Les déclarations gouvernementales de l’article 50-1 de la Constitution – De l’inédit en période de Covid-19
Le 4 avril 2020, le Sénat a pour la première fois désavoué un gouvernement après que celui-ci a décidé de son propre chef, sur le fondement de l’article 50-1 de la Constitution, l’organisation d’un vote après avoir présenté une déclaration suivie d’un débat sur la stratégie nationale du plan de déconfinement dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19. Ce désaveu est inédit au regard des modalités de mise en œuvre de ce dispositif, de la controverse qu’elle a soulevée et des objectifs poursuivis par le gouvernement.
Le 4 avril 2020, le Sénat a pour la première fois désavoué un gouvernement après que celui-ci a décidé de son propre chef, sur le fondement de l’article 50-1 de la Constitution, l’organisation d’un vote après avoir présenté une déclaration suivie d’un débat sur la stratégie nationale du plan de déconfinement dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19. Ce désaveu, acquis à une courte majorité où plus de la moitié des sénateurs se sont abstenus, intervient après plus de 11 ans de mise en œuvre d’un dispositif né de la révision constitutionnelle de 2008. Il a fallu attendre la 49e déclaration et le 10e vote organisé sous son empire pour que « ce nouveau droit »1 donné au Parlement connaisse une telle issue.
Néanmoins, cette votation n’emporte aucune conséquence juridique sur le maintien du gouvernement d’Édouard Philippe, comme l’avait été la désapprobation de la politique générale prononcée un an plus tôt en application de l’article 49, alinéa 4. Elle n’a pas non plus empêché la poursuite de l’ordre du jour et la discussion en procédure accélérée du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire auquel cette déclaration était intellectuellement liée. Le dispositif de l’article 50-1 pourrait apparaître alors « superfétatoire »2 comme certains sénateurs l’avaient jugé durant les débats constituants de 2008 ou « sans objet ni effet »3 comme d’autres auteurs l’ont plus récemment reconnu. Or l’intérêt à accorder à ce désaveu sénatorial ne se résume pas à sa primeur. Déjà, il est le vecteur par lequel se sont exprimées les dissensions du Parlement au moment d’aborder une nouvelle phase de la crise sanitaire que la France traverse depuis près de 2 mois, les députés ayant adopté cette même déclaration à une large majorité une semaine plus tôt4. Surtout, les modalités dans lesquelles la procédure de l’article 50-1 a été mise en œuvre sont inédites (I). L’est également la controverse constitutionnelle apparue à l’Assemblée nationale sur le moment où le vote doit se dérouler après la clôture du débat auquel donne lieu la déclaration gouvernementale (II). Enfin, l’objectif poursuivi (III) par l’usage de l’article 50-1 apparaît aussi inédit : pallier l’impossibilité présidentielle de recourir à la réunion du Parlement en Congrès, à moins que le but consistât, sous couvert, à maintenir ce gouvernement bien au-delà de la crise sanitaire grâce à la confiance accordée par une Assemblée nationale acquise à sa cause et un Sénat hostile depuis le début du quinquennat.
I – Des modalités inédites
Le dispositif de l’article 50-1 n’impose aucun impératif au gouvernement. Il conserve toujours le dernier mot. Il a le choix du sujet de sa déclaration, de l’assemblée devant laquelle il la présentera, du moment où elle aura lieu, et enfin de la tenue d’un scrutin à l’issue du débat. Les rares contraintes posées par l’article 50-1 sont résiduelles. La première concerne l’objet de la déclaration. Elle doit porter sur un « sujet déterminé », ce qui signifie a minima sa définition préalable et un champ suffisamment circonscrit. La deuxième cible les auteurs de l’initiative. Le gouvernement peut se voir adresser des demandes de la part des groupes parlementaires visés à l’article 51-1 à ce qu’il procède à une déclaration. Quand bien même il n’est pas tenu juridiquement d’y répondre favorablement, la seule circonstance qu’il doive prendre position peut le mettre dans l’embarras. La troisième contrainte réside dans le débat qui suit sa déclaration durant lequel les parlementaires de l’opposition pourront s’exprimer selon les modalités fixées par l’article 132 du règlement de l’Assemblée nationale et les articles 39 et 29 ter du règlement du Sénat.
