Le droit interne des partis politiques
Benetti J., Levade A. et Rousseau D. (dir.), Le droit interne des partis politiques, 2017, Mare & Martin, Institut des sciences juridiques et de la Sorbonne, 202 p., 24 €.
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Les débats autour de la nature exacte d’En Marche, mouvement ou parti1, et de la fin de la possibilité offerte à ses membres de conserver une autre appartenance partisane, ou encore, l’enjeu évident que constituent tant l’élection du président des Républicains que la réorganisation du Parti socialiste prouvent à l’évidence que, malgré les critiques récurrentes et la méfiance qu’ils inspirent parfois, les partis politiques restent un acteur central de notre vie démocratique.
Ces organisations sont naturellement susceptibles d’être approchées sous bien des angles et offrent notamment à la science politique et à la sociologie des sujets de choix. Pour autant, le droit ne saurait être absent de cette analyse. C’est tout particulièrement vrai du droit interne des partis politiques, matière riche et qui, contrairement à une fréquente intuition, ne se limite pas à de simples questions techniques d’organisation, mais influe profondément sur ces organisations, tout en nous disant beaucoup sur elles. C’est pourquoi la lecture de cet ouvrage collectif, Le droit interne des partis politiques, s’avère aussi utile que stimulant.
Il est issu de la journée d’études consacrée à cette question qui a rassemblé spécialistes et praticiens, en hommage au doyen Jean-Claude Colliard, dont on sait combien il s’y était intéressé, aussi bien comme universitaire que comme citoyen engagé. Il avait en particulier bien décrit le rôle des partis politique dans l’élaboration d’une sorte de constitution politique, bien sûr non écrite, qu’il définissait ainsi : « À côté de la constitution juridique, il y a, définie par le système de partis, une véritable constitution politique, à côté des règles juridiques, le jeu des acteurs »2. Et c’est bien là un des paradoxes que pointe Pierre Avril dans son introduction au présent ouvrage : jamais l’ombre portée par les partis sur le fonctionnement de nos institutions n’a été aussi importante et jamais, dans le même temps, ils n’ont fait l’objet d’une telle défiance. Le droit ne résoudra évidemment pas cette contradiction, mais il peut permettre « d’affiner le diagnostic »3.
Pour poser celui-ci, il faut tout d’abord s’intéresser à la liberté des partis politiques, qui leur est absolument indispensable.
C’est évidemment le cas en ce qui concerne leur liberté d’organisation qui, comme le rappelle Daniel Gaxie, « est une composante fondamentale des systèmes démocratiques »4. Une liberté qui tend toutefois à se nuancer de plus en plus, au contact de principes concurrents, comme par exemple celui de non-discrimination, qui influe sur la désignation des candidats à travers les règles de financement des partis.
Autre liberté incontournable des partis politiques, dans la mesure où ils vivent par et pour des idées : la liberté idéologique. Le droit interne des partis y participe, à travers notamment la possibilité de refuser des adhésions, par exemple de personnes appartenant déjà à un autre mouvement politique, ou encore celle qui leur est donnée de sanctionner voire d’exclure un de leurs membres, non sans respect des statuts toutefois5. Cette liberté idéologique n’est cependant pas absolue, ce qui pose l’éternelle question des buts licites et, par voie de conséquence, des limites que la démocratie est en droit de poser à ceux qui sont soupçonnés de ne pas partager ses valeurs. On sait que la question est résolue de manière différente selon les systèmes politiques, l’Allemagne contemporaine présentant sans doute l’une des positions les plus fermes sur le sujet. L’article 21 de la loi fondamentale prévoit en effet la possibilité d’interdire des partis politiques, ce jusqu’à quoi ne va pas l’article 4 de la constitution de la Cinquième République. En France, ce sont les procédures de droit commun, celles de la loi de 1901 sur les contrats d’association et celle du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et milices privées, qui trouveraient à s’appliquer.
Outre leur liberté, le second grand aspect des partis politiques saisi par le droit interne réside dans la manière dont s’organise et s’exerce la démocratie en leur sein.
