explicite du principe de participation aux fonctionnaires et aux agents publics dans la décision n° 2010-91 QPC du 28 janvier 2011, Fédération nationale CGT des personnels des organismes sociaux (cons. 2 à 4). À chaque fois, le Conseil constitutionnel concilie le principe de participation avec les dispositions de l’article 34 de la Constitution. S’agissant des décisions individuelles relatives aux agents publics, dans la décision n° 2015-465 QPC du 24 avril 2015, Conférence des présidents d’université (cons. 6), le Conseil constitutionnel a écarté l’application du principe de participation aux motifs que la formation du conseil académique compétente pour examiner les questions individuelles relatives au recrutement, à l’affectation et à la carrière des enseignants-chercheurs autres que les professeurs des universités n’était pas compétente pour la détermination collective des conditions de travail des enseignants-chercheurs.

B. L’absence d’une formation spécialisée en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail au sein des comités sociaux : la non-méconnaissance du principe de participation des travailleurs de l’alinéa 8 du préambule de 1946

Le projet de loi substitue aux comités techniques et comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (les anciens CHSCT) une instance paritaire unique dénommée comité social d’administration au sein de la fonction publique d’État, comité social territorial au sein de la fonction publique territoriale et comité social d’établissement au sein de la fonction publique hospitalière.

Les auteurs de la saisine reprochaient à ces dispositions de méconnaître le principe de participation au motif que cette instance ne comporte une formation spécialisée en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail que lorsque les effectifs de l’administration ou de l’établissement en cause dépassent un certain seuil.

Le Conseil constitutionnel a relevé qu’il résulte des dispositions critiquées que les comités sociaux d’administration, territoriaux ou d’établissement, qui sont composés de représentants de l’Administration et du personnel, connaissent, quel que soit l’effectif de l’administration ou de l’établissement, des questions relatives à la protection de la santé physique et mentale, à l’hygiène, à la sécurité des agents dans leur travail, à l’organisation du travail, au télétravail, aux enjeux liés à la déconnexion et aux dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques, à l’amélioration des conditions de travail et aux prescriptions légales afférentes. Il en a déduit que « même lorsqu’aucune formation spécialisée en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail n’est instituée au sein du comité social, les représentants du personnel participent, au sein de ce comité, à la protection de la santé et de la sécurité des agents ». En conséquence, il a jugé que le grief tiré de la méconnaissance du droit de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail ne pouvait qu’être écarté (§ 11 à 14).

Dans la décision n° 2011-134 QPC du 17 juin 2011, Union générale des fédérations de fonctionnaires CGT et autres (cons. 16), le Conseil constitutionnel a déjà fait application du principe de participation du huitième alinéa du préambule de 1946 à propos des comités techniques.

II. Sur l’élargissement des possibilités de recruter des agents contractuels dans les trois fonctions publiques

Certaines dispositions contestées élargissent les cas dans lesquels, par exception, des agents contractuels peuvent être recrutés pour occuper les emplois de direction dans la fonction publique d’État, territoriale et hospitalière. Elles poursuivent le même objet pour d’autres emplois permanents de l’administration de l’État et de la fonction publique territoriale. Elles permettent également aux établissements publics de santé et médico-sociaux de recruter des agents contractuels pour faire face à un accroissement temporaire ou saisonnier d’activité.

Les auteurs de la saisine soulevaient le grief de l’incompétence du législateur (A), celui tiré de la méconnaissance du principe d’égalité dans l’accès aux emplois publics (B) et demandaient la reconnaissance d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République (C).

A. Sur le grief tiré de la méconnaissance de l’incompétence négative du législateur

Pour vérifier le respect de l’article 34 de la Constitution, le Conseil constitutionnel en a d’abord rappelé son contenu. Il a ensuite rappelé le cadre posé par les lois du 13 juillet 1983 et du 26 janvier 1994, selon lesquels les emplois permanents de l’État, des collectivités territoriales et de leurs établissements à caractère administratif sont occupés par des fonctionnaires, et selon lesquels diverses dérogations sont prévues. Notamment, des lois d’application prévoient que des personnes n’ayant pas la qualité de fonctionnaires peuvent être nommées aux emplois de direction de l’État, de certaines collectivités territoriales et de certains établissements de coopération intercommunales, ainsi que certains établissements de la fonction publique hospitalière.

Le Conseil constitutionnel en a déduit qu’il « résulte de ce qui précède que le législateur a précisément défini les catégories d’emplois publics pouvant, par exception au principe fixé par les lois précitées selon lequel les emplois publics sont occupés par des fonctionnaires, être pourvus par des agents contractuels soumis à un régime de droit public, ainsi que les conditions dans lesquelles le recrutement de tels agents est autorisé pour les autres emplois publics. À cet égard, il pouvait, sans méconnaître l’étendue de sa compétence, renvoyer au pouvoir réglementaire la détermination des emplois de l’État, parmi ceux de direction, ouverts à un recrutement par la voie contractuelle ainsi que la liste des établissements publics dont les caractéristiques et l’importance justifient que leur directeur général puisse être un agent contractuel. De la même manière, le législateur pouvait prévoir qu’il est recouru à des contractuels pour les emplois publics “lorsque la nature des fonctions ou les besoins des services le justifient” et “pour les emplois publics pour lesquels une formation statutaire n’est pas nécessaire”. Ces notions, comme celles d’“accroissement temporaire” et d’“ accroissement saisonnier” d’activité, sont suffisamment précises au regard des exigences imposées au législateur par l’article 34 de la Constitution ».

Dès lors, le Conseil constitutionnel a écarté le grief tiré de la méconnaissance par le législateur de sa compétence (§ 20 à 28).

Pour juger ainsi, le Conseil constitutionnel a rappelé comme dans la décision n° 91-293 DC du 23 juillet 1991, Loi portant diverses dispositions relatives à la fonction publique (cons. 8), qu’« il appartient au législateur, compétent en vertu de l’article 34 de la Constitution pour fixer les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l’État et déterminer les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales, d’édicter les conditions générales d’accès aux emplois publics » (§ 20).

B. Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité dans l’accès aux emplois publics

Pour examiner ce grief, le Conseil constitutionnel a d’abord rappelé que les dispositions de l’article 6 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, précisant que le principe d’égal accès aux emplois publics n’interdit pas au législateur de prévoir que des personnes n’ayant pas la qualité de fonctionnaire puissent être nommées à des emplois qui sont en principe occupés par des fonctionnaires.

Il a relevé ensuite que le législateur a fixé des conditions pour le recrutement d’agents contractuels pour pourvoir des emplois permanents. En effet, le recrutement doit respecter une procédure garantissant l’égal accès aux emplois publics. À ce titre, l’autorité compétente assure la publicité de la vacance et de la création de ces emplois. Il appartient aux autorités compétentes, sous le contrôle du juge, de fonder leur décision de nomination sur la capacité des intéressés à remplir leur mission. Le recrutement d’un agent contractuel occupant un emploi dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient fait l’objet d’un contrôle déontologique, qui donne lieu, le cas échéant, à un avis de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique.

Le Conseil constitutionnel a jugé que dès lors, les dispositions contestées ne méconnaissent pas le principe d’égal accès aux emplois publics (§ 29 à 34).