La main mise gouvernementale sur ce dispositif et l’absence de conséquence juridique expliquent son succès : 25 déclarations devant le Sénat et 24 devant l’Assemblée nationale depuis la date d’entrée en vigueur du mécanisme5. Tous les Premiers ministres y ont recouru, même Bernard Cazeneuve dont le gouvernement est resté en fonction à peine 6 mois. Ce dispositif a été utilisé une à neuf fois par session parlementaire, hormis celle de 2009-2010 qui n’en a connu aucune. Le gouvernement d’Édouard Philippe a grandement contribué à son succès sachant qu’il est intervenu 7 fois devant chaque assemblée depuis sa nomination. Cette statistique est un peu plus faible que le second gouvernement dirigé par Manuel Valls qui en compte 18 durant ses 2 ans d’exercice. Le gouvernement d’Édouard Philippe avait donc déjà recouru à l’article 50-1 avant les initiatives des 28 avril et 4 mai, y compris durant la session en cours à trois reprises. N’est pas non plus inédit le choix de s’exprimer devant l’une ou l’autre des assemblées6, de présenter une déclaration sur une thématique identique devant les deux chambres7, ou encore de procéder à un vote des députés8.
En revanche, il est novateur pour le gouvernement d’Édouard Philippe de prévoir un scrutin au Palais du Luxembourg sur le fondement de l’article 50-1. C’est aussi la première fois qu’il organise une consultation dans les deux assemblées sur le même sujet. En effet, les trois fois où les députés ont été appelés à exprimer leur suffrage depuis le 21 juin 2017, le gouvernement a renoncé au Sénat, soit à organiser un scrutin, soit à présenter une déclaration. Inédit sous le gouvernement d’Édouard Philippe, ce double choix est aussi exceptionnel sous la Ve République. En premier lieu, il est rare qu’un vote soit organisé à l’issue d’un débat portant sur une déclaration gouvernementale. En incluant les 2 derniers, on en dénombre seulement 10. En deuxième lieu, il est encore plus rare que les sénateurs bénéficient de l’opportunité de déposer un bulletin. Deux cas seulement peuvent être recensés9. En troisième lieu, un gouvernement a procédé une seule fois par le passé à un scrutin dans les deux chambres sur une déclaration portant sur une thématique identique. Le 15 juillet 2015, chacune des chambres a approuvé, à une large majorité, la déclaration sur l’Accord européen relatif à la Grèce du gouvernement dirigé par Manuel Valls. En quatrième et dernier lieu, aucun n’avait auparavant connu de désaveu de l’une ou l’autre chambre, même si certaines déclarations ont rencontré un succès relatif10. Pour autant, le gouvernement d’Édouard Philippe n’était pas dans la même situation institutionnelle que les autres. Aucun ne s’est aventuré à organiser un scrutin dans une enceinte parlementaire hostile, hormis le gouvernement de Manuel Valls qui osé une seule fois s’aventurer, avec réussite, dans cette voie. L’actuel gouvernement s’exposait alors au risque d’une déconvenue, sauf à reproduire le précédent du 15 juillet 2015. Il n’a pas rencontré le même succès avec ce Sénat composé majoritairement cette fois encore d’élus de la droite et du centre.
