Laurent Fabius : QPC360° « un outil utile à tous les acteurs de la procédure »

Publié le 30/01/2023

Le Conseil constitutionnel a décidé de dédier un portail à la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) dénommé QPC360°. Présenté officiellement à la presse le 16 janvier, il est d’ores et déjà opérationnel. Laurent Fabius, président du Conseil, nous dévoile l’ambition que porte ce nouvel outil dédié à ce qu’il qualifie de « révolution de velours ». 

Laurent Fabius : QPC360°  "un outil utile à tous les acteurs de la procédure"
Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel

Actu-Juridique : Quand l’idée de dédier un portail à la QPC est-elle née ?

Laurent Fabius : Elle est née il y a deux ans, lorsque nous avons dressé un bilan circonstancié des dix premières années de cette réforme considérable qu’a été l’attribution, à compter du 1er mars 2010, à chaque justiciable du droit de contester, par la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité, la conformité à la Constitution d’une loi qu’il est envisagé de lui appliquer.

En conclusion du bilan que nous avons dressé en relation avec tous les acteurs de la procédure, chacun s’accordait à dire que cette « question citoyenne » a été une révolution de velours dans l’ordre juridique français. Elle a d’ores et déjà permis des progrès tangibles de la protection des droits et libertés dans notre pays.

La principale ombre au tableau que nous avions identifiée était qu’il n’était jusqu’ici pas possible de connaître l’activité de la QPC en son entier. Autant nous connaissons bien ce que jugent dans ce cadre le Conseil constitutionnel, le Conseil d’État ou la Cour de cassation, autant nous restaient inconnus le nombre de questions soulevées à l’échelle nationale et, plus encore, les réponses qu’y apportent les différents juges partout en France.

C’est pourquoi j’avais annoncé que, en deux ans, le Conseil constitutionnel allait bâtir, en relation avec le Conseil d’État, avec la Cour de cassation, avec les avocats et avec l’Université le système d’information qui faisait défaut à cette procédure. Nous sommes au rendez-vous. Ce nouveau site internet, que nous avons appelé QPC 360° pour marquer clairement son objet, vient de naître.

Actu-Juridique : Quel est l’objectif poursuivi ? S’agit-il simplement d’une information dédiée aux professionnels ou bien vise-t-on aussi le grand public ?

LF : Ce service est conçu pour être utile aux citoyens, aux justiciables, aux différents professionnels du droit francophones ou non, aux professeurs, aux étudiants et aux journalistes. Chacun peut accéder à l’ensemble des contenus du site, mais chacun peut également se reporter particulièrement à des rubriques contenant des éléments plus spécifiquement conçus à son intention. C’est dans cette même perspective que nous resterons à l’écoute des attentes de ces différents publics afin de faire vivre ce nouvel outil dans le temps.

Les objectifs que nous poursuivons se complètent en réalité les uns les autres.

Au titre du bon fonctionnement de notre démocratie, il s’agit d’abord de répondre au besoin de rendre accessibles toutes les contestations dont les lois peuvent faire l’objet au regard de la Constitution et d’expliquer à ceux qui souhaitent la découvrir comment fonctionne la procédure de la QPC. C’est une contribution concrète à la consolidation de l’État de droit dans notre pays.

Dans le même temps il s’agit de répondre aux questions plus précises, y compris très pratiques, de celles et ceux qui sont amenés à s’emparer de la procédure. C’est ce qui est fait par une « foire aux questions » très complète ou par la mise à disposition des avocats d’un vade-mecum de la QPC, comprenant des modèles de mémoires, qui a été établi par le Conseil national des barreaux.

Il s’agit enfin, pour les praticiens les plus avancés de la procédure, de proposer une information exhaustive dans des conditions inédites en rassemblant sur un même site l’ensemble des décisions QPC de l’ensemble des juridictions françaises, quelle qu’en soit la nature, décisions d’irrecevabilité, de rejet ou de transmission.

Actu-Juridique : Le site du Conseil constitutionnel permettait déjà l’accès au calendrier des audiences, aux séances en direct et bien entendu aux décisions. Que trouvera-t-on de plus sur le portail ?

LF : La principale innovation, qui a nécessité la mise au point d’un cadre réglementaire spécifique, réside dans le fait de rassembler sur ce site les décisions QPC de multiples juridictions et de chercher à construire un outil utile à tous les acteurs de la procédure.