Cette décision s’inscrit dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. En effet, s’agissant du recrutement d’agents publics, le Conseil constitutionnel n’exige pas la voie du concours ou d’un mode spécifique de recrutement mais il a jugé que le principe d’égal accès aux emplois publics impose de tenir compte pour le recrutement des seuls capacités, vertus et talents. C’est ainsi qu’il a statué notamment dans la décision n° 84-178 DC du 30 août 1984, Loi portant statut du territoire de la Nouvelle-Calédonie et dépendances (cons. 10).

S’agissant du recrutement de personnes n’ayant pas le statut de fonctionnaires, le Conseil constitutionnel a validé au regard du principe d’égal accès aux emplois publics des dispositions permettant ce recrutement à des emplois de directeurs d’établissements publics de santé ou d’établissements sociaux ou médico-sociaux, dans le cadre du contrôle de constitutionnalité a priori, notamment dans la décision n° 2009-584 DC du 16 juillet 2009, Loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (cons. 12), ou contrôle a posteriori, notamment dans la décision n° 2010-94 QPC du 28 janvier 2011, M. Robert C. (§ 1 à 4).

C. Le refus de reconnaître un nouveau PRLFR

Les auteurs de la saisine invoquaient la méconnaissance d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR), que ceux-ci demandaient au Conseil de reconnaître, selon lequel les fonctions régaliennes doivent être exercées par des agents publics bénéficiant du statut de fonctionnaires. Ils invoquaient dans leur saisine la continuité des règles posées par la loi, votées sans discontinuité sous les régimes républicains77.

Toutefois, le Conseil constitutionnel a constaté qu’« aucune exigence constitutionnelle n’impose que tous les emplois participant à l’exercice de “fonctions régaliennes” soient occupés par des fonctionnaires » (§ 36).

Le Conseil constitutionnel a en effet reconnu une dizaine de principes fondamentaux reconnus par les lois de la République depuis la décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971, Liberté d’association, et a fixé les critères d’identification de ces principes fondamentaux, cités dans le préambule de la Constitution de 1946 mais non énumérés78.

III. Sur l’indépendance des enseignants-chercheurs

Les dispositions critiquées modifient le Code de l’éducation relatif à la composition du conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche, statuant en matière disciplinaire, en prévoyant que la présidence de ce conseil est alors assurée par un conseiller d’État et que le reste de son collège est exclusivement composé d’enseignants-chercheurs.

Les auteurs de la saisine reprochaient à ces dispositions qu’en prévoyant que, en matière disciplinaire, ce conseil est présidé par une personne qui n’a pas la qualité d’enseignant-chercheur, le législateur aurait méconnu la garantie de l’indépendance des enseignants-chercheurs.

Le Conseil constitutionnel a écarté le grief en relevant que « la garantie de l’indépendance des enseignants-chercheurs résulte d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Toutefois, ce principe n’impose pas que l’instance disciplinaire qui les concerne soit présidée par un enseignant-chercheur ».

Le principe fondamental reconnu par les lois de la République d’indépendance des professeurs d’université a été dégagé par le Conseil constitutionnel dans la décision n° 83-165 DC du 20 janvier 1984, Loi relative à l’enseignement supérieur (cons. 18 à 20). Dans la décision n° 2010-20/21 QPC du 6 août 2010, M. Jean C. et autres, le Conseil constitutionnel avait considéré que « la garantie de l’indépendance des enseignants-chercheurs résulte d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République ; que, si le principe d’indépendance des enseignants-chercheurs implique que les professeurs et maîtres de conférences soient associés au choix de leurs pairs, il n’impose pas que toutes les personnes intervenant dans la procédure de sélection soient elles-mêmes des enseignants-chercheurs d’un grade au moins égal à celui de l’emploi à pourvoir » (cons. 6).

IV. Sur la réforme du droit de grève dans les services publics locaux

Les dispositions contestées visaient à donner un cadre pour l’exercice du droit de grève dans la fonction publique territoriale et prévoyaient des sanctions disciplinaires pour les agents n’ayant pas respecté les obligations prévues par ledit cadre.

Les auteurs de la saisine reprochaient aux dispositions critiquées de méconnaître les dispositions du septième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, soulignant que ces dispositions méconnaissaient la compétence du législateur (A) et apportaient des restrictions excessives au droit de grève (B).

A. Le rejet du grief tiré de l’incompétence négative du législateur

Pour examiner les dispositions critiquées, le Conseil constitutionnel a rappelé qu’« aux termes du septième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 : “Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent” ». En édictant cette disposition, les constituants ont entendu marquer que le droit de grève est un principe de valeur constitutionnelle mais qu’il a des limites et ils ont habilité le législateur à tracer celles-ci en opérant la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la sauvegarde de l’intérêt général auquel la grève peut être de nature à porter atteinte. En ce qui concerne les services publics, la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour effet de faire obstacle au pouvoir du législateur d’apporter à ce droit les limitations nécessaires en vue d’assurer la continuité du service public qui, tout comme le droit de grève, a le caractère d’un principe de valeur constitutionnelle. (§ 48).

Analysant les modalités d’encadrement du droit de grève des agents des services publics locaux, le Conseil constitutionnel a relevé que le législateur a suffisamment délimité le champ des services publics soumis aux dispositions contestées, qu’il a suffisamment encadré le contenu de l’habilitation donnée aux organisations syndicales et à la collectivité ou à l’établissement, et qu’il n’a pas méconnu sa compétence s’agissant de déterminer les services, les fonctions et le nombre d’agents indispensables afin de garantir la continuité du service public. Le Conseil constitutionnel a en conséquence écarté le grief tiré de l’incompétence négative du législateur (§ 49 à 52).

B. Le rejet du grief tiré de la méconnaissance du septième alinéa du préambule de 1946

Le Conseil constitutionnel a d’abord relevé les modalités d’encadrement du droit de grève des agents des services publics locaux. Il a noté que l’obligation de déclaration préalable de participation à la grève, qui ne saurait être étendue à l’ensemble des agents, n’est opposable qu’aux seuls agents participant directement à l’exécution des services publics mentionnés ci-dessus et qualifiés d’« indispensables » à la continuité du service public. Il a également constaté que les sanctions disciplinaires contestées sont uniquement destinées à réprimer l’inobservation des obligations de déclaration préalable et d’exercice du droit de grève dès la prise de service, dont la méconnaissance ne confère pas à l’exercice du droit de grève un caractère illicite.

Le Conseil constitutionnel a dès lors jugé qu’il « résulte de tout ce qui précède que les aménagements ainsi apportés aux conditions d’exercice du droit de grève ne sont pas disproportionnés au regard de l’objectif poursuivi par le législateur. Le grief tiré de la méconnaissance du septième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 doit donc être écarté » (§ 53 à 56).

Cette décision s’inscrit dans le fil de sa jurisprudence relative au droit de grève issue des décisions fondatrices n° 77-83 DC du 20 juillet 1977, Loi modifiant l’article 4 de la loi de finances rectificative pour 1961 (cons. 1 à 6) et n° 79-105 DC du 25 juillet 1979, Loi modifiant les dispositions de la loi n° 74-696 du 7 août 1974 relatives à la continuité du service public de la radio et de la télévision en cas de cessation concertée du travail (cons. 1 et 2), reconnaissant valeur constitutionnelle au droit de grève et le conciliant avec d’autres dispositions de valeur constitutionnelle, ici avec le principe de continuité du service public.