Une modalité procédurale inédite a été reproduite lors de la séance du 4 mai 2020 : l’organisation d’un débat interactif de questions-réponses entre les sénateurs et les membres du gouvernement après le débat classique qui a suivi la déclaration gouvernementale. Cette nouveauté a été introduite au Sénat, le 10 avril 2019, lors d’une séance consacrée à la déclaration portant sur le Grand débat national. Cet exercice n’avait pas été renouvelé au Palais du Luxembourg à l’occasion de la déclaration suivante du 9 octobre 2019 sur la politique migratoire de la France et de l’Europe. La séance du 4 mai se révèle à la fois confirmatrice et novatrice : d’une part, elle confirme l’existence de cette spécificité sénatoriale qui ne connaît pas encore d’équivalent à l’Assemblée nationale ; d’autre part, elle maintient l’organisation de ce débat interactif postérieurement au déroulement du débat concentré sur la déclaration, quand bien même, cette fois-ci, elle fait l’objet d’un vote par les sénateurs. Le débat interactif s’intercale chronologiquement entre le débat et le scrutin sur la déclaration gouvernementale, ce qui n’est pas sans conséquence sur l’objet des questions posées. Il prolonge naturellement la première discussion et les parlementaires tiennent nécessairement compte des réponses apportées par les ministres lorsqu’ils ont à se prononcer sur la déclaration gouvernementale. Cette chronologie procédurale n’est pas sans incidence sur la nature du dispositif de l’article 50-1. À l’origine, les débats constituants de 2008 le lient aux résolutions parlementaires et à la fonction normative du Parlement. Plus exactement, il a été pensé comme « un moyen nouveau de s’exprimer et de lutter contre les lois bavardes »11 en permettant « aux assemblées de s’exprimer politiquement sur des sujets qui n’ont pas à être transcrits dans une loi »12. En d’autres termes, en contribuant au développement de la fonction « tribunitienne »13 du Parlement, l’article 50-1 a vocation à préserver sa fonction normative. Cette conception originelle est démentie par la pratique. D’une part, les déclarations gouvernementales entretiennent un lien avec les textes de lois débattus dans les hémicycles comme en témoigne la discussion qui a suivi sur le projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire. D’autre part, intégrer l’exercice de questions-réponses dans le déroulement procédural de l’article 50-1 invite davantage à le regarder comme l’un des dispositifs participant à la fonction de contrôle de l’action gouvernementale14. Ce débat interactif n’est pas non plus sans incidence dans la controverse qui est née sur son application à l’Assemblée nationale.
II – Une controverse inédite
Dès l’annonce de la mise en œuvre de l’article 50-1 à l’Assemblée nationale, le choix du gouvernement a été la cible d’une double critique : l’une portait sur le sujet de la déclaration gouvernementale et, par voie de conséquence, le champ du débat qui suivait ; l’autre visait le moment du vote situé immédiatement après la clôture du débat15.
La première n’est pas nouvelle. En premier lieu, les parlementaires ont déjà contesté le refus du gouvernement de présenter une déclaration suivie d’un débat sur le sujet de leur choix. L’affaire Benalla en est une illustration. Durant l’été 2018, les députés de l’opposition ont sollicité à plusieurs reprises le gouvernement de mettre en œuvre l’article 50-1 pour qu’il s’exprime sur les dysfonctionnements mis en lumière par les évènements qui se sont déroulés, le 1er mai, place de la contrescarpe. Le rejet de leurs demandes a alors abouti au dépôt d’une motion de censure. C’était le seul moyen à leur disposition pour obliger le Premier ministre à engager un débat avec la représentation nationale16. En second lieu, l’objet des déclarations a aussi été l’enjeu de discussion. Si le sujet de la déclaration est librement choisi par le gouvernement, ou suggéré par un groupe parlementaire, il doit être « déterminé » selon les termes de l’article 50-1. Autrement dit, il était entendu que la thématique soit « spécifique : une réforme en cours, un débat de société, une question d’actualité, mais non sur la politique du gouvernement en général. L’article 50-1 se distingue (…) des déclarations de politique générale qui peuvent être prononcées devant l’Assemblée nationale ou le Sénat en application de l’article 49 pris respectivement en ses premier et quatrième alinéas »17. Or cette interprétation restrictive a été écartée. Hormis François Fillon, chaque Premier ministre18, sur le fondement