Nous pouvons le faire en prenant appui sur la démarche d’open data des deux ordres de juridiction, mais aussi parce qu’il a été convenu d’impartir aux greffes des juridictions concernées de transmettre directement au Conseil constitutionnel les décisions QPC qui restent hors de cette démarche d’open data, dans l’attente du parachèvement de celle-ci.

Recevant toutes ces décisions, le Conseil constitutionnel prend à sa charge la pseudonymisation de celles dont les mentions nominatives n’ont pas été occultées par l’ordre de juridiction concerné. Il assortit également la décision de différents éléments d’analyse pour faciliter ensuite les recherches par principe constitutionnel invoqué ou par disposition législative contestée. Il effectue un travail d’indexation qui nous permettra de mieux mesurer quels sont les domaines dans lesquels sont soulevées les QPC.

C’est une démarche véritablement originale. À ma connaissance, c’est la première fois qu’une Cour constitutionnelle s’emploie ainsi à travailler avec l’ensemble des juridictions intervenant dans le cadre d’une procédure visant au contrôle de la conformité des lois à la Constitution.

Actu-Juridique : On pourra donc à terme suivre le cheminement d’une QPC depuis la demande originelle jusqu’à la décision du Conseil ?

LF : Exactement. Nous allons progressivement voir apparaître ce que l’on pourrait appeler le « chaînage » de la procédure, du stade où la QPC a été soulevée devant le premier juge, jusqu’à son examen par la juridiction du filtre qu’est le Conseil d’État ou la Cour de cassation et à son examen par le Conseil constitutionnel.

On verra apparaître tout aussi bien les QPC qui auront été rejetées d’emblée par le premier juge, ce qui sera assurément intéressant, par exemple, pour observer si les mêmes questions ont pu être soulevées de différentes parts, si les réponses qui y sont apportées convergent. Ce sera également intéressant d’observer si l’activité de la procédure varie significativement en fonction des branches du droit ou des parties du territoire. Munis de ce système d’information qui nous faisait défaut, nous pourrons mieux appréhender l’effectivité du droit qui a été ouvert en 2010 aux justiciables.

Actu-Juridique : Avec le recul, comment analysez-vous le rôle joué par les QPC dans notre démocratie ?

LF : La réponse à votre question est d’abord dans les douze années écoulées de jurisprudence, qui ont permis au Conseil constitutionnel de juger d’ores et déjà plus de mille questions. Les progrès des droits fondamentaux qui en ont résulté bénéficient à toutes et tous. Je pourrais citer la présence de l’avocat durant la garde à vue, la consécration de la valeur constitutionnelle du principe de fraternité ou de l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement mais il en est tant d’autres à souligner.

Conformément à ce qui a été souhaité par le Constituant, la QPC donne à notre Constitution toute sa place dans notre ordre juridique, non pas en concurrence mais en bonne articulation avec le contrôle des lois au regard des engagements internationaux de la France. Elle touche tous les domaines du droit, et accentue ce que les spécialistes appellent leur « fondamentalisation ».

À l’heure où nombreux sont ceux qui appellent de leurs vœux un renforcement de la place donnée au citoyen comme acteur de la démocratie, je crois important que nous mesurions que, avec la QPC, nous avons un exemple probant d’un droit nouveau reconnu au citoyen, au bénéfice de l’intérêt général. La QPC soulevée par tel justiciable présente de l’intérêt pour chacun, soit qu’elle permette de nous assurer toutes et tous de la conformité de la loi à la Constitution, soit, si elle lui est contraire, en permettant son abrogation. Et ce n’est pas théorique : dans environ un dossier sur trois, le Conseil constitutionnel censure les dispositions qui sont portées devant lui par la voie de la QPC.

La création de la QPC a également transformé le Conseil constitutionnel lui-même, qui est aujourd’hui grandement reconnu comme une véritable « cour constitutionnelle » et dont 80 % de l’activité s’exerce dans le cadre de la procédure QPC.

Vous le comprenez, il existait une sorte de nécessité à doter à la QPC d’un système d’information à la mesure des enjeux qui s’y attachent. Tel est l’objet du service QPC 360°. Que chacune et chacun s’en empare !

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