Notamment, dans la décision n° 2007-556 DC du 16 août 2007, Loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs (cons. 13) et dans la décision n° 2012-650 DC du 15 mars 2012, Loi relative à l’organisation du service et à l’information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports (cons. 6), le Conseil constitutionnel a été amené à déclarer conformes à la Constitution plusieurs aménagements aux conditions d’exercice du droit de grève : déclarations préalables portées à la connaissance de l’autorité administrative, champ des salariés concernés par les obligations déclaratives suffisamment circonscrit, sanction disciplinaire à l’encontre du seul salarié s’abstenant de façon répétée d’informer son employeur de participer à la grève ou de reprendre son service.

La décision n° 2019-816 QPC du 29 novembre 2019, Fédération nationale des syndicats du spectacle, du cinéma, de l’audiovisuel et de l’action culturelle CGT et autre, portant sur la restructuration des branches professionnelles, suscite l’intérêt sur plusieurs points. Le Conseil constitutionnel a censuré une disposition contestée et a, notamment sous deux réserves d’interprétation, déclaré les autres dispositions contestées conformes à la Constitution. Il a en outre innové dans sa jurisprudence en matière de négociation collective. Pour l’autorité et les effets des décisions du Conseil constitutionnel, voir la rubrique « Effets des décisions ».

De façon innovante en matière de négociation collective, le Conseil constitutionnel a visé les dispositions du sixième alinéa et du huitième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, ainsi que l’article 4 de la déclaration des droits de 1789, précisant qu’« il est loisible au législateur d’y apporter des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi ». Après avoir cité les dispositions de l’article 34 de la Constitution, le Conseil constitutionnel a rappelé que « la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit » (§ 9 à 12).

S’agissant des modalités pour opérer la restructuration des branches professionnelles, le Conseil constitutionnel a relevé qu’il résulte des dispositions contestées que les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d’employeurs qui souhaitent négocier un accord de remplacement sont, d’une part, contraintes de le faire dans le champ professionnel et géographique ainsi déterminé par le ministre et, d’autre part, tenues d’adopter des stipulations communes pour régir les situations équivalentes au sein de cette branche. Ce faisant, ces dispositions portent atteinte à la liberté contractuelle. Toutefois en s’appuyant sur les travaux préparatoires, le Conseil a jugé que le législateur a poursuivi un objectif d’intérêt général dans la mesure où il a entendu remédier à l’éparpillement des branches professionnelles, dans le but de renforcer le dialogue social au sein de ces branches et de leur permettre de disposer de moyens d’action à la hauteur des attributions que la loi leur reconnaît, en particulier pour définir certaines des conditions d’emploi et de travail des salariés et des garanties qui leur sont applicables, ainsi que pour réguler la concurrence entre les entreprises (§ 16 et 17).

Le Conseil a jugé que, compte tenu du motif d’intérêt général poursuivi et des différentes conditions et garanties prévues par le législateur pour encadrer les fusions, l’atteinte portée à la liberté contractuelle par les dispositions contestées n’est pas disproportionnée (§ 18 à 22).

En revanche, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution la disposition prévoyant que la procédure de fusion peut également être engagée « pour fusionner plusieurs branches afin de renforcer la cohérence du champ d’application des conventions collectives », au motif que le législateur n’a pas déterminé au regard de quels critères cette cohérence pourrait être appréciée. Le Conseil constitutionnel a en effet jugé que le législateur avait laissé à l’autorité ministérielle une latitude excessive dans l’appréciation des motifs susceptibles de justifier la fusion, et a, ce faisant, méconnu l’étendue de sa compétence dans des conditions affectant la liberté contractuelle (§ 24).

S’agissant des effets de la fusion sur la convention collective de la branche rattachée, le Conseil constitutionnel a rappelé que « le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la déclaration de 1789, ainsi que, s’agissant de la participation des travailleurs à la détermination collective de leurs conditions de travail, du huitième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 ». Il a jugé qu’en mettant fin de plein droit à l’application de la convention collective de la branche rattachée, ces dispositions portent atteinte au droit au maintien des conventions légalement conclues. Constatant que le législateur a entendu assurer l’effectivité de la fusion, le Conseil constitutionnel a jugé que, compte tenu de l’objectif d’intérêt général précédemment énoncé, la privation d’effet des stipulations de la convention collective de la branche rattachée qui régissent, non des situations propres à cette branche, mais des situations équivalentes à celles régies par la convention collective de la branche de rattachement, ne méconnaît pas le droit au maintien des conventions légalement conclues (§ 26 à 29).

En revanche, le Conseil a jugé que « ces dispositions ne sauraient, sans porter une atteinte excessive au droit au maintien des conventions légalement conclues, mettre fin de plein droit à l’application des stipulations de la convention collective de la branche rattachée qui régissent des situations spécifiques à cette branche ». Le Conseil constitutionnel a, sous cette réserve d’interprétation, écarté le grief tiré de la méconnaissance du droit au maintien des conventions légalement conclues (§ 30 et 31).

S’agissant des effets de la fusion sur la représentativité des partenaires sociaux, le Conseil constitutionnel a relevé que les conséquences de la fusion sont conformes à l’objet des règles de représentativité syndicale. Il a rappelé que la liberté d’adhérer au syndicat de son choix, prévue par le sixième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, n’impose pas que toutes les organisations syndicales de salariés et toutes les organisations professionnelles d’employeurs soient reconnues comme étant représentatives indépendamment de leur audience. Il en a conclu que le fait de priver les organisations syndicales de salariés représentatives dans les anciennes branches de la possibilité de signer l’accord de remplacement ou une nouvelle convention de branche lorsqu’elles ont perdu leur représentativité dans la nouvelle branche, ne méconnaît pas la liberté contractuelle et le droit au maintien des conventions légalement conclues. Il en va de même, en cas de perte de représentativité, de la faculté pour les organisations professionnelles d’employeurs de s’opposer à l’extension de l’accord de remplacement (§ 36 et 37).

En revanche, le Conseil a constaté que dans le cas particulier où les organisations représentatives dans chacune des branches fusionnées ont, dans le délai de 5 ans, entamé la négociation de l’accord de remplacement avant la mesure de l’audience suivant la fusion, les dispositions contestées, applicables tant aux organisations d’employeurs que de salariés, pourraient aboutir à les exclure de la négociation alors en cours, si ces organisations ne satisfaisaient plus aux critères de représentativité à l’issue de la nouvelle mesure de l’audience. Ensuite, le Conseil a rappelé d’une part que la participation de ces organisations à la négociation de cet accord garantit la prise en compte des spécificités de chacune de ces branches et que, d’autre part, la fusion peut conduire à remettre en cause les stipulations des conventions des branches fusionnées régissant des situations équivalentes. Le Conseil constitutionnel a jugé, sous une réserve d’interprétation, que « par conséquent, les dispositions contestées ne sauraient, sans méconnaître la liberté contractuelle, être interprétées comme privant les organisations d’employeurs et de salariés, en cas de perte de leur caractère représentatif à l’échelle de la nouvelle branche à l’issue de la mesure de l’audience suivant la fusion, de la possibilité de continuer à participer aux discussions relatives à l’accord de remplacement, à l’exclusion de la faculté de signer cet accord, de s’y opposer ou de s’opposer à son éventuelle extension » (§ 38 et 39).