de l’article 50-1 de la Constitution, a prononcé, au lendemain de l’application de l’article 49, alinéa 1er, à l’Assemblée nationale, une déclaration devant les sénateurs dont le contenu s’apparentait à un discours de politique générale. Avant qu’Édouard Philippe ressuscite récemment son usage, le 13 juin 2019, mettant fin à une période de 12 années d’inapplication19, les apparences laissaient même à penser que l’article 50-1 avait définitivement supplanté l’article 49, alinéa 4. À l’inverse, les députés de l’opposition en 2020 reprochaient un champ trop large à la déclaration gouvernementale portant sur la stratégie nationale du plan de déconfinement dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19. Ils appelaient de leurs vœux un débat centré sur le « traçage numérique, compte tenu des interrogations qu’il suscite au regard des libertés publiques et individuelles et des doutes qui existent sur sa faisabilité pratique »20. Il avait été initialement prévu le 28 avril pour finalement être supprimé, sous prétexte du retard pris dans la conception du projet stopCovid. Mais le Premier ministre s’est engagé devant les députés « à ce qu’un débat spécifique suivi d’un vote spécifique ait lieu une fois l’application opérationnelle et avant sa mise en œuvre »21, sans toutefois préciser devant quelle(s) assemblée(s). Surtout, il a fait valoir qu’« il aurait été possible, pour le gouvernement, de procéder à cette présentation au cours d’un journal télévisé ou d’une conférence de presse (…). Rien, dans notre Constitution, n’imposait au gouvernement de présenter à l’Assemblée nationale »22 sa stratégie sur le plan de déconfinement. Autrement dit, il rappelle le caractère discrétionnaire et facultatif des déclarations gouvernementales fondées sur l’article 50-1. En évoquant qu’il faudra « demain peut-être, corriger ce défaut », on ne sait s’il envisage une modification de la loi d’état d’urgence sanitaire ou une révision de l’article 50-1 sur le modèle des deuxièmes alinéas des articles 11 et 35 qui prévoient l’obligation de déclarations gouvernementales devant les assemblées dans certaines circonstances.
La seconde controverse est en revanche inédite sous la Ve République. Certes, la question du scrutin a déjà fait l’objet de contestations. Mais il s’agissait de déplorer son absence et non le moment où il devait se tenir. Un cas dans chaque hémicycle peut au moins être relevé. Le recours à l’article 50-1 au lieu de l’article 49, alinéa 4, pour présenter une déclaration de politique générale sans qu’aucun vote n’intervienne a été considéré par certains sénateurs comme un « détournement de la Constitution »23. Cherchant « par conviction, mais par filiation aussi (…) à être fidèles à l’esprit et à la lettre de la Constitution », les députés de l’opposition ont réclamé au gouvernement Ayrault de procéder, a minima, à un vote après sa déclaration du 4 septembre 2013 sur la situation en Syrie, quand bien même « l’article 35 ne l’y oblige pas »24. En revanche, le moment où doit se tenir le vote après la clôture du débat n’avait jamais encore soulevé de controverse auparavant. Cinq présidents de groupes parlementaires ont, cette fois-ci, adressé au président de l’Assemblée nationale une lettre en vue d’un report du scrutin25. Ils souhaitent qu’un délai leur soit laissé après l’annonce des mesures gouvernementales dans le but de se concerter avec leurs membres en vue d’adopter une position commune26. Outre l’urgence invoquée, le refus opposé a été, semble-t-il, motivé sur des considérations constitutionnelles : l’article 50-1 de la Constitution imposerait l’immédiateté du vote une fois le débat clos27. Sur ce point, les travaux préparatoires de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 ne sont d’aucune utilité. La question du moment du scrutin n’est jamais évoquée. D’ailleurs, l’intérêt des débats constituants se concentre davantage sur le débat qui suit la déclaration plutôt que sur la tenue du scrutin. En revanche, examiner les conditions d’application de l’article 50-1 est plus éclairant. La thèse de l’immédiateté du vote ne résiste pas à la pratique sénatoriale du 4 mai dernier. Si un exercice de questions-réponses a pu s’intercaler entre la clôture du débat sur la déclaration gouvernementale et l’ouverture de son vote, l’instauration d’un délai de réflexion avant la tenue du scrutin est alors envisageable. Néanmoins, se pose ensuite la question de son étendue. La durée a minima de 24 heures de réflexion demandée par les groupes d’opposition paraît démesurée au regard