Bérénice au Théâtre Sarah Bernhardt

Publié le 20/03/2024

Théâtre de la ville

Depuis sa performance provocatrice intitulée : « Sur le concept du visage du fils de Dieu » représentée dans ce même théâtre à l’automne 2011 et qui suscita une violente querelle suivie d’un contentieux (v. Emmanuelle Saulnier-Cassia « Le théâtre en procès », Classiques Garnier, 2022), le metteur en scène Romeo Castelluci s’est assagi sans s’éloigner de sa trajectoire de théâtre total, hybride, troublant, où le son et l’image s’emparent du texte et le violentent.

Il en est ainsi de cette singulière adaptation de « Bérénice », qui se jouera jusqu’au 28 mars 2024 au Théâtre Sarah Bernhardt, réduite aux seules répliques de l’héroïne, Titus, Antiocus et Paulin étant priés de se taire tout comme le groupe des sénateurs hostiles à l’union de la reine de Judée avec l’empereur romain. Pourquoi pas ?

Et, pour parvenir à un spectacle d’une durée normale, il faut trouver une astuce, ce sera celle du silence qui occupera autant de temps que les alexandrins. On plongera les spectateurs dans une élégante atmosphère brumeuse, rythmée par les gongs d’une musique lancinante, un beau travail électro-acoustique du fidèle Scott Gibbons. Pourquoi pas ? Ces espaces de lumières, ces grands voiles fluides, cette musique obsédante, créent une atmosphère quasi zen où l’on se laisse volontiers entraîner.

Mais voici que se succèdent la fureur et les cris lorsque la diva, toujours seule en scène, hiératique dans de somptueux costumes, apparaît, et c’est là que la performance dérape car sans le dissimuler, Romeo Castellucci fait de ce Bérénice un show Isabelle Huppert. Ne la décrit-il pas comme « la synecdoque de l’art du théâtre mondial » l’enjeu étant d’exprimer avec elle « l’hardcore du théâtre », en abordant « l’un des textes les plus radicaux de l’histoire occidentale ».

Radicalité donc, mais presque insuffisante, car bien puéril est le numéro de danse muette auquel se livrent Titus et Antiochius puis les sénateurs en un strip-tease plutôt gracieux, et bien artificielle cette volonté d’imposer la déconstruction des vers raciniens, une déclamation criarde, sonorisée, entrecoupée parfois de gémissements sinon de bégaiements. Oui certes c’est une femme blessée par le comportement d’un homme et alors ? Rien de bien original.

Radicalité peut-être dans le mot de la fin : un « Ne me regardez pas » lancée par la diva aux spectateurs dont certains ont déjà obéi à cet ordre.

Ses inconditionnels lui feront une ovation, le talent de Romeo Castelluci n’en sort pas affaibli et Racine qui en a vu d’autres ne se retournera pas dans sa tombe.

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