C. R.

E – Les principes du droit répressif

Le principe de proportionnalité des peines est abordé dans la décision n° 2019-796 QPC du 5 juillet 2019, Société Autolille. L’article 8 de la déclaration des droits pose le principe de proportionnalité des peines dans ces termes : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Dans une jurisprudence constante, le Conseil considère que si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d’appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s’assurer de l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue. (§ 3). La raison de cette autolimitation se trouve dans la différence de nature des pouvoirs du Parlement et du Conseil constitutionnel, même si la décision n° 796 QPC ne le formule pas expressément, ce qu’il fait dans la décision n° 799/800 QPC ci- après pour justifier la même attitude du juge : « L’article 61-1 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité des dispositions législatives soumises à son examen aux droits et libertés que la Constitution garantit » (§ 5).

La sanction frappant le donneur d’ordre en cas d’omission des formalités prévues par l’article L. 8222-1 du Code du travail, qui caractérise le délit de travail dissimulé, présente le caractère d’une punition, et consiste en l’annulation des réductions ou des exonérations des cotisations ou contributions sociales dont le donneur d’ordre a bénéficié au titre des rémunérations versées à ses salariés (§ 5). Néanmoins, elle est plafonnée à un montant de 15 000 € pour une personne physique et de 75 000 € pour une personne morale, quel que soit le montant des réductions ou exonérations des cotisations ou contributions dues aux organismes de sécurité sociale obtenues par le donneur d’ordre. En outre, la sanction prononcée est modulée en fonction de l’ampleur et de la durée du travail dissimulé que le manquement sanctionné a pu faciliter.

La sanction est alors en adéquation avec l’objectif poursuivi de lutte contre le travail dissimulé et elle n’est pas manifestement hors de proportion avec la gravité de l’infraction, et l’article 8 de la déclaration des droits n’est pas méconnu.

Le Conseil a été saisi par deux QPC portant sur le même objet, à savoir la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 730-2-1 du Code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale79.

Ces dispositions imposent aux personnes condamnées pour certaines infractions terroristes d’accomplir, pour bénéficier d’une libération conditionnelle, certaines mesures probatoires, telles les mesures de semi-liberté, de placement à l’extérieur ou de placement sous surveillance électronique pendant une période d’1 an à 3 ans. Les requérants estimaient qu’elles méconnaissaient les principes de nécessité et de proportionnalité des peines garantis par l’article 8 de la déclaration, car les étrangers faisant l’objet d’une mesure d’éloignement du territoire ou d’une interdiction du territoire et n’étant pas éligibles à de telles mesures probatoires, seraient privés de toute possibilité d’obtenir une libération conditionnelle, ce qui rendrait incompressible, même en cas de réclusion criminelle à perpétuité, la peine à laquelle ils ont été condamnés. Le même article 8 serait également le fondement, selon eux, d’un principe de réinsertion.

Comme dans la décision n° 796 QPC ci-dessus, et pour les raisons évoquées, le Conseil rappelle que si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d’appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s’assurer de l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue. À ce titre, il est notamment tenu compte du régime juridique d’exécution de cette peine, cette exécution étant un élément de cette dernière. Le Conseil affirme que l’exécution des peines privatives de liberté en matière correctionnelle et criminelle a été conçue, non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser l’amendement de celui-ci et préparer son éventuelle réinsertion.

Pour les condamnés étrangers sous le coup d’une décision d’éloignement du territoire, telle qu’une expulsion ou une interdiction du territoire français, toute mesure de libération conditionnelle, dès lors que l’exécution de mesures probatoires est incompatible avec la décision d’éloignement du territoire, en particulier dans le cas où ces personnes ont été condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité, elles sont manifestement contraires au principe de proportionnalité des peines et sont donc contraires à la Constitution.

La décision n° 2019-815 QPC du 29 novembre 2019, Mme Carole L., rappelle que les principes tirés de l’article 8 de la déclaration des droits ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales mais s’étendent à toute sanction ayant le caractère d’une punition. La révocation automatique et obligatoire du sursis à exécution d’une peine disciplinaire en cas de nouvelle peine disciplinaire prononcée dans un délai de 5 ans à l’encontre d’un expert-comptable, prévue par l’article 53 de l’ordonnance du 19 septembre 1945, sans que le juge prononçant cette nouvelle peine puisse y faire échec ou moduler les effets de la révocation, serait contraire au principe d’individualisation des peines. Pour le Conseil, le principe d’individualisation des peines qui découle de cet article implique qu’une sanction disciplinaire ne puisse être appliquée que si le juge l’a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce (§ 4).

Dans le cas d’espèce, le Conseil a jugé que, eu égard à la gravité de la peine de suspension temporaire d’exercice professionnel, la seconde phrase du dixième alinéa de l’article 53 de l’ordonnance du 19 septembre 1945 méconnaissait le principe d’individualisation des peines et devait donc être déclarée contraire à la Constitution (§ 9). En effet, la révocation du sursis n’a pas pour objet de sanctionner de nouvelles fautes mais de tirer les conséquences de la méconnaissance des conditions auxquelles était subordonnée la suspension de l’exécution de la peine précédemment prononcée. Or selon les dispositions contestées, la révocation du sursis, pour une durée longue de 5 ans, intervient pour toute nouvelle sanction disciplinaire, même se rapportant à des faits non liés à l’activité professionnelle. Cette révocation peut donc intervenir quelles que soient la nature et la gravité du manquement sanctionné et de la peine prononcée et sans que la juridiction disciplinaire puisse alors s’y opposer ou en moduler les effets. Elle porte atteinte aux principes de proportionnalité et d’individualisation des peines du fait de son caractère excessif par rapport à la gravité de la faute et des conditions, notamment procédurales, dans lesquelles elle est prononcée, mais aussi du fait de son automaticité.

M. V.

F – Les droits processuels

1 – Le droit au recours, le droit à un procès équitable et le principe d’impartialité et d’indépendance des juridictions

Le Conseil constitutionnel reconnaît, sur le fondement de l’article 16 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, un droit constitutionnel à un recours juridictionnel effectif80. Ce droit peut donc être invoqué à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité81.

Dans les décisions n° 2019-795 QPC du 5 juillet 2019 et n° 2019-803 QPC du 27 septembre 2019, le Conseil s’est prononcé sur la compatibilité du monopole du ministère public pour l’exercice de certaines poursuites avec le droit au recours des victimes d’actes fautifs. Le monopole du ministère public pour engager les poursuites n’est pas, en lui-même, inconstitutionnel. Le Conseil estime que le droit au recours des victimes d’actes fautifs n’implique pas un droit de mettre en mouvement l’action publique, mais simplement une faculté d’agir en responsabilité82. Cette faculté d’agir en responsabilité se déduit de l’article 4 de la déclaration de 178983. Par cette interprétation de la déclaration, le Conseil confère valeur constitutionnelle au principe issu de l’article 1240 du Code civil (art. 1382 anc.) qui dispose que « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer »84. Néanmoins, le législateur peut aménager, pour un motif d’intérêt général, les conditions dans lesquelles la responsabilité peut être engagée (Cons. const., 22 juill. 2005, n° 2005-522 DC, cons. 10), à condition qu’il n’en résulte pas une atteinte disproportionnée aux droits des victimes d’actes fautifs d’agir en responsabilité ainsi qu’au droit à un recours juridictionnel effectif85.