de la pratique. Les huit scrutins décidés antérieurement par le gouvernement sous la Ve République se sont tous déroulés le jour même de la prise de parole gouvernementale. En outre, le délai réclamé par les députés de l’opposition est surprenant. D’une part, les députés de l’opposition disposaient des moyens de l’obtenir par le dépôt d’une motion de censure. D’autre part, la demande concerne un scrutin qui n’emporte aucune conséquence juridique, alors qu’elle n’est pas effectuée pour d’autres plus importants. Il en est ainsi de l’article 49, alinéa 1er où systématiquement le vote est organisé immédiatement après le débat sur la déclaration de politique générale du Premier ministre depuis celle de Laurent Fabius le 24 juillet 1984. Enfin, cette demande va à l’encontre des enseignements du parlementarisme rationnalisé. La réflexion est réputée bénéficier au maintien du gouvernement, ce qui explique les durées de 48 et 24 heures prévues entre le dépôt d’une motion de censure et son vote aux alinéas 2 et 3 de l’article 49 de la Constitution. Dès lors, cette requête de l’opposition apparaît davantage comme une volonté des présidents de groupe parlementaire de conserver une autorité sur leurs membres dans le but d’adopter une position claire et commune. L’analyse du scrutin du 28 avril 2020 met en lumière, au Palais Bourbon, l’indiscipline au sein des groupes Les Républicains, Socialistes et apparentés, UDI, Agir et Indépendants, et Libertés et Territoires. En revanche, hormis le groupe Union centriste, la proportion de sénateurs qui se sont écartés de la ligne définie par leur groupe est très faible sans que l’on sache cependant dans quelle mesure le plan de déconfinement porté à leur connaissance lors de sa présentation aux députés a contribué au respect de la discipline partisane. La désapprobation sénatoriale était néanmoins attendue malgré l’ampleur des abstentionnistes dans les rangs des groupes Les Républicains et Union centriste. Elle interroge nécessairement les choix gouvernementaux de procéder à une déclaration suivie d’un débat et de la soumettre au vote des sénateurs.
III – Un objectif inédit
Aucune des crises survenues après 2008 n’a conduit un gouvernement, sur le fondement de l’article 50-1, à présenter devant chacune des assemblées le plan élaboré pour la surmonter. Cette charge d’informer les parlementaires était toujours revenue au président de la République. Il procède alors à la réunion du Parlement en Congrès, sur le fondement de l’article 18. Nicolas Sarkozy s’adresse aux parlementaires, le 22 juin 2009, pour annoncer les réformes nécessaires pour surmonter la crise financière et bancaire. François Hollande réunit le Parlement à Versailles, le 13 novembre 2015, pour annoncer l’entrée en guerre de la France à la suite des attentats terroristes commis à Paris et les moyens pour garantir la sécurité des concitoyens. Ces deux précédents s’inscrivent dans la tradition présidentielle d’informer les assemblées parlementaires des circonstances de crises nationales ou internationales que rencontre la France et des solutions institutionnelles pour y répondre. Il suffit de se remémorer les messages, d’une part, gaullien du 25 avril 1961 annonçant la mise en œuvre de l’article 16 pour faire face à l’installation d’un pouvoir insurrectionnel en Algérie et, d’autre part, mitterrandiens des 27 août 1990 et 16 janvier 1991 sur respectivement, l’invasion du Koweït et l’engagement de la France dans la guerre du Golfe. On aurait pu s’attendre alors à ce que le président Emmanuel Macron ne déroge pas à la tradition, surtout de la part d’un utilisateur zélé de l’article 18 de la Constitution28. Or la nature sanitaire de la crise fait obstacle aux velléités de réunir tous les parlementaires dans un même lieu. Dès lors, l’article 50-1 apparaît comme un succédané à l’article 18. Cette solution de substitution comporte un inconvénient mineur : l’impossibilité d’une prise de parole gouvernementale devant tous les parlementaires simultanément. Cet obstacle est néanmoins aisément surmontable. Il suffit de procéder successivement à deux déclarations gouvernementales devant chacune des assemblées, ce que le gouvernement d’Édouard Philippe a opéré les 28 avril et 4 mai 2020. Par ailleurs, en désignant comme responsable de cette « gestion calamiteuse » et de cette « sortie hasardeuse »29 le chef de l’État, plutôt que le Premier ministre, le président du groupe La France insoumise dévoile la véritable nature de cette déclaration qui relève habituellement de la fonction présidentielle.
