Deux classiques de la littérature au théâtre

Publié le 10/02/2020

Deux classiques de la littérature au théâtre

Théâtre de Poche-Montparnasse

Deux classiques de la littérature et le plaisir d’entendre de grands textes, c’est ce que propose le Théâtre de Poche-Montparnasse, ce lieu de convivialité où la qualité de la programmation est garantie. 19 heures : Romain Gary ; 21 heures : Victor Hugo, et entre les deux, le temps d’un repas léger…

La Promesse de l’aube

Il est toujours difficile de transposer une œuvre littéraire au théâtre. Il faut aller au-delà de la simple lecture et donner vie au texte en ajoutant aux mots des images, ce que parvient à faire Stéphane Freiss, tout en ne quittant pas la mode lecture.

Il monte sur la scène, le livre de Romain Gary à la main, accompagné de fiches où sont transcrits les extraits choisis auxquels il se réfère. Mais comme il fait preuve d’une grande habileté pour s’identifier aux personnages et qu’il a su choisir – amputations cruelles – les bonnes pages de l’ouvrage, la prestation devient visuelle, emportée par l’humour et l’émotion, la passion et le cynisme, ces mélanges complémentaires plus que conflictuels propres à l’auteur.

Deux fauteuils, l’un où s’assoit parfois le lecteur-auteur, c’est-à-dire l’enfant et l’homme resté enfant, Romain Gary, et l’autre, qui restera vide, celui de la mère à qui il s’adresse en un dialogue que la mort n’achèvera pas. « Avec l’amour maternel, la vie vous fait à l’aube une promesse qu’elle ne tiendra pas », écrit-il.

Il deviendra cependant le diplomate, le valeureux pilote de guerre, le grand écrivain, le héros au glorieux destin dont sa mère n’avait jamais douté. Il lui devait bien cet hommage, cette déclaration d’amour, ces aveux sur sa fragilité et sa mélancolie, cette vie hors du commun, « à cause d’elle et malgré elle ».

Stéphane Freiss est à l’aise dans cette confusion des sentiments, ces passions sourdes, la virtuosité des mots, les contrastes entre les deux personnages en même temps que leur fusion.

Il s’introduit tout naturellement et sans effraction dans l’intimité de ce couple peu ordinaire, préférant la réserve à l’excès et il a sans doute eu raison de choisir « la forme de la lecture la plus simple et la plus modeste possible » pour y parvenir.

Choses vues

Plus spectaculaire est la manière de présenter les Choses vues, ces notes que Victor Hugo écrivait sur des carnets et des feuillets épars, dont une première sélection fut publiée deux ans après sa mort, complétée par la suite, la dernière édition ne comptant pas moins de 2 000 pages.

L’adaptation qu’en fait Christophe Barbier est habile, évitant de suivre la chronologie des événements, pour une fantaisie qui n’est pas un désordre et qui conduit à musarder librement dans cette chronique de l’évolution politique de la France au XIXe siècle.

La sélection dans une telle profusion et l’adaptation qui en est faite mêlent événements et portraits, libres propos d’un témoin capital de son temps, qui connut deux royautés, deux Empires, deux Républiques. Selon les sujets, le trait sera malicieux, parfois vachard, le plus souvent furieux devant la cruauté et l’injustice.

Fuite piteuse de Louis Philippe, femmes et enfants des barricades, condamnés à mort, violences de la Révolutions de 1848 (« En 1848, les rouges étaient les oppresseurs, je les combattais. En 1850, les rouges sont les opprimés, je les défends »), regard du voleur de pain emmené par les gardes et absence de regard de la femme élégante dans la berline armoriée (« Du moment où cet homme s’aperçoit que cette femme existe, tandis que cette femme ne s’aperçoit pas que cet homme est là, la catastrophe est inévitable »), portrait plein de tendresse de la vraie Fantine, regard plus critique sur mademoiselle Georges ou Talleyrand, croquis impitoyable de Madame de Chateaubriand… Les analyses sur les politiques et la culture se mêlent aux instantanés du quotidien et aux croquis savoureux ou tragiques.

Deux comédiens se renvoient le rôle du conteur et font se succéder à vive allure les récits et les portraits, donnant ici la parole à Victor Hugo et là à des doubles.

La mise en scène de Stéphanie Besson donne une ligne directrice à cette profusion, celle de la tendresse de l’auteur à l’égard des opprimés, faisant s’entrecroiser les acteurs toujours en mouvement, avec un sourire lointain et une douceur entrecoupée de sursauts de révolte.

Jean-Paul Bordes et Christophe Barbier ont une évidente complicité. Et l’on ne peut manquer d’être touché par le bonheur que laisse transparaître ce journaliste, souvent contraint à la hargne, et que le théâtre met en état de grâce…

LPA 10 Fév. 2020, n° 151n2, p.21

Référence : LPA 10 Fév. 2020, n° 151n2, p.21

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