Dans la décision n° 2019-795 QPC du 5 juillet 2019, Commune de Sainte-Rose et autre, le Conseil reprend le considérant de principe formulant les exigences relatives à la fois au principe de responsabilité et au droit au recours. En l’espèce, était en cause le monopole dont dispose le ministère public pour exercer des poursuites devant les juridictions financières. L’article L. 242-1 du Code des juridictions financières, dans sa rédaction résultant de la loi du 28 octobre 2008 relative à la Cour des comptes et aux chambres régionales des comptes, prévoyait que seul le ministère public peut engager des poursuites à l’encontre du comptable public en vue d’engager sa responsabilité personnelle et pécuniaire devant les juridictions financières. En conséquence, les collectivités territoriales victimes des comportements fautifs d’un comptable public n’ont pas la faculté de saisir les chambres régionales des comptes. Elles ne peuvent pas davantage contester devant les juridictions financières les manquements du comptable lui ayant causé un préjudice lorsque de tels manquements n’ont pas été visés dans le réquisitoire du ministère public (§ 6). Le Conseil a estimé que l’objet principal de ce régime spécial de responsabilité des comptables publics n’est pas l’indemnisation des collectivités, mais la garantie de la régularité des comptes publics (§ 7). De plus, il a relevé que ce régime spécial n’est pas exclusif de la responsabilité des mêmes comptables attachée à leur qualité d’agent public. Ainsi, les collectivités publiques victimes peuvent toujours agir en responsabilité, selon les voies du droit commun, contre l’État ou contre le comptable lui-même (§ 8). Il en déduit qu’il n’y a pas d’atteinte disproportionnée au droit des collectivités publiques victimes d’obtenir réparation de leur préjudice ni au droit à un recours juridictionnel effectif (§ 9). Le Conseil avait déjà eu l’occasion de reconnaître une faculté d’agir en responsabilité au profit des autorités publiques dotées de la personnalité morale autres que l’État sur le fondement du droit au recours86. Dans la présente décision, il affirme explicitement un droit des collectivités publiques victimes d’obtenir réparation de leur préjudice indépendant du droit au recours (§ 9).

Dans la décision n° 2019-803 QPC du 27 septembre 2019, Mme Fabienne V., le Conseil devait se prononcer sur la constitutionnalité du monopole du ministère public pour engager des poursuites en cas d’infraction commise par un militaire lors d’une opération extérieure. L’article 698-2 alinéa 2 du Code de procédure pénale (CPP) prévoit que l’action publique ne peut être mise en mouvement que par le procureur de la République lorsqu’il s’agit de faits commis dans le cadre d’une opération extérieure. Le Conseil a estimé que ces dispositions ne méconnaissent ni le droit à un recours juridictionnel effectif, ni le principe d’égalité devant la justice87. Dans cette décision, le Conseil s’est fondé uniquement sur le droit à un recours juridictionnel effectif, résultant de l’article 16 de la déclaration, et non sur la faculté d’agir en responsabilité, déduite de son article 4. Il a néanmoins relevé que « les dispositions contestées ne privent pas la partie lésée de la possibilité d’obtenir réparation du dommage que lui ont personnellement causé les faits commis par le militaire devant, selon le cas, le juge administratif ou le juge civil » (§ 5). Dès lors que la personne est susceptible d’obtenir réparation, il n’y a pas d’atteinte au droit au recours. Le Conseil confirme ainsi sa jurisprudence relative au droit à un recours juridictionnel effectif dans le cadre de poursuites pénales : la personne victime d’actes susceptibles de recevoir une qualification pénale n’a pas un droit à ce que des poursuites pénales soient engagées, mais simplement un droit d’agir en responsabilité.

Le droit à un recours juridictionnel effectif était également en cause dans la décision n° 2019-807 QPC du 4 octobre 2019, M. Lamin J. Le Conseil devait se prononcer sur la conformité à la Constitution de la première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 556-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Ces dispositions prévoient que, lorsque l’Administration décide de maintenir un étranger en rétention au motif qu’il a présenté une demande d’asile dans le seul but de faire échec à l’exécution de la mesure d’éloignement, ce dernier peut contester cette décision devant le juge administratif dans les 48 heures. Néanmoins, d’après la jurisprudence de la Cour de cassation, lorsqu’aucune décision de maintien en rétention n’est prise, l’étranger ne peut pas saisir le juge des libertés et de la détention (JLD) d’une demande de mainlevée de la rétention. La Cour estime que « l’existence, la date ou le contenu de l’arrêté de maintien en rétention faisant suite à une demande d’asile formalisée en cours de rétention échappe au contrôle du juge judiciaire pour relever de la compétence du juge administratif »88. En conséquence, l’étranger doit d’abord saisir le juge administratif pour qu’il enjoigne à l’Administration de se prononcer pour ensuite saisir le JLD pour qu’il se prononce sur la mainlevée de la détention. Ces dispositions et leur interprétation étaient contestées à la fois sur le fondement de la méconnaissance de l’article 66 de la Constitution89 et du droit à un recours juridictionnel effectif. Le Conseil n’a pas estimé qu’une telle complexité dans la procédure était contraire au droit à un recours juridictionnel effectif. Il a d’abord relevé que, dans le cas où une décision de maintien en détention a été prise, l’étranger qui a demandé l’asile postérieurement à son placement en rétention peut déférer au juge administratif cette décision. Il a ensuite souligné que, dans le cas où aucune décision de maintien n’aurait été prise, il peut saisir le juge administratif d’un référé-liberté afin qu’il soit enjoint à l’Administration de se prononcer sur sa situation (§ 14). La charge porte ainsi sur l’étranger qui doit exercer un recours en référé et apporter la preuve d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, à charge pour lui également de saisir ensuite le juge judiciaire. La répartition du contentieux du droit des étrangers entre les deux ordres de juridiction complexifie largement l’exercice de recours contre les décisions de placement et de maintien en détention, mais le Conseil ne considère pas qu’une telle complexité constitue, en elle-même, une atteinte au droit au recours. Pour la première fois, il le déclare expressément dans une formule de principe : « il ne saurait résulter de la seule répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction une atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif » (§ 14).