Contrairement à l’article 18 de la Constitution, l’auteur ministériel de la déclaration assiste au débat qu’elle suscite et répond aux interventions auxquelles elle donne lieu. En revanche, un point commun les réunit. Aucune des dispositions n’imposent, au terme de la procédure, la tenue d’un scrutin. L’article 18 l’exclut tandis que l’article 50-1 donne la faculté au gouvernement de conclure le débat par un vote. Pour autant, le choix d’organiser une consultation des sénateurs demeure, à double titre, surprenant. D’une part historiquement, la tenue d’un scrutin est inhabituelle, d’autant plus au Palais du Luxembourg qui n’en avait connu que deux auparavant sur le fondement de l’article 50-1. D’autre part conjoncturellement, les relations entre l’exécutif et le Sénat composé majoritairement d’élus de droite et du centre sont tumultueuses depuis le début du quinquennat. En témoignent les tractations en vue de la révision constitutionnelle promise en 2017 par le président de la République30, le rapport d’enquête de la commission des lois sur l’affaire Benalla31, ou la désapprobation de la politique générale du gouvernement le 13 juin 2019. Le choix du gouvernement s’exposait alors au risque d’une déconvenue, quand bien même elle n’emportait aucune conséquence immédiate sur son maintien ou sur l’application du plan de déconfinement exposé. Le choix d’organiser une consultation au Sénat répond à la volonté présidentielle de « concorde »32. Elle s’explique aussi par la stratégie nationale qui réclame « le concours de tous »33, en particulier des maires. La complémentarité, et non la concurrence, est attendue entre les différents acteurs, y compris l’État et les collectivités locales. Un vote positif de l’assemblée représentant les collectivités territoriales manifesterait ainsi symboliquement leur assentiment à collaborer.
Des considérations d’opportunité politique ont pu aussi motiver le choix de procéder à un vote dans les deux assemblées. Dans son message adressé aux Français le 13 avril 2020, le président de la République a fait part de sa volonté de « bâtir un autre projet »34. Dans l’histoire de la Ve République, une telle ambition présidentielle annonce un changement de Premier ministre pour conduire cette nouvelle politique. Elle enseigne également qu’un Premier ministre d’un mandat présidentiel excède très rarement une durée de 3 ans de fonction. Le choix du gouvernement s’apparente alors à une tentative de démontrer l’unité de tout le Parlement dans le soutien de la politique gouvernementale. Le concours des deux assemblées est alors sollicité, aux fins d’affirmer l’autorité du gouvernement vis-à-vis du président de la République dont la confiance à son endroit vacille, comme l’a rappelé le président du groupe La France insoumise dans son intervention à la tribune35. Ainsi, le recours à l’article 50-1 de la Constitution poursuit un objectif inédit. Si un vote négatif de l’une ou l’autre des chambres n’est pas à redouter, le vote positif des deux assemblées parlementaires est espéré dans le but de faire obstacle politiquement à l’application de l’article 8 par le chef de l’État. Requérir un vote des députés ou des sénateurs pour empêcher la révocation du gouvernement s’est déjà constaté sous la Ve République. Toutefois, dans le passé, ces initiatives reposaient sur d’autres fondements : Chaban-Delmas a obtenu la confiance de l’Assemblée nationale, le 23 mai 1972, sur le fondement de l’article 49, alinéa 1er ; Michel Rocard a réussi, le 16 janvier 1991, à obtenir de la part d’un Sénat qui lui était pourtant hostile un vote favorable sur la politique au Moyen-Orient en application de l’article 49, alinéa 4, après avoir d’ailleurs acquis la confiance de l’Assemblée nationale le jour même. Dès lors, l’usage de l’article 50-1 s’inscrit dans le précédent « Rocard » dans l’espoir de parvenir à ce qu’aucun autre Premier ministre que François Fillon a réussi, à savoir se maintenir à Matignon toute la durée du mandat présidentiel. Néanmoins, l’échec de cette initiative osée ne doit pas être perclus de regrets. La « cohabitation » avec ce Sénat aussi récalcitrant devrait bientôt prendre fin avec son renouvellement – longtemps attendu par l’exécutif – en septembre 2020, à moins que la crise sanitaire repousse la date des élections sénatoriales. Surtout, les précédents de 1972 et 1991 ont démontré que le soutien d’une majorité gouvernementale ou sénatoriale ne fait finalement pas obstacle au pouvoir de révocation du président de la République lorsqu’il est résolu à l’exercer.