Sur ce sujet, Damien Lecomte et Frédéric Sawicki nous offrent une réflexion appuyée sur le cas du Parti socialiste (PS), remarquablement éclairante parce qu’elle montre bien que le PS a rompu avec sa tradition d’un parti définissant lignes et orientations pour adopter la logique des institutions de la Cinquième République dans laquelle ces consignes proviennent du président de la République. Cette mue rencontre cependant ses limites. En effet, sous le quinquennat de François Hollande, de multiples dissensions ont abouti à ce que, finalement, le jeu se stabilise autour « d’un gouvernement dominant, au prix d’un groupe divisé et d’un parti affaibli »6.
Autre question fondamentale dans nos démocraties judiciarisées, posée par Jean-Pierre Camby, « les partis peuvent-ils avoir un juge ? »7. De fait, le juge intervient bel et bien dans l’activité des partis, à commencer par le financement, dont on connaît le caractère stratégique dans l’activité partisane. En définitive, Jean-Pierre Camby en vient presque à renverser la perspective, en soulignant que c’est « la reconnaissance de la spécificité de l’action des partis politiques [qui] reste à construire »8.
Enfin, Rémi Lefebvre aborde, à partir de l’analyse du cas du PS et de l’UMP, l’apparition en France des primaires ouvertes, un phénomène dont nous avons désormais tendance à oublier combien il paraissait peu probable il y a à peine plus de 10 ans. Il insiste en effet sur la variété des facteurs (affaiblissement des partis, vacances de leadership auxquelles les primaires fournissent une solution procédurale, mimétisme…) qui expliquent cette acclimatation en France d’un processus longtemps considéré comme radicalement incompatible avec notre culture politique. Dès lors, il apparaît que « le grand récit de la démocratisation ne saurait (…) tenir lieu d’explication à la diffusion des primaires en France, qui obéit à des logiques multiples et ne revêt aucune dimension de nécessité »9. À l’appui de cette hypothèse de la contingence des primaires, on relèvera d’ailleurs que la question de leur pérennité semble posée10.
En conclusion, que retenir de ces réflexions et de ces regards croisés sur le droit interne des partis politiques ? Sans doute, tout simplement, qu’ici comme ailleurs, le droit est indispensable, car facteur de clarté et garant d’un fonctionnement opérant, mais qu’il ne saurait constituer l’unique horizon des partis politiques, dont le but ultime est bien d’être des instruments de transformation de la société. Conclusion un peu modeste, mais réaliste, qui correspond finalement bien à ce que doit être l’ambition du droit.
Notes de bas de pages
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1.
V. par ex., à ce sujet, Martin J., « Exclusif. Le “mouvement” de Macron ? En fait, un parti politique très classique », 8 avr. 2016, https://tempsreel.nouvelobs.com/politique/20160408.OBS8166/exclusif-le-mouvement-de-macron-en-fait-un-parti-politique-tres-classique.html.
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2.
Colliard J.-C. « L’action de la constitution sur les partis politiques », in Mathieu B. (dir.), Cinquantième anniversaire de la constitution de 1958, 2008, Dalloz, p. 573.
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3.
Avril P., p. 20.
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4.
Gaxie D., « La liberté d’organisation des partis », p. 23.
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5.
Pour un exemple médiatisé de ce nécessaire respect des statuts, v. « La justice annule la suspension de Jean-Marie Le Pen du FN », Le Monde, 2 juill. 2015.
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6.
Lecomte D. et Sawicki F., « Discipline partisane et discipline majoritaire sous la Ve République : le cas du Parti », p. 124.
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7.
Camby J.-P., « Les partis peuvent-ils avoir un juge ? », p. 129.
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8.
Camby J.-P., art. préc., p. 148.
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9.
Lefebvre R., « Comment les primaires ouvertes sont-elles devenues possibles en France ? Une approche comparée des processus d’adoption au PS et à l’UMP », p. 165.
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10.
Goar M., « La primaire, déjà passée de mode à droite », Le Monde, 28 sept. 2017, révèle ainsi que « selon une consultation interne (des Républicains), 70 % des adhérents rejettent cette solution pour 2022 », http://www.lemonde.fr/politique/article/2017/09/28/la-primaire-deja-passee-de-mode-a-droite_5192860_823448.html#P9iFlBRh6GmH4uQ0.99.