Sur le fondement de l’article 16 de la déclaration, le Conseil constitutionnel reconnaît également les principes d’indépendance et d’impartialité qui sont indissociables de l’exercice des fonctions juridictionnelles90. Ces principes s’appliquent aussi bien à l’égard des juridictions91 que des autorités administratives ou publiques indépendantes exerçant un pouvoir de sanction92. Le principe d’impartialité implique notamment « la séparation au sein de l’autorité entre, d’une part, les fonctions de poursuite et d’instruction des éventuels manquements et, d’autre part, les fonctions de jugement des mêmes manquements »93. Dans la décision n° 2019-798 QPC du 26 juillet 2019, M. Windy B., le Conseil était saisi de l’article L. 232-22 du Code du sport dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 30 septembre 2015 relative aux mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer le respect des principes du Code mondial antidopage, ratifiée par l’article 221 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé. Ces dispositions prévoient que l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) est compétente pour infliger des sanctions disciplinaires aux personnes non licenciées dans certaines conditions. Le Conseil, après avoir rappelé les principes applicables en la matière (§ 5), a estimé que les dispositions contestées méconnaissaient le principe d’impartialité. Cette décision s’inscrit dans la lignée des précédentes décisions en la matière et en particulier d’une décision de 2018 relative à la saisine d’office de l’AFLD pour réformer les décisions de sanctions disciplinaires prononcées par les fédérations sportives agrées. Il avait alors estimé que les dispositions en cause n’opérant aucune séparation, au sein de l’AFLD, entre les fonctions de poursuites et de jugement méconnaissaient le principe d’impartialité94. Le législateur est intervenu depuis pour modifier la procédure disciplinaire devant l’AFLD par l’ordonnance n° 2018-603 du 11 juillet 2018. Dans la présente décision, le Conseil était saisi des dispositions antérieures à cette réforme. Il a d’abord relevé que, dans les cas où l’AFLD se prononce sur les sanctions éventuelles après que les poursuites ont été engagées par une fédération, il n’y avait pas de confusion entre les fonctions de poursuite et de jugement (§ 9). En revanche, il a souligné que dans les autres cas, aucune disposition législative n’opère de séparation entre les fonctions de poursuite des éventuels manquements commis par les personnes non licenciées et les fonctions de jugement de ces mêmes manquements (§ 10). Il souligne ainsi qu’il appartient au législateur d’organiser une telle séparation et qu’elle ne peut résulter d’un règlement ou d’une situation de fait. Pour respecter le principe d’impartialité, le législateur doit donc s’abstenir d’instituer une confusion des fonctions de poursuites et de jugement, mais il doit également expressément organiser leur séparation. Le Conseil a en conséquence déclaré ces dispositions inconstitutionnelles avec effet différé et fixé un régime transitoire95.

L’article 16 de la déclaration sert également de fondement au droit à un procès équitable96 et aux droits de la défense97. Dans la décision n° 2019-801 QPC du 20 septembre 2019, M. Jean-Claude F., le Conseil avait à connaître de l’article 453, alinéa 1er, du Code de procédure pénale qui prévoit comment sont établies les notes d’audience par le greffier lors des débats devant le tribunal correctionnel. Il était reproché à ces dispositions de ne pas imposer au greffier de retranscrire intégralement les débats. Cela empêcherait le prévenu de démontrer que le procès ne s’est pas déroulé dans le respect des formes prescrites et porterait ainsi atteinte au droit à un procès équitable et aux droits de la défense (§ 2). Le Conseil a estimé que ces droits n’étaient pas méconnus. En l’espèce, il a d’abord relevé que toute partie à une audience correctionnelle peut établir par tout moyen la preuve de l’irrégularité de la procédure suivie lors de cette audience correctionnelle, le cas échéant par la voie de l’inscription de faux. Ensuite, il a rappelé la procédure prévue à l’article 459 du Code de procédure pénale qui permet de déposer des conclusions faisant état d’une telle régularité. Dans ce cas, le dépôt des conclusions est obligatoirement mentionné dans les notes d’audience et le tribunal est tenu d’y répondre dans son jugement. Enfin, il a souligné que les parties à l’audience peuvent demander auprès du président du tribunal correctionnel qu’il leur soit donné acte dans les notes d’audience de propos tenus ou d’incidents (§ 6). Il en a déduit que les parties n’étaient pas dans l’impossibilité d’apporter la preuve de l’existence d’une irrégularité ayant affecté le déroulement d’une audience correctionnelle (§ 7).

Les droits de la défense étaient également en cause dans la décision n° 2019-802 QPC du 20 septembre 2019, M. Abdelnour B98. Dans cette décision, le Conseil s’est prononcé sur la constitutionnalité de l’article 706-71 du Code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2016-1636 du 1er décembre 2016 relative à la décision d’enquête européenne en matière pénale. Ces dispositions fixent les conditions de recours à des moyens de télécommunication audiovisuelle dans le cadre d’une procédure pénale. Il était reproché à ces dispositions de ne pas prévoir que le détenu qui a déposé une demande de mise en liberté puisse s’opposer à ce que son audition devant la chambre de l’instruction ait lieu par visioconférence (§ 3). Le Conseil a estimé que ces dispositions étaient contraires aux droits de la défense (§ 13). Il a néanmoins défini assez précisément les conditions dans lesquelles des dispositions similaires pourraient être conformes à la Constitution. Il n’a ainsi pas reconnu de droit absolu, en matière de détention provisoire, de comparaître physiquement devant son juge. Il a d’abord relevé qu’une personne placée en détention provisoire peut demander sa mise en liberté à tout moment et que lorsque la chambre de l’instruction est ainsi saisie, la comparution personnelle de l’intéressé est de droit s’il le demande. Il a souligné qu’en conséquence la chambre de l’instruction est susceptible d’être saisie, par une même personne, de nombreuses demandes de mise en liberté successives, accompagnées d’une demande de comparution personnelle, qui impliquent alors l’organisation d’autant d’extractions de l’intéressé, lorsqu’il n’est pas recouru à un moyen de télécommunication audiovisuelle (§ 7). En conséquence, il a estimé qu’en permettant au juge d’imposer la télécommunication audiovisuelle, le législateur avait entendu éviter les difficultés et les coûts occasionnés par les extractions judiciaires, ce qui contribue à la bonne administration de la justice99 et au bon usage des deniers publics100, qui sont deux objectifs de valeur constitutionnelle101. Il rappelle que le juge peut toujours privilégier la comparution physique de l’intéressé devant lui s’il l’estime nécessaire (§ 10). Il relève également que l’intéressé peut s’entretenir avec son avocat et que la communication doit se tenir dans des conditions qui garantissent le droit de la personne à présenter elle-même ses observations (§ 11). Enfin, il souligne qu’en dehors des cas où le transport de la personne détenue paraît devoir être évité en raison de risques graves de troubles à l’ordre public ou d’évasion, l’intéressé peut s’opposer au recours à la télécommunication audiovisuelle dans deux cas : lorsqu’il est statué sur son placement en détention provisoire et lors de la prolongation de cette détention. En conséquence, l’intéressé a la faculté d’être présenté physiquement devant la chambre de l’instruction dès le début de sa détention, puis à chaque prolongation de celle-ci, c’est-à-dire tous les 4 mois en matière délictuelle et tous les 6 mois en matière criminelle (§ 12). Le Conseil considère donc que ces dispositions sont suffisamment protectrices des droits de la défense. Il n’en va pas de même s’agissant des dispositions permettant que, par exception, en matière criminelle, la première prolongation de la détention provisoire n’intervienne qu’à l’issue d’une durée d’1 an. Le Conseil estime que le fait qu’une personne placée en détention provisoire puisse être privée, pendant une année entière, de la possibilité de comparaître physiquement devant le juge appelé à statuer sur sa détention porte une atteinte excessive aux droits de la défense (§ 13). Les dispositions ont donc été déclarées inconstitutionnelles avec un effet différé102. Cette décision s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence du Conseil relative au recours à des moyens de télécommunication audiovisuelle en matière pénale. Il avait récemment considéré que la possibilité d’imposer le recours à des moyens de télécommunication audiovisuelle lorsque l’intéressé doit être entendu en vue de la prolongation de sa détention, y compris lorsque ce recours n’est pas justifié par des risques graves de troubles à l’ordre public ou d’évasion, était contraire à la Constitution103. Dans les deux cas, cette inconstitutionnalité est prononcée eu égard à l’importance de la garantie qui s’attache à la présentation physique de l’intéressé devant la juridiction compétente pour connaître de la détention provisoire et en l’état des conditions dans lesquelles s’exerce le recours à ces moyens de télécommunication (§ 13). Le Conseil n’exclut ainsi pas de faire évoluer sa jurisprudence si les conditions dans lesquelles s’exerce le recours à la télécommunication changent. Il trace donc progressivement les limites et les conditions d’un délai acceptable entre deux présentations physiques dans le cadre de la détention provisoire : un délai de 6 mois est conforme à la Constitution, mais un délai d’1 an est excessif. De plus, des exceptions pour les situations à risque sont toujours possibles.