Notes de bas de pages
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1.
Warsmann J.-L., Séance du 29 mai 2008, A.N.
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2.
Sueur J.-P., Séance du 16 juillet 2008, Sénat.
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3.
Gohin O., Droit constitutionnel, 3e éd., 2016, LexisNexis, p. 1039.
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4.
« Déclaration sur la stratégie nationale du plan de déconfinement dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19 », Séance du 28 avril 2020, A.N.
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5.
L. const. n° 2008-724, 23 juill. 2008, art. 46-II, fixait l’entrée en vigueur de l’article 50-1 au 1er mars 2009.
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6.
« Déclaration sur la réforme territoriale », Sénat, séance du 28 octobre 2014 ; A. N., Déclaration sur la fin de vie, séance du 20 janvier 2015.
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7.
Le gouvernement a procédé 17 fois à une déclaration à la thématique identique dans les deux assemblées, soit au total 34 déclarations. Par ex, l’avant-dernière déclaration est : « Déclaration sur la politique migratoire de la France et de l’Europe », Séance du 7 octobre 2019 ; Séance du 9 octobre 2019, Sénat.
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8.
Avant celle du 28 avril 2020, on comptait 6 déclarations suivies d’un débat conclu par un vote des députés : déclarations sur le programme de stabilité de la France pour 2013-2017, Séance du 23 avril 2013, A.N. ; sur le projet de programme de stabilité 2014-2017, Séance du 29 avril 2014, A.N. ; sur l’accord relatif à la Grèce, Séance du 15 juillet 2015, A.N. ; sur le projet de programme de stabilité pour 2018-2022, Séance du 18 avril 2018, A.N. ; sur la fiscalité écologique et ses conséquences sur le pouvoir d'achat, Séance du 5 décembre 2018, A.N. ; sur le projet de programme de stabilité pour les années 2019-2022, Séance du 30 avril 2019, A.N.
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9.
Déclarations sur le projet de programme de stabilité, transmis par le gouvernement à la Commission européenne, Séance du 27 avril 2011, Sénat ; sur la réforme territoriale, Séance du 28 octobre 2014, Sénat.
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10.
La déclaration relative au projet de programme de stabilité, transmis par le gouvernement à la Commission européenne et celle portant sur le programme de stabilité 2014-2017 ont été approuvées respectivement le 27 avril 2011 au Sénat et le 29 avril 2014 à l’Assemblée nationale avec un écart de 35 et 33 voix.
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11.
Warsmann J.-L., Séance du 29 mai 2008, A.N.
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12.
Karoutchi R., Séance du 29 mai 2008, A.N.
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13.
Prétot X., « Article 50-1 », in Luchaire F. et a., La Constitution de la République française, 2018, 3e éd., Economica, p. 1274.
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14.
L’article 132 du RAN consacré aux « déclarations du gouvernement » est situé dans la 1re partie dénommée « Information, Évaluation, Contrôle » elle-même incluse dans le Titre III intitulé « Contrôle parlementaire » ; l’article 39 du RS est plus abscons, il relève du chapitre XIII sur les « déclarations du gouvernement » sans aucune autre précision.
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15.
