Introduction

Publié le 30/11/2016

 

La situation matérielle que la République assure à ses anciens présidents vient de donner lieu à un contentieux qui fait écho, avec un temps de retard, à celui qu’avait naguère suscité le statut pénal du président en exercice ; tous deux, l’un sur un mode plutôt trivial, l’autre plus relevé, sur celui des principes, témoignent de l’ambigüité d’une fonction qui cumule les attributions officielles de chef de l’État parlementaire avec l’autorité effective de chef du Gouvernement. À l’occasion de ces contestations limitées et spécifiques, le droit comparé confirme la singularité du président de la Ve République, spécimen de « l’exception française » dont on commence à se demander s’il y a lieu de se féliciter autant qu’on a coutume de le faire.

En 2002, il s’agissait de concilier l’immunité traditionnelle, mais contestée, du chef de l’État avec la responsabilité institutionnelle qu’appelle son rôle politique ; ce qui fut fait en consacrant la jurisprudence Breisacher de la Cour de cassation1 tout en substituant à l’obsolète et équivoque procédure de jugement pour haute trahison celle, inédite, de destitution pour « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat »2 (la formule avait alors suscité des interrogations quant à sa signification pratique, mais l’expérience du présent quinquennat fournit, semble-t-il, des exemples topiques que l’on n’a pas manqué de relever…). Avec quelque retard3, la loi constitutionnelle du 23 février 2007 a entériné cette conciliation.

Aujourd’hui la question se présente, plus prosaïquement, au regard du sort matériel des anciens présidents ; elle a donné lieu à l’arrêt Anticor du 28 septembre 2016, ainsi que du décret prestement rendu le 4 octobre à la lumière du rapport établi par le vice-président du Conseil d’État et par le Premier président de la Cour des comptes4. L’analyse de droit comparé que comporte ledit rapport atteste la singularité de la situation assurée aux anciens présidents de la Ve République, qui est comme l’ombre portée de la fonction qu’ils ont exercée.

En effet, telle qu’elle ressort de cette comparaison, leur situation présente des aspects contrastés. Du point de vue financier, les anciens présidents de la République bénéficient depuis la loi du 3 avril 1955 d’une dotation qui se situe dans la moyenne des revenus assurés à leurs homologues étrangers, quoique « dans la fourchette basse » note le rapport, tandis que sont nettement plus favorables les avantages matériels (locaux, personnels et véhicules mis à disposition), qui ont été consentis par la lettre qu’adressa, le 8 janvier 1985, le Premier ministre Laurent Fabius à l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing.

Première singularité, sur le plan des sources, le statut administratif et financier des anciens présidents résulte de la combinaison d’une loi adoptée sous la IVe République et d’une lettre faisant suite – discrètement : elle ne fut pas publiée – à l’alternance de 1981. Seconde singularité, sur le fond, leurs revenus, légués par la IVe République, sont ceux d’un chef d’État « normal », tandis que les substantiels avantages matériels qui leur sont accordés ont pour objet de leur assurer les moyens de conserver une place en rapport avec le rôle qu’ils jouent sous la Ve République. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le problème se posa pour la première fois avec Valéry Giscard d’Estaing, qui n’entendait pas quitter la scène politique, et la suite le confirma : le rajeunissement dans l’accès à la fonction encouragé par le quinquennat n’incite pas à une retraite prématurée.

Mais la situation se complique pour ce qui est des revenus, le rapport précité réservant le cas délicat des indemnités attribuées au titre de membres de droit et à vie du Conseil constitutionnel conféré par le deuxième alinéa de l’article 56 de la Constitution ; or ces indemnités sont cumulées avec la dotation de la loi de 1955 : la situation des anciens présidents devient alors nettement plus favorable que celle de leurs homologues étrangers. Mais elle ne va pas sans soulever des interrogations, car l’article 56, alinéa 2 C répondait à une préoccupation toute circonstancielle concernant le sort qu’il paraissait convenable, en 1958, d’assurer aux anciens chefs de l’État de la IVe République – laquelle n’avait pas été particulièrement généreuse à leur égard puisqu’elle leur octroyait la pension d’un simple conseiller d’État. Compte tenu du rôle alors envisagé pour le Conseil constitutionnel, la confortable et paisible retraite qu’on leur destinait à titre de joyeux avènement de la nouvelle République pouvait se comprendre. En revanche, l’évolution, on pourrait dire la métamorphose, du Conseil, depuis la saisine parlementaire en 1974 jusqu’à la QPC en 2008, a rendu la présence des successeurs de Vincent Auriol et de René Coty peu compatible avec le caractère de plus en plus juridictionnel de l’institution où ils siègent, et cela en raison précisément de leur rôle politique. C’est pourquoi, la suppression du deuxième alinéa de l’article 56 C est instamment réclamée, et on sait que, soutenue par Robert Badinter, elle fut même votée par le Sénat sur l’amendement d’Hugues Portelli lors de la révision de 2008, mais l’Assemblée nationale la rejeta, conformément au vœu du président de la République d’alors, qui ne soupçonnait pas les déboires que le contrôle des dépenses de campagne par le Conseil allait lui réserver5. Un projet de loi constitutionnelle en ce sens déposé le 14 mai 2013 est d’ailleurs en instance.

En attendant qu’il soit enfin fait un sort à ce serpent de mer, la question du revenu des anciens présidents reste traitée par prétérition, le décret du 4 octobre 2016 s’en tenant à l’aménagement de leur « soutien matériel et en personnel » qui était contesté par les requérants de l’affaire Anticor au motif du caractère quasi clandestin de la lettre du 8 janvier 1985. Cette régularisation tardive et incomplète de ce qu’il faut bien qualifier de bricolage juridico-politique reflète l’embarras croissant que provoque une fonction qui est politiquement envahissante mais constitutionnellement équivoque : qu’il soit à l’Élysée ou qu’il le quitte, le président de la Ve République est décidemment un personnage encombrant !

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. crim., 10 oct. 2001, n° 01-84922, concl. De Gouttes : RFDC 2002, p. 68, notes Waschsmann P. ; RFDA 2001, p. 1169, note Drago G. ; RA n° 324, p. 637.
  • 2.
    « Le statut pénal du président de la République », rapport présenté par la commission de réflexion sur le statut pénal du président de la République, La documentation française, 2003.
  • 3.
    Sur ce retard, v. Avril P., « Le fantôme présidentiel. L’impensé de la Cinquième République », in Mélanges en l’honneur du Doyen Jean-Pierre Machelon, 2015, LexisNexis, p. 5.
  • 4.
    Mars 2016 ; http://www.vie-publique.fr/IMG/pdf/anciens-presidents-rapport.pdf
  • 5.
    Cons. const., 4 juill. 2013, n° 2013-156 PDR.
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