M. B.

2 – Le principe de sécurité juridique (…)

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cons. const., 23 nov. 1977, n° 77-87 DC, plaçant le principe de liberté de l’enseignement au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR).
  • 2.
    V aussi Cons. const., 11 juill. 2001, n° 2001-450 DC, cons. 3 et 4, loi portant diverses dispositions d’ordre social, éducatif et culturel, la loi étant fondée « sur des critères objectifs de nature à garantir le respect de l’exigence constitutionnelle d’égal accès à l’instruction » (cons. 33).
  • 3.
    Dans une rédaction identique, v. Cons. const., 8 mars 2018, n° 2018-763 DC, loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants, § 12 et 25.
  • 4.
    Cons. const., 29 juill. 2016, n° 2016-558/559 QPC, M. Joseph L. et a., § 7.
  • 5.
    V. Cons. const., 9 août 2012, n° 2012-654 DC, loi de finances rectificative pour 2012 (II), cons. 76.
  • 6.
    Cons. const., 27 juill. 1982, n° 82-141 DC, loi sur la communication audiovisuelle pour l’objectif de sauvegarde de l’ordre public, cons. 5 – et Cons. const., 23 juill. 1999, n° 99-416 DC, loi portant création d’une couverture maladie universelle, cons. 45.
  • 7.
    V. aussi rubriques « Rapports de systèmes », « Principe d’égalité et Principes du droit répressif ».
  • 8.
    2019, LexisNexis.
  • 9.
    Rouchdi B. et a., § 26 et s.
  • 10.
    V. aussi rubrique « Normes constitutionnelles ».
  • 11.
    Cons. const., 10 juin 2004, n° 2004-496 DC, « Économie numérique ».
  • 12.
    Cons. const., 3 févr. 2016, n° 2015-520 QPC, Sté Metro Holding France.
  • 13.
    Cons. const., 9 mars 2017, n° 2016-615 QPC, Épx V. ; Cons. const., 13 avr. 2018, n° 2018-699 QPC, Sté Life Sciences Holdings France.
  • 14.
    Cons. const., 26 juill. 2013, n° 2013-334/335 QPC, Sté Somaf et a.
  • 15.
    V. Cons. const., 26 mai 2011, n° 2011-630 DC, loi relative à l’organisation du championnat d’Europe de football de l’UEFA en 2016.
  • 16.
    V. rubrique « Institutions constitutionnelles ».
  • 17.
    Cons. const., 22 nov. 2019, n° 2019-814 QPC, Sté Prato Corbara.
  • 18.
    V. CE, 16 nov. 2011, n° 353172, Ville de Paris et Sté d’économie mixte PariSeine.
  • 19.
    Circulaire impérative, v. CE, 18 déc. 2002, n° 233618, Dame Duvignères.
  • 20.
    V. rubrique « Pouvoir juridictionnel ».
  • 21.
    V. rubrique « Principes du droit répressif ».
  • 22.
    V. rubrique « Principes du droit répressif ».
  • 23.
    Publiée dans sa rédaction initiale au JO, 8 juill. 1977, p. 3579.
  • 24.
    JO, 12 avr. 2003, p. 6488.
  • 25.
    Cons. const., 12 janv. 2012, n° 2011-4538, SEN, Sénat, Loiret, cons. 5 à propos de la désignation du corps électoral du Sénat.
  • 26.
    Cons. const., 22 févr. 2012, n° 2012-233 QPC, Mme Marine Le Pen, cons. 9 et 10.
  • 27.
    Cons. const., 7 août 2017, n° 2017-4977 QPC/AN, A.N., Gard (6e circ.), M. Raphaël Belaïche, § 10 et 11.
  • 28.
    Loi relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques, cons. 12.
  • 29.
    Cons. const., 12 févr. 2004, n° 2004-490 DC, loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française, cons. 84.
  • 30.
    Cons. const., 21 avr. 2016, n° 2016-729 DC, loi organique de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle, cons. 14 – et Cons. const., 19 avr. 2018, n° 2018-764 DC, loi organique relative à l’organisation de la consultation sur l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie, § 8 et 9.
  • 31.
    Cons. const., 17 janv. 1979, n° 78-101 DC, loi portant modification des dispositions du titre 1er du livre V du Code du travail relatives aux conseils de prud’hommes, cons. 5, à propos de l’octroi d’un vote plural à certains électeurs pour l’élection des conseillers prud’hommes. Contra, pour l’élection de représentants des assurés sociaux – v. Cons. const., 14 déc. 1982, n° 82-148 DC, loi relative à la composition des conseils d’administration des organismes du régime général de sécurité sociale, cons. 9.
  • 32.
    Cons. const., 8 août. 1985, n° 85-196 DC, loi sur l’évolution de la Nouvelle-Calédonie, cons. 16.
  • 33.
    Cons. const., 12 janv. 2012, n° 2016-729 DC – Cons. const., 21 avr. 2016, n° 2016-729 DC, loi organique de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle, cons. 14.
  • 34.
    Cons. const., 3 avr. 2003, n° 2003-468 DC, loi relative à l’élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen, cons. 12 et 13.
  • 35.
    Cons. const., 31 mai 2017, n° 2017-651 QPC, Association En marche !, § 4 à 11.
  • 36.
    Cons. const., 4 avr. 2013, n° 2013-314P QPC, M. Jeremy F.
  • 37.
    Cons. const., 30 déc. 1976, n° 76-71 DC, décision du Conseil des communautés européennes relative à l’élection de l’Assemblée des Communautés au suffrage universel direct, cons. 4 à 7.
  • 38.
    Cons. const., 9 avr. 1992, n° 92-308 DC, Traité sur l’Union européenne, cons. 31 à 34.
  • 39.
    Cons. const., 20 déc. 2007, n° 2007-560 DC, Traité de Lisbonne modifiant le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, cons. 7 et 20.
  • 40.
    Cons. const., 9 avr. 1992, n° 92-308 DC, cons. 21 à 27.
  • 41.
    CAA Paris, 1re ch., 21 févr. 2019, n° 18PA03353.
  • 42.
    Cons. const., 25 juill. 2019, n° 2019-788 DC.
  • 43.
    Cons. const., 25 juill. 2019, n° 2019-789 DC.
  • 44.