« Je comprends mal cet excès de rigidité, d’autant que ni le président de la République ni une partie de votre majorité ne semblent l’approuver. (…) Pourquoi ne pas avoir accordé au Parlement un délai de 24 heures pour examiner le plan de déconfinement ? (…) Quant au traçage numérique, compte tenu des interrogations qu’il suscite au regard des libertés publiques et individuelles et des doutes qui existent sur sa faisabilité pratique, nous saluons votre décision de lui consacrer finalement un débat et un vote spécifiques », Abad D., Séance du 28 avril 2020, A.N.
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16.
« Monsieur le Premier ministre, (…) si vous aviez accepté nos demandes d’un débat au titre de l’article 50-1, nous ne serions pas ici, l’un en face de l’autre, cet après-midi. (…) Nous n’avons pas d’autres choix que de mettre en cause la responsabilité de votre gouvernement pour entendre vos réponses aux questions nombreuses et sérieuses que les Français se posent », Jacob C., 1re séance du 31 juillet 2018, A.N.
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17.
Preuvot P., « Les déclarations du gouvernement devant les assemblées », LPA 19 déc. 2008, p. 93 ; « Les choses sont claires – cette procédure ne peut se confondre avec celles de l’article 49 », Carcassonne G. et Guillaume M., La Constitution, 14e éd., 2017, Essais, p. 265.
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18.
Déclarations des 4 juillet 2012, 9 avril 2014, 14 décembre 2016 et 5 juillet 2017, Sénat.
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19.
Débat et vote sur une déclaration de politique générale du gouvernement dirigé par François Fillon, Séance du 4 juillet 2007, Sénat ; Saint Sernin J., « Le rejet de la déclaration de politique générale », Blog Jus Politicum, 21 juin 2019, www.blog.juspoliticum.com.
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20.
Abad D., Séance du 28 avril 2020, A.N.
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21.
Philippe E., Séance du 28 avril 2020, A.N.
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22.
Philippe E., Séance du 28 avril 2020, A.N.
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23.
Zocchetto F., in Benetti J., « Les premiers pas du nouveau gouvernement devant les assemblées », 2012, Constitutions, p. 418.
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24.
Jacob C., Séance du 4 septembre 2013, A.N.
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25.
« Coronavirus : cinq groupes d’opposition à l’Assemblée nationale demandent le report du vote sur le plan de déconfinement », Franceinfo, 27 avr. 2020.
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26.
« On ne peut pas engager un vote aussi important avec seulement 10 % de la représentation nationale dans l’hémicycle. On doit pouvoir échanger et discuter entre nous après. Un report de 24 heures, c’est rien ! », Abad D., in « Plan de déconfinement : pas de report du vote à l’Assemblée », Le Parisien, 27 avril 2020.
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27.
« Le Premier ministre aurait tout aussi bien pu faire le choix de la conférence de presse, il a privilégié les députés », s’agace-t-on dans les couloirs de Matignon, en rappelant que l’article 50-1 de la Constitution permet de faire une déclaration à l’Assemblée, suivie immédiatement d’un débat et d’un vote », in « Plan de déconfinement : pas de report du vote à l’Assemblée », Le Parisien, 27 avril 2020.
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28.
Les messages des 3 juillet 2017 et 9 juillet 2018 avaient vocation à rendre compte annuellement de son action. Cette pratique n’a pas été suivie en 2019.
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29.
Mélenchon J.-L., Séance du 28 avril 2020, A.N.
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30.
Groupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle, 40 propositions pour une révision de la Constitution utile à la France, 24 janv. 2018.
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31.
Commission des lois du Sénat, « Rapport d’enquête sur l’affaire Benalla ». Mission d’information sur les conditions dans lesquelles des personnes n’appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l’exercice de leurs missions de maintien de l’ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquement, 20 févr. 2019.
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32.
Macron E., « Adresse aux Français », 13 avril 2020.
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33.
Philippe É., Séance du 28 avril 2020, A.N.
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34.
Macron E., « Adresse aux Français », 13 avril 2020.
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35.
Mélenchon J.-L., Séance du 28 avril 2020, A.N.