Droit constitutionnel hellénique
A. Pantelis, Droit constitutionnel hellénique (Notions de base, histoire constitutionnelle hellénique, organisation de l’État, droits de l’Homme), L’Harmattan, 608 p., 49 €.
L’approfondissement du droit comparé, dont l’importance est enfin reconnue par les juristes français trop longtemps réticents à encourager son étude, se heurte au problème de la maîtrise des langues. Et c’est donc un petit événement lorsqu’un ouvrage fondamental, devenu un classique dans un pays étranger, se voit traduit dans notre langue et offert à la communauté des juristes français.
Le droit constitutionnel hellénique du professeur Antoine Pandélis qui vient d’être publié par l’Harmattan a pour origine son Manuel de droit constitutionnel, ouvrage magistral de référence publié en 2005 et régulièrement refondu et réédité. L’auteur est agrégé de droit, professeur à l’université d’Athènes depuis près de trente ans et la fidélité de ses liens avec le droit français est remarquable. Étudiant il avait choisi d’écrire sa thèse en français, sous la direction du professeur Léo Hamon, travail brillant ayant reçu les meilleures mentions, portant sur Les grands problèmes de la nouvelle Constitution hellénique, publiée par LGDJ, en 1979, dans la Bibliothèque de droit constitutionnel et de science politique. Toujours en langue française qu’il maîtrise parfaitement, on lui doit un bel ouvrage sur Les décisions essentielles du Conseil constitutionnel, en collaboration avec Sonia Dubourg-Lavroff, paru en 1994, chez l’Harmattan.
Le professeur Antoine Pantelis a aussi établi des relations suivies avec les universités françaises, en particulier celle de Bordeaux : il est membre correspondant de l’Académie des sciences, Belles-lettres et Arts de cette ville et l’université Panthéon-Sorbonne (Paris 1) a eu aussi le plaisir de l’accueillir à plusieurs reprises. Voici donc offerte aux juristes français l’occasion de fréquenter aisément le droit constitutionnel hellénique, don précieux d’un maître de cette discipline.
La première phrase de l’introduction est catégorique : le droit constitutionnel, parce qu’il a pour objet le pouvoir, la liberté et la démocratie est « le cours le plus séduisant dispensé dans les facultés de droit ». C’est aussi la matière dont l’étude doit provoquer un « réel plaisir », ce qui oblige celui qui l’enseigne à en faire ressortir tout le charme. Défi ici remarquablement relevé, car c’est bien le terme de séduction qui convient pour présenter cet ouvrage.
Séduction de la forme par une écriture élégante, fluide, parfaitement maîtrisée, une présentation épurée, allant droit à l’essentiel, alternant théorie et pratique en introduisant de nombreux exemples aisément repérables par les petits caractères, et résumant souvent les débats par des « Récapitulations ».
Séduction de la présentation, toujours très claire des institutions, des acteurs des systèmes. Séduction de l’originalité des idées et des débats, ce qui répond à la vocation qu’il donne au droit constitutionnel de « cultiver l’imagination », exercice rare et difficile et de fournir la charpente des règles sans entrer dans les détails : le droit administratif, pénal, procédural… s’en chargeront.
Le plan lui-même ne manque pas de singularité avec une architecture comportant un bâtiment central traitant du droit constitutionnel hellénique, de son histoire (2e partie) et de l’organisation de l’État (3e partie) flanqué de deux ailes latérales : les notions de base (1re partie) et les droits de l’Homme (4e partie).
Le lecteur aura ainsi une présentation de l’histoire constitutionnelle de la Grèce, laquelle est particulièrement mouvementée : 26 régimes différents entre 1821 et 1974, l’alternance entre monarchie et république, démocratie royale ou parlementaire, le tout entrecoupé de schismes, crises, coups d’État militaires, révolutions, pronunciamento façon Amérique latine…
Il sera éclairé sur l’État grec contemporain depuis la constitution de 1975 qui a suivi le coup d’État des colonels en 1967 et les 7 ans de dictature militaire. Mais les dictatures en Grèce sont brèves, observe Antoine Pantélis, à la différence de celles subies par d’autres pays européens car une tradition démocratique s’est imposée dans son pays depuis les débuts du XIXe siècle.
L’organisation de l’État est analysée à partir de cinq organes qualifiés de « directs » : le peuple, la chambre des députés, le président de la République, le gouvernement, les tribunaux et à partir des sources du droit présentées dans un ordre hiérarchique, avec un soin particulier apporté au rapport entre le droit national et les normes internationales et européennes et une analyse fine du dialogue des juges.
Mais le lecteur aura d’abord été initié aux « Notions de base » qui s’attachent aux éléments fondamentaux de la matière : le pouvoir, l’État, la démocratie, la souveraineté, le peuple, le territoire, la nation, la typologie des régimes, le suffrage, afin de conceptualiser l’analyse des institutions. Et la description des organes de l’État sera suivie d’une partie consacrée aux droits de l’Homme, un sujet que l’auteur a choisi de traiter isolément comme pour mieux les mettre en valeur en recherchant comment les institutions précédemment décrites assurent le respect de ces droits.
Une constitution, écrit joliment Antoine Pantélis, est comme le texte d’une tragédie antique. La représentation repose certes sur les acteurs (organes de l’État), le chœur (le peuple), les décors (les territoires), la mise en scène (les luttes politiques), la musique (l’idéologie dominante) mais sans le texte cette représentation ne pourrait avoir lieu : « Le succès de la constitution correspond à la catharsis ».
Cette catharsis aux origines grecques et dont la signification donne lieu à des interprétations diverses est souvent présentée comme menant au plaisir par la conquête de l’harmonie. L’ouvrage du professeur Antoine Pantélis, magistral et savant mais aussi lumineux par l’apparente simplicité et la vraie clarté avec laquelle les questions les plus délicates sont traitées, mettra les lecteurs dans cet état de catharsis, l’étude du droit constitutionnel devenant alors un plaisir.