    Cons. const., 4 juill. 2019, n° 2019-785 DC, § 8-11, § 28-34 – Cons. const., 11 juill. 2019, n° 2019-786 DC, § 9-10.
  • 45.
    Cons. const., 25 juin 2009, n° 2009-581 DC, cons. 20 – Cons. const., 11 juin 2015, n° 2015-712 DC, cons. 26, 32 et 38 – Cons. const., 16 janv. 2018, n° 2017-757 DC, § 11 et 16.
  • 46.
    Cons. const., 4 juill. 2019, n° 2019-785 DC, § 31.
  • 47.
    Cons. const., 31 mai 1994, n° 94-339 DC, cons. 6 – Cons. const., 25 juin 2009, n° 2009-581 DC cons. 26.
  • 48.
    Cons. const., 4 juill. 2019, n° 2019-785 DC, § 24.
  • 49.
    Cons. const., 4 juill. 2019, n° 2019-785 DC, § 14.
  • 50.
    Cons. const., 8 nov. 1995, n° 95-366 DC, cons. 20 – Cons. const., 15 déc. 1995, n° 95-368 DC, cons. 20.
  • 51.
    Cons. const., 4 juill. 2019, n° 2019-785 DC, § 25-26 – Cons. const., 11 juill. 2019, n° 2019-786 DC, § 15-16.
  • 52.
    Cons. const., 11 juill. 2019, n° 2019-786 DC, § 17.
  • 53.
    Cons. const., 19 janv. 2006, n° 2005-532 DC, cons. 26.
  • 54.
    Cons. const., 8 sept. 2017, n° 2017-752 DC, § 18.
  • 55.
    V. supra, « La procédure devant le Conseil constitutionnel ».
  • 56.
    V. ci-dessus « Normes de référence ».
  • 57.
    Cons. const., 9 avr. 2009, n° 2009-579 DC.
  • 58.
    Cons. const., 16 mai 2013, n° 2013-667 DC.
  • 59.
    Cons. const., 1er juill. 2014, n° 2014-12 FNR – Cons. const., 16 janv. 2014, n° 2013-683 DC.
  • 60.
    Cons. const., 13 août 2015, n° 2015-718 DC.
  • 61.
    Cons. const., 3 avr. 2003, n° 2003-468 DC.
  • 62.
    Cons. const., 22 mars 2012, n° 2012-651 DC, loi de programmation relative à l’exécution des peines, cons. 6.
  • 63.
    Cons. const., 20 nov. 2003, n° 2003-484 DC, cons. 89.
  • 64.
    V. rubrique « Droits de la défense ».
  • 65.
    V. rubrique « Liberté individuelle et droits de la défense ».
  • 66.
    Cons. const., 23 janv. 1987, n° 86-224 DC, cons. 15 et s.
  • 67.
    Loi relative aux conditions de séjour et d’entrée des étrangers en France, cons. 19 et s.
  • 68.
    Cons. 25. V, dans un autre domaine, Cons. const., 27 nov. 2001, n° 2001-451 DC, loi portant amélioration de la couverture des non-salariés agricoles contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, cons. 42 et s.
  • 69.
    Cons. const., 25 juill. 2001, n° 2001-448 DC.
  • 70.
    Cons. const., 20 déc. 2019, n° 2019-795 DC.
  • 71.
    § 16, v. rubrique « L’autorité et les effets des décisions du Conseil constitutionnel ».
  • 72.
    Cons. const., 23 juill. 1999, n° 99-416 DC, loi portant création d’une couverture maladie universelle, cons. 45.
  • 73.
    V. rubrique « Normes de référence ».
  • 74.
    V rubrique « Finances publiques de l’État ».
  • 75.
    V. rubrique « Finances publiques de l’État ».
  • 76.
    V. Cons. const., 19 nov. 2009, n° 2009-592 DC, loi relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, cons. 8 à 11, à propos du transfert des personnels, ici ceux de l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes à Pôle Emploi – et Cons. const., 14 juin 2013, n° 2013-322 QPC, M. Philippe W. à propos du statut des maîtres des établissements d’enseignement privés, § 6 à 8.
  • 77.
    V. rubrique « Normes de référence ».
  • 78.
    V. Cons. const., 16 juill. 1971, n° 71-44 DC – et Cons. const., 17 mai 2013, n° 2013-669 DC, loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, cons 17 à 21 – pour écarter la reconnaissance d’un nouveau PFRLR.
  • 79.
    Cons. const., 6 sept. 2019, n° 2019-799/800 QPC, Mme Alaitz A. et M. Hussen A. V. Rubrique « Principe d’égalité ».
  • 80.
    Cons. const., 21 janv. 1994, n° 93-335 DC – et Cons. const., 9 avr. 1996, n° 96-373 DC, cons. 83.
  • 81.
    Cons. const., 11 juin 2010, n° 2010-2 QPC.
  • 82.
    Cons. const., 19 nov. 1993, n° 93-327 DC, cons. 12 – et Cons. const., 31 janv. 2014, n° 2013-363 QPC, cons. 8.
  • 83.
    Cons. const., 31 janv. 2014, n° 99-419 DC, cons. 70.
  • 84.
    Cons. const., 22 oct. 1982, n° 82-144 DC, cons. 3.
  • 85.
    Cons. const., 11 juin 2010, n° 2010-2 QPC, cons. 11.
  • 86.
    Cons. const., 25 oct. 2013, n° 2013-350 QPC, cons. 7.
  • 87.
    V. rubrique « Principe d’égalité devant la loi ».
  • 88.
    Cass. 1re civ., 6 mars 2019, n° 18-13908.
  • 89.
    V. rubrique « Le pouvoir juridictionnel ».
  • 90.
    V. par ex. Cons. const., 25 mars 2011, n° 2010-110 QPC, cons. 3.
  • 91.
    V. par ex. Cons. const., 28 déc. 2006, n° 2006-545 DC, cons. 24.
  • 92.
    V. par ex. Cons. const., 12 oct. 2012, n° 2012-280 QPC, cons. 16
  • 93.
    Cons. const., 5 juill. 2013, n° 2013-331 QPC, cons. 12.
  • 94.
    Cons. const., 4 mai 2018, n° 2018-704 QPC, § 9.
  • 95.
    § 12-15, v. rubrique « L’autorité et les effets des décisions du Conseil constitutionnel ».
  • 96.
    Cons. const., 10 juin 2004, n° 2004-496 DC, cons. 6.
  • 97.
    Cons. const., 30 mars 2006, n° 2006-535 DC, cons. 24 et 41.
  • 98.
    V. rubrique « Pouvoir juridictionnel ».
  • 99.
    Cons. const., 3 déc. 2009, n° 2009-595 DC, cons. 4.
  • 100.
    Cons. const., 29 déc. 2003, n° 2003-489 DC, cons. 33 – et Cons. const., 2 déc. 2004, n° 2004-506 DC, cons. 33.
  • 101.
    Cons. const., 28 déc. 2006, n° 2006-545 DC, cons. 24.
  • 102.
    V. rubrique « L’autorité et les effets des décisions du Conseil constitutionnel ».
  • 103.
    Cons. const., 21 mars 2019, n° 2019-778 DC, § 234.
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