Le ballet de la contrefaçon

Publié le 23/07/2021

« Je ne suis pas expert et je ne veux point l’être. J’aime les vieilles choses pour le plaisir qu’elles me procurent, sans chercher à m’ériger en pontife de la curiosité », assurait Paul Eudel (1837-1912) dans son ouvrage intitulé : Trucs et truqueurs, au sous-titre évocateur : « altérations, fraudes et contrefaçons dévoilées », dont nous avons retrouvé la dernière édition, celle de 1907. Nous en reprenons la publication, en feuilleton de l’été consacré au faux en tout genre.

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« Satisfait de son œuvre, notre luthier en vieux verse par les ouïes une poignée de poussière fine. Les surfaces colophanées s’en imprègnent. L’intérieur est au point. Il est temps d’habiller l’extérieur. Comment imiter cette pâte fine et souple, ce dessous doré et miroitant, cette nuance séduisante qui fait la gloire des vernis de Guarnerius ? C’est facile avec les formules des anciens luthiers. Voyez plutôt. Le bois a déjà revêtu par la cuisson une teinte d’or qui va éviter la moitié du travail. Le vernis prend des nuances d’un beau brun rouge avec des reflets superbes. Quelques éraflures, des trous de vers, des « crasses » en termes de luthier, un léger frottis au papier de verre ou à l’ammoniaque aux endroits usés par le frottement de la main ou du menton. Voilà en l’an de grâce 1907 un Guarnerius authentique. Si le truqueur connaît bien son affaire, il le vendra plusieurs milliers de francs et n’aura pas dépensé cent francs à le fabriquer.

Violoncelles, violes, vielles, luths, mandolines, mandores, pochettes de maître à danser, toute la lutherie italienne ou allemande est imitée, copiée, truquée par ces procédés ingénieux. Les amateurs eux-mêmes s’en mêlent. Ils font incruster ou historier leurs instruments et transforment une pièce très ordinaire en un objet de haute curiosité. De temps à autres, ils vendent leur collection. Elle comprend 2 000 instruments. Il y en a 1 800 de faux ou de maquillés sans remords. C’est en Italie, la patrie du beau et du faux, que naissent le plus d’imitations. À Florence, un facteur de talent fabrique en grand tous les instruments connus. Il sort de son officine des archiluths semés à profusion d’incrustations de nacre, des violes reproduisant, en marqueterie des tableaux connus, des tympanons décorés de gouache. Il envoie le catalogue sur demande et vend à prix fixe.

Si les instruments à cordes sont les premiers sujets dans le ballet de la contrefaçon, n’oublions pas la bande des instruments à vent, coryphées du truquage bien dignes aussi d’arrêter l’attention. Le marché n’est-il pas inondé de petites musettes à deux chalumeaux très courts, munies de leur sac de vieille soie à galons d’argent ou d’or ? Elles passent à tort ou à raison pour être fabriquées dans une loge de concierge du quartier du Temple ». (À suivre)

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